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bienvenu merino

  • GENS VENANT DE TOUTE PART

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    Passage des Mûriers ⚆ Crédit photographique Henri Guérard

     

    L’exil est un concept-carrefour, se situant à l’intersection d’un (non) vouloir individuel, d’une nécessité souvent impersonnelle ou supra-individuelle, et d’un espace conçu en termes de désirabilité/accessibilité. Il convient de prendre comme point de départ la définition du Grand Larousse encyclopédique qui assigne à la notion ses significations le plus fréquemment rencontrées : « expulsions hors de sa patrie » ; « séjours pénibles, loin d’un lieu ou de personnes regrettées ».

    Ces jours-ci, traversant le Père-Lachaise, j’ai pensé à TRISTAN, (Tristan de Iseult) qui remplit sans doute ces conditions. Il sera effectivement contraint à quitter sa patrie, ou, du moins, l’être qui objective son sentiment d’appartenance symbolique, son sens de la communion ; en plus, son séjour sera effectivement pénible, même feint, car il équivaut à une marginalisation sinon à une exclusion totale de la société. Il est vrai, d’autre part, que la valeur purement géographique de l’exil n’est guère mise en lumière ; TRISTAN n’a pas le mal du pays, il a plutôt le mal d’amour, si on peut dire, pour se confronter à une réalité que l’ont perçoit aliénante.

    Exil veut dire, contrainte de quitter son « chez soi » (qu’il s’agisse d’un lieu ou d’un être) pour se confronter à une réalité que l’ont perçoit aliénante. 

    Habiter un quartier. Par exemple, Ménilmontant ou Belleville, que beaucoup d’entre nous connaissent. Le quartier occupe, sans doute, dans la vie urbaine des citadins, une belle place, en tous cas le citadin doit y trouver sa place et nous devons faire le nécessaire pour qu’il la trouve. Ni entité délaissée ni univers social privilégié. Le quartier doit apparaître comme un lieu de vie relativement important, diversement investi par les habitants en fonction de leurs situations sociales et résidentielles et selon les caractéristiques morphologiques et sociales du lieu, je dis bien du lieu, dans lequel ils résident. En même temps, dans cette courte analyse je voudrais  montrer que cette diversité ne se résume pas à l’opposition entre habitants de quartier à la mobilité réduite et citadins nomades dépourvus de toute attache avec un lieu de résidence. Au contraire, dans certains lieux, comme dans d’autres contextes urbains, les individus qui se caractérisent par un fort ancrage  dans le quartier sont plus fréquemment des citadins mobiles que des citadins sédentaires. 

    Citadin, j’ai été maintes fois exilé. Né dans une maison au bord d’un ruisseau dans le sud de la France, sous la ligne médiane de Bordeaux et la frontière franco-italienne.

    Venu , à Paris, après maints aboutissements, nulle part ou un peu partout, par des chemins de traverses. Je suis arrivé dans le 20e arrondissement de la Capitale pour un temps court qui dura  l’épopée d’un vaste amour. Je devins résident d’un des plus populaires arrondissements de Paris en venant vivre passage des Mûriers. Un passage qui montait et que les enfants aimaient descendre à chariot à quatre roues avec une adresse fulgurante, comme eux seulement savent le faire. Rien que ces deux noms de rues me rappellent encore ma région natale aux confins du Lot et de la Dordogne où sont si nombreuses les haies avec ses mûres et les arbres fruitiers. 

    Ménilmontant, je le connais un peu. Je l’ai sillonné dans tous les sens, à pied et en voiture, de nuit comme de jour. Moi, natif d’ailleurs, j’ai découvert la rue du Pressoir encore intacte pour la première fois en 1960. C'est-à-dire avant que les troubleurs de vie par les destructeurs de l’Etat viennent perturber les habitants du quartier, où existait alors, calme, travail et espoir.

    J’y revenais de temps à autres, rue du Pressoir, combattre les voleurs de rêves, opposer résistance à ceux dont les déchaînements étaient néfastes à l’équilibre du quartier, constatant bien plus tard, les dégâts lamentables de rues éventrées, crevées. Plus rien n’était pareil à la vie paisible et quelque peu campagnarde qu’il y avait autrefois, même si tous savaient que l’habitat avait grand besoin d’être restructuré et rénové. C’est cela que nombre d’entre eux attendirent longtemps, très longtemps. Leurs souhaits ne furent que très peu exaucés. La blessure fut longue pour qui attendait avec espoir qu’arrive le droit au logement, l’attente d’être relogé, le droit à la paix. Bien évidemment ont leur proposa, très loin du lieu où ils habitaient, de nouveaux logements avec plus de confort certes mais il n’y eut pas beaucoup de justice ! Lorsque, juste après le chaos, je suis revenu rue du Pressoir, j’avais personnellement le sentiment terrible que des hélicoptères bombardiers avaient survolé les pâtés de maisons, pour tout casser et tout anéantir.

    Puis longtemps, durant des années et des années, la laideur de la rue nouvelle me fit reculer à l’idée de faire le pas du retour, celle de revenir dans ce qui avait été  un joyau du 20e arrondissement, l’une des parties de ce village du beau Paris. Je n’acceptais plus « d’être du quartier ».

    Car la rue du Pressoir fut pour moi, en exagérant un peu, mes Champs-Elysées lorsque, jeune,  je la découvris pour la première fois avec ses hôtels, boutiques, commerçants, garages, épiceries, costumiers et tailleurs, miroitiers, coiffeurs, boulangerie-pâtisserie, maroquiniers,  librairie, joailliers, ses nombreux cafés, ses corporations de métiers, ses artistes accordéonistes, bals, saltimbanques, tireuses de cartes, sa jeunesse, ses belles filles et ses musiciens. Que de changements,  pour moi, ayant passé mon enfance, dès le lever du jour avec le chant du coucou et sous le regard des oiseaux, au milieu des escargots, des fouines, des écureuils, des lapins, des poules, des oies et canards. Lorsque je revenais rue du Pressoir, c’était un vrai enchantement.

    Je connais hélas la destruction en sa totalité d’un lieu, celui où j’habitais, le Passage des Mûriers.

    Du passage reste seulement le plan avec son nom minuscule imprimés dans ma vieille Editions L’indispensable et le souvenir de  sa pente et de ses pavés à jamais gravés dans ma mémoire. J’habitais là avec ma fiancée. Je dirais mieux,  c’est là que m’accompagna ma fée, Ludmilla, dans une belle portion de vie. Ce peu de temps qui me semblaient des années de connivences, de tendresse, de passion et de rêve. Notre tout petit logement était situé tout en haut d’un immeuble étroit, rocambolesque, beau et ancien, d’une architecture séduisante du début du 19e  qui tenait d’un vieux décor de théâtre. Notre lit fabriqué de mes mains où reposait notre matelas de laine, cousu à la main rue Orfila, si j’ai bonne mémoire, était installé dans la petite alcôve qui jointoyait notre chambre que j’avais tapissée avec mon amoureuse Ludmilla qui en grec signifie arc-en-ciel, Ludmilla ma bellevilloise native de Diafani, île de Karpatos. L’alcôve n’était pas grande, cependant elle suffisait pour tout notre amour. Au petit matin, le jour blafard entrecroisait les premiers rayons du jour qui apparaissait par la lucarne de la cuisine et de la petite fenêtre du salon aux rideaux blancs brodés à l’image du Parthénon et signés à chaque extrémité d’un bleu de mer.  Cette frange de  lumière  nous faisait ouvrir les yeux et admirer le peu de ciel visible, encore étoilé d’été ; de l’automne plus gris, et puis de l’hiver sévère ménilmontois, avec les flocons qui voltigeaient et donnaient peu à peu, luminosité et splendeur, au quartier, en voie d’insalubrité triste, entouré de collines, le soir blanches et enneigées. Une fois la nuit passée et le café avalé, on dégringolait les vieux escaliers qui nous portaient vers le village pour aller travailler en nous faufilant parfois derrière le beau  Saint-Bernard docile, trottinant devant son maître, esquivant le camionneur livrant le lait où venaient roder des chiens bâtards que Ludmilla nommait « renards » et qui aboyaientt à nos trousses. On riait en rejoignant quelque peu essoufflé la rue des Partants sur notre itinéraire. Nous n’avions peur de rien. Nous possédions l’amour. Seuls au monde, Ludmilla et moi, nous allions  travailler, en nous tenant par la main avec la difficulté de nous séparer au moment de prendre, elle son vélo, et  moi, le 96. Ces souvenirs sont là, vivants dans mon cœur. Le passage des Mûriers et nous deux, fous du bonheur de vivre. Du haut de  Ménilmontant la vue était superbe, toute la capitale était à mes yeux ! La montagne de Paris intra-muros était unique. Et le soir, revenant à pied de mon travail, du haut de  la rue Piat, la vue sur la ville était encore à moi. Tout cela est dans ma mémoire, comme un diamant dans mon catalogue du cœur, un trésor dans mon œuvre de vie.

    Hélas aujourd’hui, le Passage des Mûriers n’est plus. Ce passage défunt aux consonances si méditerranéennes qui me conduisait chaque matin vers les cimes de la ville, et dont Monsieur Henri Guérard nous a laissé des traces brillantes dans son livre de photographies, a vécu.

    Je suis un réfugié de nulle part ainsi que le dit de lui-même  Frédérick Tristan qui n’était pas seulement le barbare dont peu à peu il souhaita nous donner l’image. Bienvenu Merino

     

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    Ménilmontant sous la neige

    Crédit photographique ☞ Michel Sfez


  • QUE RESTE-T-IL DE LA RUE VILIN ?

     

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    RIEN DE RIEN

     

    Ni un brin de son architecture, ni une seule planche de ses volets de noyer, ni une clef de serrure forgée par le maître artisan du quartier du Pressoir. Pas même ses cendres ! Où ont-ils abandonné les restes et les souvenirs de la maison du typographe de la bande à Bonnot ?  Où se trouve la tombe, la sépulture de notre illustre rue ?  Restent les photos de dizaines de photographes du tout Paris, venus inhumer  le beau assassiné. Faut-il hurler aux citadins de Paris que c’est notre ville qu’on assassine, que c’est notre patrimoine que l’ont abat lequel appartient à nous autres Parisiens. Nous ne pouvons nous taire, nous ne pouvons fermer notre gueule et nous laisser mettre des muselières. Pour le respect de ceux qui ont lutté  afin de soutenir le patrimoine des Parisiens à qui appartient la ville. Pour l’équilibre et la précieuse beauté de Paris.

     

    Déjà, furent crevées les Halles Baltard et le cœur historique de Paris, le quartier de Montparnasse livré au préfet de Paris et aux hommes au pouvoir en ces temps, si peu scrupuleux. Le 13e arrondissement et une partie du 15e juché sur des assises tremblantes,  la Défense, silhouette vulgaire, offerte aux travailleurs, aux bureaucrates, aux baladins croyant que c’est ça le Paris illustre. Sans compter les frappes chirurgicales un peu partout dans notre ville. Regardez un tout petit peu, dans vos promenades ce qu’ils font de la ville, comment ils la maltraitent, comment ils n’ont point de scrupules pour les Parisiens qui méritent plus que ce que leur réservent certaines personnalités au pouvoir depuis des lustres.

     

    RAPPEL SUR LA RUE VILIN

     

    C’était  une petite rue de Ménilmontant. Une rue classée en 1863, puis déclarée îlot insalubre cent ans plus tard, une rue aujourd’hui entièrement démolie. Une rue où Georges Pérec, l’auteur de La vie mode d’emploi, vécut enfant et dans laquelle il retourna, une fois par an, de 1969 à 1975, pour un livre qu’il écrivait. De cette rue Vilin, il ne reste que les quelques cinq cents photos prises par toutes sortes de photographes et les textes consignés par Pérec dans les années 1970. Le réalisateur reconstitue immeuble par immeuble le puzzle du lieu, réalisant tout à la fois un film sur la rue, un film sur la photographie et un film sur Georges Pérec et l’obsession de la mémoire.

     

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    « EN REMONTANT LA RUE VILIN »

     

    Un film de Robert Bober, né le 17 novembre 1931 à Berlin. En 1933, il fuit avec ses parents l’Allemagne nazie. Ils se réfugient en France. Il quitte l’école à quinze ans pour devenir successivement tailleur, potier, éducateur. Il sera l’assistant de François Truffaut sur Les 400 coups, Tirez sur le pianiste, Jules et Jim.

    Réalisateur depuis 1967, il obtint en 1991 le Grand Prix SCAM pour l’ensemble de son œuvre. Il publie Récits d’Ellis Island en collaboration avec Georges Pérec et Quoi de neuf sur la guerre ? Bienvenu Merino

     

     


     

     

     

  • MA RENCONTRE AVEC JANE CHACUN

     

     

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    Jane Chacun

     

    Avant 1966, je n’avais jamais entendu parler de la chanteuse Jane Chacun, née à Ambert en 1908, qui fit presque toute sa carrière à Paris. A cette date, peu de gens se souvenaient de cette grande figure de la chanson française qui fit l’admiration d’un très nombreux public entre 1930 et 1955. Aujourd’hui, Jane Chacun est tout simplement oubliée du grand public, et cela depuis bien longtemps.

    A la fin de ces années 60, comme beaucoup de jeunes, j’étais alors bien plus intéressé par les chansons de Bill Haley et sa musique rock, ainsi que par Frankie Jordan, Billy Bridge, Moustique, les Chaussettes Noires, Vince Taylor que j’ai rencontrais en pleine gloire. Puis ma fascination pour le jazz que j’écoutais la nuit à la radio devint capitale dans ma culture, disons simplement, dans mon parcours où je découvrais les diverses formes de musique. Et ce n’est que bien peu plus tard, que je me suis intéressé aux guitaristes, Wes Montgomery, Joe Pass, Benny Carter, Charlie Byrd, Paco de Lucia, Django, Christian Escoudé, Claude Barthélémy, Woody Guthrie, ce chanteur et guitariste folk américain qui s’était engagé très jeune dans l’action politique. Parti pour la Californie, comme des milliers de ces Okies chassés par la misère de l’Oklahoma, il s’installa au cœur des luttes sociales, s’opposant avec sa guitare et ses chansons aux milices des entreprises fruitières ou à la complaisance des policiers de l’Etat californien. Sa réputation de redoutable agitateur lui valut de nombreux démêlés avec la police et la justice.

    Aussi, je ne veux pas oublier un ami, Raymond Boni, un grand lui aussi, qui apporte, encore aujourd’hui, énormément à la musique moderne, au free jazz, uniquement avec son instrument, sa guitare, et son phrasé unique, qu’il sait travailler comme s’il était, à lui tout seul, un orchestre. Dans son disque Wanted  Mr. $ dollar for Good, ça commence et ça se termine  par une salve contre les habitudes guitaristiques, une batterie d’instruments : saxo, cornet, orgues monastiques, campanas sevillanas de procession, tocsin. Et pourtant Boni est seul avec sa guitare pour quitter la guitare. A une époque, l’orchestre d’Ellington a été exemplaire, parce que chacun de ses solistes était lui-même capable d’être chef d’orchestre. Là, Raymond Boni, est « orchestre » à lui tout seul. Si Charlie Christian s’était inspiré de Lester Young et devait créer ce qu’on appelle le « red style » le style saxophone ; il sut parfaitement exploiter son instrument et tirer de l’amplificateur électrique une sonorité très belle. Raymond Boni, dans Wanted Mr. $ dollar for Good,  tire de son instrument ce qui paraît impossible d’extirper d’une guitare. Son CD rouge est un moment rare dans la guitare de ces dix dernières années. Chirurgie événementielle. Réussite époustouflante pour Boni, qui à vingt ans voulait quitter la guitare trouvant qu’avec cet instrument, il n’avait pas assez la possibilité de s’exprimer. Alors qu’il était, dès 1971, classé par Jazz Magazine, parmi les plus grands guitaristes de la spécialité.

     

    FRANK ZAPPA - JOAN BAEZ

     

    Au début des années 70, je me familiarisais avec le travail musical de Frank Zappa dont je traduisais les textes afin de mieux comprendre ses chansons. Ceci dit, c’est son œuvre,  en partie, qui contribua à mieux me politiser et donna un certain sens à ce que je vivais, et à mieux voir ce qui se passait sur la planète, si je puis ainsi dire. Evénements aux Etats-Unis et dans toute l’Amérique, ainsi qu’ailleurs dans le monde, sans oublier la guerre au Viêt-Nam, dont beaucoup furent victimes. Avec Frank Zappa, Joan Baez, et bien d’autres, je complétais  ma formation, non simplement musicale, mais d’une certaine culture politique.

     

     EDITH PIAF - LUCIENNE DELYLE - YVONNE PRINTEMPS - LA CALLAS

     

    En France, parmi les chanteurs et chanteuses, je connaissais les chansons que chantaient Edith Piaf. Mais vraiment, à cette époque là, cette chanson je l’écoutais peu et n’y prêtais pas beaucoup d’importance. Durant mon enfance, j’avais passé des années à écouter le Cante Flamenco et à m’intéresser à la danse andalouse pure. Piaf ne me touchait pas trop. Je dirais plus honnêtement que je passais à côté de son expression. Cependant, elle m’émouvait, et je la voyais comme une petite femme fébrile qui tombait sur scène lors de ses concerts. Dans un sens, j’avais peur pour ce petit bout de femme vêtu de noir, d’apparence fragile, me faisant trembler. Sans doute, je ne devais pas très bien écouter ses paroles, ni trop la musique qui l’accompagnait. Ou alors, je comprenais trop bien les mots, moi, que touchaient les faibles et la pauvreté du monde. J’avais été bercé depuis l’enfance par la musique  espagnole, de la région d’où étaient originaires mes parents, quand surgit  Rock around the clock, de Bill Haley and The Comets, qui bouleversa certains clichés et me fit m’intéresser à une autre trajectoire, celle des chanteurs de folk song que Bill nous rappelle quelquefois. Mais Bill était différent, et je ne crois pas qu’il se soit même senti à l’aise comme stéréotype de rock and roll. Et cela bien avant que je connaisse le folklore sud-américain des divers pays du continent où je vécus. Et puis il y a  la musique dite classique et ses dérivés qui m’accompagnent presque chaque jour, aujourd’hui encore.

    Cependant je dois dire, qu’il y eu un moment très fort parmi tous les temps forts, qui révélèrent  la GRANDE PIAF dans sa carrière, le jour où elle chanta au premier étage de la Tour Eiffel, avec, à ses pieds autour du Trocadéro, une foule énorme, noire de centaines de milliers de spectateurs. Peut-être est-ce cette image du peuple de Paris, au chevet de la GRANDE de la chanson, qui me fit réfléchir à la personnalité, de ce petit bout de femme, immense de talent, dont il m’avait fallu un certain temps pour comprendre qui elle était, et ce qu’elle valait.

    Il y eut parmi mes favorites de la chanson française, Yvonne Printemps, dont les chansons me vinrent aux oreilles que très tard. Elle prodiguait ses exceptionnels dons vocaux au seul domaine de l’opérette, à un niveau que personne d’autre n’avait atteint. Si, techniquement, on cherche une de ses qualités essentielles, on peut penser tout naturellement à son sens du ‘legato’, si rare chez les chanteuses. Ce ‘legato’ qu’on ne peut maintenir qu’avec un souffle impeccable, donnait à tout ce qu’elle interprétait une valeur humaine inestimable. Yvonne Printemps  transfigurait tout ce qu’elle touchait. En effet le charme vocal d’Yvonne Printemps défiait l’analyse.

     

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    Lucienne Delyle

     

    Je découvris aussi sur le tard l’œuvre de Lucienne Delyle me rendant vite compte que j’étais passé à côté d’immenses talents qu’avaient frôlé mon adolescence, pour enfin vouloir découvrir ces riches interprètes qui existaient dans la chanson française et dont j’ignorais tout.

    Je me tairai ou plutôt je serai rapide en parlant des grandes chanteuses  d’Opéra dont la passion me vint vers la trentaine, un trouble qui me fit me poser des questions en écoutant La Callas,  diva parmi les divas. Pour ceux qui ont eu la joie et le privilège de l’approcher durant ses préparatifs d’enregistrement, que ce soit en chair et en os ou dans une émission de télé, quelle leçon de modestie devant la Musique ! Travaillant surtout les problèmes d’accentuation, lisant et relisant la musique choisie, seule sur un canapé ou sur un lit, gardant à portée de main ses partitions, chantant au besoin à mi-voix tel passage difficile d’une cadence, c’est à un véritable phénomène d’osmose que Maria Callas se livrait  durant  des jours. Lorsque la phrase musicale, la prosodie et la couleur de la musique l’avaient imprégné, c’est alors qu’elle s’occupa à proprement parler de la voix. Par un phrasé que ne coupe jamais à tort la respiration, par des vocalises d’une fantastique égalité parce que coulées dans un même souffle, Maria Callas, née grecque en territoire américain et habitant longtemps en France, donna à la musique française de nouvelles lettres de noblesse. N’est-ce pas une gageure, en effet, que de parcourir les registres les plus éloignés de la voix humaine et de changer d’atmosphère musicale et psychologique tout au long d’un disque ? C’est pourtant l’exploit accompli par Maria Callas dans son premier disque d’opéras français. Eclatant !

     

    MADAME JANE CHACUN

     

    Oui, j’ai un peu tardé avant d’aborder le souvenir de ma rencontre avec Jane Chacun ! Une parenthèse de temps due à un peu d’émotion en évoquant ces moments avec cette femme reconnue puis oubliée. J’ai toujours eu du respect pour Jane Chacun, même si notre rencontre fut brève et que je connaissais assez mal son œuvre. Dans ces années-là, ma connaissance musicale à l’égard de ses chansons m’était assez limitée, pauvre même. J’ai rencontré Madame Jane Chacun, sur le tard, alors qu’elle ne chantait presque plus, pour ne pas dire plus du tout, et que ses disques n’étaient plus mis en vente. En 1966, Jane Chacun avait 58 ans,  jeune encore, et belle femme. J’ai connu Jane, chez elle, à Saint- Maur-des-Fossés (Val-de-Marne), la ville où elle habitait. Je travaillais alors pour une importante société dont-elle était cliente. Elle avait fait une commande pour améliorer le confort de son pavillon proche des bords de Marne. Je vins donc de bon matin travailler chez elle. Elle m’attendait. J’étais jeune, mais je connaissais déjà les rouages de mon métier et savais ce que j’avais à faire pour me mettre au travail sans perdre trop de temps avec les clients. Très chaleureuse dès le premier instant de mon arrivée, Jane m’invita à prendre le café. Après cette courte pause je lui demandai où se trouvaient les paquets qui avaient été livrés par ma société pour que je puisse constater que tout soit bien là avant que les ouvriers se mettent au travail. Jane m’indiqua l’escalier pour rejoindre le sous-sol de sa maison. Je descendis les quelques marches. Arrivé en bas, je fus  surpris de voir parmi les paquets qui me concernaient, d’autres paquets remplis de disques 78 et 33 tours dont  j’apercevais les pochettes  débordant des cartons et qui laissaient apparaître des disques noirs brillants, rangés soigneusement, où je lisais sur les étiquettes :   JANE CHACUN - PATHE MARCONI, JANE CHACUN - DISQUES POLYDOR ... Il devait y avoir deux mètres cube de chansons. Pardonnez-ce langage, en vérité je suis très respectueux. Les écrivains savent de quoi je parle, car les éditeurs ne font pas mieux lorsqu’ils veulent se débarrasser d’un surplus de livres invendus. A cet instant même, dans le sous-sol de la maison, je sentis dans mon corps comme un petit ‘vertige’, oh ! presque  rien. Et dans mon esprit siffla une atmosphère rayonnante de bonheur, en apprenant chez qui j’étais. Donc,  je vérifiais  rapidement les paquets concernant  la livraison, pour voir si tout était là, et montait ensuite à l’étage retrouver Jane Chacun et lui dis : « Eh bien ! Vous en avez des disques Madame ? » Elle me répondit: « Oh ! Cela fait belle lurette que je ne chante plus ! Ce sont mes réserves de chansons pour l’éternité. » Et elle continua : «  J’étais la rivale d’Edith Piaf… mais c’est fini maintenant. » Elle parlait, j’écoutais. Je fus bouleversé déjà en découvrant au sous-sol sa tonne de disques et en quelques secondes d’apprendre son identité célèbre, ce qui me laissa dans un état d’homme en vol. Mes chaussures avaient décollé. J’avais la sensation de marcher à cinq centimètres du sol. Oh ! Elle ne s’épancha pas longtemps sur sa vie ! C’était si simple la façon dont elle en parlait. Mais cela avait suffit pour m’atteindre euphoriquement. En fait, c’était une des raisons parmi d’autres qui m’avait un peu troublé ; c’était, qu’en fin de carrière ou plutôt, après un itinéraire  rempli de succès, tout était en voie d’extinction, tout s’était arrêté ou était en voie de s’arrêter, pour la Reine du musette, comme un couperet qui tombe tout doucement, puis net. Elle se leva de sa chaise et sans perdre de temps, sachant bien que je devais travailler, elle voulut me faire plaisir, et s’empressa de tirer d’un de ses rayonnages, derrière le buffet, un de ses disques, qu’elle me  tendit, en me disant : «  C’est pour vous ! » Je regardais ses yeux, en serrant dans mes mains, avec attention, le présent qu’elle venait de m’offrir. La bonté de cette femme se lisait dans son regard, au même moment où elle découvrait le bonheur que j’éprouvais d’être à ses côtés. Mais je lus aussi à la lisière de ses prunelles et dans la profondeur de ses yeux noirs, qu’elle avait un peu perdu de l’enthousiasme qu’elle avait montré au départ. Cela donnait à son visage un brin de lassitude dans de grands yeux ouverts sur un avenir incertain. Son large front pâle contrastait avec sa belle chevelure noire de vedette de la chanson. Je fixai la pochette du disque. La photo de son visage me fit penser à une icône. Comment ne pouvais-je  avoir une éternelle reconnaissance pour Jane Chacun, moi qui avait passé mes premiers bals à danser en province, bercé par la musique  des grands accordéonistes des années 60 : Aimable, Verchuren, Jo Privat, Louis Corchia, Emile Prud’homme, sans vraiment avoir pu les approcher, sinon dans l’enceinte d’une salle de bal. Jamais en vrai. Comment s’y prendre pour devenir familier de ces grands joueurs de piano à bretelles ? Comment  faire pour leur parler, pour les connaître ? Même si, avec leur accordéon, ils m’avaient donné du plaisir et de la joie en une seule soirée ou même toute une nuit, je restais dans la foule, anonyme, toujours anonyme parmi les milliers de danseurs dans la ronde.

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    Un disque de Jane Chacun

     

    Avec Jane tout avait commencé comme avec une maman. Tout continua comme l’amour d’un fils pour sa mère. Tout continuait, jamais ce ne fus fini. Jamais. Ça continue ! Elle est ma souveraine pour toujours.

    En vérité, si je pris goût, dès mon adolescence, à la danse dans les bals de province et si j’avais de l’intérêt pour la musique et les musiciens,  c’est plutôt à cause de l’ambiance et des tourbillons avec les filles. C’est cela  qui me faisait m’appliquer pour apprendre à mieux les tenir dans mes bras, à les serrer pour une soirée, une nuit, jusqu’au prochain bal et je ne sais quoi de plus encore !

    Avec Jane, j’étais ému et reconnaissant, sans doute parce que je parlais  pour la première fois à quelqu’un d’important, à une femme célèbre qui parlait tout simplement à unjeune homme de rien, cherchant son itinéraire dans la vie. Je me retrouvais face à une gloire, une artiste vraie, une femme que déjà le monde du spectacle oubliait.

     

     DEBUT DE JANE CHACUN  

     

    Lorsque les bals-musette se développèrent dans Paris au début du 20e siècle, atteignant leur apogée entre les deux guerres, ils se regroupèrent dans les quartiers où les Auvergnats s’étaient installés en grand nombre. On pourrait presque parler d’instinct grégaire. Deux pôles principaux sont à distinguer : La Bastille avec la rue de Lappe et le passage Thiéré, le quartier des Arts-et-Métiers dans les rues Au Maire et des Vertus. Ils étaient moins nombreux que dans les secteurs précités ; il faut néanmoins mentionner les abords de la Place Clichy (Abbaye Petit Jardin, Grande Roue) ainsi que Belleville et Ménilmontant (Ça Gaze et Le Boléro).

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    Le Tourbillon

     

    A l’adresse du 8 rue de Tanger, Paris 19e, très près du boulevard de la Villette, se trouvait un petit bal appelé Le Café Olivia. Ce bal fonctionnait en fin de semaine. En 1926, Albert Carrara (le fils aîné de Vincent Carrara) acheta ce café-bal, le transforma et l’agrandit de façon notable et ajouta le confort nécessaire. Il pouvait y contenir deux cents personnes au bar et autant dans la salle et quatre-vingts danseurs sur la piste. Ce café-bal  prit comme enseigne Le Tourbillon. Albert était un excellent accordéoniste qui dirigeait un orchestre réputé. Avec ses  musiciens, il fit danser jusqu’en 1931, date à laquelle il céda l’affaire à Monsieur Bernard. Celui-ci donna une impulsion nouvelle au bal qui connut un grand succès jusqu’à la guerre de 1939, même s’il continua à fonctionner encore presque plus de trente ans, en changeant plusieurs fois de direction. Son premier orchestre fut celui de Robert Carnero, accordéoniste aveugle, dont Bernard devait dire bien plus tard que c’était un as. Propos bien flatteurs confirmés par Jo Privat qui affirmait que Carnero jouait aussi bien qu’Emile Vacher. Ensuite il y eut Jean Vaissade, auteur de l’inoubliable Sombreros et mantilles, et qui amena Rina Ketty au rang de vedette du tour de chant. Elle vint d’ailleurs quelquefois chanter au Tourbillon. Après Vaissade, ce fut Emile Prud’homme qui s’installa dans le bal. Prud’homme resta près de trois ans au Tourb’ comme on disait familièrement. A cette époque, une inconnue, qu’on appelait la Môme Piaf, vint au bal et chanta, accompagné par Mimile. La première fois où elle demanda à chanter au Tourbillon, Mimile dit en douce à ses musiciens : « Laissons-là venir, on va bien se marrer. » Il est vrai qu’elle ne payait pas de mine. Mais tous furent subjugués par la voix de celle qui allait devenir la grande vedette que l’on sait.

    Jane Chacun, surnommée  La Reine du musette  s’y produisit aussi et eut bien sûr ses jours de gloire. Aux heures apéritives du Batifol, lieu de rendez-vous désigné d’un petit monde régi par la musique, la chanson et le spectacle des années 50, étonnante bourse humaine, Vincent Scotto, l’homme aux quatre mille chansons, venait en premier. Derrière la vitrine, sans aucune ostentation, mais tout de même il faut bien se montrer, il tenait table ouverte à une assemblée fidèle où brillaient les chanteuses Benoîte Lab, Germaine Lix, Roberte Marna, Lina Margy et Jane Chacun, reine du musette.

    Le Tourbillon, ouvert dès 1926, ferma ses portes qu’en 1968. Si Edith Piaf et Jane Chacun, à leurs débuts, y firent les beaux jours, la très belle Simone Réal, qui travaillait en usine, y venait se distraire le samedi et dimanche. Elle aussi obtint la célébrité. Les qualités de cette jeune fille, sa beauté sublime et son impact sur les danseurs n’échappèrent pas aux dirigeants du bal qui l’embauchèrent pour chanter avec l’orchestre en fin de semaine. Elle y resta dix- sept ans, jusqu’à la fermeture du bal en 1968.

    Jane Chacun avait commencé  à percer en même temps qu’Edith Piaf, à la veille de la guerre, en 1939. Piaf, démarre à L’ABC, Jane, devint vedette au célèbre Mimi Pinson, où sa robe noire (tout comme celle de Piaf)  et son foulard rouge en firent la reine du musette. Quelle reine ! 

    Mais bien avant ses débuts fracassants, au Mimi Pinson, Jane avait été reconnue dans tous bals célèbres de Paris et banlieues. Au Boléro, à La Java, La Boule Noire, Au Balajo, au Bal des Gravilliers, au Ça Gaze et au Boléro, célèbres bals de  Belleville et Ménilmontant, au Tourbillon, bien sûr, chez Gégène à Nogent-sur-Marne.

     

    FIN D’UNE ROMANCE

     

    Jane Chacun est partie en janvier 1974 pour l’hôpital de Créteil  d’où elle rejoignit les étoiles. C’était le 29 janvier. Triste janvier auquel je pense sans oublier ces grands yeux attendrissants, cette voix qui m’était familière et cette émouvante  simplicité qui m’avait tant ému un jour de l’année 1966.

    Trois ou quatre fois, j’étais revenu la saluer chez elle, et à mes rares apparitions Jane me disait toujours : « Revenez vous avez un si joli prénom ! » Des années plus tard, de retour à Saint Maur-les-Fossés, j’appris par ses voisins qu’elle avait chanté pour les riverains des bords de Marne et ses amis dans les bistrots de Saint-Maur. Cela  quelques mois avant que la vie ne la quitte. Bienvenu Merino

     

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  • ENTRETIEN AVEC SOPHIE POUJADE, MENILMONTOISE DE COEUR

     

     

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    Et si c’était le mot d’ordre d’un nouvel essor des anarchistes

     

     

     

     

     

    « LES SOUVENIRS SE CONSERVENT-ILS  COMME DES PHOTOS DANS UNE BOITE ? »

     

     

     

    Bienvenu Merino : Sophie, nous nous connaissons depuis longtemps. La mémoire est la faculté de se rappeler le passé et comporte plusieurs degrés. D’abord, la mémoire immédiate qui enregistre momentanément les informations significatives. Elle est fugitive et son contenu s’élimine rapidement s’il n’est pas travaillé par une contention renouvelée de l’esprit ou une captation inconsciente. Ensuite, la mémoire moyenne qui garde la trace de ce dont nous avons besoin d’un point de vue pratique. Enfin, la mémoire profonde qui détermine notre identité et nous construit sur un plan affectif. Nous y voilà !

    Tu as habité Ménilmontant dans les années 1975-1979, si j’ai bon souvenir, rue Delaître précisément, rue située presque à la hauteur de la rue Julien-Lacroix, sur la droite en montant la rue de Ménilmontant. Dis-moi, tu peux me parler de tes années passées dans ce quartier de Ménilmuche ? Ta rue, le voisinage, les commerçants. Les raisons qui ont fait qu’un jour tu es venue habiter ce Ménilmontant si populaire et pourquoi l’as-tu quitté - sans vouloir être indiscret - soudainement après y avoir vécu quelques années ?

    En ces temps là, connaissais-tu la rue du Pressoir, située à quelques centaines de mètres, où l’on pouvait se rendre par la rue Julien-Lacroix et la rue du Liban ainsi que par sa voisine, la rue des Maronites ?

     

    Sophie Poujade : Je suis arrivée rue Delaître par hasard début 1976. Je rentrais d’un long voyage en Afghanistan et au Pakistan. Je n’avais pas de logement et c’est par un copain que j’ai trouvé un ancien atelier d’imprimerie à louer. C’était un rez-de-chaussée qui donnait sur une cour d’immeuble. C’était très précaire, les toilettes étaient dans la cour et je n’avais pas de salle de bain, juste un évier avec un robinet d’eau froide. Alors j’allais régulièrement dans un établissement de bains et douches dans le quartier, je ne me rappelle plus le nom de la rue, et je lavais mon linge dans une laverie tout prés.

    Juste à côté de chez moi, il y avait un petit café fréquenté par les habitués du coin. A l’époque, tout le monde n’avait pas le téléphone, il fallait même attendre longtemps pour l’obtenir quand on en faisait la demande, c’est difficile à croire maintenant où c’est l’ère de la téléphonie quasi à outrance. Bien sûr, moi, je ne l’avais pas, je donnais mes coups de fil et on m’appelait dans ce café dont l’arrière salle donnait sur la même cour d’immeuble.

    Le café était une annexe de chez moi, beaucoup de gens passaient me voir et pratiquement tous les jours on y prenait l’apéro.

    On allait parfois voir des films indiens ou égyptiens dans un cinéma boulevard de Ménilmontant, on écoutait Oum Kalsoum dans un café du boulevard sur un juke box avec un écran qui permettait de voir le chanteur, ça se faisait beaucoup à l’époque, c’était le scopitone.

    Je ne situe pas la rue du Pressoir, mais je devais certainement y passer parce que je vois bien la rue Julien-Lacroix et la rue des Maronites. Quand j’habitais rue Delaître, je travaillais pour un institut de sondage et je faisais du porte à porte en quête de personnes susceptibles de répondre à des questionnaires ; ça m’a fait sillonner le quartier.

    Je ne dirais pas que j’ai quitté la rue Delaître soudainement : j’y suis restée un an et demi, c’est un moment de ma vie où je bougeais beaucoup, un an et demi, c’était déjà pas mal.

    Je faisais de la poterie depuis quelques temps et je suis partie travailler chez des potiers en basse Ariège et dans le Gers. J’allais vers de nouvelles aventures.

     

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    B. M. : Ta rue d’autrefois a bien changé, l’immeuble où tu habitais n’existe plus. Un bâtiment énorme et monstrueux, tout en briques rouges, avec seulement quelques petites fenêtres, situées très haut, a été construit à sa place, cela ressemble à une Centrale, quoi ... une prison ! C’est une école je crois ou un collège avec sa cour de récréation cernée de hauts murs. Connais-tu les raisons de  la destruction de ton ancien immeuble et as-tu connu les bouleversements dans le quartier que le photographe Henri Guérard a immortalisé ? Tu m’as dit récemment que le bâtiment où tu avais habité était vieux, et qu’il avait  grand besoin de rénovation, cependant il fut détruit. Mais ne penses-tu pas qu’il aurait pu être rénové et non détruit, afin de préserver l’âme du quartier et l’élégance de l’ensemble des immeubles qui avaient alors beaucoup de charme à l’angle de la rue des Panoyaux. Sophie, es-tu retournée rue Delaître ?

     

    S. P : Il me semble avoir vu ce qui a remplacé l’immeuble du 6 rue Delaître, mais ça fait longtemps, j’en garde une image confuse.

    Oui, avec le recul, je me rends compte que mon logement était très insalubre, c’était humide, j’avais une cour privée où il y avait des rats énormes pour lesquels j’avais une véritable répulsion, seule chose qui me dérangeait dans la précarité du lieu, je m’arrangeais bien du reste. Bien sûr, j’aurais préféré qu’on rénove cet endroit plutôt que de le détruire.

     

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    B.M : Maurice Chevalier est né rue Julien-Lacroix et Eddy Mitchell près de Belleville, d’autres personnalités telles que Clément Lépidis, Jo Privat, Marie Trintignant ont longtemps habité le quartier. Monica Bellucci et Vincent Cassel sont toujours là, sur le boulevard. Etais-tu au courant ?

     

    S.P : Non, je ne savais pas tout cela, sauf que Maurice Chevalier était de Ménilmontant. je sais qu’Edith Piaf est née dans ce quartier, sur le trottoir devant un commissariat, dit-on.

     

    B. M : Sophie, je t’ai souvent écoutée parler de tes voyages, entre autres en Asie et au Moyen Orient. Les souvenirs se conservent-ils comme des photos dans une boîte ?

    Cependant il est assez rare que je t’entende parler de la rue Delaître où tu as, tout de même, passé de belles soirées durant ces années d’insouciance. Ces années là, furent-elles bonnes pour toi, là dans ce quartier pittoresque et captivant dans les années 1930, et où autrefois la vigne sur les coteaux était un vrai « empire» où arrivèrent des  générations d’émigrés pour s’y installer et  travailler.

    Ce Ménilmontant te parle t-il encore, à toi, parisienne, native du 14e arrondissement ?

     

    S. P : Tu veux dire que les photos sont des souvenirs en boîte de conserve ? C’est vrai qu’à notre époque on consomme beaucoup d’images en boites de conserves : DVD, vidéos, photos numériques qu’on ne voit même pas sur du papier …

    C’est vrai que je parle plus souvent de mes voyages que des lieux où j’ai habité. Il m’arrive de penser que c’est en voyage dans une chambre d’hôtel que je me sens le plus chez moi.

    <mce;"> y;">Mais il y a eu beaucoup d’endroits où j’ai habité, il faut bien se poser quelque part parfois, des endroits où j’ai passé de très bons moments, la rue Delaître en fait partie.

    En y repensant, je réalise que c’était alors Janis Joplin qu’on écoutait à fond la caisse, la tombe de Jim Morrison au Père Lachaise, les films indiens au cinéma sur le boulevard, Oum Kalsoum au juke box du café du coin, on est loin de Ménilmuche.

    Alors pour te répondre, Ménilmuche pour moi, c’est la chanson d’Aristide Bruant que mon père nous avait apprise et que nous chantions, tout gamins, mon frère, ma sœur et moi :

    … ma sœur est avec Eloi

    dont la sœur est avec moi,

    comme ça sur le boulevard je la refile

    à Belleville

    Comme ça je gagne pas mal de braise,

    mon beau frère en gagne autant,

    puisqu’il refile ma sœur Thérèse

    à Ménilmontant, à Ménilmontant

     

    C’était dans les années 1950, mon oncle et ma tante habitaient justement rue de Ménilmontant, je me rappelle qu’on allait les voir. Dans mes souvenirs d’enfant, c’était une rue qui monte.

    Mon oncle était le beau-frère de mon père, mais il ne s’appelait pas Eloi et mon père n’avait pas de sœur …

     

    B. M : Lorsque tu es partie aux Indes, était-ce juste après avoir quitté ton logement de Ménilmontant ou bien était-ce après tes études confortables de médecine que tu as interrompues très vite ? Il y avait-il une raison due à la difficulté de retrouver un logement convenable ou étais-tu partie pour partir, comme l’a écrit si joliment Charles Baudelaire dans un de ses poèmes. Je sais que tu as fait une vingtaine de voyages là-bas, je ne pense pas que les raisons étaient liées aux difficultés existentielles mais plutôt par goût du voyage comme beaucoup de jeunes qui partaient pour une expérience radicalement nouvelle et qui servait de modèle à toute une génération ?

     

    S. P : Je suis allée en Inde pour la première fois en 1984, longtemps après avoir quitté la rue Delaître.

    Très jeune, j’ai eu envie de voyager. La première fois que je suis partie, j’avais 19 ans, je suis allée au Moyen Orient, juste avant de rentrer à la fac de médecine ; puis l’année d’après j’ai passé l’été en Grèce.

    Comme je te le disais, quand j’ai emménagée rue Delaître, je revenais d’Afghanistan. J’ai quitté la rue Delaître pour le Sud de la France où j’avais déjà séjournée avant de partir précisément en Afghanistan : en Provence et en Lozère. Et depuis j’ai fait d’autres voyages.

    En fait, j’avais toujours un projet de voyage en tête, c’était un peu ma raison de vivre.

    Depuis, avec l’âge, je me suis calmée, j’attache plus d’importance à mon « intérieur », mot révélateur, mais il y a encore des voyages que j’aimerais faire.

    Tu me demandes pourquoi tant de jeunes sont partis voyager à cette époque.

    Il faut se rappeler d’abord que ma génération était la première depuis bien longtemps à ne pas avoir connu de guerre.

    Mon grand-père à 19 ans a été mobilisé en 1918. Heureusement pour lui, l’armistice a eu lieu de suite.

    Il n’était pas non plus question de partir à l’autre bout du monde pour les jeunes entre 1939 et 1945 …

    D’autre part, c’était une période économiquement très faste. On trouvait facilement du boulot, c’était possible de travailler six mois, puis de partir six mois dans l’année. Surtout qu’on voyageait à très peu de frais, avec les moyens du bord.

    Tu dis que ce mode de vie a servi de modèle à toute une génération. Je ne suis pas tout à fait d’accord. Je fais partie des gens du baby boom, ça veut dire que nous étions nombreux dans cette tranche d’âge (nous le sommes encore, d’où le problème des retraites). Cela a donné beaucoup de profils différents. C’est l’époque des grands de la Pop Music, et aussi des grands extrêmes politiques comme Action Directe, la bande à Baader, les Brigades Rouges…et ceux qu’on a appelés les babas. Mais quel pourcentage de cette génération représentaient-ils au juste, ces babas ? Pas énorme.

    Quand je considère les gens de mon âge ou à peu prés, la grande majorité a mené une vie des plus classiques : travail, mariage, enfants. Il y a eu en effet des changements dans la société : divorces, familles recomposées, mais c’est autre chose que le mode de vie auquel tu faisais allusion.

    Si le problème des retraites se pose, ce n’est pas pour « toute une génération de marginaux », mais pour ceux, les plus nombreux, qui ont mené une vie normale.

     

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    B. M : Ton travail d’enseignante et de pédagogue dans une structure spécialisée, te fait rencontrer des émigrés de diverses nationalités qui sont souvent arrivés en France dans des conditions difficiles et qui vivent dans des conditions très modestes, pour ne pas dire, précaires, que garderas-tu de ces années de travail avec ce « monde » venu d’ailleurs ?  Ces émigrés sont je suppose une famille, comme ta famille, non ?

    S. P : Après quelques années chez les babas, j’en ai eu marre de leur anticonformisme en fait très conformiste.

    Je me rappelle d’un choc, comme une révélation soudaine que j’ai eue dans une campagne magnifique entre Pamiers et Saverdun, ça m’est venu d’un seul coup. C’était trop facile de vivre pour soi, isolée, planquée … et j’ai eu envie de m’impliquer socialement.

    J’avais une opportunité d’être engagée à la formation continue de l’académie de Créteil pour des cours d’alphabétisation. J’en avais déjà fait bénévolement quand j’avais 18 ans.

    Un an après cette « révélation » en plein champ, en 1979, j’étais formatrice de français auprès d’un public d’immigrés.

    J’avais toujours mes sentiments de rébellion contre cette société et je considérais que c’était un travail qui me permettait de conserver les mains propres.

    Je n’ai pas une vocation d’enseignante, j’ai toujours été intéressée par les différentes cultures, l’ethnologie me passionnait et pour moi ça a été la possibilité de rencontrer des personnes d’origines très différentes.

    Ces personnes avec qui je travaille vivent dans des conditions très diverses, certains ont une vie difficile, très modeste, mais pas tous, c’est très varié.

    Pour donner un exemple, j’ai eu comme stagiaire un monsieur Polonais à la retraite, il est arrivé jeune adulte en France, il y a été ébéniste toute sa vie et il profitait d’avoir enfin du temps libre pour apprendre à écrire correctement le français. Je l’ai gardé deux ans. C’était il y a dix ans. Maintenant encore, je reçois de lui des cartes de Pologne quand il y va en vacances et ses vœux à chaque nouvelle année, avec une orthographe et une syntaxe tout a fait correctes.

    Un autre exemple. En séance d’oral, je faisais un exercice sur les couleurs : qu’est ce qu’évoque pour vous le jaune, le bleu, le vert. Quand j’ai cité le rouge, une femme de je ne sais plus quel pays d’Europe de l’Est est devenue terrorisée et s’est écriée : « je ne supporte pas le rouge, c’est le sang». J’ai pensé alors que j’étais bien heureuse car le rouge m’évoque les coquelicots alors que pour d’autres, c’est l’horreur de la guerre.

    Il m’est revenu le Chant des Partisans de Joseph Kessel et Maurice Druon :

    Il y a des pays où les gens au creux des lits font des rêves

    Ici nous, on marche, nous on tue, nous on crève

     

    Je cite ces exemples pour sortir du cliché du Maghrébin ou de l’Africain. Quand j’ai commencé en effet, mes stagiaires étaient presque tous Maghrébins, puis sont arrivés des Africains.

    Depuis cela a beaucoup changé. Cela a suivi l’évolution des événements dans le monde : l’arrivée des boat people du Sud-Est asiatique, les réfugiés Iraniens, l’ouverture du bloc des pays de l’Est. J’ai connu aussi des Sud Américains. Il me serait plus simple de citer quels sont les pays dont je n’ai jamais rencontré de ressortissants.

    Je garde de tous ces contacts des images de parcours de vies, certains tragiques, certains heureux, parfois même privilégiés.

    Mais je ne dirais pas que c’est une famille. Je veux bien que nous soyons tous frères (et sœurs) dans ce monde, mais je ne peux pas me sentir de la famille du marabout Africain, de la femme voilée, du Russe qui a passé cinq ans dans la légion pour obtenir un titre de résidence à vie, du latinos fils à papa qui pleure parce qu’une réforme agraire dans son pays a donné une partie de son domaine à des paysans sans terre …. Je n’ai pas forcément de sympathie pour tout le monde, je crois que c’est normal. Mais je m’efforce de considérer tous mes stagiaires de façon égale.

    J’ai des relations d’amitié, voire d’affection avec quelques uns qui passent me voir au centre, qui me téléphonent ou m’écrivent longtemps après avoir suivi mes cours. Il m’arrive aussi d’en rencontrer des années après les avoir eus comme stagiaires et c’est toujours un plaisir de se rencontrer.

     

    B. M : Sophie, une dernière question. Tu te consacres depuis 35 ans à l’enseignement du Français, belle carrière ! Tu m’as dit récemment, qu’une fois le métier terminé, c'est-à-dire, une fois en retraite, tu voudrais travailler pour les Libertaires, quoi, pour les anars ! Cela ne m’a pas surpris de l’entendre dire, mais ce qui me surprend est de vouloir s’y consacrer à la fin de ta carrière professionnelle.

    N’était-il possible de militer vraiment en parallèle tout en étant active dans l’enseignement ?

    Est-ce la façon de vouloir te reposer alors que déjà tu as beaucoup donné dans ta vie. Mais je sais qu’il n’est jamais trop tard, tu en conviendras.

     

    S. P : C’est une idée qui m’est venue comme ça récemment parce que je vois autour de moi des gens qui partent à la retraite et qui cherchent à s’occuper : certains se consacrent à leurs petits enfants, d’autres apprennent à jouer au bridge ou s’inscrivent dans des clubs de randonnée.

    J’écoute depuis des années Radio Libertaire, leurs analyses me semblent souvent très censées, et ce sont les rares à parler de politique de façon jubilatoire.

    Il y a 40 ans Léo Férré chantait « Marketing, salope ! ».

    Chez les babas, on vivait selon les principes de Vaneigem et Guy Debord.

    L’UNEF de St rasbourg et de Nantes se rangeaient du côté des situationnistes. Une petite brochure avait été éditée : «  De la misère en milieu étudiant », j’étais alors très jeune et peu avertie mais quand j’ai lu ce petit ouvrage, il me semblait bien déjà avant que les gauchistes et les féministes n’avaient pas le même combat.

    Le journal Hara Kiri annonçait l’an 01 d’une nouvelle ère à venir, c’étaient les premiers écolos et ils n’étaient pas pris au sérieux.

    Actuellement il y a de plus en plus de démunis, les acquis sociaux régressent. Depuis plus de 10 ans, des systèmes d’échanges locaux (SEL) se mettent en place, cela améliore de façon sensible le quotidien de personnes qui vivent avec des revenus plus que modestes. Je m’y suis intéressée mais mon travail ne me laisse pas de temps pour m’y consacrer.
    Des retraités se regroupent en communauté parce que leurs maigres moyens ne leur permettent pas de vivre décemment.

    On nous parle d’une diminution de l’Etat, pour arriver à quoi ? à une jungle capitaliste ?

    La société va peut-être vers la constitution de communautés solidaires autonomes. On s’approche des théories libertaires.

    Nous étions partis de ma vie à Ménilmontant. Je n’en ai gardé qu’un souvenir matériel : une photo que j’ai prise dans ce quartier vers 1976-77.

    Ca représente une expression de révolte inscrite sur une palissade au dessus d’un dépotoir. Cette photo aurait pu être prise de nos jours dans un coin sordide en banlieue.

    « Devenez fou de colère ». Et si c’était le mot d’ordre d’un nouvel essor des Libertaires.

    B.M : Merci Sophie d’avoir répondu à mes questions et je t’en félicite. Maintenant nous allons pouvoir aller boire un verre en l’honneur de ton anniversaire.

     

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    Entretien réalisé le 14 juin 2010 par Bienvenu Merino

     

     

     

     

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  • CACHER LA LAIDEUR D'UN CERTAIN PARIS

     

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    A Emilie Morel et Lionel Mouraux pour leur travail au sein de la Photothèque des jeunes Parisiens

     

    C’est ce que font des peintres, des décorateurs et des tagueurs de tous poils : préserver l’œil, les yeux, de notre génération, des sales constructions que des hommes ont fait pousser dans le Paris des années 1960. Louis Chevalier avait lancé un vif avertissement avec son livre L’assassinat de Paris. Dans sa préface, il écrivit : « Les villes aussi peuvent mourir ». "Comment aurais-je pu imaginer devoir, un jour, appliquer à Paris ce vers du poète du bas empire, pleurant sur les capitales du monde antique, dévastées par les Barbares ? Assurément pas aux environs de 1960 où, venant de décrire les Parisiens, c'est-à-dire Paris plus reconnaissable à la tête des gens qu’à la disposition des lieux. Et pourtant, déjà, les choses ne commençaient-elles pas de changer ?"

     

    Merci à Philippe Galas pour l’autorisation de publier les deux photographies qui illustrent ce billet. Bienvenu Merino

     

     

     

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  • BIENVENU MERINO EXPOSE/DU 15 AVRIL AU 15 MAI 2010

     

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    ATELIER DE RESTAURATION D'OEUVRES D'ART
    12 rue des Patriarches
    75005 Paris
    Tel 01 40 56 08 48
    Métro Censier Daubenton

     

     

  • LA BEAUTE DU VINGTIEME ARRONDISSEMENT

     

     

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    Audrey Félix - Rue Mondoville

     

    La pauvreté comme la beauté résident dans les yeux du spectateur. La pauvreté est un jugement de valeur ; ce n’est pas quelque chose que l’on veut vérifier ou démontrer, même avec une marge d’erreur, excepté par déduction et suggestion. Dire ce qui est pauvre revient à utiliser toutes sortes de jugements de valeur.

    Les photos d’Audrey Félix, celles du 20e arrondissement, nous rappellent que cet arrondissement est beau, toujours beau, comme si par pudeur, la laideur dans son reportage, nous était épargnée. Dans son parcours de piétonne fascinée par les  rues proches de celles de la rue du Pressoir, au pied des Buttes-Chaumont, de la rue des Cascades, de la  Cité et Villa de l’Ermitage, la photographe a su saisir, le beau du quartier, la beauté toute naturelle, au gré de ses promenades où tant d’autres promeneurs voient  pauvreté, désespoir et misère. Là, à flanc  de collines, la photographe nous montre que Ménilmontant était il y a pas plus de 50 ans  une Hollywood, notre ville des anges, Los Angeles, où je vécus en 1969, loin des stars, des paillettes et des folklores américains, mais sans rien regretter. Parmi les cinq éléments de la mémoire, qui sont la fixation des souvenirs,  leur conservation, le rappel, la reconnaissance, la localisation,  cinq éléments qui nous aident à recomposer le passé. Bienvenu Merino

     

    CONSULTER

    BEEGIRL

     

  • QUI ETES-VOUS BIENVENU MERINO ?

     

     

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    Guy Darol : Il n'y a pas que  la pratique de l'écriture et de la marche qui traverse ta vie. Ne serais-tu pas également dessinateur, peintre, photographe et cinéaste ?

    Bienvenu Merino :  Je suis un touche-à-tout.  C'est probablement cela qui m'éloigne de la réussite et du travail bien accompli. Dans mon âme, l'amour de bien faire est divin,  donc, s'il n'y a pas de discipline et de travail bien fait, je ne peux pas être totalement satisfait. Ceci vaut pour les  travaux  que j'ai entrepris et qui me tenaient à cœur.  Tout est lié. La photographie m'apporta, durant les années de voyage, beaucoup de plaisirs, puis peu à peu elle s'éclipsa pour être remplacée par la peinture et le dessin. Quant au cinéma, ce fut un déclic qui surgit comme un boum, après m'être intéressé à une période de l'histoire de France si souvent auscultée dans ma mémoire. Ma première expérience au cinéma n'est pas encore terminée puisque le montage de mon film n'est pas achevé. Mais faire tout, tout seul : écriture du scénario, repérages des lieux, recueillir des fonds, chercher des acteurs, des figurants, des techniciens, faire la mise en scène, le secrétariat, l'attaché de presse, ce n'est pas toujours facile. 

    G.D. : Quels sont les écrivains qui regardent par-dessus ton épaule lorsque tu te trouves à ta table de travail ?

    B.M. :  Ma table de travail est vaste. En vérité, je suis plus un véritable promeneur qu'un écrivain. A proprement parler, je n'ai pas de méthode bien précise. Aller sur le terrain m'apporte en général l'essence même de mes écrits. Etre écrivain, c'est  un sacerdoce, comme Gustave Flaubert qui ne procédait que par notes précises dont il avait scrupuleusement vérifié l'exactitude. Il se condamnait à fréquenter pendant des semaines les bibliothèques jusqu'à ce qu'il ait trouvé le renseignement désiré. Il ne reculait pas devant l'ennui de lire vingt ou trente volumes traitant de la matière. Il ira en outre interroger  des hommes compétents,  poussera les choses jusqu'à visiter des champs de culture, se rendra sur les lieux, y vivra.  Ainsi, pour le premier chapitre de L'Education Sentimentale qui a comme cadre le voyage d'un bateau  à vapeur remontant la Seine de Paris à Montereau,  il a suivi le fleuve en cabriolet, le trajet ne se faisant plus en bateau à vapeur depuis longtemps ! C'est fou ! Je ne dis pas qu'il était dingue, mais il avait cette passion, celle que j'ai dans les voyages et dans la marche toute simple qui m'a conduit à l'extrême, naturellement,  avec fascination et  plaisir. Toutefois, bien des écrivains m'ont marqué, et je laisse à mes lecteurs le soin d'apprécier certains de mes auteurs favoris qui m'ont influencé et qu'ils découvriront eux-mêmes, en me lisant. Cependant Antonin Artaud et Georges Bataille et les œuvres du CHE, pour une autre raison, surtout  la lecture de son Journal de Bolivie,furent déterminants.

    L'écriture de Diarrhée au Mexique est assez brute, dans le sens où la matière est tirée du vécu et si elle détonne encore et toujours c'est que la vérité je suis allé la chercher au fond de moi, dans la douleur ; récit qui choqua, qui choque encore, et qui choquerait en 2007 comme m'avait dit Éric Dussert avant la sortie du livre, lequel est à l'origine de la troisième publication, ce  qui m'encouragea à continuer afin de n'être pas l'auteur d'un seul livre.

    G. D. : Tu vis désormais à Paris. Le globe-trotter est-il encore un promeneur invétéré ?

    B.M. :  Je commencerais par te répondre par ces lignes de Platon, extraites de l'Apologie de Socrate. « Les hommes peuvent être heureux en demeurant attachés à une forme de vie immuable, que la musique et la poésie n'ont pas besoin de créations nouvelles, qu'il suffit de trouver la meilleure constitution et qu'on peut forcer les peuples à s'y tenir ».

    Voyager fut toujours ma passion car je trouvais dans ce mode de vie et de vivre une belle manière de découvrir, d'apprendre, d'étudier, sans contraintes, ce que je n'avais pas fait dans mon enfance et mon adolescence. Enfant, je n'eus pas  une scolarité exemplaire.  Dès mon plus jeune âge, je n'étais pas un fervent de la discipline, j'étais bien plus attiré par les dormeurs à la belle étoile et les bergers. C'est à mon retour d'un  long voyage que j'eus l'envie et le besoin de conforter certains acquis appris de la route, en  étudiant quelque peu à l'Université. Je ne dis pas, comme Flaubert, que le seul moyen de supporter l'existence, c'est de s'étourdir dans la littérature comme dans une orgie perpétuelle.

    La vie de voyage s'était ancrée en moi car toujours elle fit partie de mon existence, un peu comme les gitans qui se meuvent continuellement à travers le monde depuis leur naissance. Même si, aujourd'hui,  mes voyages ne me mènent plus aussi loin, très souvent ça passe par l'écriture, une manière de traverser les choses et de vivre différemment. Les yeux sont peut-être moins éblouis par la beauté du spectacle comme l'étaient ceux du voyageur incorrigible que j'étais.  J'ai une façon différente de voyager  dans l'écriture et je sais que je n'ai pas encore tout puiser de mon vécu  et c'est devant les pages blanches que je gribouille  à ma table de travail que je perpétue ce qui était ma vie d'explorateur.  J'habite à  Paris, entrecoupé de quelques  escapades, cependant j'ai gardé cette habitude de persévérer dans cette irrépressible envie de marcher pour encore et toujours découvrir ma ville et  mieux comprendre le monde qui m'entoure. Je suis un inlassable marcheur solitaire.  Marcher m'est nécessaire. Le globe-trotter que j'étais est devenu un simple homme qui marche. Hier encore, mercredi 22 décembre, je suis revenu de banlieue, d'Ivry,  à pied, en essayant de longer la Seine avec ses hautes cheminées d'usines chapeautées de glace, et ces péniches tranquilles, amarrées sur les berges où, quand elles  coulent nonchalantes sur le fleuve  lent,  recouvertes d'un peu de neige comme si c'était seulement cela qu'elles transportaient tant elles flânaient, écrasant les vaguelettes de leur chargement invisible en allant jusqu'au Pont de Tolbiac, un des de mes anciens quartier. Je fus enchanté de  suivre la rivière sous la neige. C'était un vrai conte de Noël. Que d'histoires j'ai revécu, que de nouvelles envies m'ont donné le désir de repartir vers l'inconnu.

    Virginia Woolf, la belle rêveuse londonienne, Jean Giono, Julien Gracq, Jacques Réda, dans Marchons sous la pluie, Jacques Lacarrière, Karl Gottlob Schelle,  Arthur Rimbaud, Léon-Paul Fargue, Walter Benjamin, Henri Calet, André  Hardellet ont fait cela bien avant moi. Mais, c'est sans doute de Don José Merino Martin Campos, mon père, que je tiens  l'incroyable invention de savoir aller par les chemins et par les routes. Il commença, jeune, très jeune, avant ses dix ans. De Malaga à Madrid, de Madrid à Barcelone, de Santander à Algesiras, il accompagnait les chevaux, à pied, marchant à leurs côtés, de jour et parfois de nuits, dans la beauté des paysages. Je ne compte pas le voyage forcé par l'exil, celui qui lui causa tant de désagréments, LA RETIRADA DE MALAGA,  guerre entre hommes du même pays, d'un  même village et parfois d'un même clan familial, mais il sut cheminer, armé de fusil ou sans fusil, et faire magnifiquement son très long parcours, celui dont il apprit ce qu'étaient les hommes et les femmes dans des combats féroces, dans la douleur et  la défaite, dans le camps des vainqueurs et dans celui des vaincus, sur la route qui le conduisit vers les hommes libres.

    G.D. : Crois-tu que la culture underground ait quelque chose encore à voir avec la pratique des blogs ? Et cette pratique est-elle une chance pour le développement de la pensée et de la création ?

    B.M. : Oui, bien sûr, et elle  se  pratique aussi avec les blogs. C'est  un mouvement parallèle, hors des circuits officiels normaux du commerce et de diffusion. On devient underground  par la force. Ce sont les maffias du show-biz, de l'art subventionné qui obligent l'artiste à prendre cette tangente. En luttant contre l'establishment qui souvent met le créateur à l'écart, on doit trouver la solution pour se faire entendre ou être lu et par ce moyen  il lui est possible enfin de dire ce qu'il ne pouvait pas, d'enlever le frein qui ne permet pas de s'exprimer. Les censeurs dans notre société existent, la diffusion par les blogs permet de résister contre ceux qui sont au pouvoir, contre certaines pressions qui obligent l'artiste à trouver d'autres solutions pour mieux se faire entendre et exister enfin. Le moteur de l'underground, dès ses débuts, a été l'exhibition du corps, la transgression des codes sociaux, montrer ce qui est « caché » et le faire venir à la lumière. C'est une avancée importante pour la communication et la liberté d'expression. Underground et blogs ça fonctionne  de pair. Tu peux imaginer pourquoi je n'envoyais plus mes manuscrits aux éditeurs, pourquoi certains de mes « textes monstrueux » sont  passés à l'oubliette, ignorés ou simplement jetés au feu de la non-prospérité.

    G.D. : Préfères-tu l'ombre à la lumière ?

    B.M. : Souvent je me sens dans lumière, même si je vais sur la route sans que personne ne soit au courant ni me reconnaisse. Je vais, fidèle à un certain idéal. J'essaye de faire ce dont j'ai le  plus envie, c'est ma manière de marcher à la lumière.

     

     

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    Bibliographie de Bienvenu Merino

     

    Prière

    (Nouvelle)

     Manifeste de la Délinquance Littéraire

    Cahiers Zédébis, 1975

     

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    Situations Normales

    (Nouvelles)

    (Cahier des Hirondelles), 1975

    Fleurs et Chant d'Espoir du peuple d'Espagne

    (Poème (l'agonie d'un dictateur)

    Les Cahiers St Germain des Prés, 1976

     

    Plus édition originale accompagnée d'une gravure de l'auteur

    Atelier Say, 1996

    Satisfaction

    et autres nouvelles

    Revue Le Gué,1976-1977-1978

    Extrait d'un voyage dans les excréments

    ou

    Diarrhée au Mexique

    (nouvelle)

    Editions du Peuple,  1976

    (épuisé)

     

    Diarrhée Epuisé.jpg

     

    Réédité par Les Cahiers Lolita, préface de Gérald Scozzari, 1977

    Scènes

    (nouvelle)

    Livre d'artiste, 1996

     

    Scènes.jpg

    Qui sera libre demain ?

    Gravures de 10 artistes plasticiens

    Portfolio

    Atelier Say, 1996

     

    Qui sera libre.jpg

    Ana

    Poème et champs de mots

    Préface de Emilio Sanchez-Ortiz

    Isabelle Venceslas, 1995

    (épuisé)

    Descendre au cercueil

    (Ouvrage sur auguste Pinochet)

    Dessins à l'encre de l'auteur

     Préambule

    Lettres des  femmes prisonnières politique de la prison

    de haute sécurité de Santiago de chili

    Connaissance, 2000

     

    Descendre au cercueil.jpg

    O, voyelle

    D'après une œuvre sur acier de l'auteur

    Portfolio

    Isabelle Venceslas, 2002

     

    voyelle.jpg

    Traces de plantes fossilisées

    Carnet des mines, Graissessac-Hérault

    Avec traces et dessins de l'auteur

    Ouvrage personnel,  tirage limité, 2005)

    Diarrhée au Mexique

    ou

    Extrait d'un voyage dans les excréments

    (Nouvelle)

    (Préface de Éric Dussert)

    Atelier du Gué, éditeur 2006

     

    Diarrhée.jpg

     

    Ensayos sobre el placer de la Felaçion

    Essai sur le plaisir de la fellation

    Editions espagnole et française avec photos et dessins de l'auteur

    Coffret, d'Artiste, 2007

     

    felaçion.jpg

    Lignes Noires

    (Encres et  dessins)

    Isabelle Venceslas, janvier 2010


    Lignes noires.jpg

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  • QUI ETES-VOUS BIENVENU MERINO ?

     

    Diarrhée.jpg

     

     

    Guy Darol : La réédition, en 2006, de Diarrhée au Mexique, a été suivie d'échos plus que favorables. Ce livre a été couvert d'éloges et cependant c'est l'arbre qui cache la forêt, car ton activité d'écriture est riche de plusieurs volumes. Peux-tu nous en parler ?

    Bienvenu Merino : Oui, quelques critiques littéraires ont réservé un bon accueil à mon livre et c'est une chance de savoir qu'il ait touché et  conquis  autant de lecteurs. Mes autres livres sont bien plus sages, tout en étant fidèles à mes convictions politiques et à mes expériences  d'éternel homme qui marche.

    J'ai peu publié. Pendant presque vingt ans je n'ai plus envoyé de manuscrits aux éditeurs, alors comment veux-tu que l'on me lise ? La peinture de tableaux avait pris le relais, alternant des travaux de décoration  et de construction de lieux et scènes de théâtre. J'étais ouvrier pour gagner ma vie. Puis la fête et les rigolades, les bistrots de Paris où naissaient les rencontres aventureuses  me portaient au zénith d'une gloire acquise par mon manque assidu à l'écriture et à toute relation avec le système éditorial. Je vivais  bien, cela me convenait assez la vie faite de plaisirs. J'étais doué pour la danse et les jeux de séduction qui m'apportaient  plus de bonheur. A 19 ans, durant mes deux années de pratique de la  boxe, j'appris à travailler mon jeu de jambes. Le direct du gauche et l'uppercut me donnèrent plus de confiance. Je me mouvais à la manière de Ray Sugar Robinson dansant sur un ring. Mes amies spectatrices qui suivaient mes combats se sentaient protégées. Très entouré, je me perdais avec elles dans les nuits de Saint-Germain-des-Prés.  Comment veux-tu que je puisse travailler consciencieusement l'écriture ? Pour bâtir une œuvre, "c'est chaque jour qu'il faut se poster devant la page blanche", me disait mon ami écrivain Emilio Sanchez-Ortiz, alors qu'après quelques verres à La Coupole et au Sélect puis dans les petits bals bretons du quartier de  Cambronne, nous allions guincher non sans avoir passé deux ou trois heures  avec mon ami le batteur Jackie Bouissou qui jouait au River-Boat  avec  Claude Luter, rue de Rivoli, et avec  Marc La Ferrière et Maxime Saury au Caveau de la Huchette. La belle vie en somme car en ces moments-là la littérature venait après la fête. La lecture m'était bohème et je devais faire des efforts afin de continuer à lire et à étudier sérieusement. En fait, c'était mon "manuscrit de vie", mon livre de chair. Un laisser-aller impardonnable si l'ont veut écrire vraiment. Henry Miller mena cette vie et je me demande comment il trouva du temps pour réussir à accomplir une œuvre aussi solide et si intéressante. Mes vrais manuscrits sont rangés aux rayons de l'oubli, certains en partie inachevés ou à corriger. Ce peu de ma fortune ne peut intéresser un éditeur, croyais-je longtemps. Dans leur état actuel, où ils racontent des moments de vie égarée entre splendeur et jouissance, ce sont des manuscrits pas vraiment aboutis.

    Pour mes  livres parus, la grâce s'est trouvée sur ma trajectoire, mais souvent en faisant personnellement  un travail de grand écolier studieux et appliqué qui, tout petit homme, eut quelques rêves passagers pour se prouver à lui-même qu'il pouvait vraiment se faire plaisir et pouvoir  se sentir devenir écrivain. Tout cela me donne parfois de l'énergie pour donner à ma vie la satisfaction qui emplit mon cœur et  m'aide à m'appliquer à exprimer ce que je vis. Les pétards mouillés ne peuvent jaillir et faire des étincelles que si le désir de bien les sécher correctement existe. Je crois que j'ai préféré vivre avant tout. Existence de chevalier, entouré de nymphes, mais c'est ainsi que jamais la solitude ne m'a gagné. Ecrire des livres vous plonge dans les souterrains et les puits de la recherche de la vie fabriquée de  livres.  J'ai eu la chance partout dans le monde de rencontrer ce que jamais je n'avais espéré. La littérature ne me manqua pas ; si le besoin d'écrire me prenait, j'avais toujours un crayon et du papier pour exercer mon envie, sinon,  je contemplais le ciel, la mer, les arbres, les cimes des montages, et surtout, tout être humain sur mon passage, quel qu'il soit. Je pouvais lire dans les yeux et sur les visages le sommet de la bonté ou bien y découvrir la pire des crapules. Mais même si les livres sont mes amis, rien ne vaut ces hommes ou femmes rencontrés dans mes voyages qui avec génie m'ont offert ce qu'il est impensable que l'on puisse donner et  détacher du cœur : leur amour, quitte à se dépouiller de tout ce qu'ils avaient en leur possession. C'est eux qui m'ont le plus appris, mieux que ce je pouvais apprendre dans les livres et à l'université. Le bonheur tout simplement. Voilà sans doute pourquoi écrire des livres ne m'est pas obligé, ni un besoin nécessaire, même pas vital, ni un métier.

    Ecrire n'est pas pour moi une nécessité, je lai toujours su, j'avais d'autres cordes à mon arc. Voilà pourquoi, l'ours qui est en moi s'est mieux habitué à un environnement hors des sentiers battus, peut-être de crainte de déranger son voisinage postulant au succès de la renommée et à l'aliénation, ce que sans doute j'ai toujours su éviter sans crier gloire ni déception. Non, surtout, ne pas me faire voler mes ardeurs, mon souffle, mon enthousiasme et ma liberté, ce qui donne à ma personnalité ce rien de riche qui m'est tout.

     

    G.D. : Les billets que tu publies régulièrement sur Rien ne te soit inconnu et Rue du Pressoir attestent que tu as approché de grands noms de la vie culturelle et politique. J'observe toutefois que tu es l'opposé d'un mondain. De quelle façon se réalisent ces rencontres ? Quelles sont celles qui t'ont le plus profondément marqué ?

    B.M : J'ai rencontré quelques grands talents du showbiz, comme Compay Secundo qui était mon ami, et le fils et la fille de Violetta Parra, Angel et Isabel, merveilleux interprètes, réfugiés en France après le coup d'Etat au Chili,  mais c'est  surtout des peintres  et des  artistes avec lesquels je suis le plus  lié. Aussi, ayant un de mes frères comédien, et un autre militant,  cela me facilite les rencontres.  Les hommes politiques rencontrés  avec qui j'eus un vrai contact, sont assez rares. En 1970, j'ai approché Salvador Allende pendant sa campagne Présidentielle, cela grâce à des amis du MIR (Movimiento d'Izquierda Revolucionaria), et je fus invité à une de ses marches légendaires avec les paysans, à Osorno et à Valdivia, dans le sud du Chili. Dans les années 1970, il existait une telle peur, dans certains pays d'Amérique du Sud, que la Gauche arrive au pouvoir au Chili, que pour moi, il était inconcevable que je n'accepte pas l'invitation de mes compagnons militants chiliens d'être auprès d'eux et de leur leader à la Présidence  de la République. Le souvenir de Salvador Allende est celui de sa simplicité, de sa gentillesse et de sa conviction  absolue qu'il allait gagner les élections et être élu Président du pays. Tout le monde connaît la suite.

    Moi qui voulait être discret, c'est raté. Je ne vais pas cependant tout t'avouer. Mais  je ne résiste pas. Voici arrivé un instant de grâce. Un vrai conte de fée.  Je veux  te parler de Monica, la compagne de mon frère Emmanuel,  jeune femme et attachante qui fit son entrée glorieuse dans notre modeste clan familial, et pour qui nous avons beaucoup d'estime et d'admiration. Monica Justo est la petite-fille de Pedro Agustín  Justo, Président de l'Argentine de 1932 à 1938. C'est quelques années après, durant mon séjour à Buenos Aires, que j'appris vraiment qui était la famille de Monica, son grand-père, Président, et le père de ma belle sœur, Liborio Justo,  écrivain et leader  du Trotskisme durant un demi siècle, qui vécut jusqu'à cent et un an et qui est décédé il y a peu de temps.

    Donc, de fil en aiguille, notre  famille s'agrandit, un mélange d'artistes des Beaux-Arts, comédien, chanteuse, cantador flamenco, belle-sœur, petite fille de Freddo Gardoni, accordéoniste célèbre, banquier, médecin, juristes, avocats, enseignants ou ouvriers de la politique universelle, ouvriers tout court, sportifs. Comme je te disais, Guy, c'est  la chance. Plus nous sommes de frères et sœurs, plus nous rencontrons de monde, gens connus, ou simples citoyens méritants.  Parfois nous  débarquons à dix, douze, dans un vernissage ou un cocktail  au Théâtre de Chaillot ou à l'Odéon, pour la première d'un spectacle de mon frère Louis, et nous continuons la soirée dans la fête et la bonne humeur. Mais aussi, parfois, cela nous arrive, d'accompagner un ami pour son premier voyage en cercueil,  son dernier dans la mort, porté sur des épaules des frères andalous-périgourdins en chantant les honneurs que mérite le défunt.

    Ma rencontre avec Dennis Hopper et Peter Fonda  ainsi qu'avec d'autres acteurs américains, eut lieu dans des circonstances invraisemblables au carnaval de Oruro, au Pérou, au milieu des fameuses  Diabladas, uniques dans le pays. Dennis et Peter venaient de terminer le tournage d'un film, près du Cusco, à Chinchero, et c'est par hasard, en revêtant une peau d'ours en guise de déguisement, en compagnie de deux de mes amis, avec l'intention d'aller dans les rues de la ville en fête que nous nous sommes rencontrés, face à face, habillés en animaux.  Parfois, c'est très simple, tout s'enchaîne. Je repartis le lendemain avec eux en taxi, de Oruro à la frontière bolivienne, le long du splendide lac Titicaca, jusqu'au village frontière, Copacabana, et c'est ainsi que je j'eus la chance d'être avec eux, avec leur enthousiasme pour passer la frontière, ce qui n'était pas très facile en ces moments-là avec un passeport Français, car Régis Debray, sympathisant du CHE, c'est-à-dire, d'Ernesto Guevara, était emprisonné à Camiri, Bolivie,  pour  les raisons politiques que l'on connaît. A la frontière, comme tout le personnel de la douane savait qui était Peter fonda, je n'eu absolument aucun problème à rentrer dans le pays. On ne me demanda même pas mon passeport.

     

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    Aussi, je dirais quelques mots sur ma rencontre avec le magnifique acteur  du film  Les Enfants du Paradis, Jean-Louis Barrault, à la Cartoucherie de Vincennes, où je travaillais sur les décors d'un spectacle qui allait être donné en Avignon. Personne, parmi nous, techniciens et comédiens,  ne s'attendait à le voir arriver. Surtout, nous pensions qu'il n'avait aucune raison pour que nous le retrouvions devant nous, tout souriant. En fait, Il était venu féliciter la troupe, du travail qu'avait accompli le Théâtre de l'Aquarium, dans la l'immense hall qui lui avait appartenu et qu'il avait légué à la jeune compagnie pour laquelle nous travaillions.  Ce jour là, il fit une distribution de présents inattendus. Moi, j'héritais, entre autres,  d'un de ses habits de scènes, un smoking noir splendide que je devais porter durant plus de vingt ans, plutôt fier du cadeau dont il m'avait honoré.

    Mais un de mes souvenirs inoubliables et qui n'a rien à voir avec une personnalité culturelle, date de 1966 dans le désert du Sahara, le grand Erg de la Soif, où, affaiblit physiquement  par le manque d'eau et craignant ne pas arriver à temps au premier village pour m'abreuver, j'eus l'immense chance de me trouver face à mon sauveur, le caïd du village, qui je ne sais comment, descendit ,  pied après pied, sans chaussures dans un puits profond de  plus de vingt mètres et remonta à la surface avec un seau d'eau. Je puis t'assurer que l'eau était fraîche et la meilleure que je n'ai jamais bu.

    Pour revenir à ta question sur "l'opposé d'un mondain", oui, tu as parfaitement raison. Je n'aime guère tout ce qui relève de la haute société, non très peu pour moi. Je n'apprécie  pas les habitudes de la vie bourgeoise et leurs divertissements qui ont attrait au luxe et aux plaisirs de la table même si j'ai grand plaisir à  faire un bon repas  en famille ou avec des amis. Dans les phrases qui précèdent,  j'ai donné un aperçu de mon mode vie.  Pour moi, les rencontres me sont assez faciles pour ce qui concerne l'art et mon attirance de la vie  avec les hommes et les femmes que je rencontre. « Faire de la vie un chemin d'épanouissement, la vie doit toujours devancer l'art, une activité parmi bien d'autres, la vie doit être considérée comme une œuvre d'art potentielle ».

    (A suivre... demain !)

     

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    Emmanuel Merino et Monica Justo

     

     

     

     

     

  • QUI ETES-VOUS BIENVENU MERINO ?

     

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    Le Moulin, en Dordogne. Sous la maison de mon enfance coule une rivière.

     

     

    Guy Darol : Ton histoire personnelle est liée à celle de la Guerre d'Espagne. De quelle façon s'effectue le parcours de ta nombreuse famille depuis l'Espagne jusqu'en France ?

    Bienvenu Merino : Après  les années 1936-1939, dates de la guerre civile, ma mère, et mes frères aînés arrivèrent en France à travers les Pyrénées dans des conditions difficiles, avec des  milliers d'autres réfugiés. Moi, je n'étais pas encore né. Deux de mes frères et une de mes sœurs nés en Andalousie périrent avant de pouvoir passer la frontière. Mon père était resté au front, à Barcelone. Il n'arriva en France qu'un an après, à la défaite de la République. Il fut interné comme des milliers d'autres Espagnols dans un camp de réfugiés politiques, où il passa plusieurs mois, presque un an, tandis que ma mère et les enfants se trouvaient dans un autre camp de réfugiés pour femmes et enfants, dans la région de Limoges.  Mon père ne put revoir ma mère et les enfants que plusieurs mois plus tard, lors d'une visite arrangée, car tout était contrôlé, et par la police française et par les autorités du camp.  Personnellement, je connus L'Espagne qu'en juin 1968. Il était alors déconseillé aux opposants au régime de retourner en Espagne, tant que Franco était au pouvoir. On encourait alors des risques de représailles. Franco mourut à 83 ans,  le 20 novembre1975, après un mois d'une interminable agonie et quarante ans de pouvoir sans partage en Espagne.

    Je ne sais si les malheurs vécus par mes parents et mes frères ont été des catalyseurs qui contribuèrent à mon goût du voyage. Peut-être ! En tous cas la vie nomade, durant des années, contribua et facilita notre intégration en France. De région en région, je suivis forcément le mouvement familial. Le clan ayant appris à se mouvoir, à connaître les flux migratoires, la vague houleuse familiale continua de se déplacer de département en département à la recherche de travail et du rassemblement des autres membres  de la famille éparpillée dans le sud de la France. Mes frères et sœurs, et moi-même, nés en France, fûmes préservés d'un cataclysme annoncé. Les aînés étaient morts, il fallait se reconstruire, rebâtir la famille. Que de luttes et combats de chaque instant pour des parents, heureusement unis dans « l'élevage » difficile des enfants qui vinrent au monde pendant et après la guerre 1939-1945.

     

    G.D : Cette migration est-elle le point central qui déterminera par la suite un certain goût du voyage et de l'aventure humaine fraternelle ?

    B.M : Oui je pense. J'ai puisé son essence dans le quotidien d'amour que nous ont donné mes parents. Ma sensibilité à fleur de peau est sans doute due aux drames de la vie que vécut ma famille, aux déchirements issus des guerres fauchant debout les combattants qu'ils étaient devenus pour défendre leur honneur et leurs convictions. Se relever après cela était plus que difficile. Il fallait avoir un père et une mère forts contre les épreuves. C'est sans doute là où s'est forgé un rempart contre les injustices. Sans se barricader, ils ont pu, au contraire, s'ouvrir à la vie, avoir de nouveaux enfants, élevés dans la dignité et l'espérance, nous rendre à l'émerveillement.

     

    G.D : Tes itinéraires te conduisent sur le continent Américain et dans d'autres régions du Monde. Sont-ce tes activités d'écrivain qui te meuvent ainsi ?

    B.M : Non, ce ne sont pas mes activités d'écrivain qui me font bouger. Souvent, ce sont mes voyages qui m'incitent à l'écriture.  Ce qui me fait mouvoir, c'est l'intérêt que je porte aux individus, je vais vers eux, je tiens cela de mon enfance, c'est irrésistiblement naturel, tu comprends ! Je dirais même que c'est mon école d'apprentissage libre et sans obligations. C'est le besoin de s'assouvir, de vivre vrai. Quand j'étais en Amérique, j'étais plus « chemineau » qu'écrivain, dans le sens de suivre son chemin et être observateur. C'était presque un luxe. Le plaisir que j'éprouve dans la marche est immense. Je suis « On the road » en quête initiatique, en réflexion existentielle. Point de frontières, pas de douanes, tous les jours de nouvelles rencontres, des fiancées, des épouses, des amis. C'est une force  de vouloir et de pouvoir être itinérant. Sans doute que les « obligations » de la vie qu'ont eu mes parents et ma famille ont contribué au goût fantastique d'user mes souliers pour aller quelque part. Là où j'ai de l'intérêt.

    Je suis un troubadour. Je préfère les  plaisirs simples, marcher, entrer dans un bar, m'installer sur un haut tabouret et regarder les gens tout en lisant sur les  journaux les nouvelles du monde.

    Mon existence est là, toujours dans la rue. C'est mon œuvre principale. Chaque pays où je suis allé était mon chef-d'œuvre : découverte à pied,  marchant et souriant au monde ; exercice du corps, de l'esprit. Souvent j'étais rempli de bonheur quand je marchais sur le macadam, de l'Alaska à la Terre de Feu. J'ai connu tous les stratagèmes pour éviter des pièges et pour être heureux, apprendre à vivre pénard, parfois tout en aidant les plus défavorisés qui en échange m'offraient l'hospitalité, un hamac, une litière.

    Alors écrire tout cela, tout ce j'ai pu emmagasiner, c'est  de la discipline pour composer, mot à mot, un bouquin de plus. Le secret est là, dans la banque de mon  cerveau, dans mes yeux lorsque parfois j'en parle et que quelqu'un, quelqu'une, veuille bien entendre mon chant. Le conte, je le tiens de mon père Don José et de Amalia, ma mère, ainsi que de mes frères aînés Joseph et Fernando et de deux de mes oncles. J'ai appris, avec ces êtres chers, à capter l'attention et à savourer l'instant où il faut dire les choses, la seconde où il vaut mieux se taire, garder le silence et écouter. Chez nous, cela se faisait par la parole. Essayer de comprendre, réagir, répondre verbalement, car les livres il y en avait peu.

    J'ai grandi dans les champs, avec mes frères et sœurs, près de  petites maisons,  dans le Périgord Noir. "L'Oustal Nèbe"  d'abord,  "le Roc de la Rode", dans  l'ancien presbytère de mon village natal,  puis  "Le Moulin",  assis  sur un sol d'argile recouvert de mousse, les fenêtres s'ouvrant sur une rivière d'argent où nageaient les carpes et les truites, mes premiers pas croisant les biches, les cerfs, les hérissons, le tracé des escargots. Durant une période, nous étions en zone de combats contre l'envahisseur allemand, mon père était dans les forces F.F.I. et continua  à donner avec bravoure tout  ce qu'il avait de générosité.  Ma maman qui avait donné naissance à plus de dix enfants, sans compter les fausses couches, connaissait ce qu'était le chemin qui va droit au cœur. Le soir, à tour de rôle, à plat ventre sur ses genoux, elle nous instruisait à la manière des philosophes espagnols du 18e siècle, qu'elle chantait d'une beauté inégalable, digne des divas du 17e siècle. Ce fut mon meilleur professeur. Il n'y eut rien de pareil. Fille de sage femme Andalouse, toute sa vie elle honora les gens pauvres, ceux qui avaient besoin de tout,  à qui elle offrait et partageait ce qu'elle possédait. Mon père vécut presque soixante-dix ans de mariage, avec elle, jusqu'au bout, à près de 97 ans, avant de s'éteindre doucement dans mes bras et tirer sa révérence de géant qu'il a été. Il complimentait chaque jours ma mère pour l'œuvre qui était aussi la sienne, ses enfants, grande famille admirée de tous, tout au long des petites routes du Lot où nous allions en chapelet serré,  vêtus de blanc et de satin par maman, marchant heureux pour nous rendre aux fêtes votives. Quand, à la sonnerie du manège, commençaient à tourner les chevaux de bois et les voiturettes, mon père, très vite, asseyait les plus petits sur les sièges tandis que mes grands frères s'envolaient seuls vers les chevaux de bois et la grosse Mercédès chromée dont on entendait le klaxon faisant la fête aux parents, ce qui faisaient parfois soulever les paupières et lever les yeux au ciel de Grégoire, l'aveugle de Castelfranc que l'on retrouvait dans toutes fêtes. A Cahors et dans toute la vallée du Lot, région de vignobles, nous allions, parcourant en sabot de bois et chaussettes russes, les sentiers  millénaires le long du fleuve, au bord duquel poussaient les pêchers et les abricotiers, les fraisiers et  les melons dans les champs à pertes de vue.

    Déjà à six ans, le jeudi, jour sans école, sur les coteaux des vignes nous mettions la « main à la patte » : vendanger, cueillir les abricots et les pêches, ramasser les fraises. Et le soir venu,  frères et sœurs, on se retrouvait dans la vaste salle à manger de la "Villa du Paradis", notre belle maison qui dominait le Lot et sa petite plage. Mon père se mettait à chanter des cantes jondos, chants profonds, émouvants, les plus émouvants jamais entendus de toute mon existence, pendant que ma mère tambourinait des mains et des coudes, et, d'un bond, se levait de sa chaise et se mettait à  exécuter des zapatéados almachareños de sa région natale,  invitant les enfants à venir à table où ma sœur aînée, Aurora, avait aligné des floraisons de gâteaux, ronds et carrés, fait de farine de blé, d'huile d'olive et de raisins  secs parfumés de Malaga. Ainsi s'ouvrait la ronde merveilleuse qui créait ce lien "inséparable"  qui nous unissait et nous portait aux anges de la création, amoureux, hérités de l'affection qui nous avait été donnée, sans aucun autre échange : cadeau immense d'un père et d'une mère. Notre respect envers eux était sans compter. Non seulement pour le Noël, en échange du mensonge historique où les pères et mères ne sont là que pour une nuit. Pour nous, c'était chaque jour et chaque nuit Noël ou plutôt l'affection renouvelée toute la vie. Mon père était mon Zappa. Sans trop avoir de livres il connaissait par la pratique, les bonnes manières éducatives qu'il fallait donner à ses fils et à ses filles. Il tenait, beaucoup aussi, de Buenaventura Durutti, dans l'effort et la méthode de nous former à nous défendre. Sa vie, bien que pas facile, fut heureuse du don qu'il nous offrit à tous,  même si  un peu fragilisée par un manque d'instruction qu'il ne put nous offrir totalement, dû aux difficultés qu'il traversa. Il nous sortit de l'ornière des bas chemins où les guerres nous avaient enfoncé pour nous hisser au faîte de la liberté qui  manquait si cruellement à tant de nos concitoyens.  

    (A suivre... demain !)

     

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    Villa du Paradis. Notre maison dans le Lot.

     

     

     

     

  • QUI ETES-VOUS BIENVENU MERINO ?

     

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    Bienvenu Merino. Premier voyage en Espagne. Juin 1968
    "J'aurais voulu travailler avec mon père et Bartabas dont les chevaux étaient une passion"


    Guy Darol : Nous nous sommes rencontrés dans les années 1970, rue du Montparnasse, à l'époque où j'animais la revue Dérive avec Christian Gattinoni et Philippe Lahaye. Le lien qui nous unissait était Daniel Delort qui avait lancé L'Atelier du Gué, première maison d'édition orientée vers la nouvelle et le texte bref. Quels sont les souvenirs de cette période ?

     

    Bienvenu Merino : C'est au printemps-été 1976 que nous sommes rencontrés, à Villelongue d'Aude, chez Martine et Daniel Delort.  Ils étaient au début de leur aventure éditoriale avec L'Atelier du Gué et  la revue Le Gué et ils venaient de publier l'une de mes nouvelles puis d'autres publications de mes textes suivirent. C'est peu de temps après que nous nous sommes retrouvés chez toi, à Paris, rue Henri-Pape. Ce soir là, tu fis un exposé sur la revue Dérive, qui en était au deuxième ou troisième numéro, je crois. Je me rappelle de tes explications de textes, comme si, en fin d'étude universitaire, tu soutenais une thèse d'Etat. Je n'exagère pas. Ce qui me surprenait le plus, c'était ton aisance à parler de philosophie, éclaircissant point par point chacun des sujets développés.  Moi qui avais l'habitude d'être sur le terrain, je t'écoutais, mais par prudence, j'avais "mon fusil invisible" chargé, appuyé le long de ma jambe,  prêt à dégainer, comme un chasseur attentif au gibier qui va sortir du bois.

    Quelques semaines plus tard, en effet, nous nous retrouvions chez moi, rue du Montparnasse.  Cette soirée fut plus calme intellectuellement. Un  repas et du bon vin calmèrent nos énergies et nos ardeurs ; en tout cas ce furent des échanges de  fêtards, comme nous apprécions de le faire, en bons vivants. Cependant, là où il y avait désaccords  politiques, je te tenais tête, de crainte de rentrer dans un de tes discours fleuves et de te stopper net en te disant : « Basta camarade, je ne suis pas d'accord ! » Ce qui n'arriva pas.

    Tout à coup, me vient à l'idée, ce souvenir à Villelongue, chez Daniel Delort, et de la table qu'avait dressée Martine, pour honorer ma présence lors de la parution d'un de mes textes sélectionné pour le Festival de la nouvelle de Nice. Jamais dans l'édition, je n'avais eu pareil honneur. La table devait mesurer 12 mètres de long  sur 2,5 de large, recouverte d'une nappe de soie blanche immaculée de mots littéraires joliment écrits à la plume en bout de table. Pendant l'apéro, chacun pouvait se cultiver en lisant sur les nappes des phrases poétiques tout en croquant de minuscules tomates bien mûres qui provenaient de leur potager ou bien de celui du voisin. Daniel, en bon  « Relation Presse », avait invité trois journalistes des quotidiens régionaux de Carcassonne, plus une dizaine de convives, amis et potentiels écrivains à publier. Des centaines de  revues toutes fraîchement imprimées garnissaient les tables, sous-tables, étagères et dessus d'armoires au rez-de-chaussée, dans les sous-sols, les couloirs et greniers, partout, la revue Le Gué (aujourd'hui revue Brèves), les manuscrits qui attendaient d'être  ouverts, et les livres, ceux dans les cartons prêts à voyager en train pour Paris, partout en France et même à l'étranger. Je me demandais comment deux individus à eux seuls pouvaient abattre autant de travail, et surtout, comment ils arrivaient à lire sérieusement tous les manuscrits qui leur parvenaient ; c'était un travail de titan.  Classement du courrier reçu, réponses, lectures, choix des textes à publier et à envoyer à l'imprimerie où Daniel, seul, mettait tout en branle, impression, pliage, coupage, notes, corrections et préfaces, c'étaient des dizaines et des dizaines de lettres et paquets provenant du monde entier qui s'entassaient et fleurissaient, maison, jardins, escaliers, terrasse, toutes ces 'graines de mots' qui allaient germer étaient d'une beauté printanière, ici dans cette région, inconnu ailleurs au monde !  Mais surtout, Daniel et Martine, à eux deux, faisaient cela avec une décontraction déconcertante, sans soulever le moindre soupir, entourés de leurs enfants qui arrivaient à la vie en même temps que naissait la maison d'édition et que venaient à la lumière des écrivains débutants, en herbe, et parfois déjà connus ou célèbres. Personnellement, un ange entourait mon front et enserrait ma tête, la réchauffant  d'un certain bonheur, comme si tout à coup le monde entier allait me lire. Etonnante sensation. L'éditeur vous écoute, mais vraiment, il écoute ! Il parle de contrat à signer, de droits d'auteurs, de futurs contacts avec les journalistes du Monde, de Libé, du Nouvel Observateur, et alors, souriant, l'œil pétillant, il vous remet le premier exemplaire, tout chaud comme un bif qui sent bon l'encre cuite et quand vous l'ouvrez, il craquette comme si vous aviez un billet de 2000 euros amidonné au bout des doigts et que vous le dépliiez plein de désir. Là, à ce moment, on se dit : « Ce n'est pas vrai, je rêve ou quoi, en écrivant mes petites historiettes, ils sont là devant moi comme si j'étais intéressant et le plus grand des auteurs». En fait, il y eut un peu de reconnaissance de part de la presse, Le Monde des Livres nous ayant consacré un article annonçant la sortie de ma nouvelle ainsi que celle de Buzzati, l'auteur du Désert des tartares. Autre sensation, je regardais dans la pile de mes livres bien rangés avec cette surprenante surprise de croire voir s'échapper des lignes fluides de mes textes qui  s'écoulaient toutes seules semblables à de petits lézards ou serpents de couleur vert-gris venant au monde. Alors, vous vous  tapez la tempe, et une peur vous serre la tête qui vous descend à la hauteur de l'estomac. Beau et horrible à la fois ce sentiment de 'bien-être' qui ne vous torture, heureusement, que quelques secondes. Dans la pile à côté, c'étaient les ouvrages de Betty Duhamel qui sortaient de presse, brûlants comme d'un gril. Rien ne bougeait de la pile qu'avait soigneusement entassée Martine. Si les lignes semblaient  s'échapper de mon livre, voltigeant déjà dans l'air, ceux de Betty Duhamel, plus classiques, restaient sages dans le tas. Cependant, j'ai ce souvenir du récit de Betty, d'une littérature étudiée, très bien écrite, soignée, cependant que mes mots espiègles s'échappaient des pages, comme des feuilles d'orties venant piquer les jambes et cuisses de mes lecteurs et lectrices. J'avais ce sentiment  mais sans doute je me trompe.  Dans cet émerveillement de paperasse et de vagues de livres, L'Atelier du Gué ressemblait déjà à une imposante Maison d'édition dans ce joli presbytère de curé transformé en maison du livre littéraire.  Le lieu était superbe, petite cathédrale de papier fragile construite au fur et à mesure et au hasard du courrier qui arrivait, dans l'enceinte de la bâtisse. Murs de pierres vieilles de quatre cents ans et protégés par un crucifix incrusté sous la charpente ancienne dont personne jusqu'à ce jour n'a dû mettre la main dessus. L'ayant décroché pour la nuit, j'avais oublié de le remettre en place. J'y pense seulement aujourd'hui et qu'on veuille bien me pardonner, que mes amis sachent, jamais je n'ai pu dormir dans une maison où veillait un tel ornement religieux.

    Ici dans l'ancien presbytère, maison de curé, les livres avaient leur place. Et cela fait presque quarante ans qu'ils veillent reconnaissants aux créateurs et que moi, en tant que l'un des  premiers lecteurs je me dois et j'ai honneur de féliciter.

     

    G.D : Diarrhée au Mexique publié à L'Atelier du Gué est un récit de voyage qui atteste ton goût pour les explorations intercontinentales. Je crois d'ailleurs que ce texte est extrait d'un volumineux Journal. À quel moment et dans quelles circonstances as-tu éprouvé le désir de focaliser et sur la diarrhée et sur le Mexique ?

     

    B.M : Guy, le titre de mon livre en couverture de cette troisième édition, a été abrégé. Le titre complet était  Extrait d'un voyage dans les excréments ou Diarrhée au Mexique. Je trouve qu'il y a plus de douceur dans cette longueur du titre, les mots absents de la couverture font voyager, nous emportent dans le rêve de ce qui va advenir lors de cette aventure, il classe la nouvelle dans l'exploration. Le titre complet adoucit ce voyage. J'ai entendu dire que 'des bombes' étaient à la place des mots. C'est du domaine de la fabulation ces dires ; mais scientifiquement, oui ce livre contient de petits explosifs. Mais c'est dans la maladie qu'ils s'y trouvent, dans le vécu. Il y a un de mes amis, J. Gaillard, pour ne point le citer, que j'ai revu au Salon du Livre,  qui avait dit à son éditeur, pourquoi il fallait publier ce livre à qui il promettait un bon avenir ; il m'en parla, comme s'il avait la conviction que mon livre pouvait devenir un best-seller et avoir un beau succès. Mon éditeur de l'époque fut assez timide pour lancer cette nouvelle, qui en fait est très médicale et refusa la publication. Le récit de mon livre est une anecdote vraie, alliant troubles de la santé, en l'occurrence diarrhée et constipation, et fête de la sublimation. Parler de diarrhée n'a rien de choquant. Le mot cancer, à moi, me fait plus trembler. M'émeut plus d'apprendre que tel ou telle  ami(e)s souffre de ce mal. La colique c'est moins lourd. Mais attention, ce symptôme est fréquent et il peut être grave. Les diarrhées par altérations de la muqueuse sont provoquées par des lésions qui peuvent aller de la destruction isolée de la bordure en brosse de la cellule intestinales avec inflammation, ulcération  (entérite nécrosante et colites), en passant par l'atrophie villositaire complète, maladie coeliaque.

    Il ne faut pas rire de ce mal,  même si, à la lecture de mon texte, l'écriture semble danser et faire  danser les personnages du récit. Au cours des diarrhées avec colites (recto-colites hémorragiques, Crohn, colites ischémique, parasitaire ou bactérienne), les selles sont nombreuses mais peu abondantes avec glaires et pus. Les causes et les facteurs du risque sont en général des diarrhées hydro-électrolytes, le plus souvent d'origine sécrétoire, parfois motrice. Le grand risque est la déshydratation d'autant plus grave qu'elle touche les enfants, les vieillards et les sujets malades.

    Lors de sa première publication, en 1976, j'avais envoyé mon livre au Docteur Escoffier-Lambiotte, responsable de la rubrique Médecine au quotidien Le Monde. Par retour du courrier, elle m'envoya une lettre de reconnaissance qui me remerciait de lui avoir fait parvenir mon livre, récit qui avait surpris certains de mes lecteurs. Quelques jours après, elle publia tout une page sur le sujet, dans la page Médecine. C'était assez navrant d'écouter certains commentaires sur mon livre. En fait, c'est plus la matière qui les gênait, oui, l'excrément, la merde, celle que chaque être humain, hommes, femmes et enfants, évacue quotidiennement, ou au contraire celle qui  ne peut s'évacuer pour cause de freinage et blocage, de constipation quoi ! Et pourtant,  la plupart des parents de bambins son habitués à soigner leurs enfants de ces maux et les torcher.  Ce n'est pas mes quelques propos politiques ou antireligieux qui les dérangent, non, c'est la merde naturelle, qui explose dans le corps et hors du corps. Oui, là, ce n'est plus naturel, il y a mal, douleurs intenses, maladie. Alors, mon récit, pour atténuer les douleurs, je l'ai voulu artistique. L'écrivain que je suis à ces moments là,  jongle avec les pires douleurs. Il magnifie le spectacle, il sublime le mal, il renforce les liens entre deux amoureux qui souffrent dans leur chair. C'est terrible de vouloir aller à la selle et ne pas pouvoir,  vouloir stopper une diarrhée et constater qu'il nous ait difficile d'arrêter le flux endiablé d'une colique. Le spectacle est hallucinant, nous ne sommes pas au théâtre, même si l'ont peut s'y croire : deux artistes fous d'amour l'un pour l'autre sont renversés par le terrible mal, blessés, jetés à terre  et tordus de douleur par les terribles occlusions. A ce moment, il n'y a pas dieu, personne pour soulager, rien qui puisse atténuer ces douleurs, ni la prière, non rien ne peut faire croire que cela va s'arrêter. Un homme et une femme en transe dans leur caca, s'accrochant l'un à l'autre avec espoir, dans le but que tout s'arrête et qu'ils reprennent enfin le cycle de la vie normale. Ils s'entraident, mains dans les mains besognant une  flopée de médicaments. Et c'est pour oublier le mal qu'ils s'inventent une autre façon de contrôler l'événement et d'enfin pouvoir guérir.  L'amour, heureusement, est là ! Deux êtres unis dans la douleur, en fêtant et  réussissant à s'apaiser de la terrible 'chose sans nom' qui s'accroche à l'intérieur du corps et qu'ils réussissent enfin à se délivrer.

    Pour revenir à ta question, sur mes voyages intercontinentaux, c'est très simple : après mai 68, j'ai pris un billet aller-retour, Paris-New York, valable un mois, avec l'intention de revenir après ce temps. Mais la providence, je dirais plutôt l'évidence, a joué en ma faveur et en a voulu autrement. J'étais bien à New York, alors j'ai décidé d'y rester  et de poursuivre le voyage dans d'autres Etats du pays, en travaillant lorsque ce serait nécessaire. A cette époque trouver du travail n'était pas un problème. Je possédais un métier, mais de toute façon, j'étais prêt à changer d'emploi, aller de l'avant, faire autre chose, découvrir et continuer ma route de la félicité. J'ai quitté les Etats-Unis pour le Mexique, après un court séjour en Alaska de deux semaines, pour une période de pêche. Mon visa étant terminé après huit mois, je devais sortir du pays, si je voulais revenir vivre plus longtemps aux Etats-Unis. La guerre des Américains au Viêt-Nam ne facilitait pas la situation aux U.S.A, tout était contrôlé de près, les étrangers ne pouvaient renouveler leur visas que difficilement et c'est là que j'ai décidé d'aller au Mexique. Comme je vivais en Californie, région frontalière, je partis avec une amie, danseuse au Ballet de Danse Moderne de New York, qui voulait venir avec moi. C'est elle qui deviendra l'héroïne du livre dont on a beaucoup parlé.

    L'écriture d'un livre sur un voyage qui dure plusieurs années est plus difficile à maitriser, même avec les notes que j'avais écrites. C'est à partir de cahiers,  mes journaux de route, que je tenais jour après jour, et notant toutes mes activités que j'ai commencé à rédiger à mon retour en France.  A Paris, j'ai fréquenté la bibliothèque de l'Ecole des Hautes Etudes d'Amérique Latine. Là, j'ai pu lire les auteurs spécialisés de l'Amérique Latine.  Et après bien des lectures, voulant  améliorer, ou croyant améliorer l'écriture de mon récit de voyage qui comprenait des centaines pages, j'écrivis trois versions : un journal, un récit et une troisième version un peu romancée. Ce travail a duré des années, quatre, et plus même, en parallèle à des études d'Economie Politique à Paris VIII et à un travail au Muséum d'Histoire Naturelle, dans le Laboratoire d'ethnobotanique où j'avais la possibilité de choisir mes horaires afin d'assister à mes cours à la fac. Je travaillais aussi une partie de la nuit comme photographe à bord des bateaux mouches sur la Seine. Trop pris par mes activités, peu à peu, j'ai laissé mon manuscrit de voyage, que je reprenais de temps à autre. Mais plus je laissais 'dormir la bête', plus le temps passait, moins j'avais le cœur à l'ouvrage et plus je sentais que ' la bête' s'éloignait de moi. Bien des années plus tard m'est venue l'idée de développer des situations intéressantes de mon voyage. Par exemple : mon escalade des volcans d'Amérique Centrale, ou les crises politiques au Pérou et en Bolivie ainsi que sur les dictatures au Brésil et  en Argentine. Et puis cette idée d'écrire sur la diarrhée a surgi à un moment où j'étais trop occupé par des travaux manuels en travaillant dans un théâtre ce qui m'obligeaient à des jongleries d'horaires pour faire face à la situation et l'idée me vint de cesser tous mes projets d'écriture en cours, ce qui me semblait pourtant impensable.

    Je partis à la campagne, en Seine-et-Marne, dans une maison isolée, revenant tous les quinze jours à Paris car je faisais alors partie du comité de rédaction d'une revue de poésie underground. A la campagne, j'avais du temps devant moi. Entre le matin, aller chercher mon lait à la ferme et le repas du soir, je commençais à réfléchir sur mon nouveau projet : rédiger ce petit 'bijou explosif', Diarrhée au Mexique. Sur les 800 pages que comprenait mon récit de voyage, où j'avais résumé en quelques chapitres tous les événements de mon long périple en Amérique (Nord, Centrale et Sud), je décidais d'extraire cet épisode rocambolesque, qui était d'une quarantaine de lignes, et d'en  faire un petit livre d'une centaine de pages, certain que cela m'aiderait à mieux cerner le sujet traité .Voilà  comment apparût le bébé emmailloté de langes mexicains.

    Certaines lectures de Georges Bataille, comme 'Le Petit' ou de Samuel Beckett 'Premier amour'  publié aux Editions de Minuit contribuèrent à faire court. Ces deux livres furent des modèles, non pour l'écriture, mais pour format du livre et ses longueurs. Je me mis au 'travail', qui n'en fut vraiment pas un, et pris un plaisir de tous les instants. Jamais mon écriture ne fut aussi vertigineuse, tête baissée dans les pages, mon stylo bille serré entre les doigts repris par ma petite machine à écrire Olivetti, je terminais en peu de temps cet étrange ouvrage qui allait en déranger plus d'un. Mais bien avant l'écriture  de Diarrhée au Mexique, la publication de certaines de mes nouvelles courtes furent publiées, dans lesquelles je m'étais exercé à la réduction de textes.  J'avais la conviction qu'en écrivant court, je pouvais mieux décrire un événement, développer même une vie. 

    (A suivre... demain !)

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  • VIEILLE MAISON A MENILMONTANT

     

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    C'est, c'était un îlot de paix à Ménilmontant, autrefois maison campagnarde, aujourd'hui dernier vestige du village, avec là-bas, derrière la vieille bâtisse, les ateliers et usines de Ménilmontant, avec ses cours pavées qui datent de la Commune. Si l'on fait abstraction de tout ce qui est autour, cheminées et toitures, je pense à une maison de gardien de cimetière ou  encore  à une maison ouvrière à l'abri de la sauvagerie des promoteurs et dans cette maison, une famille heureuse ne pensant à rien, j'espère, surtout pas à ce qui peut advenir du jour au lendemain. Bienvenu Merino

     

                                           

     

     

     

  • LA RUE DU PRESSOIR ET SES RUES AVOISINANTES

     

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     Rue des Couronnes Photo Henri Guérard

     

    A Agnès, la maman à Guy qui habita rue du Pressoir

     

    On sait bien que le principal caractère du temps est l'irréversibilité qui fait retentir l'accent funèbre de 'jamais plus' et qui donne aux choses qu'on ne verra jamais deux fois cette extrême acuité de volupté et de douleur, où l'absolu de l'être et l'absolu du néant semblent se rapprocher jusqu'à se confondre. L'irréversibilité témoigne donc d'une vie qui vaut une fois pour toutes.

    Je regarde autour de moi, comme égaré, comme si le temps en un tour de manivelle avait viré à la laideur et m'avait confisqué tous mes repères.

    Qui contemple cette magnifique photographie d'Henri Guérard, majestueuse de beauté, ne peut que regretter ce qu'était ce quartier, autrefois. Aujourd'hui, il va de soi qu'on se sent un peu perdu : de la nostalgie, mais aussi la lassitude des combats que je mène pour un Paris plus humain, me gagne, et semble de plus en plus s'éloigner de mes désirs. Certains élus et hommes politiques, eux, ont comme rêve, le grand Paris à la Défense. Mais par ici, le quartier change, aussi, ne s'arrête pas de changer, de s'enlaidir ; plus de vignes vierges, ni de tonnelles, plus de lopins de terre, plus de luzernes, les collines ressemblent à des toboggans pour voitures  et se grimpent par ascenseurs. Les chemins qui nous  arpentions autrefois pour monter aux Buttes-Chaumont ont totalement disparu. La butte n'est accessible que par des escaliers cimentés ou par voitures et autobus ; la rue Vilin  que j'emprunte, découragé devant le spectacle de pierres tombales des façades des nouveaux immeubles me désoriente en ces jours de Toussaint. La rue est déserte, elle est toujours déserte, nulle vie, pas de vibrations, aucun commerçant, pas de bistrots, ni voitures, pas d'enfants  jouant dans la rue, pas un chat ni un chien, les oiseaux doivent sans aucun doute éviter l'itinéraire par où je passe. Où sont  les pigeons de Paris ?  Déboussolés, eux aussi, sans doute.  Je rêve, malgré tout, devant toute cette mort. En changeant de trottoir pour traverser la rue, là, à l'emplacement de cet immeuble blanc, où habitait mon ami Georges Pérec, je me souviens de ses livres qu'il échafaudait comme un bon maçon monte une maison : terrassement, déblaiement, construction. Il m'a dit, un jour : « Je suis comme Nathalie Sarraute qui a besoin de s'installer aux  Deux Magots pour se mettre au travail, moi,  j'ai besoin de la rue, une terrasse en plein soleil, à raz des voitures ; sinon, ma piaule là-haut, c'est mon laboratoire chirurgical ». Ici, aujourd'hui, tout ce que connaissait Georges, a disparu ; ils ont tout tué. Massacré, enterré.

    Mon imagination n'est plus contrôlable devant la déception qui me secoue. Faire du tourisme n'a jamais été mon truc. Ni au bout du monde où je suis déjà allé plusieurs fois, ni non plus dans mon quartier entre Bastille et Nation. Encore moins ici, patrie de nos aïeux qui ont vu défiler des générations et des générations de manifestants : « C'est la lutte finale... ». Ce n'est pas par discrétion que je m'habille de sombre, ni de peur d'être reconnu  dans la rue. Je n'ai rien à craindre des policiers, mais pour marcher je revêt l'habit du commun des mortels : pantalon gris, col roulé noir, godillots de fossoyeurs ou espadrilles de charpentiers, comme si j'allais escalader le ciel qui toujours ouvre ses bras aux terriens. Ce n'est pas pour cela que je vais triste ; non, pas du tout. Dans ma tête, le rêve a toujours sa place ; là, au moins, il est à l'abri. Je souris aux deux jeunes filles qui me croisent et ne se lassent pas de me sourire ; alors je continue mon parcours, content, je ris en les saluant d'un geste chaleureux de la main. Elles me répondent par un geste semblable et un sourire valant son pesant d'or. Alors, tout à coup, en grimpant la côte qui va là-haut sur la butte, je crois gravir le sommet d'un sein, de deux seins même, ou le creux de jolies courbes tendres qui s'aiguisent en poire, que je monte lentement, lentement, très heureux, sachant que je  vais vers de nouveaux désirs, vers les tétons sensuels pour y laisser  en leur sommet la salive de la reconnaissance.

    Je marche sur la pointe des pieds, comme sur des œufs, je ne sais pas pourquoi je suis si respectueux de mes concitoyens, peut-être, pour ne pas réveiller mes mauvaises habitudes vieillissantes, ou alors, leurs soupçons. Marcher, marcher, respirer, sentir  la pleine campagne  sur les bords d'un chemin de terre, où les paysans, après la moisson, ont fait de petits tas de foin liés, et les ont aligné, semblables à des œuvres d'artistes. Je plane. Je suis certain que je suis au siècle passé sur un chemin menant vers des trésors.  Les jeunes filles qui me croisent se protègent sous leur ombrelle pour s'abriter du soleil téméraire et vont vite retrouver leur amoureux  assis sous un olivier dans l'attente de leurs BELLES,  après la dure journée de travail dans les vignes. Puis, elles reviendront, blotties l'une contre l'autre, marchant jusqu'au vieux pressoir autour duquel sont regroupés les habitants du village buvant le dernier cru, vin de terroir. C'est le vrai Ménil-Montant. Je me crois dans un siècle éloigné, au XIIe. Au loin, Notre-Dame de Paris, le seul haut édifice, vient de s'achever sans doute. Des hommes ont travaillé presque deux cents ans, la ville n'est pas si grande, elle est au loin, comme un petit village entre deux bras de rivière que dominent les collines, par où la laitière, solitaire, passe avec ses bidons, pour livrer le lait en croisant certes les amoureux, bras dessus, bras dessous qui songent  au possible de la soirée qui les attend, appuyés contre un cœur aimant et aimé. Bienvenu Merino

     

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    Photo Michel Sfez Vue depuis la rue Levert

     

     

  • L'EPISODE D'UNE MARCHE AUTOUR DE PARIS

     

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     La voyageuse de la petite ceinture (Gérard Lavalette)

     

     

    Bien après les exploits, de Jules Ladoumègue, Alain Mimoun et l’explorateur Emile-Louis Victor, j’ai fait, avec Judith, rencontrée le matin même, au milieu des voies du chemin de fer, le tour de Paris par l’ancienne Petite Ceinture. Une autre surprise inopinée se présenta à nous, un lion, piéton de la Savane.

    Ce n’est pas rien ces voyages, même s’ils ne nous éloignent pas de notre ville. Mais ça compte dans la vie. Depuis longtemps, c’était un de mes souhaits, faire le tour de Paris par la Petite Ceinture. Déjà, dans les années 1970, mon expérience dans le désert du Sahara m’avait conforté de continuer le voyage : Canada, Alaska, Etats-Unis, en empruntant certains itinéraires de Jack Kerouac, William Burroughs, Frank Zappa et Jack London qui devaient m’emporter dans l’Amérique de mes rêves d’adolescent. Au Mexique, avec SES HOMMES ET   SES FEMMES « je pris contact avec la terre rouge, et elle pue comme elle embaume ; elle sent bon comme elle puait », criait Antonin Artaud. « C’est  un dimanche matin que le vieux chef indien m’ouvrit la conscience d’un coup de glaive entre la rate et le cœur : " Ayez confiance , me dit-il, n’ayez crainte, je ne vous ferai aucun mal ", et il se recula très vite de trois ou quatre pas, et, après avoir fait décrire à son glaive un cercle dans l’air par le pommeau et en arrière, il se précipita sur moi, en avant, et de toute  sa force, comme s’il voulait m’exterminer. Mais c’est à peine si la pointe du glaive me toucha la peau et fit jaillir une toute petite goutte de sang. Je n’en éprouvai aucune douleur mais j’eus en effet l’impression de me réveiller à quelque chose à quoi jusqu’ici j’étais mal né et orienté du mauvais côté, et je me sentis rempli d’une lumière que je n’avais jamais possédée. »

    Ces moments privilégiés si fascinants ne vous permettent plus de mettre terme à la route. L’Amérique Centrale, les volcans du Salvador, du Nicaragua, du Costa Rica, Panama, les îles San Blas, et plus au sud, la majestueuse Cordillère des Andes, en aiguilles, et sa population Quechua toujours accueillante, jamais austère, là-haut, villages-nids, rares, se confondant avec les nuages, à plus de 4000 mètres, où seuls, quelques hommes, femmes, enfants, aigles et condors demeurent et tentent de vivre. Puis, revenir heureux de ces rencontres, descendre de la montagne, un peu soulagé d’avoir vu la réalité,  comment vivent de vrais groupes de familles humaines. Mais peiné de repartir et de les laisser seul à leur sort. De retour dans la plaine et les Cayons, naviguer, sur les traces de  Magellan, avec les derniers Alakalufes, entre  pics et lacs, sur les Canaux de Patagonie, au Chili, en Argentine et Terre de Feu. Aller la conscience plus tranquille, soulagée de ne pas avoir, en quelques sortes, oublié ces êtres abandonnés, en perdition  peut-être !

    Et Paris enfin ! Dans ma ville, y découvrir le laid et le beau confondus. Les expériences faites dans certains pays lointains, royaume des Mayas et des Incas, m’ont appris qu’il fallait pénétrer, non seulement le cœur de la Cité mais aussi ses alentours, observer la ville de l’extérieur, ses murs de soutien, juste là, aux flancs de son ventre, sous ses jambes, pénétrer son nombril,  parcourir ses parois creuses, sombres et caverneuses, égouts tortueux du moyen- âge, caresser, du moins des yeux, sa richesse, depuis sa vaste coupole ventrale de pierres jusqu’à la moelle de son ossature, s’aventurer sous le squelettique  bassin, campé sur ses solides jambes, mais fragilisé, qui soutient encore le cœur de la Cité, s’approcher des sous-sols de glaise, à petites brasses, des vestiges, de ce qu’était l’église Saint-Etienne, décapitée, et laissée pour morte sous Notre-Dame, surveiller les dessous de la  Cathédrale de Paris et ses fondations millénaires souffrantes d’avoir tant portée de lourds fardeaux en changements successifs depuis que notre ville est ville. L’œil capte et nous transmet tous les mouvements de la beauté et de la laideur, et à défaut du bien, le mal nous interpelle et crie : GARE  HOMME ! Observer et reconnaître les efforts subits par la ville et voir ressurgir de ses entrailles les restes de Lutèce, sa momie, notre berceau assombri, comme un nouveau-né mort-né, par le travail de construction, de destruction et reconstruction des  hommes avec leurs inquiétudes, sachant eux-mêmes qu’ils sont démunis, devant l’immensité de la tâche, mais  essayant de  sauver les vestiges qui portent la Cité, en préservant pour sa survie tout ce qui la maintient debout. Mais les hommes ne sont pas dupes, ils savent que là il n’y  a pas beaucoup de place pour la Nature, faune et flore.

     

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    Heureux encore, que la Petite Ceinture, tout autour de Paris, en raison de sa richesse biologique et ses aspects paysagers, historique et géographique, constitue un espace unique. Initialement consacrée au transport de passagers et au fret de marchandise, elle est aujourd’hui un lieu calme, rendu à la nature. Véritable corridor écologique, elle offre des voies d’accès depuis l’extérieur de Paris à de nombreuses espèces qui y trouvent refuge. La Petite Ceinture est une ancienne ligne de chemin de fer à double voie, longue d’environ 32 kilomètres, qui encerclait Paris à l’intérieur des boulevards des maréchaux. Construite de 1852 à 1869, elle garantit le transport de marchandises et de voyageurs au fil de ses 29 stations jusqu’en 1934. A cette date, le trafic voyageur fut remplacé par une ligne de bus du même nom (P.C.) sur les boulevards des Maréchaux. Seul le tronçon allant de Pont Cardinet à porte d’Auteuil fonctionna jusqu’en 1985, avant d’être, en partie raccordé à la ligne C. du R.E.R. Aujourd’hui les voies ferrées de la Petite Ceinture sont désaffectées dans leur majeure partie. Seule, dans le nord de Paris, une partie du réseau est encore raccordée aux gares de l’Est et du Nord et sert occasionnellement au trafic de matériel ferroviaire et de fret. Dans le 12e arrondissement, situé dans le prolongement du square Charles Péguy, 21 rue Rottembourg, ce secteur de l’ancienne ceinture ferroviaire a été emménagé de manière à accueillir un jardin partagé et un sentier nature, long de plusieurs centaines de mètres, permettant d’aborder la diversité biologique de la ville à travers 3 stations consacrées à la prairie, le taillis (ou boisement en formation) et le boisement. Grâce à sa signalétique, le parcours propose de découvrir les plantes et les animaux caractéristiques de ces types de milieux. Un jardin partagé de la Petite Ceinture dans le 12e arrondissement est constitué de deux parcelles mises à la disposition, graine de partage qui compte y développer de nombreuses activités et notamment des actions pédagogiques avec les écoles. Pour accueillir les parcelles de jardin partagé et le sentier nature, d’importants travaux ont été mis en œuvre et la nature sauvage des lieux fortement bouleversée. Des actions de régénérations  sont en cours pour rendre aux différents milieux leur visage d’origine. Des graines ramassées sur la Petite Ceinture ont été ressemées et des jeunes plants d’arbres forestiers ont été plantés pour accélérer le retour du boisement. Relayant les espèces  réintroduites, les espèces sauvages vont progressivement  se réinstaller d’elles-mêmes et permettre aux parcelles de retrouver leur aspect sauvage. Dans le 16e arrondissement, ce site exceptionnel, situé entre la porte d’Auteuil et la porte de la Muette, offre un lieu de découverte d’une richesse rare dans un cadre naturel inattendu en ville. Pour guider les intéressés à la découverte de sa diversité biologique, un parcours long de plus de 1500 mètres, ponctué de 6 étapes nature, présente les lieux à travers ses stations écologiques les plus représentatives.

    Mais que deviendront d’ici quelques années ces trente-deux kilomètres verts extraordinaires de ce corridor, véritable temple de la nature. Beaucoup d’entre-nous s’interrogent ; et lorsque vous marchez et gambadez dans ce sillon, ENCORE PLEIN D’ESPOIR, au milieu de beaux papillons dansants, d’abeilles travailleuses, de  lapins reproductifs, de cochons roses éclatants en liberté, de poules protégeant ses poussins au plumage d’or, de coqs aimants, à la crête frisée avachie, silencieux d’avoir absorbé les gaz carboniques des voitures et camions,  brûlant leur poumon et leur gorge ne faisant entendre que quelques toux timides, des  respirations qui montent tout doucement dans le larynx, comme si ces coqs dans l’effort voulaient retrouver leur chant et chanter l’Internationale. Hurler à la mort. Se venger. Venceremos. Certains coqs éduqués ont acquis le langage du CHE, lorsque celui-ci, blessé mortellement en Bolivie,  parlait à ses hommes pour aller à l’assaut dans son dernier combat ou,  lorsque bien des années  avant, alors qu’il était ministre de la république Cubaine, et qu’il se rendit au siège de  L’ O.N.U., à New-York,  Ernesto Che Guevara  fit un discours où tous les représentants du monde se levèrent pour le saluer. Même sa Sainteté n’a été aussi bien respectée ! Ces coqs  connaissent les vocalises  montantes de Fidel Castro à Santa Clara, lors de la victoire sur Batista. «  Le peuple unis jamais ne sera vaincu ». Je sais maintenant que ces coqs, élevés et formés ici, refuseront les finales sportives de toutes les compétitions, qu’ils ne seront plus présent lors des exhibitions au Stade de France devant un ballon rond ou ovale, qu’ils cracheront à la gueule du gardien de la raison, qu’ils siffleront Sarko et Fillon. Oh ! Je sais que, s’ils échappent à la mort, on les conduira à la Conciergerie, là même, où Louis XVI attendit son jour. Où Marie Antoinette quelques  mois plus tard fit sa dernière toilette.

    « LE POULAILLER DE SARKOZY », pourrait-on lire à LA UNE du quotidien Libération, avec, en coin de première page, la photo du visage rouge de Daniel Cohn-Bendit, riant à gorge déployée, le bras autour du cou du Président, tout en se curant le nez et en le tutoyant, le poussant à coups d’épaules vers le bas du perron, comme pour lui signifier : «  Nico t’es foutu, à la prochaine Présidentielle t’es viré, je te fais déguerpir, retourne en Hongrie, Bayrou t’aidera à faire les valoches, dégage ». Et si nous savons qu’il a un dauphin dans son clan, au nom de Jean Sarkozy, son fils cadet, ne vous faites pas d’illusion. Si l’idée est de forger une dynastie pour la république, la république résistera. Il n’y aura pas une dynastie Sarkozy comme il y a eu une dynastie Bush. Karl Marx disait : « L’histoire se répète parfois. La première fois, c’est une tragédie, la seconde fois c’est une farce. »

    Puisque je parle des choses courantes de la vie, et non de politique ni de justice, je sais  que les serviteurs de l’Etat actuel sont  trop respectueux pour envoyer des animaux dans de beaux édifices de la Ville, là d’où partirent pour l’échafaud un roi et une reine. Madame la ministre de la justice devra  trancher. Je crains que Madame, après une rapide décision fasse conduire les coqs, en bordure de Seine, quai de la  Mégisserie, non pour une promenade, mais  pour une mise en cage, avant d’être  vendu aux Emirats Arabes,  et nous savons déjà que le cours de la Bourse grimpera avec une rapidité affolante. Pareil à New-York, à Wall Street, The Financial District sera en alerte, tous au clavier et au téléphone, ça va bouger, ça bouge, le chant du coq prend de la valeur, le cri du coq alerte, fait tanguer les milieux. Mister Fric. Oh ! Comme aujourd’hui je suis heureux d’être là ! Je me dis que nous avons encore beaucoup de chance de pouvoir humer, sentir, respirer, flairer, jouer, danser, s’aimer ! Et si quelques-uns taguent,  c’est parce qu’ il reste encore des murs horriblement laids  à embellir, il reste peu de temps pour profiter d’une liberté acquise, il y a peu d’années pour s’exprimer avant que les gardes mobiles s’installent là, dans des casernes circonférencielles, alors que tout au long de ce parcours, encerclant les arrondissements de la  capitale, notre cou se tord vers la ville, nos yeux se tournent vers l’intérieur de la Cité et vers l’extérieur,  et se  clot douloureusement  à la vue de certaines horreurs montées en chapiteau de cirque de ciment et verre fragile. En bordure de cette ceinture périphérique, où de tout son long des barres de béton s’alignent honteusement, dominos éparses que des joueurs de l’Etat ont laissé construire sans scrupules, dont rien ne peut cacher que des hommes se sont trompés sur la vraie réalité de la nature. Vaisseaux armés de béton immuables, clapiers fabriqués par des hommes pour les hommes, voies sans voies d’issues ou alors, menant au chaos voulant faire taire les voix  de quelques écologistes récalcitrants, qui contestent le matérialisme et le consumérisme des sociétés  industrielles  et tout ce qui est y est  lié. Des hommes et des femmes qui aspiraient à une sorte de fraternité universelle pour laquelle ils espéraient de belles idées techniques dans des sociétés industrielles traditionnelles, ce complexe idéologique.  Certains jeunes se sont installés là, sous des tentes et abris de fortune, bâches transparentes ressemblant à des chewing-gums  soutenus par quatre bâtons,  par refus de l’autorité, d’abord parentale, et tout ce qui en découle : toute domination de l’un et de l’autre, cherchant à vivre libre, cherchant simplement à vivre. Mais que les difficultés quotidiennes font fuir de ces minces ilots de verdure où déjà on les pousse à quitter ce Paradis qu’ils s’étaient construits eux-mêmes, avant que les politiques fassent leur choix. Les sociétés occidentales ne se voient plus clairement dans le miroir du futur ; elles semblent hantées par le chômage, gagnées par l’incertitude, intimidées par le choc des nouvelles technologies, troublées par la mondialisation de l’économie, préoccupées par la dégradation de l’environnement et fortement démoralisées par une corruption galopante. De surcroît, la prolifération des « guerres  ethniques » répand sur ses sociétés les relents d’un remords et comme un sentiment de nausée.

    Pour finir cette  promenade qui a les effets d’un beau voyage de connaissance, rien de tel autour de Paris que d’aller par des chemins creux, entre des voies de chemin de fer presque naturelles dans un paysage  qui semble si  loin de notre vie habituelle, si loin de la ville aux  traverses d’odeurs  de miel d’abeilles qui nous transportent si joliment vers l’enfance et les récréations.

     

    Remerciements : Merci à Gérard Lavalette qui accourut à mon appel pour immortaliser cette fin de journée et réussit à faire quelques portraits. Un immense merci à Judith, qui sut si bien s’y prendre pour dompter le fauve et nous sortir des tracas.  Bienvenu Merino

     

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    Le Lion (Gérard Lavalette)

     

    Et merci à Patrick Naudier pour le montage du diaporama.

     

     

  • RUE DU PRESSOIR/ALTITUDE : 116 METRES AU-DESSUS DE LA MER

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    Armoiries de Paris

     

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    Chanteur de rue Pyrénéen avec son orgue de barbarie en route pour Ménilmontant au début du 20e siècle


    Les altitudes par rapport au niveau de la mer varient de 26 mètres au bord de la Seine, à Grenelle, à 129 mètres à la station de métro « Télégraphe ».

     

    Liste des  principaux sommets parisiens :

     

    Télégraphe : 129 mètres

    Montmartre : 128 mètres

    Ménilmontant : 118 mètres

    Belleville : 115 mètres

    Rue du Pressoir : 116 mètres

    Buttes-Chaumont : 101 mètres

    Montsouris : 78 mètres

    Charonne : 65 mètres

    Montagne Sainte-Geneviève : 60 mètres

    Butte-aux-Cailles : 60 mètres

    Maison-Blanche : 53 mètres

     

    Bienvenu Merino

     

  • GUY DAROL REPOND A BIENVENU MERINO

    Au moment où paraît son dernier livre 

    FRANK ZAPPA/ONE SIZE FITS ALL/COSMOGONIE DU SOFA

    aux Éditions Le Mot et le Reste

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    Guy Darol, enfance à Paris et en Bretagne.

    Dès ses six ans, passionné de lecture, comment en arrive-t-il à l’écriture ?

    Ses livres, dont son récit Héros de papier (Le Castor Astral éditeur), ses premières années vécues rue du Pressoir dans le 20e arrondissement de Paris puis, rue des Minimes, à deux pas de la place des Vosges, enfin en banlieue, à Vincennes, sur les traces d'André Hardellet (d’où résultera son magnifique essai André Hardellet, Une halte dans la durée, Le Castor Astral éditeur).

    Le retour en Bretagne, près de Morlaix.

    Questions/Réponses.

    BM : Bonjour Guy, comment va l’Indien d’Armorique ? Je suis content de savoir que tu te sentes « Indien ». Te reste-t-il, toi qui est très parigo, un peu d’accent de cette langue bretonne qui doit t’être très chère et qui est celle de ta mère qui monta à Paris avant de retourner au pays. Elle conserve toujours cette couleur chantonnée du terroir, je crois. Parles-tu breton?

    GD : L'indien d'Armorique affûte ses flèches. Il voit le ciel bleu, la mer calme. Du soleil d'octobre chaud caresse son front tanné. Mais son cœur entend le verdict des cœurs. Il sait qu'il est urgent d'amplifier le combat. Ami, je ne parle pas le breton, du moins celui que l'université enseigne, surnommé KLT, une combinaison des mille langues qui bruissaient autrefois. Mes parents, natifs du Cambout (Côtes-du-Nord) et de Ménéac (Morbihan) parlaient quelque chose que d'un commun accord, sans barguigner ni se mordre les lèvres, on appelait le patois. Ils patoisaient comme je déballe le jars. Joseph et Agnès patoisaient un parler mélangeant roman, breton et mots orfèvrés par l'instinct poète qui est aussi celui de la survie. Ils découvrirent, avec un étonnement que je partageai avec eux, qu'ils parlaient le gallo. Sans le savoir, ils maniaient un patois qu'à présent l'Université ratifie. Ce gallo (qui de fait est une langue de coursier ; mon grand-père Jean-Baptiste posséda plusieurs juments ; l'une se nommait Voltige) me manque. Et ce que j'en lis, ce que j'en entends est bien éloigné des métaphores filées par Génie, Mathurin, Augustine, Béderi, Victor, Léontine ou Constance. Ceux et celles de mon village, un village aujourd'hui asséché et qui, il y a 35 ans, ruisselait de mille accents, joies, coquecigrues plus ou moins aigues. Car chaque jour était une fête autour de l'abreuvoir, de la bolée, du feu de cheminée. Joseph, mon père et maître regretté, a replié ses gaules, il y a trois ans, emportant avec lui une bonne humeur (inégalée), des chemins secrets dans la broussaille, des images et des formules que j'entretiens (pieusement) comme le bon feu qui un jour s'éteindra. Si le soir fait chanter les rainettes (mais les nitrates, les phosphates, l'agriculture et ses poudres à canon les ont presque toutes dégommées) alors je me souviens de Baptiste, sur le seuil de sa carrée, revissant sa viscope et portant sur l'horizon ce jugement dernier : « Les ernettes chantent é saille i va faire bao demain. » Signe qu'après la nuit, le beau temps régnerait. Quant à ma mère, pauvre petite mère qui vécut son enfance à l'abri des talus, dans le nid des fossés, dehors était sa chambre, à la cloche des champs, ma petite mère n'a plus d'accent. Car étouffé par les mouchoirs du dégoût qu'elle appuya elle-même sur ses lèvres, sur son coeur, partout où transpiraient ses origines de va-nu-pieds. Ce qu'elle fut. Ce qu'elle n'est plus. Mais il lui reste la sauvagerie dont mes flèches sont amidonnées. Ma petite mère entame sa huitième décennie à Josselin.

    BM : Qu’évoquent pour toi Hôtel-Dieu ?

    GD : L'Hôtel-Dieu est mon lieu insulaire de naissance, un berceau au milieu de l'eau, mes commencements de marin terrestre. Là je suis né et chaque fois que le piéton (mon père m'exerça à cette fonction en lui ajoutant le côté flâneur) m'en rapproche, mon coeur s'humidifie, mes yeux s'humectent. Je sens une odeur de muguet et le parfum de révolution. Cela eut lieu un premier mai. D'où le nez et l'esprit de rebiffe. Subversif un jour, subversif toujours.

    BM : La Bretagne, Paris, rue du Pressoir, retour au pays breton. Court itinéraire, mais vie bien remplie, n’est-ce pas, Guy ? Quels sont les souvenirs que tu conserves de cette rue du 20e arrondissement, presque légendaire aujourd’hui, où tu vécus cinq ans.  Ne plane-t-il pas, là, au-dessus de cet îlot, le képi du général De Gaulle et la maltraitance d’un gouvernement (De Gaulle, Pompidou, Malraux) à l’égard d’une classe travailleuse et laborieuse, bien que les habitants, installés aujourd’hui dans une rue du Pressoir nouvelle, ne semblent pas du tout s'en plaindre. Veux-tu nous en parler ?

    GD : Ami, ces années-là sont celles du bonheur. Rue du Pressoir, dans un étroit deux pièces privé de ce que nous nommons aujourd'hui le confort, je vécus sans savoir, sans même deviner, que le meilleur avait une fin. Là tout se déroulait à l'infini, sans obstacles, sans heurts. Ça roulait. Et j'étais loin d'imaginer que mes pieds reposaient sur un sol menacé par les machines à pelles et à boules de fonte. Un jour, ma main serrée dans  celle de mon père, je compris. Nos yeux assistaient à l'éboulement de nos fiestas : cendres, fumée retombant sur un tas de gravats. Je venais de constater ce qu'était la fin des rêves et il s'en suivit, logiquement, un malaise tantôt fait d'anxiété, tantôt fait de révolte. Rue du Pressoir est un film qui se déroule chaque jour dans ma tête. Le film d'un immeuble gris, écaillé, au tournant d'une rue au pavé luisant.

    BM : Tu dis : « Je viens du peuple combattu, humilié, mais ne conçois aucune solution dans le sang .» Guy, parfois nous n’avons pas le choix, disons-le clairement, il faut faire ce choix, prendre les armes, malheureusement, si l’ennemi est là, à notre porte, si l’agresseur occupe notre territoire. Non, qu’en penses-tu ? Pendant la dernière grande guerre, hommes et femmes ont pris les armes et s’en sont servis. Il fallait mettre hors de France nos agresseurs ! Tu peux nous parler de tes réflexions à ce propos ?

    GD : J'admets qu'il faille aller au feu sous la menace – et sans doute devons-nous la vie à ceux qui ont donné la leur – mais je ne peux acquiescer au credo qui voudrait que l'émancipation résulterait d'un combat armé. Je ne crois pas en ces meilleurs jours que promettent les révolutions. Cette tentation au contraire m'inspire le dégoût. Elle est la faiblesse des idéalistes. J'appartiens quant à moi à l'espèce des rêveurs. J'ai foi, même si le temps semble long, dans le dialogue des contraires. Je crois en la dialectique qui annule les conflits. Pacifiste obstinément, tout en moi rejette l'idée d'une salvation par le sang. Toute guerre est un drame. Toute destruction est atteinte à mon amour de la vie.

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    BM : Guy, dans l'un de  tes livres bouleversants, Héros de papier, tu dis : « Je fus élevé dans une tanière de luxe, empêché de voir au dehors, obligé de contempler dedans. » La liberté te manquait-elle ? Des privations t’étaient-elles imposées et étaient-elles vécues comme un enfermement qui te mettaient en position de séquestré ou d’animal traqué, interdit.  Tu écris : « Mon esprit passait les murailles ». Te sentais-tu prisonnier ? Et prisonnier de qui ? de quoi ?

    GD. : Unique enfant né de parents venus à Paris pour échapper à la vie dure, je fus entouré de tant de soins que la liberté me manqua. Placé en pension chez les soeurs des écoles chrétiennes à l'âge de quatre ans, je connus la haute solitude des murs que l'on ne peut franchir. Lorsque Joseph et Agnès, mes parents, purent enfin me garder près d'eux, d'abord rue du Pressoir, ensuite rue des Minimes, je n'avais ni le droit de sortir ni celui d'accueillir mes camarades de jeu. Sauf à sentir ma main tenue par des adultes craintifs. On redoutait que la rue me soit un danger. Je fus ainsi enfermé dans de petits appartements qu'aéraient la lecture, la musique et la conversation de mes parents ou des membres de la famille. Il me fallut souvent ruser et même fuguer pour aller vers le dehors et découvrir que le danger ne s'y trouvait pas. La plupart de mes livres racontent cet influx de vie et les circonstances qui me permirent d'échapper à l'emprise de parents qui n'étaient pas calculateurs de tyrannie. Je ressens souvent cette mise à l'écart forcée comme un manque, une carence, puisque mes dix-neuf premières années, à quelques exceptions près, se résument à l'environnement familier. Je constate chez moi une variété d'émotions qui ne doit rien à la diversité des événements. L'école était pour moi le lieu où l'on respire. J'eus des maîtres talentueux et des compagnons de classe vertueux. Ils m'ouvraient la porte du monde.

    BM : Si tu avais pu quitter ce terroir breton et partir loin, dans des  contrées où tu aurais ignoré la langue, la géographie, le paysage, peut-être alors l’aventure t’aurait donné la clé, pour échapper aux griffes qui te retenaient, non ?  Probablement que la compagnie des livres t’a aidé à créer ton propre univers mais peut-être te sentirais-tu plus libre. Tu écris : « On m’a donné le livre pour m’occuper l’esprit. Combattre l’ennui, tuer le temps (...) échapper à la solitude désœuvrée que je peuple d’apparitions ».

    GD. : Des échappées s'ouvraient à moi lorsqu'aux vacances nous revenions en Bretagne. Car alors l'étreinte se relâchait et je pouvais m'imprégner d'images, de sensations. Ma solitude s'en peuplait à délices. Adolescent, mais au prétexte de meilleures performances scolaires, je fus autorisé à franchir les frontières. J'étais envoyé en Angleterre puis en Allemagne. Là, je connus d'autres émois et cette liberté dense qui forge une personnalité. Le goût de la lecture, plus tard l'amour de la littérature, ont toujours volé à mon secours lorsque le manque se faisait trop cruel. Un tel équipement vous permet, sinon de franchir les obstacles, du moins de tenir tête à la détresse. J'eus cette chance : que de bons livres viennent à ma rencontre, qu'ils épaulent ma solitude, qu'ils prennent en main l'enfant désemparé. Mes grands amis se trouvent sur les rayons des bibliothèques. Ils se nomment Charles Dickens, Jean-Jacques Rousseau, Léon-Paul Fargue, Jorge-Luis Borges. Une foule qu'il serait fastidieux d'énumérer. Un écrivain se tient toujours à mes côtés selon le lieu où vont mes pas. Il est certain que je serais autre, ou différemment complété, si j'avais envisagé de partir. Mais je n'y ai jamais songé. Le livre est plus vaste que le monde. Le livre est ma demeure, une demeure au milieu des arbres. 

    BM : Guy, quel genre d’enfant, étais-tu ? Si je comprends bien, tu n’étais pas hors-la-loi, ni intrépide, tête brûlée, casse cou, mais, tu l'écris : « Voleur à l’escapade, peut-être, et très habile ». « Jamais une effraction, pas une branche brisée. J’allais à pas de loup, par sentes et buissons ». A te lire, tu étais un gosse bon, gentil, cependant, prudemment, ne faisais-tu pas les coups en douce ? Devenu adulte, et aidé de l’écriture, prends-tu une revanche avec les mots ? Devant la page blanche, tu t’exécutes, tu exécutes librement, avec des mots, carnavalesques ou francs, très francs, comme si tu foutais une patate en pleine gueule à un mec qui t’emmerde. En fait, t’étais un môme bien, et c’est par la lecture et l’écriture que tu t’en sors ! Tu peux donner des coups sans faire trop mal. Tout compte fait, le petit Guy Darol était un enfant sage. Tu étais moins enclin à la bricole explosive, comme l’était l'un de tes potes, toi, tu « mijotais lentement, imbibé de phrases onctueuses, doucement mariné de vocables...» Tu es passé par des envies de nuire, de révolutions, mais jamais d’armes à la main, sauf en plastique. Tu dis bien cela ? Un poète calme mais cependant en ébullition ?

    GD : Joyeux, cher Bienvenu. L'enfant était joyeux, une joie sans rides. En dépit du mauvais temps que le capitalisme en crise (ce qui est le propre du capitalisme) offre à notre décor. Calme par la force des choses, agité au fond, voire agitateur. Ce qui me valut, en 1968, pour avoir professé l'oisiveté, une certaine turbulence (jamais la mise à sac de mon quartier), de connaître l'âpreté d'un conseil de discipline qui décida de mon renvoi du lycée Charlemagne. J'évoquai tout à l'heure mes fugues. Elles étaient nocturnes. Et mon père découvrit alors que son fils savait passer à travers les murs. Une technique souvent employée pour aller humer l'air des rues parisiennes. Je fus une fois pincé, rue Soufflot, et je sus ce qu'était la maison Poulaga et ses volières grillagées. Joseph vint m'en sortir et je crus qu'il me ferait connaître le cuir de ses mains paysannes. Après avoir mené la charrue et les chevaux de la ferme, il fut forgeron puis marin dans la Marchande. L'homme était robuste et leste de ses bras musclés. Je connais le sens exact du mot torlogne. Cette fois, éberlué par l'audace qu'il ne soupçonnait pas, il fut incroyablement paisible. Ce qui m'invita à renouer avec l'aventure. Anguille, agile, il est peu facile de me maintenir longtemps en état d'apnée. Je m'échappe à la manière de ces Hercules de foire qui faisaient autrefois démonstration de leur don, place de la Bastille. J'admirais le spectacle de leurs évasions. Plusieurs fois enchaînés, harnachés de cadenas inviolables, ils parvenaient toujours à retrouver la liberté. Ainsi je vécus, innocent enfant mis aux fers, habile à esquiver toute tentative de me tenir en laisse, soumis et silencieux. Ami, nos chemins se sont croisés car nous possédons l'art de la fugue. Qui pourrait nous soustraire au désir de grand air ?

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    BM : Guy, tu as connu, par le plus grand des hasards, dis-tu, les poètes du feu, ceux que la société méprise et que l’école de l’ignorance ne peut évidemment connaître. Quel est ce hasard ? Et que t-ont apporté ces     poètes ? En fait, te sentais-tu proche d'eux, de leur rébellion ? Je pense cela à force de t'entendre dire, enfant : « Si tu ne veux pas apprendre tu garderas les vaches » ou alors certains mômes et  professeurs, au lycée : «  D’où tu viens il te faudra faire tes preuves. » Tu as dû te battre contre cet acharnement, n’est-ce pas ?

    GD : La poésie est le seul guide mais j'ajouterais la philosophie, celle d'un certain Diogène ou du grand Nietzsche. Il me faut ici honorer les noms de Serge Koster et de Roland Brunet, deux Maîtres du service public, qui m'enseignèrent l'exercice de la pensée au temps que j'étais l'élève du lycée Voltaire. D'autres suivirent mais ces deux sémaphores chançardement placés sur mon chemin adolescent, ont été déterminants. Ils me firent découvrir Antonin Artaud, Georges Bataille, Karl Marx, Proudhon et Max Stirner. Inimaginable de nos jours ! Ces lueurs de la pensée en liberté éclairèrent ma jeunesse. Elles me furent données au début des années 1970. Si l'on observe la déliquescence programmée de l'enseignement des Lettres et de la Philosophie, il est utile de souligner que les potaches actuels, et ceux qui les suivront, sont dépourvus de tout espoir quant à la possibilité de penser par soi-même. Pour être complet, il me faut rendre hommage à mon père sévère, mon Joseph (décédé en 2004 et je ne m'en remets pas), attentif à mes professeurs, les vénérant sans l'ombre d'un cillement, et qui fit de moi, d'une façon discutable sur le fond, un lecteur et un lecteur intense. Il ne possédait pas le certificat d'études (se souvient-on de ce brevet indispensable au début des années 1940 ?) mais il avait deviné que les livres étaient un passeport. Je ne connus Noël, fêtes et anniversaires, qu'habillés de cadeaux qui étaient le Livre. Dès que j'eus 14 ans, je lui soumettais chaque semaine une liste d'ouvrages qu'il honorait sans rechigner. Je dois beaucoup à ces professeurs et à ce père qui m'initièrent à la lecture articulée sur le réel. Très tôt, je lus Antonin Artaud, Benjamin Péret et les auteurs publiés par Jean-Jacques Pauvert et Eric Losfeld. J'eus la chance d'avoir pour ami, au lycée Charlemagne, Romain Sarnel, l'un des meilleurs exégètes actuels de Nietzsche, qui m'incita à lire Baudelaire et Rimbaud. Le hasard a toujours posé sur mon épaule une main amie. Je ne l'avais pas cherché. Il se présenta, comme un luxe, à mes soifs qui restent encore à étancher.

    BM : A propos d’un de nos grands poètes, tu écris : « Je pense à Antonin Artaud, pour qui la réalité, souillée de mensonges, n’était qu’une abomination. Il déployait le Merveilleux contre les forces d’envoûtements et lançait des dés de magie. Etendre l’être à une dimension cosmique, s’élargir, exige une énergie constante. C’est une bataille continue. Faut-il se satisfaire des limites tracées du corps dans lequel on jette un voile en damier ? Car aujourd’hui l’homme s’insurge, ce n’est pas qu’il réclame plus d’être, mais l’amélioration de son confort dans une réalité d’images. Et non pour celles qu’il se fabrique, analogies, correspondances, enjambées dans l’imaginaire, mais le catalogue des clichés où il est invité sans cesse à se fournir, à se doper, pour s’élever au-dessus de la boue ». Artaud a souffert, lui qui a traversé les flammes et le feu, mais Guy, actuellement, nous sommes dans une situation critique, tout bouge, ça tangue, l’économie mondiale chute, les « petits », je parle des classes défavorisées souffrent. On veut fermer la gueule aux poètes, aux  écrivains. On vire des gens bien qui se trouvaient, il y a peu, à certains poste clés de la culture. Es-tu inquiet, toi, journaliste et écrivain ?  Je viens de lire, en première page d’un hebdomadaire, Siné Hebdo, ce titre signé Jules Lafargue. Je cite : « Qu’on les pende par les couilles en or ! » Il va plus loin : « Fusiller les riches de but en blanc serait de la folie : Il faut d’abord les mettre en prison et les affamer jusqu’à ce qu’ils aient fait revenir de l’étranger l’argent qu’ils ont caché(…) C’est seulement quand ils n’auront plus rien que nous les fusillerons ». Réponse de journaliste en colère ? Un éclat de mots dans la presse, à la gueule d’une certaine société ? Qu'en dis-tu ?

    GD : Fidèle à Antonin Artaud, j'expédie au néant ceux dont les mots ne sont pas un brise-lames. Fidèle à Antonin Artaud (comme je le suis à Stanislas Rodanski, Jean-Pierre Duprey, Jean-Daniel Fabre, André Laude), je biffe d'un grand trait houilleux toute écriture qui ne jaillit pas des abîmes. Je pourrais ainsi citer d'autres figures qui nous seraient des vigies essentielles, mais le temps agit contre les voyants. Le temps accélère une descente vers des gouffres sans fond ni nerfs. Antonin Artaud fut l'écho de mes vertiges nullement esthétiques. Je ne viens pas de la jeunesse dorée ni d'une histoire acquise à la victoire. J'appartiens au peuple des petits et des faibles. Je suis un petit et un faible et n'ai jamais cherché à rejoindre le courant ascendant. L'ascension, selon moi, est de croître à l'intérieur de notre propre histoire, d'assumer les pentes et d'en revendiquer les splendeurs. Je viens des serfs et des artisans de la Commune. Je suis voisin des anarchistes espagnols et me revendique libertaire. Libertaire et pacifiste. Furieusement libertaire et bravement pacifiste. Ceci dans une époque trouble qui porte en elle les germinations d'un retour au fascisme. Notre époque est fasciste et je ne manque jamais une occasion de le souligner. Peut-être est-il déjà trop tard ? L'école laïque, publique et obligatoire vacille sur ses assises républicaines. L'enseignement de la philosophie est menacé et l'on questionne aujourd'hui la possibilité de supprimer l'Histoire des programmes. Les maîtres des écoles primaires (j'insiste sur la formule) sont soumis à l'obligation d'indiquer certains auteurs, suivant une liste définie. L'exercice de la pensée, qui ne peut agir sans une connaissance exacte de notre histoire mondiale, est menacé. Le capitalisme s'effondre, entraînant dans sa déconfiture (prévisible de longue date) un système voué à l'échec, car inégalitaire. Toutes ces indications, désormais parfaitement lisibles, augurent d'une catastrophe qui nous reconduit aux temps féodaux. Nous marchons à l'envers et il y aura des morts. Je le dis en toute conscience. Le baromètre ambiant ne démentira pas. Le citoyen lambda que je suis est avisé et il avise au sein des structures qui lui sont fournies. Je passe le message là où il m'est (encore !) permis de le passer. Sur le front des luttes je me tiens, là où le combat est possible. Quant à l'écrivain : indignation totale. Que me viennent les noms de Benjamin Péret, d'André Laude ou de Guy Debord (d'autres me sont présents mais trop obscurs à nos lecteurs car ils appartiennent à mon rang) et la colère me montent aux joues. Qu'est-ce que la littérature aujourd'hui ? Serait-ce un bizness ? Rien ne me fait signe qu'il en soit autrement. Une réverbération des tares de notre temps : individualisme, égo, carrière perso. Rien qui ne colle aux étriers de mon enfance. La littérature était alors un combat, une mise en péril des puissants et des convenances. J'y suis venu avec le souci d'alerter. Ne possède pas la surface pour donner de l'ampleur à ma révolte. Jamais ne la posséderait. Je fais partie des zigues à plume et à clavier sans surface publique. Hormis la parole que tu me donnes, occasion de saisir le taureau par les cornes, nul ne se soucie de ce que j'en pense. Faible intérêt pour les insurgés du verbe. Tel est le temps, notre temps. Une époque sans souvenir. J'osais dire, avant hier, que le meilleur est à venir mais un bémol s'impose. Peu enclin à la prise d'armes, je souhaiterais lire et entendre plus de colères. Et c'est ainsi que je lis Siné Hebdo et Le Nouvel Attila avec une ferveur impossible à dissimuler.

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    A l'occasion de la publication de Frank Zappa/One Size Fits All/Cosmogonie du Sofa (Le Mot et le Reste, septembre 2008), Guy Darol rencontrera ses lecteurs à la Librairie Dialogues de Brest, le vendredi 31 octobre à 18h.

    LIBRAIRIE DIALOGUES

    Forum Roull

    Rue de Siam

    Brest 29

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    GUY DAROL A LA LIBRAIRIE DIALOGUES

    www.librairiedialogues.fr

     

     

     

     

     

  • LE PIETON BLANC

    à Jérôme Mesnager, créateur de ce piéton que je rencontre parfois lors mes promenades salutaires

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    Depuis de longues années je croise le piéton blanc, silencieux. Que se soit, rue du Temple, sur les hauteurs de la Courtille , rue du Soleil, proche des choses simples de la vie, et aussi près des livres. C’est là que nous nous sommes rencontrés, hier, en librairie. Nous avons, lui et moi, la marche en commun. Je me suis demandé s’il arrivait du Père Lachaise, tout proche. Cependant je ne le pense pas ! Là, à l’oreiller de la rue du Repos demeurent ses collègues, eux, ne se déplacent pas ou très peu.

    Je l’ai vu si souvent le piéton blanc que parfois je me dis : « Ce doit être effrayant de savoir que les cimetières de Paris se vident de leur défunts personnages, en période de Toussaint, quand viennent les familles au cimetière avec une jolie fleur à la main».

    C’est un marcheur d’avenir, ne croyez pas le contraire ! Et aussi un coureur de fond comme il existe des mineurs de fond. Mais lui ne serait jamais entré dans l’ossuaire des Catacombes, même pour une courte visite. Il se sent mieux à l’air libre, encore que….

    La promenade est une activité sans équivalent, un art à part entière, à laquelle seule une élite débarrassée des basses contingences matérielles peut goûter pleinement à condition de posséder une certaine « ingénuité de l’âme » et un bagage culturel approprié. Un art de vivre en somme qui est plutôt de l’ordre esthétique qu’intellectuel. Jeu du corps qui met en branle les mécanismes de l’esprit. Mais cependant, je vous certifie qu’il  ne faut pas être intello pour se dire marcheur. J’ai beaucoup vu lors de mes voyages des familles entières marcher dans la pampa Argentine ou tout au long des routes du Brésil, de Puerto Allègre à Fortaleza, de Bahia de tous les Saints à Manaus, tous étaient à la recherche du sauveur,  d’une miette de travail ou simplement parce qu’ils n’avaient pas les moyens de  payer le transport.

    Jean-Jacques Rousseau pratiquait régulièrement la promenade, pour réfléchir et herboriser à loisir. Dans sa jeunesse, il effectua plusieurs longs voyages à pied dont le premier le conduisit à travers les Alpes, depuis Genève jusqu’à Turin.

    Arthur Rimbaud fit la traversée en hiver du Saint Gothard, à pied. Voici quelques lignes de ce qu’il écrivit : « …la route, qui n’a guère que six mètres de largeur, est comblée tout du long, à droite, par une chute de neige de près de deux mètres de hauteur, qui, à chaque instant, allonge sur la chaussée une barre haute d’un mètre qu’il faut fendre sous une atroce tourmente de grésil. Voici…  plus une  ombre dessus, dessous ni autour… plus de route, de précipice, de gorge, ni de ciel : rien que du blanc à songer, à toucher…voici… à fendre plus d’un mètre de haut sur un kilomètre de long. On ne voit plus ses genoux de longtemps… »

    Aujourd’hui, l’homme en difficulté, essentiellement urbain, qui vit dans la rue, s’oppose traditionnellement au chemineau, son homologue des routes et des villages qui avait fait de la nature toute entière son royaume.

    Marcher pour ne pas mourir ou devenir fou ! Avant de sombrer profondément dans la dépression, le narrateur d'Un homme qui dort, mon ami Georges Perec était un homme qui marchait jusqu’à ce qu’il se retire définitivement dans sa mansarde, parfaitement indifférent au monde.

    momotombo.JPGJ’ai rencontré en Alaska des marcheurs rares, des vrais, qui du voyage avait fait un métier et que je retrouvais tout au long des saisons, dans des pays très éloignés les uns des autres. Certains de ces voyageurs rencontrés en Alaska, je les revoyais quelques mois après à Irazú,  volcan du Costa Rica, à plus de 3432 mètres d’altitude, puis plus tard au sommet de deux autres volcans, au Nicaragua, le Momotombo et le Momotombito , et bien plus tard, en Terre de Feu, là- bas où fini le sable, au large de Puntas Arénas, Chili, où Augusto Pinochet isola au milieu des glaces, hommes et femmes, afin qu’ils comprennent que la liberté n’était pas leur DROIT, jugeant en son âme et conscience qu’ils méritaient d'être considérés comme des chiens.

    Le vrai marcheur, connaît rarement l’ennui, la solitude, la peur, le racisme, il s’intéresse à tout.  Tout est réflexion, discipline et labeur et il doit posséder beaucoup de talent,  pour que les expériences les plus difficiles lui soient profitables et légères, afin d’entreprendre  de façon professionnelle, comme un danseur de tango et de flamenco, sur les pointes des pieds, et rester à la hauteur des plus grandes étoiles du firmament, proche, non seulement des hommes et des femmes, de la jeunesse et des anciens, mais également des bêtes : loups, ours, rapaces, tout ce qui est sources intarissables qui peuvent enrichir son expérience. Il est, pour certains, de ces étoiles ayant fui  les écoles, et pour d’autres,  passé tous les examens de la conscience se graduant au fil des kilomètres, des chemins et des routes où chaque jour il doit résoudre les problèmes, seul, sans rien demander au monde, au contact d’une nature gigantesque où le voyageur se livre, corps et âme, les yeux grands ouverts, se cultivant ainsi de toutes les choses la vie, et utilisant avec subtilité les combinés appris au contacts quotidiens avec leur environnement sauvage ou au contraire très civilisé.

    Dans le monde actuel, moderne, nous avons en France, un exemple, non du marcheur, mais du coureur peu commun, le Président de la République, Nicolas Sarkozy. Lui n’est pas un marcheur, mais un coureur des bois, Bois de Boulogne, il a su se débarrasser de «  toute la racaille » du Bois des Amants, afin d'être mieux à l’aise pour réfléchir, tout en courant, et affronter les problèmes des ni putes ni soumises. Comment pénétrer la zone,  lui qui n’a jamais vécu la joie ou la tristesse de ces filles. C’est un vrai sprinter, à sa manière d’affronter l’obésité des autres, la précarité, et de se débarrasser de l’empilement haut des dossiers, de la came, du poids de Cécilia, de la légèreté de Carla, des fidélités de sa troupe de ministres girouettes fragiles. Regardez ! Besson, Attali, et tous les autres, régiment de trouillards avançant avec obéissance derrière leur petit  Napoléon de Président. C’est un chique-came, qui renverse la vapeur quand il  veut, et roule les mécaniques, tel un boxeur, avant d’allonger une droite à un adversaire de gauche. Et flac ! Il a du répondant dans la voix : « Qui a dit ça ? Descend si t’es courageux ! » Et dans le geste, lorsqu’il pince du bout de  ses doigts secs, la joue de sa chère Cécilia, le jour où il prend les pouvoirs à L’Elysée, devant des milliards de téléspectateurs de la planète entière. Pincée comme on tourne un interrupteur pour éteindre la lumière. Le visage de son épouse, Albéniz, ce jour-là,  avait tout de la bonne espagnole égarée et paumée, servante au Palais du Prado comme si le Caudillo mécontent l’avait  réprimandé et humilié, et dont ce Prince de l’Elysée serrait la joue entre ses pinces, devant la Cour et des centaines d’invités. J’ai vu ça, à la TV , l’intronisation vraie et chèros, ne confondez pas, chair et en os, ce qui est de même. Les dernières élections Présidentielles auxquelles l’Etat nous convoquait étaient en effet dominées par l’enchevêtrement contradictoire de deux types de peur. Il y a d’abord la peur que je dirais essentielle, celle qui caractérise la situation subjective de gens qui, dominateurs et privilégiés, sentent que ces privilèges sont relatifs et menacés et que leur domination n’est peut-être que provisoire, déjà branlante. En France, puissance moyenne dont on ne voit pas que l’avenir puisse être glorieux, sauf si elle invente la politique qui soustraira le pays à son insignifiance et en fera une référence émancipatrice planétaire, l’affect négatif est particulièrement violent et misérable. Il se traduit par la peur des étrangers, des ouvriers, du peuple, des jeunes de banlieues, des musulmans, des noirs venus d’Afrique…Cette peur conservatrice et crépusculaire, crée le désir d’avoir un maître qui vous protège, fût-ce en vous opprimant et paupérisant plus encore. Nous connaissons  les traits de ce maître aujourd’hui : le coureur Sarko, un flic agité qui fait feu de tout bois, et pour qui, coups médiatiques, financiers, amicaux et magouilles de coulisses sont tout le secret de la politique.

    Pour revenir à mes amis fidèles, le piéton blanc, est d’une grande honnêteté et humanité. Son activité est grande ; je l’ai vu à New-York, sur la muraille de Chine et bien plus loin encore, avant que nous traversions ensemble la mer pour aller à loisir au Portugal, vers des sourires et des amours, comme si là était nos métiers.

    Cher piéton blanc, si l’idée vous prenait de stationner, rue du Pressoir vous encourez le risque d’un procès-verbal. Ici, tout est réglementé. Certains guettent. Vous êtes prévenu si vous voulez faire de vieux os.  Bienvenu Merino 

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    Momotombo

     

  • JOSETTE FARIGOUL/BIENVENU MERINO/LE GRAND ENTRETIEN

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    La rue du Pressoir (vraiment) autrefois

    Bienvenu Merino : Josette Farigoul, cela fait plus de quarante ans que vous n'étiez pas revenue, rue du  Pressoir. Retrouve-t-on sa petite enfance en faisant à nouveau ses premiers pas dans cette rue qui n’a plus rien à voir avec celle  qui vous a vu naître? Je crois que vous aviez dix neuf  ans lorsque vous avez du quitter l’immeuble avant que le quartier ne soit livré à la destruction pure et nette. Ce n’est pas trop difficile d’en parler ?

    Josette enfant 1.JPGJosette Farigoul : A cette première question je répondrais que je n’ai absolument pas retrouvé ma petite enfance lors de la redécouverte de cette rue du Pressoir. Pour moi, tout de suite j'ai eu le sentiment d’une rue inconnue, mais qui portait toujours le même nom. Je ne peux pas dire que parler de cette rue, où je suis née, me soit vraiment difficile et encore moins depuis cette vision. En fait, je crois que la rue du Pressoir, berceau de ma petite enfance, est définitivement mémorisée dans ma tête. Le passé devient plus vivant, les images plus précises et plus particulièrement le 23/25. Les personnages s’animent, l’entrée de l’immeuble revit avec ses va-et-vient. Dans la cour, les enfants cavalent dans tous les sens en riant. Je revois les escaliers des deux immeubles avec ses joies et ses peines, les paliers et leurs locataires. Tout devient plus net et les flashs éblouissants.

    B.M. : Vous semblez assez sereine devant les numéros 23-25 qui étaient l’entrée de votre immeuble. Pense-t-on à la mort, juste là, sur ce trottoir arrondi, où il ne reste plus rien de ce passé ? Ou peut- être, pensez-vous plus au  départ  forcé que vous avez dû subir pour aller vous ne saviez où ?

    J.F. : A vrai dire, lorsque j’ai redécouvert le 23/25, bizarrement, et je m’en étonne moi-même, je ne pensais à rien. Impossible d’obtenir de ma mémoire une image qui me ferait revivre mon passé, franchir le seuil de la porte de l'immeuble d'autrefois, revoir ma cour en espérant, en levant la tête vers le ciel, apercevoir une silhouette qui serait celle de ma mère à sa fenêtre de salle à manger, mais non, rien, une amnésie totale. Une cruelle déception car à cet instant, j’aurais adoré ressentir, au moins, un petit quelque chose, mais non, le zapping complet. Après avoir quitté cette rue, sur le chemin du retour vers la Normandie, petit à petit, les images du passé sont remontées à la surface. Le puzzle s’est reformé comme par magie. A ce moment-là, j’ai compris que je venais, tout simplement, de gommer la vision de la connerie.

    B.M. : Josette, vous souvenez-vous de la réaction de vos parents, de vos sœurs, et votre propre réaction, lorsqu’il a fallu quitter l’appartement, déménager du quartier, faire les valises et les cartons, s’éloigner de vos amis ; en somme, quitter votre village. Tout compte fait, tout un pan de vie s’écroulait, non ?

    J.F. : A cette question, je ne dirais pas qu’un pan de vie s’écroulait, tout du moins, pas au début. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, aussi bien pour ma famille que pour la majorité des personnes expulsées, je n’ai jamais ressenti de réactions négatives. Je n’ose dire que nous étions presque heureux de quitter, comme beaucoup le pensait, des taudis. Je ne suis pas tout à fait de cet avis, un certain inconfort, certes, taudis pas vraiment, il suffisait d’avoir un peu d’imagination pour faire de ces logements, sans confort, de petits coins où, malgré tout, il faisait bon vivre. Si j’ose écrire « heureux », il ne faut pas oublier que l’on nous promettait des logements plus vastes avec salle de bains et toilettes, ce petit plus devenait important aux yeux de tous. Nous pouvons aussi parler de résignation en somme, il fallait partir, nous sommes partis. La dératisation s’est effectuée sans problème. La nostalgie a pointé le bout de son nez un peu plus tard , elle provenait plus particulièrement de nous, les enfants, beaucoup moins des parents. Je n’ai pas souvenance d’avoir entendu mes parents parler de la rue du Pressoir avec regrets. Mon père est décédé en 1970, très tôt après l’expulsion, et avec maman, jusqu’en 1984, je n’ai en mémoire aucun souvenir de grande conversation à propos de notre rue. La génération de mes parents a connu la misère, la guerre, la lente remontée de l’après guerre, il fallait se reconstruire. Pour beaucoup l’inconfort des logis était présent depuis leur naissance. On peut supposer que ce déménagement vers un appartement plus confortable apportait un peu de soleil à leur vie. C’est un constat personnel. Par contre, très tôt, avec les copains d’enfance et d’adolescence, ceux de la belle époque, nos retrouvailles se sont toujours transformées en délires phénoménaux. La rue du Pressoir passée au crible nous amenait à d’interminables éclats de rires et à ces moments-là, plus personne n’existait, pas même nos conjoints. N'existaient que nous, petite bande de fidèles, cercle fermé aux autres, n'existait que cette rue et ce quartier à nous. Nous remontions le temps,  corps et âmes, dans notre monde, à l'abri d'un autre monde, du moins pour quelques heures et ça continue  depuis plus de 40 ans.

    B.M. : A vous voir assez tranquille le jour de votre retour rue du Pressoir, vous ne sembliez pas trop émue, en tout cas vous ne le montriez pas. Cependant le lendemain vous étiez complètement remontée et vous écriviez  un récit poignant. Tout semblait, souffrance. Comment expliquer cette réaction le lendemain. J’ai eu assez de chance d’avoir été personnellement épargné ce jour là, par votre colère,  alors que j’avais  grand plaisir à vous faire retrouver votre rue du Pressoir. J’espère que vous ne  regrettez pas mon invitation ?

    J.F. :Vous avez vu juste, aucune émotion je le confirme. Pourtant depuis de nombreuses années, je désirais retourner vers cette chère rue du Pressoir, seulement il fallait bien se rendre à l'évidence, je ne retrouverais rien de mon passé, j'en étais  consciente. J'ai donc laissé filer le temps,  me disant toujours,  j'y vais, j'y vais pas, jusqu'à votre invitation que je ne regrette absolument pas. Ne dit-on pas qu'il faut boucler la boucle? Et bien voilà c'est fait ! Arrivée au coin de cette rue, de mon enfance, très vite dès les premiers pas, j'ai ressenti un blocage complet, pétrifiée et hypnotisée, je restais sans voix devant la bêtise humaine. Qu'avaient-ils fait de cette rue, jadis si joyeuse et vivante! Regardez l'ancien plan de la rue, avec ses dizaines de commerçants, cafés, hôtels, artisants, etc. Si vous vous rappelez, très peu de personnes ont croisé notre chemin ce jour-là. Aujourd'hui, elle est devenue, juste une rue dortoir, sans vie, une rue qui file le bourdon. Sur le trajet du retour, je pratique toujours de la même manière, je me remémore , je réfléchis beaucoup, j'analyse et le couperet tombe. Si seulement dans ce désastre, j'avais reconnu un petit quelque chose de l'ancienne rue du Pressoir, une chose infime du passé, on peut imaginer une réaction différente. Mais là aucun point de repère, d'où ma vive réaction le lendemain. Le soir même j'ai commencé à cracher mon venin en visionnant, dans ma mémoire, la nouvelle rue et et en superposant l'ancienne. Conclusion: du grand n'importe quoi, malheureusement encore d'actualité. Dans chaque gouvernement sommeille un lot de petits génies qui, dès qu'ls sortent de l'inertie réalisent leurs fantasmes avec souvent un manque de goût certain. Nous en avons la preuve.

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    B.M : A cet emplacement précis où nous nous trouvons maintenant, autrefois le numéro 12 de la rue du Pressoir, il y avait là,  les « BAINS, DOUCHES, HYDROTHERAPIE COMPLETE ». C’était un bâtiment du début du XXe siècle, en ‘fer à cheval’, magnifique,  avec des fleurs au milieu d’une cour superbe où, femmes, hommes et enfants, pouvaient se promener et se reposer après le bain. Vous souvenez-vous, vous y veniez étant jeune fille ? Et que ressentez vous, aujourd’hui, là ? Je vous vois faire la grimace ou plutôt je dirais, vous êtes figée, pâle! Ça va Josette ?

    Numériser0020.jpgJ.F. : Mon cher Bienvenu,  pour répondre à votre question: ça  va très bien! Et effectivement, je fais la grimace et pour cause. Je ne me rappelle absolument pas des Bains-Douches du 12. Si ma mémoire est bonne, nous allions sur le boulevard de Belleville, juste après la rue des Couronnes, en direction de la rue de Belleville. A cet endroit se trouvaient des douches, probablement moins coûteuses. A vrai dire je ne sais pas trop. Il me semble bien aussi que nous avions droit à une douche par semaine à l'école. Je suis obligé de sourire à cette évocation, je vais vous dire sincèrement que la douche n'était pas, à cette époque, pour nous, enfants, notre préoccupation première, du moins jusqu'à l'adolescence. Voilà la vérité rien que la vérité!

     

     

    B.M. : Vous avez découvert récemment, publiées  sur le site, par Guy Darol, les photos émouvantes, que vous a fait parvenir votre ami d’enfance, Roland, ainsi que celles du photographe, Henri Guérard. Sur l’une d’entre elle, des années 1963, on y voit, que poussière, vous souvenez-vous de ces moments où tout est voué au rasage dans un gris de typhon catastrophe ? Et sur une autre photo, de 1960, vous avez pu voir une poupée écartelée, accrochée ou clouée, la tête en bas. Ces images qu’évoquent-elles pour vous alors que déjà au loin se dresse  le premier immeuble neuf de ce qui va devenir la nouvelle rue du Pressoir. Vous voulez nous en parler ?

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    Photo Henri Guérard

    J.F. : La démolition des immeubles a commencé dès 1960 par les numéros pairs de la rue du Pressoir. Je ne me souviens pas de ceux détruits en premier. Je n'avais que 12 ans en 1960. Par contre, je revois très bien la démolition, en 1963, de l'immeuble en angle de la rue du Pressoir et rue des Maronites. J'étais là, debout au milieu d'une foule de badauds dans l'attente que cet immeuble tombe en poussière. Incroyable, en y pensant aujourd'hui, nous repartions couverts d'une mince pellicule grise-blanche sans nous rendre compte, à ce moment là, que toute notre Josette et Liliane bd de Belleville 62-63.JPGrue, petit à petit se transformerait en un tas de gravats. Cette même année, des constructions sortaient de terre et certains immeubles étaient déjà prêts à l'habitation. On ne se préoccupait pas vraiment de ces nouvelles constructions, nous restions de notre côté. Les premières constructions, si je me rappelle bien, étaient principalement destinées aux rapatriés d'Algérie, mais certainement pas pour nous, les 'pestiférés'. Interdiction de rentrer dans ces immeubles. Avec ma copine Liliane nous arrivions à pénétrer dans certains, rien que pour y emprunter les ascenseurs. Je me souviens d'un brin de révolte, de ma part, envers les premiers occupants ne comprenant pas très bien ce qu'étaient ces gens qui se ramenaient en territoire conquis. Notre numéro 23/25 a assisté aux transformations de la rue de Pressoir jusqu'en 1968 ou 1969, puis s'est écroulé comme un château de cartes emmenant avec lui tous nos souvenirs d'enfance et d"adolescence. Dorénavant notre seul repère la courbe restée intacte, bien maigre consolation.

    B.M : Josette, reviendrez-vous, un jour, habiter à Ménilmontant ? La première fois que je vous ai posé la question, le jour même de notre rencontre,  vous m’avez répondu, je cite : « Oh ! que non .. ou alors…. peut-être… dans le 16e arrondissement ! » Vous restez  toujours sur cette affirmation. Paris vous manque t-il ?

    J.F. : Ma question préférée, celle qui tue et qui me fait encore rire, vous seul savez pourquoi, monsieur Merino, c'était une boutade que je vous ai lancée un soir de délire et ma réponse alors était évidemment fausse, excusez-moi. Malgré tout, je confirme que non, mon intention n'est pas de retourner vivre à Ménimontant et pas plus dans le 16e. La campagne semble plus appropriée à une solitaire. J'étoufferai en appartement. Je suis un signe d'air, l'espace, la verdure et la liberté avant tout. Paris ne me manque pas ou ne me manque plus. Une confidence tout de même : cinq années ont été nécessaires pour me séparer de Paris et je dois vous avouer que, plus d'une fois, l'envie de tout quitter a effleuré mon esprit. Il est fort possible que sans enfant je serais repartie vers ce cher Paris de mon enfance. Le temps et la sagesse ont fait le restant. De temps en temps j'y retourne, pour des spectacles ou pour des raisons personnelles. Paris restera toujours Paris à mes yeux. Je suis parisienne. Nous retournerons, un jour, si vous le voulez, arpenter les rues de mon quartier de Belleville-Ménilmontant!

    B.M. : Volontiers Josette, je reviendrai avec plaisir dans ce Ménilmontant d'une valeur inestimable pour beaucoup de parisiens. Si vous voulez bien, deux questions encore! En parlant de vous-même et de l’un de vos amis, vous dites : « deux enfants paumés ». Je sais que vous avez vécue bien des  épreuves mais avec  le temps , vous pouvez encore dire,  aujourd'hui, que vous étiez  vraiment paumés, malgré l’entourage affectif de votre famille ? Secundo,  vous avez parlé avec beaucoup d’affection, de Coco, votre voisin Algérien qui habitait au fond du couloir du rez- de- chaussé dans un espèce de gourbi. Si je comprends bien, Coco était en sorte, un protecteur de votre famille et aussi il apprenait à faire le couscous à votre maman. Vous avez des nouvelles de Coco, qu’est-il devenu ?

    J.F. : Pour répondre tout d'abord à cette question, vous dites  "entourage affectif". C'est un bien grand mot. A cette époque et dans beaucoup de famille, l'affection n'était pas vraiment présente, les parents aimaient leurs enfants mais à leur manière. Cette expression, deux mômes paumés" n'est pas spécialement approprié à la situation, nous ne vivions pas en dehors de la réalité. Nous étions, malgré tout, bien seuls et le fait de se retrouver, Roland et moi, était l'occasion d'oublier ce qui, peut-être, nous attendait le soir. De quoi parlions nous, assis côte à côte sur les marches du rez-de-chaussée, je n'en ai aucune souvenance, rêvions nous de châteaux en Espagne? D'un ailleurs où notre vie serait moins grise que la façade de notre immeuble? Pas certain, ou alors tout simplement parlions-nous de nos prochaines vacances à Berck-Plage ou au lot de petites vacheries entre amis ? Ca c'estprobable. Cette vie était la notre et nous l'acceptions telle qu'elle était. Tout ce que nous donnions à nos parents nous paraissait normal et tout naturel. Ce mot "paumés" est un peu caricatural, juste un peu perdus, égarés, presque rien, un petit rien qui laisse des traces indélébiles mais avec un peu d'intelligence on vit très bien. Et si je parle de cette enfance, c'est qu'elle était néammoins formidable. Par contre, une fois adulte, je savais très bien qu'il me faudrait apporter, à cette vie, quelques petites modifications, afin qu'elle ne ressemble pas trop à celle de mon enfance. Garder le bon et éliminer le mauvais, ne pas reproduire le même schéma. Si nous parlons de Coco, effectivement, il était en quelque sorte un protecteur, surtout pour mon père. Nous avons beaucoup compté sur lui. Une armoire à glace ce Coco !  Et connu de tout le quartier. Il est revenu deux fois, je crois, nous rendre visite dans notre nouvel appartement, puis lui aussi a dû quitter la rue du Pressoir et par la suite nous n'avons plus eu de nouvelles de lui.

    B.M. : Josette Farigoul, encore une question pour terminer notre entretien. Depuis, quelques mois, vous avez un contact par courriel, je dirais privilégié, avec Guy Darol, journaliste, écrivain et voisin d'enfance rue du Pressoir, dont vous ignoriez tout, jusqu'à la récente découverte de son site. Et là, vous apprenez qu'il est,  lui aussi, né dans le même immeuble, au même numéro de la rue du Pressoir. En plus, il est écrivain. Cela doit vous faire plaisir je suppose, car vous m'avez confié que lorsque vous étiez enfant, c'était un de vos souhaits de pouvoir écrire. Aujourd'hui,  chaque jour, des centaines de personnes peuvent vous lire sur le site de la rue du Pressoir. Comment vous vivez cela? C'est exaltant n'est-ce pas ?

    J.F.: Cette dernière question m'embarrasse. J'ai du mal à parler de mon ressenti intérieur, ce n'est pas que je ne veux pas mais je ne sais pas. Effectivement ce contact courriel avec Guy Darol me donne beaucoup de satisfaction et m'a permis de concrétiser, en partie, ce souhait que je n'ai jamais pu réaliser avant, par manque de temps. Ma pensée chimérique est quelque peu devenue réalité. Exaltant aussi, bien évidemment, mais tout ce que j'ai accompli ou donné dans ma vie n'était que cadeau, les choses étaient faites tout naturellement  sans contrepartie. Pour terminer sur notre rue du Pressoir, je dirai que j'étais loin de m'imaginer, en la quittant en 1966, que le fantôme de cette rue, et principalement le numéro 23/25, hanterait mes jours et mes nuits. Pour conclure cet entretien, je voudrais remercier Guy Darol, pour la création du site sur notre chère rue du Pressoir car je suis heureuse de m'être laissée embarquer sur sa vieille bécane à remonter le temps. Par son intermédiaire, notre rue du Pressoir s'est de nouveau animée comme au  bon vieux temps des années 50/60. Belle aventure que la mienne, bisous, Guy.

    Merci à vous, Bienvenu, pour votre invitation au voyage. Ce jour là, j'ai repris le chemin des écoliers et remonté la rue de mon enfance après 41 ans de réticence à retourner sur les lieux que je savais à tout jamais anéantis. Je vous embrasse Bienvenu.

    BM. :  Josette, merci infiniment d’avoir répondu à mes questions avec autant de vérité et de générosité.

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    Le café où Josette Farigoul et Bienvenu Merino se sont rencontrés en avril 2008

     

                                                                                                     

     

     

     

     

                                                                                                       

     

     

     

     
  • LES DEUX MUSICIENS

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    Ils apparaissent  une fois ou deux,

     l’An

    Quelquefois plus, comme la neige rare sur Paris

    Leurs habits élégants sont beaux, blancs et noirs

    Semblables aux images, belles, des rues d’autrefois.

    Ils portent, tendus à leurs cous par des bretelles de cuirs,

    Leurs instruments vieux de plus de trois cents ans.

    Ils sont héritiers du jongleur médiéval

    Du marchand de chansons ou crieur de chansons

    Des joueurs d’accordéons, saltimbanques, joueurs d’orgues, chanteurs de rue.

    Les enfants quand ils les voient s’écrient,

    "Regarde maman… les musiciens avec leurs drôles d’instruments!"

    Et tirant la main de leur maman ils courent s’asseoir

     En ronde

    Les deux musiciens alors se regardent souriants

    Égrènent les premiers flocons, des ritournelles d’antan,

    comme lorsqu’ils étaient rois de Paname.

    L’un à l’accordéon, l’autre à l’organette à rouleaux

     Les enfants et leurs mamans chantent avec eux

    La petite orgue fait son effet

    quatre fois plus grande qu’un vieux moulin à café

    La manivelle entraîne le papier perforé, qui lui entraîne le soufflet,

    l’air pur passe droit du soufflet dans le sommier

    Et ça joue et ça chante

    Les enfants les accompagnent et les mamans aussi

    Puis ils crient ensemble 

    Revenez, ne partez pas, revenez

    Les musiciens ! Revenez !

    Bienvenu Merino

    Paris le 10avril 2008

  • AUJOURD'HUI/HIER

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    La rue du Pressoir à la croisée des temps
    Un photomontage de Bienvenu Merino

     

  • AUJOURD'HUI, LA RUE DU PRESSOIR

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    Hier, la rue du Pressoir
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    Aujourd'hui, la rue du Pressoir
    Photographie Bienvenu Merino
     

    Ce n'est pas un paysage en ruine mais la conséquence du plan de rénovation urbaine, tel que Louis Chevalier dans L'Assassinat de Paris en a étudié les prémisses. A la manière d'un palimpseste, des constructions se sont substituées aux immeubles érigés au milieu du XIXème siècle où logeaient en parfaite harmonie parisiens de souche et migrants ainsi qu'en témoignent les récits bellevillois de Clément Lépidis. En prévision du retour de Josette Farigoul sur les lieux de son enfance abandonnés par la contrainte de l'expulsion en 1966, Bienvenu Merino a imaginé ce texte d'anticipation où se mêlent l'effroi et la résignation. Le mercredi 9 avril 2008, Josette Farigoul accompagnée de son fils et de Bienvenu Merino ont effectué le voyage. Un pélérinage diront certains mais peut-on parler de catharsis, de guérison lorsque l'on vient contempler l'effacement de sa propre histoire, la rectification pure et simple d'un passé inconfortable mais heureux. A propos de ces transformations brutales menées à coups de boules de fonte et de bulldozers, il convient de consulter Courrier International (www.courrierinternational.com) qui dans son numéro 906 (Dossier Paris épinglé par la presse étrangère) revient, sous la plume d'Andrew Hussey sur la destruction du vieux Paris au motif qu'il regorgeait de vagabonds, de voyous, d'alcooliques, de déviants et d'anarchistes, "tous les exclus de la société qui n'avaient rien à perdre et s'accommodaient très bien du chaos le plus total."  Refuge des "classes dangereuses" (locution inventée et définie par Louis Chevalier, le meilleur spécialiste de l'histoire de Paris), Belleville-Ménilmontant devait disparaître, comme on éradique le risque de peste, la menace du complot révolutionnaire toujours vif. Guy Darol


    Le retour à la maison  

    Le soleil  la neige  la pluie

    Multitudes des rues grisées

    Le retour triomphal en secret

    Le parfum du marronnier

    Elle est revenue au berceau de sa reine enfance

    Elle  se tait de ne rien pouvoir dire

    Elle va de par les rues des souvenirs

    Etoufée d’émotion

    Et fragile

     Dans  sa robe pâle elle est plus belle que tout au monde

    Elle s’arrête un pas, devant Notre Dame de la Croix

    Et continue encore des pas et des pas

    Et

    «  Voilà je suis arrivée »

    Elle veut dire mais elle ne dit pas

    « La maison est là ! » Elle dit 

    Mais elle se reprend  

    « Était là ! »

    Elle montre du doigt

    Elle regarde, s’approche

     Regarde ou était sa maison

    Debout   en   silence,   elle   se   rappelle

    ‘La maison abrite la rêverie et protège le rêveur, elle permet de rêver en paix.

    Il n’y a pas que les pensées et les expériences qui sanctionnent les valeurs humaines. A la rêverie appartiennent des valeurs qui marquent l’homme et la femme en sa profondeur. La rêverie a même un privilège d’autovalorisation. Elle jouie directement de son être. Alors, les lieux où l’on a vécu la rêverie se restituent eux-mêmes dans une nouvelle rêverie. C’est parce que les souvenirs des anciennes demeures sont revécus comme des rêveries que les demeures du passé sont en nous impérissables’

    Josette Farigoul  est venue

     Emue

     Elle repart émue

    Sans que personne ne sache rien.

    Ménilmontant le 9 avril 2008

       Bienvenu Merino

     

     

  • LE CARRE MAGIQUE

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    Belleville

    Je reviens de week-end, de Ménilmontant. J’ai fait l’aller-retour à pied depuis la rue des Boulets. Ma destination, le carré magique. Avant d’arriver place Léon Blum, j’ai  marché tout droit boulevard Voltaire en passant devant Japy, mon gymnase où, tout jeune sportif, j’appris  à allonger ma droite et préciser ma gauche, mais surtout, à éviter les coups. J’ai remonté la rue de la Roquette , emprunté le boulevard de Charonne et celui de Ménilmontant puis le boulevard de Belleville, laissant sur ma gauche l’avenue de la République. Là, à peine à quelques centaines de mètres me séparaient du Lycée Voltaire où mon ami Guy fit ses études secondaires, puis tout juste un peu plus  loin je m’attardais sous les fenêtres d’un immeuble, où habite Bévinda, la chanteuse de Fado « Pessoa em Pessoa » . « Je n’évolue pas, je voyage », écrivait le poète portugais Fernando Pessoa. Et assez vite, continuant le boulevard de Belleville, je  suis arrivé au métro qui porte le même nom. Belleville, enfin ! Belle la ville, tant attendue, chaleureuse, animée, cosmopolite, endimanchée. Femmes, hommes, jeunes et plus anciens, enfants, tous affables et très souriants attablés aux terrasses des cafés devant une limonade ou un diabolo menthe. Je n’ai fait que passer, j’ai marché encore plus haut, puis gravis de vieilles marches comme jadis, et descendu à nouveau des passages et des venelles,  poursuivant des ruelles escarpées, parallèles, et des passages tortueux d’autrefois semblant  me mener au  bout d’un champ ou d’un précipice ou d’un trou, pas de terrier de lièvre, plutôt d’éléphant, c'est-à-dire de pelleteuses énormes, cousines de celles qui ont retourné, labouré et anéanti la rue du Pressoir. En flânant sur la côte,  rue  de Belleville, j’ai fais du lèche-vitrines de bistrots. Deux filles chinoises, aux yeux aventureux, tantôt très noirs et tantôt verts émeraudes colombien, assises à une table, derrière la vitre, m’offrirent leurs plus beaux regards de jeunes filles innocentes. Ces nouvelles parisiennes par leurs origines lointaines ont changé le visage des habitants du quartier depuis quelques années.Et si on dispose très peu de données fiables sur l’aspect physique des Parisiens et sa variation au cours des siècles, il est difficile d’accorder du crédit aux notations des voyageurs ou d’écrivains. Les seules observations faites par des anthropologues sur de vastes échantillons de la population permettraient de se faire une idée à peu près exacte de l’apparence des Parisiens à diverses époques. Ce n’est pas le cas, l’anthropologie physique  ayant toujours été une discipline assez négligée en France. En 1970, dans la revue Population, Jacques Houdaille a présenté les résultats de quatre enquêtes sur la couleur des yeux et des cheveux sur des échantillons assez réduits de la population parisienne. Il semble que le pourcentage des yeux bleus ne se soit pas sensiblement modifié entre 1810 et 1951, oscillant autour du quart, les yeux bruns et noirs représentent à peu de chose près la même proportion ; la moitié des yeux se situant dans les nuances de gris et de vert. Une enquête établie sur des militaires, dénombre six cents soldats nés avant 1785 comptant 29 % d’yeux bleus, ce qui tendrait a indiquer qu’avant la Révolution , plus de Parisiens étaient issus des régions du Nord que dans les générations suivantes. Ces dernières cinquante années l’émigration a contribué à faire ce qu’est aujourd’hui la population de Ménilmontant depuis l’arrivée de très  nouveaux émigrants venus peupler et enrichir ces villages d’autrefois, entourés de coteaux plantés de vignobles et traversés de part en part de sentiers et de chemins par où cheminaient les travailleurs viticoles.

    En haut de Belleville

    Bien avant le boulevard Mortier, j’ai pris une traverse, la  rue des Pyrénées. Avec un peu d’imagination, j’avais  la sensation d’être au Pic du Midi. Et  au loin, tout là-bas,  un rideau gris clair percé de gouttelettes comme de la neige malade, grise et même grise foncée ; le soleil timide était trop timide, comme s’il avait peur de ce qui tombait discrètement du ciel, lui, pourtant si haut, inattaquable. Je voyais des pics flous et des chaînes de coton d’hôpitaux : la pollution sur toute la ville et,  un peu plus loin à droite, je me suis mis à l’abri, tel un montagnard,et j’ai tourné avec précaution dans la rue de Ménilmontant. J’ai descendu toute la rue ;  pas à pas, lentement, freiné par un cyclone de voitures et de vélibs ainsi qu’une procession de sans papiers en observant tout, tout, tout : les portes des immeubles avec leurs  sonnettes d’appels modernes, les fenêtres anciennes à l’oblique, les volets gris fermés, les portes cochères, les façades des immeubles, avec parfois, des poutrelles métalliques  qui retiennent  des pans de mur entiers pour éviter qu’ils ne s’écroulent. Je franchissais parfois les porches sombres et à l’intérieur clair me retrouvant dans des courettes pavées ou des lopins de terre encore existants par endroits, les églises, la mosquée, j’ai tout mémorisé, rien sur papier, rien  non plus sur appareil photographique. J’avais les mains libres semblables à celles des habitants du quartier qui allaient et venaient, ce dimanche, se promenant en  ce  jour de fêtes pascales. J’ai rencontré des chinois, japonais, des titi parisiens, des bretons, corréziens, algériens, égyptiens, marocains, des espagnols réfugiés de 1936… Avec eux nous avons parlé de Lény Escudero, mon ami, lui aussi, autrefois du quartier, et tout ça,  du voyage sans passeport. Je ne dis pas sans papiers ! J’étais  très heureux d’être là au milieu de mes semblables, mes compatriotes, ça au moins ça vous vous réconforte, de se retrouver à Paris et de se croire si loin au bout du monde ! Il y avait même un singe, un vrai,  à une fenêtre d’un premier étage, entre deux oursons jouets, dans les bras de deux petites filles débordant de tendresse. A la hauteur de l’église Notre-Dame-de-la-Croix,  des familles sortaient en chapelet d’une cérémonie religieuse. Deux garçons se chipotaient une image de la vierge ou d’une sainte, je ne sais pas, sous la grimace du père. Les enfants comprirent immédiatement le langage du papa. Le plus grand des garçons plia immédiatement en deux la belle image de la vierge ou de la sainte, cassant les jambes de l’immaculée, et il la rentra comme un couteau dans sa poche de veste. Un jeune couple rayonnant tout sourire, bras dessus, bras dessous, derrière le dos, marchait sans souci, heureux, amoureux certes. Des musiques se mélangeaient aux bruits des moteurs de voitures et des scooters pétaradants. Chacun  vivait sa vie au milieu d’autres vies, parfois si différentes les unes des autres par leurs pratiques religieuses et leurs éducation.

    Avec la quinzaine de Pâques, du dimanche des Rameaux à celui de Quasimodo  prenaient fin les fêtes de l’église chrétienne, destinées à rappeler le souvenir de la résurrection de Jésus-Christ. L’établissement de la fête de Pâques remonte à l’origine même du christianisme. Depuis le quantième concile de Latran en 1215, il est  ordonné à tous les fidèles ayant l’âge de discrétion de communier au moins une fois chaque année au temps de Pâques. Libre à eux de leur pratiques.  Mais comme chaque chose à une fin,  demain lundi, les Pâques seront closes. Alors que prend naissance depuis quelques semaines, dans le bas de Ménilmontant, ce que je nomme le carré magique, à l’intérieur d’un quadrilatère allant du boulevard de Belleville à la rue des Couronnes, de la rue Julien Lacroix à la rue de Ménilmontant, situé dans autre carré  plus petit, sorte d’îlot cimenté  en bordure de la rue des Maronites, et là, en son cœur, comme une blessure terrible, longue à guérir, pansée et bandée d’un linceul de ciment blanc, la rue du Pressoir décapitée il y a plus de quarante ans mais encore habitée,oui habitée si j’ose dire cela ainsi !

    Car la rue du Pressoir existe,  elle est toujours là, bien sûr. Elle n’a plus d’âme. De la fleur d’origine et de ses graines vivantes qui pouvaient lui donner vie durant trois siècles, et  perpétuer des générations, et nous donner à tirer des enseignements de la variété et des richesses d’autrefois. Elle est là, aujourd’hui la rue, telle un cimetière, où est inhumé tout le passé. La vraie rue du Pressoir est morte !Guy Darol est né rue du Pressoir. Il se rappelle encore, il veut se rappeler, surtout il ne veut pas oublier ; surtout pas, au contraire il veut « revivre » la rue du Pressoir, retrouver son enfance passée ici, l’offrir à ceux qui ne l’on pas connu et surtout à ceux qui y ont vécu presque toute leur vie, et qui, obligés de fuir, ne sont jamais revenus, n’ont jamais pu refaire le voyage, enlevés à leur pays et déracinés à jamais.

    La rue du Pressoir, aujourd’hui, est notre carré magique. De bouches à oreilles le cercle d’amis, pardon, le carré s’agrandit, les amies se parlent et reviennent voir, retrouvent leurs traces, se l’imaginent, recréent leurs appartements, là la cuisine, le petit salon, la chambre, l’alcôve, comme avant, lorsqu’ils jouaient ensemble à la poupée, aux billes, au gendarme et au voleur ; oui au voleur… et aux échecs. Ils n’oublieront jamais.

    Josette Farigoul a été pour Guy, UNE APPARITION.  Aujourd’hui, dans  son appartement de l’Eure, près de Rouen, elle dessine dans sa mémoire les plans qu’elle envoie par mail à son voisin de  petite enfance, pour comprendre et nous faire comprendre comment c’était avant, dans les années 1950 quand elle était petite, elle qui se souvient si bien  de sa jeunesse au 23 et 25 de « sa » rue, avec ses sœurs et ses parents, ses amies, sa maîtresse d’école, son mari, connu au café et qui pour la première fois monta l’escalier, à son bras, pour être présenté à ses parents. Bienvenu Merino

  • JOSETTE FARIGOUL

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    Ménilmontant
     
    Cher Guy,
    Toujours heureuse de vous lire.  "Bouleversée", on ne peut pas faire mieux, j'ai encore pleuré, pourtant je pensais ne plus avoir de larmes depuis la mort de mes parents et de mon mari. Vous avez le chic pour ça. J'rigole ! Des témoignages comme celui de Bienvenu Merino, nous ne pouvons qu'en réclamer d'autres.
    Impressionnée par son texte et tellement bien écrit. Un écrivain ou une personne avec un haut niveau d'instruction ? De toute évidence un seul mot : Super !
    Courageux ce Monsieur. Rien que pour vous, il a fait un sacré bout de chemin à pieds.
    Tout en parcourant son message je le voyais arpenter les rues qu'il décrit. En somme, je me voyais. Sauf que moi, je n'ai jamais eu le courage de retourner rue du Pressoir depuis 1966.
    Je vais demander à mon fils de m'emmener, il faut, malgré tout, que j'y retourne. J'aimerais qu'il se gare rue de Ménilmontant pour parcourir le restant à pieds. Prendre la rue Julien Lacroix, la rue en pente, je crois bien que c'était déjà la rue Julien Lacroix, j'arriverais Place Etienne Dolet en espérant que l'arbre au milieu soit toujours à sa place. Je jetterais un oeil sur les marches de l'église, ces marches  qui, en rêve, sont recouvertes du tapis rouge pour la descente des communions. Tous les ans, je me retrouvais sur la place dans l'attente de la descente des communions. Une maman très catholique mais un papa pas du tout, du coup, pas de baptême et pas de communion. Après,  je prendrais la rue des Maronites et je remonterais la rue du Pressoir jusqu'au 25, et là, horreur ! comme dit Bienvenu Merino,  plus rien ! Plus de garage, l'épicerie de Madame Gilles n'existe plus, l'eau ne coule plus dans le caniveau, plus de petits bateaux en papier, j'en ai fait moi aussi, la marelle, mon palet c'était un caillou, notre porte d'entrée, votre escalier juste en face de l'entrée et ma cour. Là je pourrais voir ma mère à sa fenêtre du 3ème me faire un signe de la main lorsque je partais pour l'école et comme par miracle une petite pièce tomberait du ciel pour m'acheter des bonbons sur le parcours.
    Je sais que tout cela a disparu, voilà pourquoi je n'y suis jamais retournée.
    Et oui ! Monsieur Merino, en arrivant rue du Pressoir les anges vous ont abandonnés, ils ont été effrayés, c'est certain, les anges n'aiment pas le béton.
    Je vais dire autre chose, moi qui suis une passionnée des anges depuis de très nombreuses années, en prenant contact avec vous, Monsieur Darol, et en découvrant le magnifique message de Monsieur Bienvenu Merino, j'aurais pourtant juré que les anges ne pouvaient pas déployer leurs ailes, et bien je me suis trompée. Sur les ailes d'un ange j'ai découvert de merveilleux messages.
    Un grand merci à vous ainsi qu'à Monsieur Bienvenu Merino en attendant, peut-être, d'autres témoignages. Par contre, bonjour les émotions !
    Avec toutes mes amitiés à vous deux,
    Josette Farigoul

  • LA RUE DU PRESSOIR PAR LE HAUT DE MENILMONTANT

     

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    Rue de Ménilmontant

    J'ai marché ce matin. J'ai marché comme les gens le faisaient autrefois pour descendre la rue; à pas lents, mais saccadés, des pas de villageois. Je revenais du château, disons ce qu'était le domaine du château de Ménilmontant; et si j'aime monter cette rue de Ménilmontant, j'aime plus la descendre. La ville est sous mes yeux, entière, fragile, abondante, petite là-bas, au loin. Elle scintille, elle murmure, je l'écoute, je parle avec elle, elle me répond et me dit des choses d'autrefois, elle résonne.

    Ni San Francisco, ni Salvador de Bahia de tous les Saints, pas même Lisbonne, ces villes où je vécus dans les années 70, non ! aucune de ces villes  ne peut être comparée à ce qui est sous mes yeux. Je descends toujours et marche sur le trottoir de droite, revenant du domaine du château de Ménilmontant qui serait limité de nos jours par les rues de Romainville, Pelleport, du Surmelin et, approximativement, par les rues des Glaïls et des Fougères, parallèles au boulevard Mortier, à l'est de celui-ci. C'était donc un domaine considérable ; sa superficie était supérieure à celle qu'a actuellement le cimetière de Père-Lachaise. Il comprenait le vieux château, le grand château (emplacement des réservoirs de Ménilmontant), un beau jardin à la française, terrasses, grand parc boisé, le tout clos de murs qui barraient les rues de Belleville et de Ménilmontant. Ce domaine appartenait  depuis 1695 à la famille des Le Peletier. Il était nommé Saint- Fargeau en mémoire de la seigneurie de ce nom que les Le Peletier avaient dans l'Yonne.

    Les Le Peletier utilisaient comme villégiature d'agrément  ce domaine  dont ils tiraient un bon revenu par la vente de leur bois, de leurs fruits et de leurs légumes.C'est  Louis Le Peletier de Saint Fargeau qui était propriétaire du domaine le jour où, en octobre 1776, Jean-Jacques Rousseau fut renversé dans la descente de Ménilmontant, à la Haute Borne, vis-à-vis du Galant jardinier, par un des chiens danois du châtelain. Il rentrait à Paris après avoir herborisé sur la colline lorsqu'il fut heurté violemment par ce chien qui gambadait devant le carrosse de son maître. Jean-Jacques Rousseau a raconté lui-même cette aventure et décrit comme suit la région: " Le jeudi 24 octobre 1776, je suivis après dîner les boulevards jusqu'à la rue du Chemin Vert, par laquelle je gagnais les hauteurs de Ménilmontant, et, de là, prenant les sentiers à travers les vignes et les prairies, je traversois jusqu'à Charonne le riant paysage qui sépare ces deux villages; puis je fis un détour pour revenir par les mêmes prairies en prenant un autre chemin...". C'est alors qu'il rencontra le chien...

    Je reviens à l'actualité. Je suis arrivé en bas de la rue de Ménilmontant, j'ai pris à droite le boulevard de Belleville, la continuité du boulevard de Ménilmontant, puis laissé la rue Etienne Dolet, pris sur le même trottoir, la rue des Maronites, mais cette fois-ci, j’ai rasé les murs de crainte de voir trop tôt le désastre découvert hier. Je suis arrivé exactement au même endroit, en faisant le chemin à l'envers. Et là, toujours là, devant moi, la gueule béante de la rue où sont nés mes amis. La rue du Pressoir, muette et d'une froideur à vous glacer de la tête aux pieds, j’avance dans le blanc des murs de ciment, dans le noir de ma tête et de mes idées, si lucide pourtant. Je pense à mes amis, Josette et  Guy, à leurs parents, leurs frères et soeurs. Qui a vécu ici autrefois, ne peut plus reconnaître. Il n'existe rien du charme qu'était cette rue, joyeuse jadis et si familiale. Mais ils ont tout détruit de la vie. Mais bon dieu de bon dieu où étaient l'épicerie, le coiffeur, la maison, la chambre des jumeaux, le garage...les écoliers, les farandoles. Bienvenu Merino

  • BIENVENU MERINO

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    Cher Guy Darol,

    C’est avec  plaisir que j’ai lu tes belles  pages sur la rue du Pressoir, et j’ai été très touché de contempler les  photos de cette époque, des numéros : 23-25 de la rue où tu habitais avec tes parents. C’est un quartier où j’aime aller très souvent. Je ne me fatigue pas d’arpenter ce vingtième arrondissement, ce vieux Paris, que j’habite depuis mes dix-huit ans.  Mais ce quartier de Ménilmontant m’est particulièrement cher. Alors, depuis quelques jours, après avoir lu tes articles et la très jolie lettre d’une admiratrice qui fait réponse à tes textes, avec cette passion qui caractérise les amoureux de ces lieux qui disparaissent et auxquels nous nous accrochons, comme un enfant ne voulant lâcher prise de la jupe de sa maman, et je comprends ce lien si fort de l’enfant s’accrochant de peur de perdre ce qui  est, à ses yeux le plus cher ; et elle a vraiment raison. Ménilmontant est connu du monde entier. Lors de mes voyages aux Etats-Unis et même en Alaska ou en Amérique du sud, je rencontrais bien souvent des admiratifs de ce Paris chantonnant. Et nombreux, me chantaient les vieilles rengaines de  ces villages d’autrefois, dont on a mal à croire maintenant  que c’était éloigné de ce qu’est notre capitale aujourd’hui.  Alors, cet après-midi, j’ai eu un désir foudroyant d’aller voir, et j’y suis allé, là  où tu habitais. J’ai marché depuis le métro Boulets Montreuil, où je réside, j’ai traversé le boulevard Voltaire, monté la  rue Alexandre Dumas, pris l’avenue Philipe  Auguste, longé( j’allais dire, langé)  le Père-Lachaise, et très vite, vraiment très vite, suis arrivé  rue de Ménilmontant, tout au début, près de la bouche de métro. Déjà, enfant je voulais toujours découvrir ou redécouvrir ces lieux qui ont habité et abrité les souvenirs de mon enfance.  A 14 heures, aujourd’hui ,  il faisait beau sur  Paris, très beau  sur Ménilmontant ; pas trop de soleil, juste des rayons jaunes brillants sur  un gris uniforme de belle qualité, troué parfois par des bleus et des blancs et même du rouge, comme s’ils avaient été peint par Van Gogh, et qui nous font lever la tête pour regarder les orangers du ciel et plonger nos yeux  vers ces pavés où jadis les vignes enrichissaient les beaux coteaux. Il n’y avait pas de bruit de tonnerre, c’est plutôt rare par ici, pas d’orage non plus comme si le vent des ailes des derniers oiseaux avait chassé les nuages. Etonnant non, à Paname ? Il y a des jours, on ne voit que la beauté, que des lunes proches ou des soleils qui nous éloignent de l’aliénation et de l’emprisonnement. Oh que c’est bien de marcher ainsi, seul, la tête claire et girouette, le regard attentif à tout ce qui se passe, à ce qui nous entoure. On y  voit ainsi toujours les pêchers et les cerisiers en fleurs près desquels flirtent les filles donnant de vrais baisers aux garçons amoureux allant se cacher  aux porches des églises, devant le front gris ruisselant  des charbonniers aux yeux d’africains portant sur leur dos des sacs de boulets d’ anthracite noirs pour faire rougir les poêles dans des maisons de village alignés en montant  cette rue de Ménilmontant, nom provenant d’un ancien chemin conduisant à un hameau formé autour d’un « ménil » ou villa, dit dans une charte de 1224 Mesniolum mali temporis (mesnil du mauvais temps) et dans une autre, de 1231, Mesnilium mautenz, appellation transformée vers le  XVIe siècle en Mesnil montant. Elle s’appela aussi, de 1672 à 1869, la chaussée et aussi l’avenue de Ménilmontant. C’était une belle route bien droite plantée de deux rangées d’arbres vers 1748, fréquent but de promenade des Parisiens car elle conduisait au plateau de Ménilmontant, qui atteint, aux environs de la rue Pelleport, une altitude voisine de 117 mètres.

     Je pourrais longtemps parler de ton quartier, du 20e qui est aussi le  quartier de la belle dame  qui t’a répondu si joliment sur ton blog. Mais je continue encore un tout petit peu le chemin qu’il me reste pour aller devant l’entrée de ta maison, de votre appartement . J’y suis arrivé par la rue Julien Lacroix, (section comprise entre les rues de Ménilmontant et des Couronnes)qui est, dans cette section, une partie de l’ancien chemin des Couronnes, indiqué en 1730. No 8 . Emplacement du bal de l’Elysée-Ménilmontant  disparu lors du percement, en 1897, de la rue qui porte son nom. Numéro 17, La rue des Maronites, ex-rue de Constantine jusqu’en 1867. Et puis…tout de suite, là, à droite, juste à l’angle rond de la rue des Maronites,  une bouche obscène prête à m’avaler m’ouvrit la rue du Pressoir. Tout à coup une lame frôlait  ma nuque  et mit fin à tout mes rêves d’hier . Alors…. cher Guy, chère lectrice à la belle lettre très émouvante qui vous a fait pleurer et m'a ému moi aussi. Quelle émotion d'entrer dans ce qui était la rue du Pressoir. Là, les anges m’ont abandonné. Ils ont été effrayés ; m’ont laissé seul, tout seul au milieu du béton… J’ai continué ma marche lentement, devinant, au virage, les numéros  23-25 de votre rue, le trottoir en arrondi, la porte, la fenêtre, l’escalier bien ciré qui grimpe, le garage, vous, deux enfants de la balle, l’épicier, la marelle : la terre et le monde, bien dessinée à la craie par Guy et vous, mademoiselle,  neuf ans, les jeunes camarades ; le garage, l’eau qui coule dans le caniveau, les paquebots en papier… Mais…  il n’y a plus rien de tout ça, de tout cela, de votre enfance. j’ai continué à marcher après le virage à gauche, puis tout de suite à droite, et  je n’ai plus voulu me retourner pour voir où vous habitiez. J'ai deviné, je crois. Oui, c’était bien là ! Bienvenu Merino