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DE ALGER LA BLANCHE A PARIS, MENILMONTANT

Française, enfant d’Alger, où elle est née, Aline Marçot vient en France, dans les années 1960, à 13 ans. Elle s’installe d’abord en banlieue avec sa famille, puis à Paris en 1975, dans le 20e arrondissement, rue des Maronites, à deux pas de la rue du Pressoir.  Elle y habite toujours. Sculpteur, mais aussi passionnée de théâtre, comédienne avec à son actif plusieurs mises en scène, Aline Marçot est surtout une amie de longue date. 

 

 

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"ON N’HABITE PAS MENILMONTANT, C’EST MENILMONTANT QUI NOUS HABITE" 

 Serge Guérin, sociologue.

 

Bienvenu Merino : Chère Aline, merci d’avoir accepté de venir à ce rendez-vous. Je t’imagine à Alger, sur une terrasse toute blanche, avec l’odeur du jasmin, attablée devant un thé à la menthe. Il y fait très beau. Il est loin ce temps là ?

Aline Marçot : Oui, c’est loin ce temps là, et par moment, ce n’est pas si éloigné que ça, j’ai fais tout de même du chemin depuis. A Alger, avec mes parents, nous habitions à l’européenne, dans un appartement sans terrasse,  avec un grand balcon sans plantes, ni fleurs, ni odeurs de jasmin. Je te parle comme si le temps depuis m’avait fait oublier les senteurs, fait disparaître les odeurs. Pourtant, ce n’est pas tout à fait vrai, tout est là encore, dans le souvenir, il me suffit d’y repenser, d’aller puiser un peu dans ma mémoire pour que tout cela revienne. Mais ce n’était pas du tout notre habitude de prendre du thé. Avec mes parents, nous avions un mode de vie à la française, sauf le vendredi, qui, en général, était notre jour de couscous. Le samedi,  maman préparait le pique-nique pour le dimanche : la coca, plat typique algérois ainsi que le pâté de porc au cognac. Nous passions la journée au bord de la mer, à la plage. C’était une façon  d’oublier qu’il y avait les événements ; la guerre, quoi ! Mais ce mot guerre était très dur pour moi qui était un enfant ; en famille nous disions : les événements. A la plage, c’était convivial, on oubliait  un peu ce qui se passait en ville. Après le repas, mes parents jouaient à la belote en famille ou avec des amis. Moi, je n’aimais pas du tout ça. Je restais dans mon coin avec mon frère. C’est sans doute la raison pour laquelle, je déteste tous les jeux de carte, belote et tout ce qui s’en suit. Là ne sont que quelques brefs souvenirs de cette période, je pourrais parler encore et encore.

B. M : Aline, te rappelles-tu de ce jour où, toute jeune fille, très belle, tu prends l’avion et puis vlan, voici Orly ! C’est un bond, non ? Un bond dans l’inconnu ? Ta famille, était-elle déjà installée en métropole ? En proche banlieue de Paris, je crois?

A. M : Ah oui je me rappelle ! Je suis arrivée en France, à Paris précisément, à 13 ans. Et oui, ce fut un bond, tu as raison, un  bond dans l’inconnu. A coup sûr, il y avait des raisons d’être désorientée. Puis nous nous sommes installés dans la banlieue sud, proche d’Orly, à Villeneuve-le-Roi. Je trouvais la ville grise, le ciel bas ; les avions, je les entendais au-dessus et ça me faisait peur. Je le voyais  tous les jours ainsi.

C’était l’hiver 1961, il faisait très froid, le gel, la neige, tout cela était nouveau pour moi, je ne connaissais pas les saisons. C’était insupportable, se couvrir, se barricader en nous-mêmes, cacher notre corps, ne pas s’aérer, sinon dans le froid et la neige. Je découvrais ce qui n’existait pas à Alger, du moche, la grisaille, la solitude. Oui, il est vrai, nous vivions les événements, mais mes parents nous protégeaient du mieux qu’ils le pouvaient afin que l’on ne s’en rende pas compte. Partir : moments très difficiles pour moi, quitter ma meilleure amie et ceux qui m’étaient chers. Puis, j’ai repris mes études en banlieue parisienne dans un lycée mixte. C’était nouveau pour moi un lycée avec ensemble filles et garçons. Il a fallu du temps pour m’y habituer, beaucoup de temps. Ma meilleure amie était restée à Alger, je me sentais seule.

C’est bien des années après que je suis arrivée rue des Maronites, en 1975 je crois. J’approchais de la trentaine. Ma grand-mère avec ses deux jumeaux, frère et sœur, c'est-à-dire mon oncle et ma tante, habitaient déjà rue Julien-Lacroix depuis 1962. Ce fut un grand changement pour moi, la plupart des membres de ma famille, du côté de ma mère étaient restés en Algérie, oncles, tantes, amies. Plus personne parmi les proches n’était là dans mon nouveau pays ; ce fut très difficile vraiment, je me sentais isolée, le cocon familial désagrégé.

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La rue des Maronites aujourd'hui

 

B.M : Aline, je me souviens des très belles  poupées en tissus que tu fabriquais il y a quelques années, exposées dans une galerie, quai Malaquais, près du Pont Neuf. Ces poupées, gardaient-elles ton innocence, celle de ton enfance dans ce beau pays qu’est l’Algérie et que j’ai eu la chance de connaître ? 

A.M : Oui, il y eut une période où je faisais des poupées, puis je me suis mise à la sculpture. Les matériaux, les techniques, tout est différent. Quand à leur ressemblance, les poupées, ce qu’elles voulaient dire, ce qu’elles signifiaient, je ne sais trop comment répondre à ta question,  je laisse à chacun le soin de dire ce qu’il ressent. Je pense que c’est la nostalgie du désir de fusion avec la mère  qui  a fait naître ces poupées de tissu. Elles avaient un rapport avec ce que j’étais, mon passé, mon histoire. Oui, tu as peut-être raison, je ne suis pas sûre, moi je ne me posais pas de questions, je faisais, mais il y a du vrai dans ce que tu dis.

B. M : Se sent ont déboussolée quand on quitte l’Algérie à 12 ans. Etais-tu consciente, toi, de ce qui se passait dans ton pays natal. Comment voyais-tu ces événements ? Tu te sentais protégée ou bien désorientée ? C’était difficile à certains moments, te souviens-tu ?

A. M : Cela me paraissait incroyable tout ce qui m’arrivait, et cette idée de recommencer une nouvelle vie ailleurs. Mon père se sentait menacé là-bas, il voulait nous protéger ; il était syndicaliste et libéral ; il n’était pas pour le F.L.N. ni pour l’O.A.S. et il décida, du jour au lendemain, de partir, de tout quitter, de nous embarquer en France. Tout alla très vite. 

B. M : Lorsque tu as trouvé le logement rue des Maronites, tu es arrivée dans des bâtiments flambants neufs, non ? J’ai remarqué que les trois rues : rue du Pressoir, rue des Maronites et Etienne-Dolet forment, géographiquement, une sorte de croix. C’est un signe de la croisée des chemins, ou bien une croix sur un passé, pourrait-on dire. Ce n’est pas exagéré ? Aline, tu avais conscience de la situation grave que vivaient les Français d’Algérie et la nation  algérienne. Ce n’est pas douloureux de raviver ce passé ? 

A. M : L’immeuble où j’emménageai en 1975, rue des Maronites, n’était pas neuf, et ceux voisins du même groupe d’immeubles semblaient avoir été construits la même année. Ils avaient déjà une quinzaine d’années, sinon plus. Quand à la croix que forment les trois rues, tu as une imagination débordante, je ne suis pas géomètre. Il me faudrait regarder un plan du quartier pour le confirmer. Oui, j’avais pris conscience de la gravité des événements en Algérie. Je devais avoir une dizaine d’année à peine, je sentais que c’était très grave, tout était en jeu, le destin peut-être de deux nations ! En fin de compte, oui, ce fut comme un trait que l’on avait voulu jeter sur mon passé, mais moi, jamais je ne pus, ni ne voulus, ni ne veut  oublier le pays où je suis née. Je le garde dans mon coeur, présent à tout jamais ! En vérité, Alger et l’Algérie, ce fut toute mon enfance, mon berceau natal, mon repaire nid. C’est émouvant d’y repenser en répondant à tes questions. La France, ma patrie où j’arrivais pour la première fois je ne m’y retrouvais pas.

B. M : L’intégration a-t-elle été difficile pour toi. Je veux dire de rentrer en classe du jour au lendemain, s’asseoir au milieu de têtes blondes ?

A. M : Ce fut très dur. Un long tunnel pour moi commençait. Je ne pouvais pas comprendre ce qui m’arrivait. Voyant que la situation m’était difficile, j’essayais et voulais comprendre. Je le voulais afin de m’épanouir, de vivre bien, sans conflit dans ma tête. J’étais en pleine crise d’adolescence, dès mon arrivée d’Algérie. Rentrer dans une  classe mixte, je devais m’habituer à ce changement. C’était un nouveau mode de vie, tout me semblait différent, les maisons, les gens qui m’entouraient, les élèves, les profs, dont certains riaient de mon accent pied noir. Le prof de français, grec et latin était cynique avec moi, ça je m’en souviens ! J’allais très mal. Je ne suis sortie du tunnel que vers les 15-16 ans. Enfin,  je commençais à voir plus clair, je respirais mieux. C’était à Savigny-sur-Orge où se trouvait le lycée et non à Ménilmontant, comme je t’en ai parlé précédemment, où je ne suis venue qu’après les études secondaires.

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La rue du Pressoir autrefois



B. M : Aline, la belle rue de Pressoir d’avant, l’as-tu connue, avec ses cafés, ses hôtels et ses très nombreux commerçants ? Et que ressens-tu, là, aujourd’hui aux premières loges de ces immeubles, masse de béton, car toute la rue du Pressoir d’autrefois a été décapitée pour construire du neuf, afin de recevoir des familles françaises rapatriées d’Afrique du Nord. Savait-tu que ces immeubles avaient été construits pour les rapatriés d’Algérie?

A. M : Non, je n’ai pas connu la rue du Pressoir d’avant. A mon arrivée dans le quartier,  la rue du Pressoir nouvelle  était déjà construite, c’est celle qui est là actuellement. J’ai vu les photos que vous avez publiées, mais c’est tout. Je ne savais pas que les immeubles où j’habite avaient été réservés aux rapatriés d’Algérie, tu me l’apprends, aujourd’hui. Oh !  j’en apprends des choses !

B. M : Aline, de nombreux contingents de populations ne trouvent plus dans leur propre pays des perspectives de vie digne et sûre. Ils passent souvent les frontières et partent ailleurs. De nombreux émigrés arrivent en France. Ménilmontant fut longtemps une terre d’asile. Pour toi qui habites le quartier,  penses-tu qu’il en soit toujours ainsi ? Vois-tu un changement positif, dans l’arrivée de nouvelles émigrations qui s’installeraient à Belleville et à Ménilmontant?

A. M : Ménilmontant est un quartier qui se boboïse. S’il a été un quartier d’asile, il l’est toujours je pense aujourd’hui. Peut-être ce n’est pas la même émigration ; ça c’est sûr !  Si les Français reviennent, beaucoup d’Asiatiques s’installent depuis de nombreuses années. Les chinois surtout s’implantent dans ma rue, achètent des appartements dans mon immeuble, ils font partie du quartier, ils s’intègrent assez bien je crois. Mais les nouveaux arrivants dans le quartier s’embourgeoisent, sont embourgeoisés, ça n’a rien à voir avec les années cinquante et soixante. Dans le quartier, il y a aussi une certaine classe moyenne, parisienne, bien assise, qui est à sa place, si je peux dire.

B. M : Merci Aline d’avoir répondu à mes questions. Veux-tu, un thé, une bière, un cognac avant de goûter à ta coca algéroise ou à un bon couscous, selon ton choix, pour célébrer notre amitié ?

 

Entretien réalisé par Bienvenu Merino, le 10 septembre 2010

 


Dernières réalisations théâtrales et projets d'Aline Marçot

 

 

Théâtre : Nous avons  tué  Stella, monologue adapté du roman de Marlen Haushofer, 2008.

Projet :  Une femme sous silence, en cours d’écriture.

Lecture et mise en scène : L’odeur de la mémoire.

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Aline Marçot sur scène

 

 


 

 

 

 

Commentaires

  • Merci Madame de nous faire part du souvenir de votre arrivée rue des Maronites, à l'âge adulte, avec une spontanéité décapante ! Je suis heureuse de constater que vous semblez apprécier la "vie de quartier" du Ménilmontant d'aujourd'hui.
    Au risque de bousculer les réminiscences volontiers passéistes de votre interviewer !!!
    Au fait, j'aimerais bien savoir quand Monsieur Mérino a habité notre cher quartier.
    Au plaisir de vous lire à nouveau, Lucile.

  • Pour répondre à Madame Lucille Flèche.J' ai habité un temps proche de la rue des Amandiers. Jai connu la rue du Pressoir, encore intacte, pour la première fois en 1960. J'y revenais de temps en temps car j'avais des amis qui habitaient proche. Ma déception fut telle après la démolition du quartier où j'avais participé d'une manière militante à la protection et la sauvegarde du 'pâté de maisons'. Après le désastre accompli par la ville, je ne tenais plus à revenir sur les lieux voir les dégâts causés. Connaissant Guy Darol et apprenant qu'il avait habité rue du Pressoir j'y suis revenu plusieurs fois. Et j'ai tenu à y revenir avec Madame Josette Farigoul, qui n'avait pas vu les effets de l'horrible "défaite" de ceux qui s'étaient bagaré pour la protection de leur patrimoine. Bien à vous chère Lucille.

  • Merci Monsieur Merino de vos précisions.
    Les choses sont plus claires ainsi.
    Cordialement à vous.

    P.S. : mon prénom s'écrit L U C I L E, et non Lucille à l'américaine. Il y a des "Lucile" dans Molière !

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