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  • MA RENCONTRE AVEC JANE CHACUN

     

     

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    Jane Chacun

     

    Avant 1966, je n’avais jamais entendu parler de la chanteuse Jane Chacun, née à Ambert en 1908, qui fit presque toute sa carrière à Paris. A cette date, peu de gens se souvenaient de cette grande figure de la chanson française qui fit l’admiration d’un très nombreux public entre 1930 et 1955. Aujourd’hui, Jane Chacun est tout simplement oubliée du grand public, et cela depuis bien longtemps.

    A la fin de ces années 60, comme beaucoup de jeunes, j’étais alors bien plus intéressé par les chansons de Bill Haley et sa musique rock, ainsi que par Frankie Jordan, Billy Bridge, Moustique, les Chaussettes Noires, Vince Taylor que j’ai rencontrais en pleine gloire. Puis ma fascination pour le jazz que j’écoutais la nuit à la radio devint capitale dans ma culture, disons simplement, dans mon parcours où je découvrais les diverses formes de musique. Et ce n’est que bien peu plus tard, que je me suis intéressé aux guitaristes, Wes Montgomery, Joe Pass, Benny Carter, Charlie Byrd, Paco de Lucia, Django, Christian Escoudé, Claude Barthélémy, Woody Guthrie, ce chanteur et guitariste folk américain qui s’était engagé très jeune dans l’action politique. Parti pour la Californie, comme des milliers de ces Okies chassés par la misère de l’Oklahoma, il s’installa au cœur des luttes sociales, s’opposant avec sa guitare et ses chansons aux milices des entreprises fruitières ou à la complaisance des policiers de l’Etat californien. Sa réputation de redoutable agitateur lui valut de nombreux démêlés avec la police et la justice.

    Aussi, je ne veux pas oublier un ami, Raymond Boni, un grand lui aussi, qui apporte, encore aujourd’hui, énormément à la musique moderne, au free jazz, uniquement avec son instrument, sa guitare, et son phrasé unique, qu’il sait travailler comme s’il était, à lui tout seul, un orchestre. Dans son disque Wanted  Mr. $ dollar for Good, ça commence et ça se termine  par une salve contre les habitudes guitaristiques, une batterie d’instruments : saxo, cornet, orgues monastiques, campanas sevillanas de procession, tocsin. Et pourtant Boni est seul avec sa guitare pour quitter la guitare. A une époque, l’orchestre d’Ellington a été exemplaire, parce que chacun de ses solistes était lui-même capable d’être chef d’orchestre. Là, Raymond Boni, est « orchestre » à lui tout seul. Si Charlie Christian s’était inspiré de Lester Young et devait créer ce qu’on appelle le « red style » le style saxophone ; il sut parfaitement exploiter son instrument et tirer de l’amplificateur électrique une sonorité très belle. Raymond Boni, dans Wanted Mr. $ dollar for Good,  tire de son instrument ce qui paraît impossible d’extirper d’une guitare. Son CD rouge est un moment rare dans la guitare de ces dix dernières années. Chirurgie événementielle. Réussite époustouflante pour Boni, qui à vingt ans voulait quitter la guitare trouvant qu’avec cet instrument, il n’avait pas assez la possibilité de s’exprimer. Alors qu’il était, dès 1971, classé par Jazz Magazine, parmi les plus grands guitaristes de la spécialité.

     

    FRANK ZAPPA - JOAN BAEZ

     

    Au début des années 70, je me familiarisais avec le travail musical de Frank Zappa dont je traduisais les textes afin de mieux comprendre ses chansons. Ceci dit, c’est son œuvre,  en partie, qui contribua à mieux me politiser et donna un certain sens à ce que je vivais, et à mieux voir ce qui se passait sur la planète, si je puis ainsi dire. Evénements aux Etats-Unis et dans toute l’Amérique, ainsi qu’ailleurs dans le monde, sans oublier la guerre au Viêt-Nam, dont beaucoup furent victimes. Avec Frank Zappa, Joan Baez, et bien d’autres, je complétais  ma formation, non simplement musicale, mais d’une certaine culture politique.

     

     EDITH PIAF - LUCIENNE DELYLE - YVONNE PRINTEMPS - LA CALLAS

     

    En France, parmi les chanteurs et chanteuses, je connaissais les chansons que chantaient Edith Piaf. Mais vraiment, à cette époque là, cette chanson je l’écoutais peu et n’y prêtais pas beaucoup d’importance. Durant mon enfance, j’avais passé des années à écouter le Cante Flamenco et à m’intéresser à la danse andalouse pure. Piaf ne me touchait pas trop. Je dirais plus honnêtement que je passais à côté de son expression. Cependant, elle m’émouvait, et je la voyais comme une petite femme fébrile qui tombait sur scène lors de ses concerts. Dans un sens, j’avais peur pour ce petit bout de femme vêtu de noir, d’apparence fragile, me faisant trembler. Sans doute, je ne devais pas très bien écouter ses paroles, ni trop la musique qui l’accompagnait. Ou alors, je comprenais trop bien les mots, moi, que touchaient les faibles et la pauvreté du monde. J’avais été bercé depuis l’enfance par la musique  espagnole, de la région d’où étaient originaires mes parents, quand surgit  Rock around the clock, de Bill Haley and The Comets, qui bouleversa certains clichés et me fit m’intéresser à une autre trajectoire, celle des chanteurs de folk song que Bill nous rappelle quelquefois. Mais Bill était différent, et je ne crois pas qu’il se soit même senti à l’aise comme stéréotype de rock and roll. Et cela bien avant que je connaisse le folklore sud-américain des divers pays du continent où je vécus. Et puis il y a  la musique dite classique et ses dérivés qui m’accompagnent presque chaque jour, aujourd’hui encore.

    Cependant je dois dire, qu’il y eu un moment très fort parmi tous les temps forts, qui révélèrent  la GRANDE PIAF dans sa carrière, le jour où elle chanta au premier étage de la Tour Eiffel, avec, à ses pieds autour du Trocadéro, une foule énorme, noire de centaines de milliers de spectateurs. Peut-être est-ce cette image du peuple de Paris, au chevet de la GRANDE de la chanson, qui me fit réfléchir à la personnalité, de ce petit bout de femme, immense de talent, dont il m’avait fallu un certain temps pour comprendre qui elle était, et ce qu’elle valait.

    Il y eut parmi mes favorites de la chanson française, Yvonne Printemps, dont les chansons me vinrent aux oreilles que très tard. Elle prodiguait ses exceptionnels dons vocaux au seul domaine de l’opérette, à un niveau que personne d’autre n’avait atteint. Si, techniquement, on cherche une de ses qualités essentielles, on peut penser tout naturellement à son sens du ‘legato’, si rare chez les chanteuses. Ce ‘legato’ qu’on ne peut maintenir qu’avec un souffle impeccable, donnait à tout ce qu’elle interprétait une valeur humaine inestimable. Yvonne Printemps  transfigurait tout ce qu’elle touchait. En effet le charme vocal d’Yvonne Printemps défiait l’analyse.

     

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    Lucienne Delyle

     

    Je découvris aussi sur le tard l’œuvre de Lucienne Delyle me rendant vite compte que j’étais passé à côté d’immenses talents qu’avaient frôlé mon adolescence, pour enfin vouloir découvrir ces riches interprètes qui existaient dans la chanson française et dont j’ignorais tout.

    Je me tairai ou plutôt je serai rapide en parlant des grandes chanteuses  d’Opéra dont la passion me vint vers la trentaine, un trouble qui me fit me poser des questions en écoutant La Callas,  diva parmi les divas. Pour ceux qui ont eu la joie et le privilège de l’approcher durant ses préparatifs d’enregistrement, que ce soit en chair et en os ou dans une émission de télé, quelle leçon de modestie devant la Musique ! Travaillant surtout les problèmes d’accentuation, lisant et relisant la musique choisie, seule sur un canapé ou sur un lit, gardant à portée de main ses partitions, chantant au besoin à mi-voix tel passage difficile d’une cadence, c’est à un véritable phénomène d’osmose que Maria Callas se livrait  durant  des jours. Lorsque la phrase musicale, la prosodie et la couleur de la musique l’avaient imprégné, c’est alors qu’elle s’occupa à proprement parler de la voix. Par un phrasé que ne coupe jamais à tort la respiration, par des vocalises d’une fantastique égalité parce que coulées dans un même souffle, Maria Callas, née grecque en territoire américain et habitant longtemps en France, donna à la musique française de nouvelles lettres de noblesse. N’est-ce pas une gageure, en effet, que de parcourir les registres les plus éloignés de la voix humaine et de changer d’atmosphère musicale et psychologique tout au long d’un disque ? C’est pourtant l’exploit accompli par Maria Callas dans son premier disque d’opéras français. Eclatant !

     

    MADAME JANE CHACUN

     

    Oui, j’ai un peu tardé avant d’aborder le souvenir de ma rencontre avec Jane Chacun ! Une parenthèse de temps due à un peu d’émotion en évoquant ces moments avec cette femme reconnue puis oubliée. J’ai toujours eu du respect pour Jane Chacun, même si notre rencontre fut brève et que je connaissais assez mal son œuvre. Dans ces années-là, ma connaissance musicale à l’égard de ses chansons m’était assez limitée, pauvre même. J’ai rencontré Madame Jane Chacun, sur le tard, alors qu’elle ne chantait presque plus, pour ne pas dire plus du tout, et que ses disques n’étaient plus mis en vente. En 1966, Jane Chacun avait 58 ans,  jeune encore, et belle femme. J’ai connu Jane, chez elle, à Saint- Maur-des-Fossés (Val-de-Marne), la ville où elle habitait. Je travaillais alors pour une importante société dont-elle était cliente. Elle avait fait une commande pour améliorer le confort de son pavillon proche des bords de Marne. Je vins donc de bon matin travailler chez elle. Elle m’attendait. J’étais jeune, mais je connaissais déjà les rouages de mon métier et savais ce que j’avais à faire pour me mettre au travail sans perdre trop de temps avec les clients. Très chaleureuse dès le premier instant de mon arrivée, Jane m’invita à prendre le café. Après cette courte pause je lui demandai où se trouvaient les paquets qui avaient été livrés par ma société pour que je puisse constater que tout soit bien là avant que les ouvriers se mettent au travail. Jane m’indiqua l’escalier pour rejoindre le sous-sol de sa maison. Je descendis les quelques marches. Arrivé en bas, je fus  surpris de voir parmi les paquets qui me concernaient, d’autres paquets remplis de disques 78 et 33 tours dont  j’apercevais les pochettes  débordant des cartons et qui laissaient apparaître des disques noirs brillants, rangés soigneusement, où je lisais sur les étiquettes :   JANE CHACUN - PATHE MARCONI, JANE CHACUN - DISQUES POLYDOR ... Il devait y avoir deux mètres cube de chansons. Pardonnez-ce langage, en vérité je suis très respectueux. Les écrivains savent de quoi je parle, car les éditeurs ne font pas mieux lorsqu’ils veulent se débarrasser d’un surplus de livres invendus. A cet instant même, dans le sous-sol de la maison, je sentis dans mon corps comme un petit ‘vertige’, oh ! presque  rien. Et dans mon esprit siffla une atmosphère rayonnante de bonheur, en apprenant chez qui j’étais. Donc,  je vérifiais  rapidement les paquets concernant  la livraison, pour voir si tout était là, et montait ensuite à l’étage retrouver Jane Chacun et lui dis : « Eh bien ! Vous en avez des disques Madame ? » Elle me répondit: « Oh ! Cela fait belle lurette que je ne chante plus ! Ce sont mes réserves de chansons pour l’éternité. » Et elle continua : «  J’étais la rivale d’Edith Piaf… mais c’est fini maintenant. » Elle parlait, j’écoutais. Je fus bouleversé déjà en découvrant au sous-sol sa tonne de disques et en quelques secondes d’apprendre son identité célèbre, ce qui me laissa dans un état d’homme en vol. Mes chaussures avaient décollé. J’avais la sensation de marcher à cinq centimètres du sol. Oh ! Elle ne s’épancha pas longtemps sur sa vie ! C’était si simple la façon dont elle en parlait. Mais cela avait suffit pour m’atteindre euphoriquement. En fait, c’était une des raisons parmi d’autres qui m’avait un peu troublé ; c’était, qu’en fin de carrière ou plutôt, après un itinéraire  rempli de succès, tout était en voie d’extinction, tout s’était arrêté ou était en voie de s’arrêter, pour la Reine du musette, comme un couperet qui tombe tout doucement, puis net. Elle se leva de sa chaise et sans perdre de temps, sachant bien que je devais travailler, elle voulut me faire plaisir, et s’empressa de tirer d’un de ses rayonnages, derrière le buffet, un de ses disques, qu’elle me  tendit, en me disant : «  C’est pour vous ! » Je regardais ses yeux, en serrant dans mes mains, avec attention, le présent qu’elle venait de m’offrir. La bonté de cette femme se lisait dans son regard, au même moment où elle découvrait le bonheur que j’éprouvais d’être à ses côtés. Mais je lus aussi à la lisière de ses prunelles et dans la profondeur de ses yeux noirs, qu’elle avait un peu perdu de l’enthousiasme qu’elle avait montré au départ. Cela donnait à son visage un brin de lassitude dans de grands yeux ouverts sur un avenir incertain. Son large front pâle contrastait avec sa belle chevelure noire de vedette de la chanson. Je fixai la pochette du disque. La photo de son visage me fit penser à une icône. Comment ne pouvais-je  avoir une éternelle reconnaissance pour Jane Chacun, moi qui avait passé mes premiers bals à danser en province, bercé par la musique  des grands accordéonistes des années 60 : Aimable, Verchuren, Jo Privat, Louis Corchia, Emile Prud’homme, sans vraiment avoir pu les approcher, sinon dans l’enceinte d’une salle de bal. Jamais en vrai. Comment s’y prendre pour devenir familier de ces grands joueurs de piano à bretelles ? Comment  faire pour leur parler, pour les connaître ? Même si, avec leur accordéon, ils m’avaient donné du plaisir et de la joie en une seule soirée ou même toute une nuit, je restais dans la foule, anonyme, toujours anonyme parmi les milliers de danseurs dans la ronde.

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    Un disque de Jane Chacun

     

    Avec Jane tout avait commencé comme avec une maman. Tout continua comme l’amour d’un fils pour sa mère. Tout continuait, jamais ce ne fus fini. Jamais. Ça continue ! Elle est ma souveraine pour toujours.

    En vérité, si je pris goût, dès mon adolescence, à la danse dans les bals de province et si j’avais de l’intérêt pour la musique et les musiciens,  c’est plutôt à cause de l’ambiance et des tourbillons avec les filles. C’est cela  qui me faisait m’appliquer pour apprendre à mieux les tenir dans mes bras, à les serrer pour une soirée, une nuit, jusqu’au prochain bal et je ne sais quoi de plus encore !

    Avec Jane, j’étais ému et reconnaissant, sans doute parce que je parlais  pour la première fois à quelqu’un d’important, à une femme célèbre qui parlait tout simplement à unjeune homme de rien, cherchant son itinéraire dans la vie. Je me retrouvais face à une gloire, une artiste vraie, une femme que déjà le monde du spectacle oubliait.

     

     DEBUT DE JANE CHACUN  

     

    Lorsque les bals-musette se développèrent dans Paris au début du 20e siècle, atteignant leur apogée entre les deux guerres, ils se regroupèrent dans les quartiers où les Auvergnats s’étaient installés en grand nombre. On pourrait presque parler d’instinct grégaire. Deux pôles principaux sont à distinguer : La Bastille avec la rue de Lappe et le passage Thiéré, le quartier des Arts-et-Métiers dans les rues Au Maire et des Vertus. Ils étaient moins nombreux que dans les secteurs précités ; il faut néanmoins mentionner les abords de la Place Clichy (Abbaye Petit Jardin, Grande Roue) ainsi que Belleville et Ménilmontant (Ça Gaze et Le Boléro).

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    Le Tourbillon

     

    A l’adresse du 8 rue de Tanger, Paris 19e, très près du boulevard de la Villette, se trouvait un petit bal appelé Le Café Olivia. Ce bal fonctionnait en fin de semaine. En 1926, Albert Carrara (le fils aîné de Vincent Carrara) acheta ce café-bal, le transforma et l’agrandit de façon notable et ajouta le confort nécessaire. Il pouvait y contenir deux cents personnes au bar et autant dans la salle et quatre-vingts danseurs sur la piste. Ce café-bal  prit comme enseigne Le Tourbillon. Albert était un excellent accordéoniste qui dirigeait un orchestre réputé. Avec ses  musiciens, il fit danser jusqu’en 1931, date à laquelle il céda l’affaire à Monsieur Bernard. Celui-ci donna une impulsion nouvelle au bal qui connut un grand succès jusqu’à la guerre de 1939, même s’il continua à fonctionner encore presque plus de trente ans, en changeant plusieurs fois de direction. Son premier orchestre fut celui de Robert Carnero, accordéoniste aveugle, dont Bernard devait dire bien plus tard que c’était un as. Propos bien flatteurs confirmés par Jo Privat qui affirmait que Carnero jouait aussi bien qu’Emile Vacher. Ensuite il y eut Jean Vaissade, auteur de l’inoubliable Sombreros et mantilles, et qui amena Rina Ketty au rang de vedette du tour de chant. Elle vint d’ailleurs quelquefois chanter au Tourbillon. Après Vaissade, ce fut Emile Prud’homme qui s’installa dans le bal. Prud’homme resta près de trois ans au Tourb’ comme on disait familièrement. A cette époque, une inconnue, qu’on appelait la Môme Piaf, vint au bal et chanta, accompagné par Mimile. La première fois où elle demanda à chanter au Tourbillon, Mimile dit en douce à ses musiciens : « Laissons-là venir, on va bien se marrer. » Il est vrai qu’elle ne payait pas de mine. Mais tous furent subjugués par la voix de celle qui allait devenir la grande vedette que l’on sait.

    Jane Chacun, surnommée  La Reine du musette  s’y produisit aussi et eut bien sûr ses jours de gloire. Aux heures apéritives du Batifol, lieu de rendez-vous désigné d’un petit monde régi par la musique, la chanson et le spectacle des années 50, étonnante bourse humaine, Vincent Scotto, l’homme aux quatre mille chansons, venait en premier. Derrière la vitrine, sans aucune ostentation, mais tout de même il faut bien se montrer, il tenait table ouverte à une assemblée fidèle où brillaient les chanteuses Benoîte Lab, Germaine Lix, Roberte Marna, Lina Margy et Jane Chacun, reine du musette.

    Le Tourbillon, ouvert dès 1926, ferma ses portes qu’en 1968. Si Edith Piaf et Jane Chacun, à leurs débuts, y firent les beaux jours, la très belle Simone Réal, qui travaillait en usine, y venait se distraire le samedi et dimanche. Elle aussi obtint la célébrité. Les qualités de cette jeune fille, sa beauté sublime et son impact sur les danseurs n’échappèrent pas aux dirigeants du bal qui l’embauchèrent pour chanter avec l’orchestre en fin de semaine. Elle y resta dix- sept ans, jusqu’à la fermeture du bal en 1968.

    Jane Chacun avait commencé  à percer en même temps qu’Edith Piaf, à la veille de la guerre, en 1939. Piaf, démarre à L’ABC, Jane, devint vedette au célèbre Mimi Pinson, où sa robe noire (tout comme celle de Piaf)  et son foulard rouge en firent la reine du musette. Quelle reine ! 

    Mais bien avant ses débuts fracassants, au Mimi Pinson, Jane avait été reconnue dans tous bals célèbres de Paris et banlieues. Au Boléro, à La Java, La Boule Noire, Au Balajo, au Bal des Gravilliers, au Ça Gaze et au Boléro, célèbres bals de  Belleville et Ménilmontant, au Tourbillon, bien sûr, chez Gégène à Nogent-sur-Marne.

     

    FIN D’UNE ROMANCE

     

    Jane Chacun est partie en janvier 1974 pour l’hôpital de Créteil  d’où elle rejoignit les étoiles. C’était le 29 janvier. Triste janvier auquel je pense sans oublier ces grands yeux attendrissants, cette voix qui m’était familière et cette émouvante  simplicité qui m’avait tant ému un jour de l’année 1966.

    Trois ou quatre fois, j’étais revenu la saluer chez elle, et à mes rares apparitions Jane me disait toujours : « Revenez vous avez un si joli prénom ! » Des années plus tard, de retour à Saint Maur-les-Fossés, j’appris par ses voisins qu’elle avait chanté pour les riverains des bords de Marne et ses amis dans les bistrots de Saint-Maur. Cela  quelques mois avant que la vie ne la quitte. Bienvenu Merino

     

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  • JEAN-CLAUDE RIHARD/ANCIEN DU QUARTIER

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    Jean-Claude Rihard à l'Ecole Maternelle, rue des Maronites

    Photo Yolande Suchet épouse Lapierre

     

    "Ancien du quartier, j'ai lu avec intérêt votre blog. Cela m'a rappelé des souvenirs anciens et cependant très présent : Mon école maternelle rue des Maronites, puis la Communale rue Julien Lacroix pour ce qui me concerne, rue Etienne Dolet pour ma copine Yolande. Les trois marchands de bonbecs qui avaient eu le bon "goût" de s'installer sur le chemin de l'école et chez lesquels nous avions un passage obligé... La chanson du père Renaud fait allusion aux mistrals gagnant, je dois avouer que je n'ai pas ce souvenir, par contre les chewing gum gagnant, alors oui... et l'arrivée des Carambars... les roudoudous... pas les modernes dans des coquillages mais ceux en écorce de bouleau ou de sapin... Non, je n'ai pas oublié, dit une autre chanson... Je ne risque pas, puisque j'écris mes mémoires et que mes 23 premières années furent passées dans ce "village" inoubliable. Mon pote Jean-Pierre Cardon, dont les parents étaient concierges rue du Pressoir, fut parmi les premiers à être "déporté" là-bas, à Sarcelles. Je me rappelle très bien les premières destructions au coin de la rue du Pressoir et des Maronites ... adieu le marchand de bonbecs... Et les premières cibiches fumées dans les terrains vagues d'alors, soit dans le haut du passage Ronce, soit vers ce qui est aujourd'hui le parc de Belleville... et l'enchevêtrement des passages et impasses qui menaient de la rue des Couronnes à la rue d'Eupatoria ... et ... et ...

    Ma tante Janou (Jeanne Battaglia) a été l'élève de Gus Viseur et de Jo Privat. Elle a joué vers 15-16 ans dans quelques cafés du quartier (en particulier rue des Maronites). En matière bibliographique, je citerai aussi :  Les Bals à Jo (Lépidis), Belleville Apache (Tardieu), Le Bougnat [rue Bisson] (Tardieu), Maurice, bottier à Belleville (Bloit), Regard d'un Photographe (Henri Guérard, un "pays"!), P'tit Claude (on s'éloigne dans le Haut de Belleville ... avec Eddy Mitchell), W ( Rue Vilin ... Georges Perec ), Le Belleville des juifs Tunisiens ( Boulevard de Belleville, rues Ramponneau, Denoyez) (Simon et Tapia), Souvenirs (Odette Laure), Jean Ramponneau (Viderman),  Belleville au coeur (Lépidis) et de nombreux autres qui s'étalent dans ma bibliothèque. Sans oublier l'incontournable Belleville au XIXe de Jacquemet qui est une véritable étude socio-anthropologique qui permet de mieux comprendre le Belleville du XXe ..... siècle! Enfin un introuvable écrit en Yiddish puis traduit en français par Marcel Arnaud, il s'agit des Juifs à Belleville de Benjamin Schlevin. Ce livre écrit vers 1955-56 reflète parfaitement le quartier de ma jeunesse, celle de l'après guerre."

      Jean-Claude Rihard

  • ROBERT REGARDE DANS LE RETROVISEUR

     

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    Vous êtes né en 1930, rue Ramponneau. Essayons de remonter le temps. Quels sont les souvenirs les plus anciens que vous conservez de cette rue ?

     


    Les plus anciens ? Je cherche et curieusement je ne trouve pas. C'est pour moi tout un ensemble, la porte du 16 de la rue près de laquelle je me suis si souvent adossé attendant les copains ou regardant les passants car il se passait toujours quelque chose dans ma rue. Mais ma rue c'était aussi les soirs d'été, quand j'étais couché la fenêtre grande ouverte, les pièces n'étaient pas grandes et mon logement était sous les toits, en zinc comme tous les toits de Paris. Je m'endormais tard et tous les bruits extérieurs me parvenaient. Comme je connaissais si bien ma rue, je devinais d'où venait chaque bruit : une porte manœuvrée au loin et je me disais, tiens quelqu'un entre au 13 ou quelqu'un sort car le bruit n'était pas le même quand on entrait ou que l'on sortait ; la porte du 12 ou celle du 20 et 22, celle-ci était très lourde et avait un bruit profond, la porte du 16 s'ouvrait ? Le bruit de pas dans le couloir, le cliquetis des fers des souliers, le tintement de pièces de monnaie remuées par la main dans la poche et je savais aussitôt que c'était Kiki qui rentrait. Lui seul faisait sonner sa ferraille et il en avait toujours pas mal dans ses poches. J'en profitais souvent. Quand, adossé à la porte du 16, Kiki passait et s'arrêtait pour me dire: Salut Robert, alors t'es pas au cinoche ? Non monsieur Kiki. C'est la dèche alors ? Plutôt, oui. Alors il glissait sa main dans sa fouille et en sortait une poignée de pièces. Tiens, qu'il me disait, va t'payer une toile. Merci, monsieur Kiki, merci. Il s'éloignait dans le couloir et j'entendais les fers résonner encore quelques instants.

    La nuit, il y avait les siffleurs, souvent de très bons. Cela ne se pratique presque plus de nos jours ou ils ne valent pas ceux de mon temps. Parfois, l'un deux arrivait du bas de la rue et je le suivais à l'oreille jusqu'en haut à la rue de Tourtille.

    Toujours en été, mais le matin de bonne heure, aux environ de sept heures, j'entendais quelques notes sifflées par un gars dans la cour, sans réponse, l'arrivant lançait alors : Marcel, c'est l'heure ! Une tête passait par une fenêtre et le gars Marcel répondait : J'arrive toute suite.

    Il était habituel autrefois que les copains de travail viennent se chercher chez eux pour ne pas faire le chemin seul et puis pour parler, tout simplement. Moi aussi mes copains ont bien essayé de venir me chercher pour partir au boulot, mais ils ont vite abandonné, j'étais vraiment trop en retard !

    La nuit dernière, je me suis réveillé, mon réveil indiquait 2 h 45 et une pensée trottait dans ma tête. Je l'avais mon souvenir le plus ancien, et il n'était pas loin. J'aurais pu d'ailleurs en parler bien avant. Mon souvenir le plus ancien, c'est une porte qui ouvre sur un mur blanc juste à côté, à droite du cinéma Cocorico, une petite porte qui donne accès au dispensaire appelé La goutte de lait.  C'est dans cet établissement que bon nombre de petits bellevillois ont reçu les premiers soins destinés aux nouveaux-nés. Je suis sûr que nous sommes nombreux à nous en souvenir car c'est là que bien souvent on nous réparait quand l'enfant que nous étions se blessait ou souffrait de quelques maux. Avec ma maman, nous entrions toujours par la rue Desnoyer, juste avant les portes de secours des Folies Belleville. Une grille fermait l'entrée. Il y avait un petit appentis sous lequel se serraient quelques voitures d'enfant, le tout terriblement poussiéreux. Rien que de franchir l'entrée me mettait dans un état de peur insurmontable. La grande salle que je trouvais immense et ses bancs nombreux placés les uns devant les autres et dans le fond, une sorte de scène sans décors, abandonnée. Les murs très hauts qui montent, montent uniformément blancs, sont tristes à pleurer, et je retiens déjà mes larmes car j'ai toujours peur ! Maman produit des documents. Je suis inscrit, nous nous asseyons sur un de ces bancs et attendons. Je la revois cette porte, petite et antipathique, je sais que c'est par elle que tout à l'heure une infirmière tout de blanc vêtue, portant sur la tête une sorte de linge blanc avec une petite croix rouge arrivera et braillera mon nom. La panique s'emparera alors de moi et blotti contre ma mère je la suivrai, pitoyable.

     

     

    Clément Lépidis, dans ses chroniques bellevilloises, décrit un quartier voué à la chaussure et il évoque parmi ceux qu'il appelle "les colonels de la bottine" les noms de Gravanis, Milonas, Katarklakis, Tokatlérian ... Arméniens ayant survécu aux  massacres de 1915, Juifs ashkhénazes chassés par les pogromes de Pologne et de Russie, Grecs fuyant la  Turquie composent alors l'essentiel de la population du quartier. Vous-mêmes êtes d'origine arménienne. Comment vivent ensemble les habitants de notre vingtième arrondissement ?

     

     

    Mon père était Arménien, ma mère Française, mais notre "maison" était, du fait de l'entourage de la famille, grands-parents, frères et sœurs vivant dans le même immeuble ou le même quartier, "française".

    Bien sûr, la chaussure a tenu une place importante dans les métiers pratiqués par les immigrés à Belleville et particulièrement par des Arméniens, mais il y en eut bien d'autres : tailleur, lapidaire, épicier, restaurateur, artiste peintre, musicien... Chaque nationalité avait sa spécialité. Les Arméniens : chaussure, tricot, lapidaire, épicier, restaurant, tailleur. Les Juifs : tailleur, confection et vente, horloger, restaurant, boucher. Les Italiens: la construction, le ciment et le plâtre, épicier. Les Arabes : ventes de primeurs, surtout à la sauvette, restaurant.

    Belleville a accueilli depuis très longtemps les immigrés de toutes origines. En plus de ceux que vous avez mentionnés, il faut citer aussi les Italiens, les Espagnols, des Manouches qui furent nombreux à s'installer dans ce quartier. Dans l'ensemble tout se passait de manière acceptable, chacun vivant sa religion, ses coutumes, sa manière de se nourrir. Exemple, il y avait des épiciers ou bouchers italiens, espagnols, arméniens, cacher et hallal. Mais suivant la conjoncture, les étrangers étaient plus ou moins acceptés, surtout quand le chômage s'installait. Les immigrés même naturalisés étaient accusés de prendre le travail des français. On reprochait aux Juifs de s'entraider, on regrettait surtout de ne pas être capable de pratiquer cette même aptitude et la rivalité s'installait car rapidement leur situation financière s'améliorait. Il n'y a rien de changé de nos jours. L'Arménien je crois, s'est généralement bien intégré en France. Il n'est pas d'un naturel violent ou agressif, il est discret et hospitalier, mais je m'arrête ici, on pourrait m'accuser de chauvinisme.

    L'arrivée massive à la fin 1956 de français et autres fuyant l'Afrique du nord suite aux déclarations d'indépendance entraîna un bouleversement radical de la société bellevilloise. Tout alla très vite et le quartier fut submergé par ces nouveaux arrivants. Les anciens habitants partaient vers les banlieues et laissaient la place libre. Belleville, celui d'avant, se mourait et ne s'en remettrait jamais. Belleville de la Courtille, du sieur Ramponeau cabaretier, des guinguettes mais aussi Belleville de la Commune de 1871, de la Libération en 1944 et des ouvriers de 1936 qui luttaient pour leur pain et leur dignité.

    A présent je suis incapable de dire de quoi se composent les habitants de ce quartier. Les derniers arrivants, d'après ce que j'ai pu constater sont asiatiques. Irrémédiablement je crois, leur présence s'étendra à tout le périmètre et émergera alors un 14° arrondissement bis.

     

     

    Quels métiers exerçaient vos parents ?

     


    Ma mère était sans profession. Elle a élevé quatre enfants et a été de ce fait amplement occupée. Mon père avait appris notre langue qu'il maîtrisait assez bien. Cela lui permit de l'enseigner à ses compagnons d'immigration lors de leur arrivée en France. Arrivé à Paris, il pratiqua divers métiers : traducteur, lapidaire, canevas de tricot, épicier, et pour finir rédacteur dans un journal de langue arménienne. Trouver un emploi en France n'était pas toujours facile. Il fallait obtenir pour les apatrides un droit de séjour et de travail. Pas toujours aisé à obtenir.

     


    Les appartements étaient exigus et la vie quotidienne se déroulait en partie dans les cafés. Vous souvenez-vous de ces cafés du dimanche, des habitudes que l'on y avait ?

     


    Les appartements étaient cela est vrai exigus. Dans notre immeuble, il n'y avait que des logements de deux ou trois pièces maximum. Pour ce qui nous concernait, la fonction de ma grand-mère et de ma mère ensuite, nous facilitait l'occupation de plusieurs logements, ce qui me permit à treize ans, au départ de mes sœurs, de me retrouver le seul occupant d'un deux pièces. Pas de vrais problèmes de ce côté.

    L'Arménien est quand même un oriental et aime à se retrouver au café, c'est son agora. Il y retrouve ses coreligionnaires et peut parler sa langue maternelle. Le dimanche, vers midi, ma mère m'envoyait chercher mon père à La Chope qui se tenait à l'angle du boulevard de Belleville et de la rue Pali-Kao. C'est dans cette brasserie que se réunissaient en grande partie les Arméniens du quartier. Papa me disait : Va, commande-toi une grenadine, je viens de suite. Le temps passait : Papa il faut venir, maman va crier. Oui, oui je viens. Enfin la partie de jacquet, de dominos ou de belote terminée, il consentait à me suivre et nous rentrions à la maison. Ma mère le sermonnait mais cela ne durait pas longtemps car mon père avant de rentrer passait acheter un ou deux kilos de raisins, de pêches ou que sais-je encore au vendeur de quatre saisons à la sauvette du coin de la rue.

     


    Quelles étaient les distractions d'un enfant de dix ans, rue Ramponneau ?

     


    Dans cette rue (et celles de tout le quartier), j'ai pratiqué tous les jeux de l'époque : la marelle, la corde à sauter, saute-mouton, le foot avec un ballon ou même une boîte à conserve, les osselets (qui venaient directement de la boucherie) à "dos-creu-i-s" difficile ! Le traîneau que je construisais avec une planche. Un jour, j'ai eu la mauvaise idée d'utiliser la planche à laver de ma mère pour mon œuvre. Il m'en a cuit et le chat à neuf queues a laissé quelques marques sur mes cuisses. A l'époque, les jeunes garçons ne portaient que des pantalons courts et on ne se posait pas la question : Faut-il oui ou non interdire la fessée? Quelques morceaux de bois et des roulements à billes que j'allais récupérer au garage du coin. Ah ! Ça en faisait du bruit quand nous dévalions, parfois à trois ou quatre, la rue en partant de la rue de Tourtille jusqu'au boulevard. Il y avait peu d'automobile dans les rues. La rue était à nous !

     

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    Le cinéma, je l'ai déjà évoqué, il m'est arrivé d'y aller à une certaine époque plusieurs fois par semaine. Un détail, la veille au soir du jour de ma naissance, ma maman et mon papa avaient assisté à une séance de cinéma du quartier (je n'ai jamais su lequel) où était projeté Le collier de la Reine de Gaston Ravel et Tony Lekain, film de 1929. Ma mère a ressenti les premières douleurs lors de cette séance, m'a-t-elle confié un jour. Pas étonnant alors que j'aime le cinéma. Mais j'aimais aussi le music-hall et le théâtre. A ce dernier j'allais pourtant seul, mes copains ne devaient peut-être pas aimer. J'ai assisté à des opérettes ou des marivaudages et aussi à l'opéra comique Le Pays du Sourire de Franz Lehar. Je me relis et je m'aperçois un peu tard que j'ai dépassé mes dix ans. Excusez-moi, tant pis, mais je ne gomme rien de ce que j'ai écrit, je suis lancé !

     

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    Vous avez commencé de travailler à l'âge de 14 ans. Quels furent vos premiers métiers et vous emmenaient-ils loin de Belleville ?

     


    Même un peu avant car afin d'être embauché j'avais modifié de quelques mois ma date de naissance. Mais c'est très loin tout ça et j'avoue que cela se chevauche un peu dans ma mémoire. Je me souviens très bien des différents métiers que j'ai pratiqués, où, dans quel établissement à la rigueur, mais pas dans l'ordre chronologique et il faut préciser qu'en ce temps, trouver du travail était relativement facile, mais mal payé. J'ai été coursier, maroquinier, plombier-zingueur, terrassier-poseur de rails (je vous en parlerai à une autre occasion, c'était Trappes,  j'ai failli y laisser mes 14 ans ! ). Coursier à Paris vous apprend à bien connaître la capitale. Je l'ai parcouru de long en large, du nord au sud, de l'est à l'ouest, à pied, en métro, à vélo, en triporteur (Bloto Frères, rue Charlot à Paris) avec son imposant grelot. Difficile à conduire, l'engin se mettait facilement en équerre. Ou encore avec un plateau à ridelles et les chevaux à conduire. Les chevaux demandent de l'entretien, des soins. Je ne vous expliquerai pas le travail du palefrenier qui est riche d'apprentissage, mais le ripeur devait la journée terminée dételer les bêtes, les conduire à l'écurie et les installer dans leurs boxes respectifs en évitant de placer trop près deux chevaux qui se querellent. Un détail, les chevaux de trait son harnachés de collier, de sangles et divers équipements très souvent parés de grelots qui doivent êtres nettoyés et passés à la poudre à faire briller ( le Miror). Ils doivent reluire et sonner gaîment. J'ai connu des chevaux qui refusaient de partir travailler si leur collier n'étincelait pas ou si oublieux ou fainéant vous aviez oublié de cirer leurs sabots à la graisse noire.

     

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    Parlez-nous de ce bonheur : être un piéton de Paris.

     


    Que l'on parcoure la capitale en travaillant ou en flânant,pour celui qui sait "regarder", Paris offre les mêmes choses : joyaux ou ruines, beauté ou laideur. Je me souviens, je débutais dans un emploi de coursier chez un maroquinier près des Champs–Elysées. De retour d'une livraison, un sac à main magnifique chez une Madame de V…, le patron me fit la remarque suivante : Dis tu en as mis du temps pour livrer. Je lui ai aussitôt répondu : Monsieur, ce n'est pas ma faute mais vous êtes trop bien situé, le quartier est  rempli de belles choses à voir alors il m'arrive de m'arrêter et de regarder. Il a souri et il est parti sans rien ajouter.

     

     

    Est-ce à la suite de la démolition, en 1960, de l'immeuble dans lequel vous êtes né que vous fûtes contraint de quitter Belleville ?

     


    Non, du 16 où je suis né ainsi que mon fils aîné nous avons emménagé un peu plus bas au 10, un cinquième étage avec une pièce de 12 m² et un minuscule réduit faisant office de cuisine : eau, gaz, électricité, le confort. Les wc étaient sur le palier que nous partagions avec deux autres locataires. Il y avait une porte-fenêtre prolongée d'un tout petit balcon avec une vue plongeante sur la rue Ramponeau et le boulevard de Belleville, je pouvais même voir mon école.

    Pour nous chauffer nous avions acheté un chauffage au gaz Butane mais qui produisait beaucoup de vapeur et donc des gouttes d'eau au plafond qu'il fallait éponger avec une serpillière au bout d'un balai, ce qui faisait éclater de rire mon fils. Une petite fille venue accroître notre famille, la surface habitable s'avérait vraiment trop réduite malgré les éléments en bois avec portes à glissières fixés sur les murs que je fabriquai moi-même.

    Départ pour Rungis ou nous resterions quelques mois car le loyer était trop élevé, ensuite Bagneux et la naissance de notre dernier fils dans un neuvième étage d'où l'on voyait les avions atterrir à Orly. L'occasion se présentant et qui me rapprochait encore de mon lieu de travail, nous nous sommes installés à Issy-les-Moulineaux où je suis en train de rédiger non sans mal,mais avec plaisir, les réponses aux sujets que notre cher et grand Ami Guy Darol me propose. Et je le remercie sincèrement pour cet honneur.

    Mais pour rien au monde je n'aurais pu rester dans ce Belleville qui mourait, assassiné par les politiques et les promoteurs, ce quartier que j'avais vu vivre, respirer et procurer de la vraie vie à ses habitants, malgré les taudis qui y existaient mais pour lesquels il eut fallut apporter un peu d'argent pour rénover, adapter, et améliorer le confort.

     

     

    Saviez-vous que  Jo Privat, le créateur du Balajo, demeurait près de chez vous, rue des Panoyaux ? Croisait-on, dans votre jeunesse, les célébrités du quartier ?

     


    Accordéon, qui se resserre et se détend comme les cœurs. Qui chantait cette chanson ? Albert Préjean, peut-être.

    Non, je n'en savais rien, je l'ai découvert bien plus tard à l'occasion d'une lecture. Je me suis contenté de danser sous le charme de son piano à bretelles dans son palais de la rue de Lappe. Il savait insinuer juste ce qu'il fallait de jazz dans son musette, un peu comme Claude Nougaro avec Le jazz et la java.

    J'aimais sa frimousse de titi parisien avec sa gâpette fièrement installée sur le crane comme il le fallait à cette époque et dans le quartier, la gâpette où l'on fixait la visière avec des épingles à tête pour ne pas ressembler à un livreur de journaux.

     

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    A part Maurice Chevalier, aux Folies Belleville, je ne me rappelle pas d'autres célébrités. Les vraies, les authentiques célébrités étaient tous les Titis qui couraient la gueuse à l'occasion, ceux qui se bagarraient pour elles. Je me souviens de tous ces gars qui, le beau temps venu, descendaient fièrement la rue le dimanche matin en maillot de corps immaculés et moulants, ils étaient beaux, de vrais aminches. L'un d'eux, pas mal baraqué, on le surnommait Robert la grande gueule. Pour l'avoir grande, il l'avait, mais pas grand risque car c'était de la frime. Bon le voilà habillé pour l'hiver le pauvre, mais il était quand même sympa.

     

     

    Quel souvenir vous reste-t-il de la rue du Pressoir ? Car vous avez certainement arpenté ses trottoirs.

     


    Je sais que je vais vous décevoir et j'en suis sincèrement désolé, j'aimerais pouvoir vous parler de la rue du Pressoir, vous dire que j'en ai des souvenirs mais malheureusement je n'en ai aucun. Et à présent,  je me trouve un peu idiot à rester devant ma feuille blanche sans pouvoir vous en dire le plus petit mot. Cette rue ne m'est pas inconnue, je la connais de nom au même titre que la rue des Maronites, d'Eupatoria, et bien d'autres du quartier, je suis persuadé y avoir traîné mes bottes comme on dit, mais je n'ai aucun souvenir à lui attribuer.

    Toute proche, la rue Etienne Dolet, je me souviens de l'école, non pas pour l'avoir fréquenté afin de m'y instruire mais plus prosaïquement parce que je venais y faire la queue en me relayant avec mes sœurs et ma mère pour y retirer les tickets d'alimentations avant le début du mois, pendant la guerre. J'ai cité plus haut les rues des Maronites et d'Eupatoria mais pour ces deux rues non plus je ne peux faire jaillir le souvenir, contrairement à toutes celles du quartier pour lesquelles je pourrais écrire pendant des heures. Je n'ai fait qu'y passer voilà tout. Mon cher Guy, à toutes et à tous, à ceux qui ont fréquenté cette rue et à cet espace sur la rue du Pressoir qui m'accueille si fraternellement, je vous renouvelle mes regrets mais je vous dois la vérité.

    Pour conclure cette interview si vous me le permettez, je voudrais vous dire tout le plaisir que j'ai eu à y répondre. Confier à mon papier tous ces souvenirs, qui arrivent comme des larmes que l'on ne peut retenir, et en prime savoir ou espérer qu'ils seront lus et partagés, me donne la sensation du passage de flambeau.

    Nous avons chacun notre BELLEVILLE et MENILMONTANT,nous les portons en nous comme un reliquaire du souvenir, nous les connaissons différemment mais nos souvenirs par nous réunis composent de bien jolies chansons comme Je me souviens d'un coin de rue aujourd'hui disparu et Ménilmontant mais oui Madame, c'est là que j'ai laissé mon cœur... Merci monsieur Trenet, merci mon ami Guy Darol. Robert

     

     

     

     

  • RUE DES PANOYAUX

     

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    En 1812, la rue des Panoyaux est un sentier traversant un vignoble dit le "Pas noyaux". Ses raisins étaient sans pépins. Transformé en rue, en 1837, ce sentier fut ainsi prolongé jusqu'à la rue des Plâtrières. Selon, Jacques Hillairet, le prolongement s'est appelé la rue Chaudron jusqu'en 1868.

    Voici une vue de la rue des Panoyaux, en 1945.

    Mais qui se souvient de ce passage et de son nom ?

  • RUE DES PANOYAUX/JO PRIVAT

     

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    La Rue des Panoyaux était encore, en 1812, un sentier ayant jadis traversé un vignoble dit le "Pas noyaux", ses raisins étant sans pépins ; ce sentier, transformé en rue en 1837, a été prolongé en 1863 jusqu'à la rue des Plâtrières ; le prolongement s'est appelé la rue Chaudron jusqu'en 1868. Source : Evocation du vieux Paris, volume 3, Jacques Hillairet.

    L'accordéoniste Jo Privat (1919-1996) vécut 46, rue des Panoyaux.