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LE COIN DU SOUVENIR

  • JEAN-PIERRE NOUVEL SE SOUVIENT DU PASSAGE DESCHAMPS

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    J'avais vu la photo du Passage Deschamps il y a déjà assez longtemps en cherchant des informations sur ma vie passée. Ca me rappelait quelque chose. C'était un très vieux souvenir, je devais avoir trois ou quatre ans car nous avons emménagé à Charenton en 1955 ou 1956. Je me souviens d'un soir, j'étais avec mon père et ma mère, il faisait nuit quand nous sommes entrés dans une ruelle sans lumière avec de gros pavés, j'avais peur, il y avait une palissade en bois et un café sur la gauche. Les portes étaient grandes ouvertes, il y avait de la lumière à l'intérieur et des hommes qui discutaient fort à l'extérieur. Nous sommes entrés dans un couloir à gauche où on ne voyait rien, puis nous avons monté des escaliers et nous sommes arrivés chez nous.

    C'était le 11 Passage Deschamps. Je viens subitement d'avoir l'idée de regarder l'adresse de mes parents sur mon acte de naissance, aujourd'hui le 10 avril 2014, à Ulsan en Corée du Sud. Presque soixante ans ont passé depuis ...

    Mes parents arrivaient de la Nièvre à l'époque où ils avaient été placés par l'Assistance Publique et avaient dû se loger temporairement à cet endroit pour commencer leur nouvelle vie. A la date de mes souvenirs, mon père devait avoir trente-et-un  ans et ma mère vingt-huit.

    Je me souviens également être retourné voir d'ancien voisins avec mes parents plus tard et, à cette occasion, j'avais fait du manège sur le boulevard de Ménilmontant et mangé une pomme d'amour. Il y avait un attroupement, c'etait la RTF qui faisait un reportage. Le reporter qui interviewait les passants etait Pierre Tchernia. Il m'avait paru immense.

    Mes frères n'ont pas connu le passage Deschamps. 
    Ma soeur est née en 1950, moi en 1952. Les suivants en 1956, 1958 et 1961, tous a la maternité de l'Hôpital de la Croix Saint-Simon. Jean-Pierre Nouvel

  • CONNAISSEZ-VOUS CLAUDE LE TYPOGRAPHE ?

    Isabelle aimerait tant recevoir des nouvelles de son père ou qu'on lui parle de lui. Peut-être certains d'entre vous l'ont connu. Si c'est le cas, laissez un commentaire à la suite de ce billet. Ou envoyez-nous un message. On fera le facteur.

     

    Bonjour Josette,

    Je viens de relire vos souvenirs sur le site Rue du Pressoir.

    Je m'appelle Isabelle, je suis née dans le 20e en 1955. En 1850, mes ancêtres se sont établis dans ce qui allait devenir le 20e. Mon grand-père, Georges Blaugy (né en 1900) était garçon de lavoir et ma grand-mère (née en 1898) s'appelait Léontine Delouard. Ils se marièrent et eurent six enfants, dont ma mère Denise Blaugy, la cadette. Ils habitaient au 1-bis Impasse du Pressoir, tout ce monde dans une seule pièce insalubre ! Ils étaient pauvres et le grand-père buvait comme beaucoup dans le quartier malheureusement.

    Je me permets de vous écrire car vous avez bien connu le quartier et peut-être vous souvenez-vous de l'imprimerie (ou typographie) qui se trouvait Rue de Ménilmontant (et s'y trouve toujours). Vers 1954, un jeune homme d'une vingtaine d'années, Claude, travaillait dans cette typographie. Il était d'origine italienne (donc nom de famille italien). Il avait une grosse moto et un frère handicapé. Il eut d'ailleurs un accident avec cette moto, ma mère était avec lui comme passagère et se fractura la jambe. Peut-être que tout cela vous dit quelque chose ou peut-être connaissez-vous quelqu'un de l'époque qui pourrait s'en souvenir. Ce jeune homme a "fréquenté" ma mère vers 1953 pendant plus ou moins deux ans, elle avait 17 ans alors. Puis leur histoire s'est terminée à la suite d'une dispute, ils étaient si jeunes tous les deux. Mais elle était trop orgueilleuse pour lui annoncer qu'elle était enceinte de lui. Ainsi il ne l'a pas su. Et me voilà, 58 ans après... Il devrait avoir 78 ou 80 ans aujourd'hui. Ou peut-être, n'est-il même plus de ce monde. Quoi qu'il en soit, dommage que nous nous soyons manqués ! Depuis 1982, je vis en Italie, à Florence. Un jour, cela faisait déjà quelques années que je vivais en Italie, une sœur de ma mère me téléphona pour m'annoncer un décès en famille et en cette occasion elle ajouta : "C'est bizarre quand même que tu soies allée vivre en Italie, car ton père était italien tu sais". Non je ne le savais pas et je fus très impressionnée par cette nouvelle. Sans le savoir, j'étais retournée dans la terre de mes aïeux ! Et ce n'est que récemment que j'ai également appris qu'il était typographe, comme quoi l'atavisme existe... Moi aussi je travaille avec les textes, je suis traductrice spécialisée en juridique. On porte les choses en soi, sans le savoir. S'il était encore en vie, je ne voudrais pas rencontrer cet homme, pour ne pas risquer de déranger sa vie puisqu'il ne sait même pas que j'existe. D'ailleurs, ce serait impossible car je ne connais pas son nom de famille. Mais j'aimerais bien que quelqu'un me parle de lui, me dise comment il était, de quelle région d'Italie étaient ses parents. Peut-être même que ses copains de l'époque ont des photos pour que je puisse enfin me situer, comprendre d'où je viens exactement. Le site Rue du Pressoir prouve à quel point les gens sont attachés à leurs racines, même quand si elles étaient loin d'être blasonnées. Ainsi vous comprendrez que lorsqu'on ne sait rien de ses racines justement, on reste toujours un peu "bancale" dans la vie.

    Je pense que vous pourriez m'aider, enfin, je l'espère de tout cœur, car vous connaissez encore beaucoup de personnes qui vivaient dans le quartier à l'époque. Vous pourriez leur faire part de ce message, peut-être que quelqu'un se souviendra du jeune Claude de la typographie.

    J'attends de vous lire avec impatience, mais si je vous ai importunée, je vous prie de bien vouloir m'en excuser.

    Très cordialement,

    Isabelle

  • HOMMAGE A MARCEL TARLO (1930-2013)


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    Marcel Tarlo


    Le Bellevillois Marcel Tarlo vient de disparaître dans sa 84ème année. Pendant plus de cinquante ans, il avait consacré sa vie à la gestion et à l'administration de la presse et des revues du Parti Communiste, parmi lesquelles L'Humanité, La Terre, Avant-Garde, Economie et Politique, Les Cahiers du Communisme, L'Ecole et la Nation, ainsi que les quotidiens et hebdomadaires régionaux. Bellevillois de coeur et homme de grande culture, Marcel Tarlo, né le 26 février 1930, avait longtemps vécu au 12 de la rue Ramponneau. Son fils, Maurice Tarlo, contributeur actif sur le site de la Rue du Pressoir, se souvient.

    "Mon père adorait son quartier de Belleville, c'était son village me disait-il. Il adorait Paris, celui des années 50-60. Il m'en parlait souvent. Il avait une grande culture, il dévorait tous les livres, tout ce qui rapportait à la littérature, à la politique, aux arts, particulièrement à Leonard de Vinci. Né le 26 février 1930, il avait eu une enfance difficile. Son père avait été arrêté pendant la guerre de 39-45, envoyé en déportation, il n'en revint jamais. Seul avec sa sœur, car sa mère avait été hospitalisée, il avait été placé à l'Assistance Publique vers 1942, trois ans durant.

    Les parents de mon père habitaient, avec sa soeur, 12 rue Ramponneau. Malheureusement aujourd'hui cet immeuble a été détruit pour faire place à un immeuble moderne. A propos de Paris, papa aimait me montrer des ouvrages illustrés par les photographies de Charles Marville, le photographe du baron Hausmann, celles d'avant la destruction et la transformation de Paris tel que nous le connaissons maintenant. Ce sont des photos de rues inconnues, car elles n'existent plus.



    Il me parlait aussi d'un historien de Paris qui avait écrit des ouvrages essentiels sur Paris et qui s'appelait Jacques Hillairet.

    Ce fut un drame pour mon père de quitter la rue du Moulin Joly, toute proche de Belleville, pour aller habiter en banlieue, en 1964. Nous sommes arrivés à Garges-lès-Gonesse. Mais enfin... nous disposions désormais de l'eau chaude, d'une salle de bains et de WC dans la maison. Nous n'avions plus besoin d'aller sur le palier de l'immeuble, ni d'acheter du charbon pour nous chauffer.

    Mon papa était un militant communiste. Il rêvait d'une société juste, fraternelle, égalitaire. Il militait pour les idéaux qu'il partageait et il défendit ses idées jusqu'à son dernier souffle. Les paroles de la chanson "Ma France" de Jean Ferrat le symbolise tout à fait. Il appréciait beaucoup ce chanteur qui avait été recueilli pendant la guerre par des communistes, car ses parents avaient été déportés. Jean Ferrat ne l'oubliera jamais qui lui aussi était né en 1930. Quand Ferrat est mort, j'ai pleuré.

    Je ne l'ai jamais entendu avoir des propos racistes sur qui que ce soit. Chaque fois que nous l'avions autour d'une table pour un bon repas accompagné d'un bon vin, il ne manquait pas de nous éclairer à sa façon sur les problèmes politiques du moment et aussi de nous donner son avis sur le dernier événement sportif.

    Le journal L'Humanité lui a rendu un dernier hommage le jeudi 22 août 2013."


     

     


     

     

  • SOUVENIRS DE L'IMPASSE DU PRESSOIR

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    Avec ma mère Denise dans une rue du quartier vers 1957

     

     

     

    « Ma mère, Denise, était peut-être celle dont parle Lucile quand elle écrit :

    « J'étais aux premières loges pour apprécier les concours de gymnastique qui s'organisaient spontanément au carrefour des rues Maronites/Pressoir. Une certaine Denise dominait la bande de la tête et des épaules, spécialiste qu'elle était de la grande roue et du poirier ! ». Cette dame a d'ailleurs l'âge de ma mère et elle l'a peut-être connue (car elle écrit  : "Je connaissais de vue l'ensemble des habitants de la rue du Pressoir ").

     

    Moi-même, je suis née à l'hôpital Tenon en 1955 – où est mort mon arrière-arrière grand-père en 1883 - et j'ai vécu mes deux premières années Impasse du Pressoir. J'ai ensuite grandi à Fontainebleau et plus tard, à vingt ans, je suis revenue à Paris, seule, où j'ai vécu rue de la Solidarité.

     

    Dans le tumulte de mes insomnies, je me suis finalement souvenue de l'orthographe du nom de ma grand-mère maternelle Delouard, et je me suis mise à faire des recherches sur Internet. Magie du web : j'ai trouvé l'arbre généalogique. Voici ce qu'il m'a appris :

     

    La famille de ma mère, côté maternel, est arrivée dans le 19ème/20ème arrondissement, vers 1850, et a toujours vécu dans ce quartier ! Cette famille devait donc être connue car de 1850 à 1966, ça fait plusieurs générations. Moi qui n'avait jamais fait de recherches, car je croyais que ma grand-mère était de l'Assistance Publique, alors que ce n'était pas elle, mais mon grand-père qui était de parents inconnus, vous imaginez ma surprise ! Ma conscience s'est peuplée tout à coup de parents dont j'ai toujours ignoré l'existence, et voici qu'en un instant je connais leurs prénoms, leur métier, leur origine ! Quelle émotion ! 

    Ma mère s'appelle Denise Blaugy (ou Blangy). Elle est née en 1937.

    Jusqu'à l'âge de 6 ans, elle a vécu à Belleville où sa mère était concierge puis, vers 1943, sa famille s'est installée au numéro 1 bis Impasse du Pressoir.

    Elle a fréquenté l'école primaire de la rue Etienne Dolet et m'a raconté : "Oh ! Je n'y allais pas beaucoup. J'y allais le matin parce qu'ils donnaient un verre de lait et des biscuits ", (peut-être que quelqu'un a-t-il des photos de classe des années 44/49 où l'on apercevrait ma mère ?).

     

    Elle se souvenait de la place et de la fontaine, de la boulangerie qui offrait le pain non vendu. Son père s'enivrait dans les nombreux bistrots de la rue où il "rendait les bouteilles vides consignées pour en acheter une pleine ".

    Elle se souvenait bien du matelassier dans la cour de la Rue du Pressoir et de l'épicerie de Madame Gilles - puisque située juste en face de "son" Impasse –, boutique dont parlent Lucile et Josette. Elle m'a souvent raconté qu'elle allait acheter du lait de chèvre chaque fois que passait le marchand de fromages dont parle aussi Lucile. Elle aurait travaillé quelque temps dans un atelier de maroquinerie du quartier qui faisait des sacs à main, si je me souviens bien de ses récits. Peut-être était-ce aux Etablissements Léon Weill dont parle Josette.

    Sur le site de la Rue du Pressoir,  un monsieur recherche son ami Serge Paumier ou Pommier, écrit phonétiquement. Je crois que ma mère avait connu son frère, si ma mémoire ne me trompe pas. Si ce frère existait encore. 

    De même que la petite-fille de René Normant qui a lancé un appel sur votre site :  « Je suis à la recherche de toutes personnes qui pourraient avoir connu ma mère pour me faire partager quelques souvenirs et en savoir plus ... Peut-être pourriez-vous m'aider ou me conseiller dans ma recherche ? "

    Lucile se souvient de beaucoup de choses. Josette aussi, bien qu'elle ait onze ans de moins que ma mère. Elle écrit qu'elle a retrouvé une amie qui vivait Impasse du Pressoir, cette dame se souvient peut-être de la famille Blaugy qui vivait au 1 bis de l'Impasse du Pressoir ? ». Isabelle-Béatrice Marcherat


    Impasse du Pressoir, Rue du Pressoir, Rue Etienne Dolet, Belleville, 1850, 1957

    Noël 1957



  • LE QUIZZ QUENEAU

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    Raymond Queneau


    Du 27 novembre 1936 au 26 octobre 1938, Raymond Queneau publia dans L'Intransigeant trois questions-réponses quotidiennes.

    Voici quelques-unes des questions proposées par l'auteur de Zazie dans le métro. Tous vos commentaires sont bienvenus. Réponses dans notre prochain billet.

    1. Quel était le cours du ruisseau de Ménilmontant ?

    2. Quel est la rue de Paris dont le nom est le plus court ?

    3. Quelle est la voie de Paris la plus étroite ? 

    4. Quelle authenticité faut-il attribuer au tombeau d'Héloïse et d'Abélard, au Père Lachaise ?

    5. D'où vient le nom du passage Dieu ?

    6. D'où vient le nom de l'impasse Satan ?

    7. Où se trouve le "Mur des Fédérés" ?

    8. D'où vient le nom de la rue du Borrégo ?

    9. D'où vient le nom de la rue des Panoyaux ?

    10. D'où vient le nom de la rue des Couronnes ? 

    11. A quelle époque fut construit le four crématoire du Père-Lachaise ?

    12. Quel est le nom de l'impasse la plus étroite de Paris ?

    Toutes ces questions sont bien sûr en rapport avec le 20ème arrondissement.

  • LES JUIFS DE BELLEVILLE / SUITE

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    Synagogue de la rue Julien-Lacroix

    Crédit photo Raymond Battaglia 

     

    Ce fut un vrai plaisir de prendre connaissance de votre texte Monsieur Rihard, même s’il me confronte à nouveau à des événements que je préfèrerais n’avoir pas connus.

    Je me souviens parfaitement  de la rafle de 1942. J’avais sept ans à l’époque, et comme cela se passait en juillet, je n’étais pas à l’école. Je revois donc ces visages connus, gens de tous âges, des grands-parents jusqu’aux petits enfants, devant les portes des immeubles de la rue du Pressoir, leurs petites valises déposées sur le trottoir, l’air perdu ne sachant trop ce qui leur arrivait. Des policiers français les avaient fait quitter leurs logements et les encadraient. Ma  grand-mère, pas plus que moi, bien sûr, ne comprenions ce qui se passait et ne pouvions imaginer leur sort futur.

    Je laisse de côté la tragédie d’hier pour évoquer avec vous une communauté pittoresque à laquelle je pense toujours avec une certaine émotion. (J’avais moi aussi des petites amies d’origine polonaise). J’ai compris par la suite que dans ces années là, « le lieu magique » pour reprendre votre expression, rassemblait essentiellement des juifs d’Europe de l’est – disparus pour la plupart dans la tourmente - et remplacés, comme vous le soulignez à juste titre, par des sépharades émigrés d’Afrique du nord. Tunisiens en majorité. Aujourd’hui, le boulevard de Belleville est encore aussi animé mais différent et peut-être plus bruyant. Les odeurs de cuisine ne sont plus les mêmes, les pâtisseries frites regorgeant de miel ont remplacé les gâteaux à la cannelle et les couscous/poulet ont pris le pas sur les ragoûts au paprika ! La  «tchache » est de rigueur  et l’on trouve plus facilement sur le marché la coriandre que le persil commun ! 

    La communauté asiatique change progressivement l’esprit du quartier : les magasins de la rue de Belleville sont repris l’un après l’autre par des Chinois … ou autres émigrés d’Asie dont je ne saurais discerner l’origine. Peu à peu leur influence s’étend au Faubourg du Temple  après être grimpée jusqu’à la rue des Pyrénées et ne va pas tarder à rejoindre La Grisette. Je me suis laissé dire que les manifestations spectaculaires de la fête du Têt fatiguaient un peu la population de base… On « voyage » en arrivant à Belleville ! De nombreux Africains colorent maintenant la foule, spécialisés dans la vente à la sauvette de vieux habits ou ustensiles au rebut qui semblent pourtant trouver preneurs. Je ne suis pas sûre que ce soit tous les jours facile à accepter pour les Anciens bellevillois qui se sentent dépossédés de leurs racines. Ils sont de moins en moins nombreux, mais les jeunes « bobos », installés dans le quartier en toute connaissance de cause, participent allègrement de cette ambiance cosmopolite. 

    Voilà. Ce simple billet pour actualiser vos souvenirs. Comme vous avez pu le constater au fil de ce site, je retourne régulièrement sur mes traces… avec de plus en plus de nostalgie ! Lucile

  • LES JUIFS DE BELLEVILLE

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    La sortie des écoles rue des Maronites, vers 1908


    A plusieurs reprises, sur ce site, divers intervenants ont rappelé combien Belleville était un quartier d’immigration : italiens, polonais, arméniens ... Et aussi juifs d’Europe Centrale puis de Tunisie et plus marginalement du Maroc et d’Algérie. Une des raisons majeures de cette concentration d’immigrés est que Belleville (et son annexe Ménilmontant)  était un quartier pauvre, avec des loyers abordables.

    S’agissant des juifs d’Europe Centrale (Bessarabie, Bucovine, Ukraine, Russie, Pologne), les premières migrations eurent lieu dans les années 1920 après les premiers pogroms en Pologne. La venue à Paris était   souvent précédée par un passage à Berlin dans le ghetto de la Grenadier-strasse.

     

    En Pologne et en particulier en Galicie, l’information qui circulait alors mentionnait le besoin de  main d’œuvre en France et surtout  à Paris. Des agents recruteurs parcouraient aussi la Pologne à cet effet. C’est ainsi  qu’une population laborieuse vint, beaucoup de polonais de souche vers le Nord, pays de mines et beaucoup de juifs polonais vers  Paris  pour les travaux d’artisanat. Trois quartiers de prédilection pour accueillir ces nouveaux venus : Montmartre et  Saint-Paul pour les plus nantis ainsi que Belleville pour les plus pauvres.

    Très vite, pour faire face aux aspects religieux, le baron de Rothschild fit construire une synagogue.

    Par ailleurs ces populations avaient le besoin de se rencontrer pour échanger leurs souvenirs de Pologne, parler politique  ou plus simplement «boulot». Un premier lieu de rencontre fut, à Ménilmontant, chez  l’horloger-bijoutier Scholem. D’autres lieux de Belleville-Ménilmontant virent le jour, dans des cafés, dans des boutiques ou ateliers d’artisans.

    Un peu plus tard, la création de la « Ligue pour la culture » mis fin à ces rencontres «en boutique»  au profit de rencontres plus structurées et organisées dans un grand local dans le secteur République.

    Mais pour ceux qui étaient moins intellectuels, moins politiques, il existait un lieu « magique » où l’on se retrouvait « au pays », c’était le Boulevard de Belleville. Ce lieu de rencontre très apprécié des juifs de Belleville était encore très utilisé après la seconde guerre jusque dans les années 1960.

    Ces véritables rassemblements très paisibles s’étendaient sur le Boulevard, depuis la rue de Belleville jusqu’à la rue de Pali-Kao, mais la plus grande densité était incontestablement entre la rue Ramponneau et la rue Bisson.

    J’ai bien connu, dans les années 1950, ces rassemblements qui avaient lieu chaque dimanche matin. Nous, nous  sortions  de la messe, dans notre chapelle au 55 Boulevard de Belleville, au coin de la rue de la Fontaine- au-Roi et l’on pouvait voir le trottoir d’en face noir de monde !  C’était une curiosité et très souvent, on allait se faufiler entre les groupes. Ils «  jaspinaient » une drôle de langue qui ressemblait à l’allemand. J’appris plus tard que c’était du Yiddish, une langue vernaculaire qui permettait à tous les juifs d’Europe d’échanger entre eux quels que soient leurs pays d’origine.

    (Ayant appris à parler allemand beaucoup plus tard, vers 25 ans, je me suis aperçu que je comprenais 70% d’une discussion ou d’un film en Yiddish !)

    Les rassemblements se faisaient par affinité ou  par thèmes de discussion. Ici un groupe « chaussure » ou « tailleur » là, un groupe originaire de Bolechow ou Lwow (Galicie), là encore un groupe plus familial dispersé sur toute la région parisienne. Hé oui, à Belleville, le dimanche matin il y avait du monde qui venait des quatre coins de Paris !

    Parfois avec mon pote Alain nous n’allions pas à la messe, mais à la pêche, Canal Saint-Martin. Lui était plutôt  « poisson » donc il amenait ses gaules et son épuisette,  moi j’étais plus « écrevisses ». Nous étions  jeunes et cons et l’on s’amusait à traverser ces rassemblements avec les cannes. Tous s’écartaient pour nous laisser passer. On trouvait cela marrant ! Parfois cela râlait, mais jamais on nous a botté les fesses !

    Dans les années 1960,  les juifs d’Europe Centrale (Ashkénazes),  dont la situation s’était améliorée avec le temps, migrèrent vers des quartiers plus chics (Grands Boulevards, Sentier, Saint-Paul). Ils laissèrent ainsi la place aux juifs en provenance d’Afrique du Nord (Séfarades). Nous étions dans les années de fin de colonisation.

    Moi-même, j’ai dû quitter le quartier en 1969, date à laquelle je fus expulsé de mon immeuble pour cause de rénovation.

    Souvent ma grand-mère m’avait parlé des juifs et des grandes rafles de Juillet 1942. Ma famille, à cette époque, habitait au 2 rue Vilin et elle avait vu le quartier se vider de sa substance le 16 Juillet 42. J’avais vu par ailleurs des tas de films sur le sujet et j’étais donc parfaitement au courant de cette tragédie.

    Dans les années 1970, la vie professionnelle m’a amené à Besançon.

    Souvent,  je « montais » à Paris pour des réunions de travail au Ministère de la Santé ou dans  ses « annexes ». Il m’arrivait alors d’avoir un peu de temps libre entre une  fin de réunion et l’heure de mon train, gare de Lyon. Alors, dès que je le pouvais,  je fonçais dans mon ancien quartier, pour renifler, déambuler et même aller chez mon ancien coiffeur, « Gérard », rue des Couronnes. Il m’arrivait de retourner  aussi sur les lieux du crime et de roder autour de mes  écoles des Maronites et Julien-Lacroix.

     

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    Rue des Maronites, à l'angle de la rue du Liban. Vers 1957

    Photographie de Henri Guérard

    Un jour,  dans les années 1980, les souvenirs me hantant, je suis retourné dans cette rue, me suis arrêté sous le porche, près à détaler si quelqu’un arrivait. Comme le « piaf » sur la défensive, j’ai regardé à l’intérieur, puis j’ai monté les quelques deux ou trois marches, passé la tête et finalement suis entré dans le hall inchangé. Un moment d’émotion bousculé par un bruit de porte brutalement ouverte et une « bignole » qui m’interpelle sur un ton très sec :

    « Vous cherchez quelque chose ? »

    La brutalité de la question aurait dû me faire fuir, je n’avais vraiment rien à faire là, mais par réaction, par provocation,  j’ai dit : « Oui, la directrice, je suis un ancien élève ».

    Les heures de vol que je portais sur mon visage ont dû suggérer à Mme la Concierge, d’appeler la directrice.

    jean-claude rihard,rue de pali-kao,robert gostanian,rue des maronites,rue julien-lacroix,rue bisson,rue ramponneau,rue ramponeau,boulevard de belleville,rue de la fontaine-au-roiCette dernière,  surprise et ravie de voir quelqu’un qui avait fréquenté cet établissement, pardon, « son »  établissement, il y a si longtemps, me proposa alors de consulter les archives. Il parait que depuis 2009 ce n’est plus possible car ces archives ne sont plus stockées dans les écoles !

    Et c’est ainsi que un quart d’heure plus tard, j’étais assis avec elle derrière un gros bouquin relié d’une 40cm de long sur 20cm de large, style registre de Mairie, comportant « N » années de scolarités.

    Dès 1948, je retrouve ma trace. Une grosse émotion en voyant des noms  de copains et de copines que j’avais oubliés. Mais surtout, un grand coup de « blues » en retrouvant  des noms de copains  juifs  (à consonance « germanique »). Pour beaucoup d’entre eux, dans les colonnes père et mère figurait la mention « mort en déportation ».

    Tous ces petits copains dont on ignorait qu’ils avaient perdu un, voire deux parents, qui vivaient probablement chez une tante ou autre ... Pourquoi ce grand secret ?

    De cette curiosité que j’avais eue, je découvrais que, durant  toutes mes années de jeunesse, j’avais en fait été  dans une ignorance  quasi complète.  Bien sûr, à la maison, ma grand-mère, ma tante, mon oncle avaient évoqués cette  grande rafle de 1942. Mais pour moi, c’était un peu une part d’histoire ancienne, d’une époque qui n’était pas la mienne. Comme la guerre de 100 ans et Jeanne d’Arc !

    Pas un instant, je n’avais imaginé que des petits copains d’école, là, avec moi, avaient perdu des parents.

    Je suis ressorti de cette maternelle complètement sonné, les larmes aux yeux. Aujourd’hui encore je repense souvent à cette scène, bien plus troublante que tous les films que j’ai pu voir sur le sujet car j’avais été touché personnellement.

     

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    Plaque commémorative  ☛ Ecole des garçons, rue Julien-Lacroix 


    Tout comme Robert  Gostanian, dans son billet, qui nous mentionnait les plaques à la mémoire des enfants juifs de Belleville déportés :  peut-on rester insensible à une telle tragédie ?

    Jean-Claude Rihard

     

     

     

  • LAVER SON LINGE SALE EN FAMILLE

     

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    Une fois n’est pas coutume, je vais vous proposer, à vous, anciens « Bellevillois-Ménilmontagnards », de laver notre linge sale en famille. Laver son linge est depuis la nuit des temps quelque chose de convivial,  un temps de rencontre où l’on tue la corvée à grands coups de papotages et de petites histoires. Parce que, bien sûr, laver le linge n’est pas une partie de plaisir et c’était jadis un travail de force à grands coups de brosse et de battoir.

    Nos anciens avaient bien plus de philosophie que nous et transformaient un tâche ingrate en partie de plaisir. Les lavandières, qu’elles soient du Portugal ou d’ailleurs, l’ont bien exprimé à leur manière et … en chansons.

    A la ville, les choses étaient un peu différentes, mais cependant gardaient cet esprit convivial. Je propose aux anciens de la rue des Couronnes et de la rue du Pressoir un petit détour au lavoir de la rue des Couronnes.  Ce qui suit est un extrait de mes mémoires : Une jeunesse bien ordinaire à Belleville , chapitre 3  « Oh ... pays »,  sous-chapitre « Ou au lavoir ». Il fait suite à un petit développement chez le coiffeur avec ses larges conférences  « au sommet ».

    On y va ?


     

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    «  … Si j’utilise l’expression « conférence au sommet », c’est pour bien faire prendre conscience qu’il ne s’agissait pas de discussions à deux ou trois, mais plutôt à huit ou dix. Il est même arrivé que tout le lavoir s’enflamme sur des thèmes d’actualité ! Attention, il ne s’agissait pas du lavoir de campagne, qui reçoit une poignée de ménagères, non là on est à Paris, dans une quasi usine !

    En ce temps-là, bien sûr, les machines à laver étaient inexistantes dans les foyers bellevillois ( tout comme les réfrigérateurs). Non que les produits n’existaient pas, mais hors de portée financière des budgets familiaux dans les quartiers populaires !

    Une partie de la lessive était souvent faite à la maison, avec une grosse marmite à bouillir. Cependant, ceci n’était pas toujours facile, et puis comment faire face à la quantité ?

    Alors, régulièrement, ma grand-mère (Mamy) allait au lavoir de la rue des Couronnes.

    Celui-ci se trouvait sur le trottoir de droite en montant, bien après la rue du Pressoir, après le maroquinier FERTZ et avant la boulangerie AMY (on me pardonnera l’orthographe de ces noms). Un point assez central dans le quartier. Je n’ai jamais connu le statut exact de ce lieu, privé, municipal… ? Par contre, je puis dire qu’il était pleinement utilisé !

    Comme Mamy n’était pas des plus causantes, le lavoir c’était bien pour laver et rien d’autre !  Revue de détail… 

    Ah ! le lavoir… un roman à lui tout seul !  On aurait pu se croire à l’époque de Zola, et pour qui a vu le film « Gervaise » avec Maria Schell et François Périer, il n’y avait aucune différence malgré le petit siècle de distance.

    C’était un local immense, avec au rez-de-chaussée la partie lavage et à l’étage le séchage.

    Le rez-de-chaussée avait une hauteur de plafond très importante, peut être 5 à 7m. On entrait par un grand porche, et tout de suite à gauche se tenait la caisse où l’on achetait le prix des  différentes prestations   :

     

          - Place de lavage main (utilisation d’un emplacement avec  plusieurs bacs, battoirs…)

    - Linge à bouillir. On recevait ainsi une grosse épingle de nourrice numéroté et destinée à marquer le paquet de linge qui sera mis à bouillir (dans une toile de jute ou filet grossier)

    - Produits lessiviels (savon, eau de javel…)

    - Essorage. Là encore on recevait un numéro en métal destiné à être attaché au paquet de linge à essorer

    - Séchage (droit d’usage d’une place en étage pour étaler son linge à sécher).

     

    Après la caisse on entrait dans le ventre du monstre enfumé !

    A droite, dans la hauteur, à la verticale, et presque jusqu’au plafond (5m à 6m environ) la machine à bouillir. Une immense « marmite » tournant dans le sens des aiguilles d’une montre pendant près d’une heure avec de l’eau bouillante à l’intérieur. A chaque mise en route, elle était chargée jusqu’à la gueule de tous les baluchons de dizaines de ménagères … et en route pour la « bouillissoire » communautaire !

    Ces baluchons étaient tous constitués d’une grosse toile maillée carrée, contenant le linge à bouillir. Les quatre coins étaient noués solidement pour ne pas s’ouvrir pendant l’opération « bouilloir ». Ils étaient identifiés par la fameuse grosse « épingle de nourrice » numérotée, afin que chacun puisse retrouver son bien. On rend à César le linge de César !

    A gauche, à l’horizontale, l’essoreuse. Chargée à bloc de ballots de linge lavé … et en route pour un grand tour de manège communautaire !

    Marmite et essoreuse étaient entraînées mécaniquement par des moteurs assez éloignés et un ensemble de poulies qui tournaient à grande vitesse et entraînaient des courroies. Il fallait garder ses distances car c’était assez dangereux. Il était déjà arrivé qu’une femme soit happée par les cheveux. Un beau carnage… et le linge à relaver !

    Bien entendu, on ne passait pas impunément du « bouilloir » à l’essoreuse, il fallait tout de même user d’un peu d’huile de coude pour laver le linge entre ces deux opérations majeures.

    La plus grande partie du local était donc  constituée de multiples emplacements de plans de bois inclinés disposés tête-bêche. Ainsi chaque ménagère avait ses compagnes de droite et gauche avec son vis-à-vis à proximité. Soit une potentialité d’échanges de six personnes !

    La Suzanne Rihard, ma grand-mère, n’était pas de caractère à raconter sa vie, encore moins celle de ses voisins. Les potins, les ragots ce n’était pas son pain quotidien, elle avait assez à faire avec ses propres problèmes, son dévouement à sa famille étant total, chaque minute comptait. Et elle s’activait donc à s’acquitter de sa tâche dans les meilleurs délais, d’autres tâches l’attendant à la maison.

     Entre ces plans inclinés de bois, plusieurs bacs en bois de différentes dimensions, chacun pour un usage spécifique. A chacune son organisation : un bac avec de l’eau savonneuse, un autre avec de l’eau javellisée, un bac pour le premier rinçage et un autre pour le second… Sans oublier pour le blanc, le bleu !

    Je m’explique, comme nous étions en ville, pas de possibilité de faire sécher le linge au soleil et donc de la blanchir. Pour donner de l’éclat après la javellisation, l’astuce consistait à faire tremper le linge dans un bac d’eau contenant une solution de bleu de méthylène

    Alors, le  voici le méthylène ... magique !  Tel le prestidigitateur, la grand-mère mettait  dans un petit chiffon noué par un élastique ses deux ou trois pincées de cette poudre bleue que l’on pouvait acheter chez le marchand de couleurs (ou droguiste). Ceux qui se souviennent de la rue des Couronnes se rappelleront volontiers l’existence de deux marchands de couleurs à 30 mètres d’intervalle dans le bas de la rue des Couronnes !

    Le tout était mis dans un bac d’eau claire ou le linge blanc serait mis à tremper. Résultat, un linge blanc avec  une très légère nuance bleutée, renforçant ainsi l’aspect de propreté. Plus banc que blanc, cela vous dit quelque chose ?

    Le processus « lavoir »  était immuable. Dès l’arrivée, munie de ses jetons et autres numéros métalliques, ma grand-mère s’empressait de porter son paquet de linge à bouillir. Elle a toujours été très organisée pour économiser autant son temps que son peu d’argent. Donc, dès le départ du 52 boulevard de Belleville, elle avait déjà préparé ses paquets de linge sale et pouvait donc mettre à bouillir de suite, puisque le tri avait déjà été fait.

    D’autres passaient un bon moment à faire le tri sur place. Lorsque c’était fini, la « marmite » tournait déjà et il leur fallait attendre le tour suivant ! Mais peut-être, était-ce là une bonne occasion d’être un peu plus longtemps avec les copines à échanger des nouvelles !

    Pendant que le linge était à bouillir, la grand-mère  était « au charbon » sur le linge qui ne nécessitait pas l’ébullition à 100°C ! Et que j’ te savonne, et que j’ te frappe à coups de battoir, et que j’ te rinçe et rebelote.

    Tout ce travail au milieu d’un bruit infernal, des voix qui s’élevaient pour se faire entendre, l’humidité ambiante, les odeurs plutôt désagréables, sans oublier les autres participants moins bruyants mais assez nombreux qu’étaient les rats installés comme chez eux, gros quasiment comme des chats, à l’affût d’une saleté à ronger et qui bougeaient à peine, même lorsqu’un battoir envoyé avec force leur passait au raz du museau. Z’avez d’jà vu un vrai rat d’égout ? Presque aussi gros qu’un chat !

    Quant tout était terminé, tout ce joli linge passait au trempage final et alors, on pouvait aller chercher celui qui sortait de la « marmite ». Et c’était reparti ! Savon de Marseille, battoir, rinçage … Arrivait l’étape du rinçage final où certains vêtements subissaient le « javellisé »  ou le méthylène. Le rinçage terminé il fallait alors préparer un ou plusieurs balluchon selon le type de linge et porter tout cela à l’essorage. Tout était enfourné dans cette immense machine (environ 3 à 4m de diamètre) positionnée cette fois à l’horizontale contrairement à la « marmite ». Cette opération durait environ 10 mn à l’issue desquelles chacun pouvait ramener son linge à la maison ou le cas échéant le mettre à sécher à l’étage du dessus.

    Cette dernière option était toujours celle retenue par ma grand-mère car nous avions si peu de place à la maison ( 30 mètres carré ) que l’on ne pouvait imaginer y faire sécher du linge pour 6 personnes !

    Au-delà de ces contraintes « spatiales », cette option recevait très largement mon assentiment … et celle de ma copine Yolande. En effet, le coin séchage était un terrain de jeu fabuleux pour nous enfants ! Agréable et intéressant. D’abord, on ne pataugeait plus dans l’eau de lessive, on était au sec, pas de rats, et surtout nous bénéficions d’un immense terrain de cache-cache. Un vrai labyrinthe !

    Ce local à séchage était situé au-dessus du lavoir, occupait toute la surface de ce dernier et n’en était séparé que par un plancher. C’était en quelque sorte les combles, couvertes par un toit, mais ouvertes à tous vents. On y accédait par un escalier de bois quelque peu vermoulu compte tenu de l’immense humidité régnant au rez-de-chaussée.

    Toute cette partie « comble »  était compartimentée non par des parois, mais par des cloisons en grillage, lesquelles pouvaient être fermées avec un cadenas personnel, ceci pour ne pas se faire « faucher » le linge par quelqu’un d’autre. Et propre qui plus est !

    Il y avait là, peut-être, une soixantaine de ces compartiments, certains accessibles, car encore libre, d’autres pas car déjà occupés. Chaque local était équipé de fils métalliques tirés dans toute la longueur et permettant d’étendre le linge. La location était pour un jour ou deux. Pendant que les mamans installaient ce linge nous en profitions pour effectuer de mémorables parties de cache-cache en cavalant à travers les emplacements libres et ceux dans lesquels les mamans étaient à l’œuvre ! Imaginez les scènes au milieu des draps… Certes, en regardant par le dessous on pouvait distinguer les jambes du copain ou de la  copine cachés un peu plus loin, mais en pratique ce n’était pas si simple car la quantité de linge qui pendouillait, cassait la perspective et ce que l’on pensait tout proche était plus lointain et réciproquement. Entre temps, le comparse avait de nouveau changé de place !

    Le tout au milieu d’une étendue de linge tout propre. J’en ai gardé un souvenir olfactif quasiment intact.

    Quant enfin le linge était sec, on venait le récupérer, le plier, le remettre dans le baluchon en grossière toile de jute et c’était le retour à la maison pour le repassage. L’épopée lavoir avait lieu deux fois par mois et entre les deux, les petites pièces étaient traitées à la maison, et bouillies dans une marmite dédiée à cela. Bien sûr, Javel et bleu de méthylène restaient de mise ! Jean-Claude Rihard

     

     

     

  • LE "MAQUIS" DANS LE FAUBOURG DU TEMPLE

     

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    La Traversée de Paris - Claude Autant-Lara


     

    Qui a connu cette petite rue Robert-Houdin qui donne entre le Faubourg-du-Temple et la rue de L'Orillon ? En 1945, elle avait été surnommée "Le Maquis". Peut-être y avait-t-on fait de la résistance, du trafic sûrement. Tout ce qui était le "Marché Noir" Il fallait la voir quand vers les 17-18 heures elle commençait de s'animer. Les "vendeurs" venaient s'installer et prenaient place sur les trottoirs, chacun sortait sa marchandise aussi variée qu'insolite, car on y vendait de tout. Le  quidam, à condition que son portefeuille soit bien garni, qui y entrait à poil d'un coté pouvait s'il le désirait, en ressortir de l'autre côté habillé de pied en cap portant sous le bras sa baguette de pain, dans son cabas toutes sortes de victuailles introuvables chez les commerçants patentés du coin, et même traînant en laisse par la main un chien corniaud ou de pure race.

     

    Quelle époque ! La guerre se terminait. Pendant quelques jours les boulangers avaient vendu du "pain blanc" mais vraiment blanc comme on ne l'avait plus connu depuis quatre années. C'était de la folie, il fallait voir cela. On manquait de tout, les produits proposés étaient de l'ersatz (succédanés), et l'imagination était sans limites : on fumait de la mousse mélangée à un grossier tabac belge, ("Fume, c'est du Belge !"), on lavait le linge avec de la cendre de bois et les pneus de vélo étaient chargés de bouchons de liège. Nous avons affreusement souffert de toutes ces privations.

     

     

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    Carte d'alimentation


     

    Comme le rappelle Jean-Claude Rihard dans l'un de ses billets sur la participation au trafic de cartes de pain, il s'en imprimait un peu partout, de bonne et de moins bonne qualité. Les plus douteuses, il fallait les frotter un peu sur le sol pour leur donner une couleur plus convaincante et on se risquait dans une boulangerie. Là, suivant la bienveillance et l'indulgence de la boulangère, elle acceptait ou refusait nos tickets qui sentaient encore l'imprimerie et la mauvaise encre. Car il faut dire qu'il arrivait que les fonctionnaires du "Contrôle Économique" les refusent et alors il fallait les rembourser. 

      

    Les Ricains

      

    Le débarquement des alliés avait eu lieu et les Américains remplaçaient les "Verts de gris" à l'Hôtel Moderne, Place de la République, à deux stations de métro de Belleville.

     

     

    A cette époque, le trafic battait son plein et chaque soir, vers les 21 heures, nous quittions Belleville avec quelques copains par la rue du Faubourg-du-Temple, direction République. Nous allions faire  "Les Ricains".

    L'opération consistait à attendre que les nombreux G.I.'s entrent ou sortent de leur hôtel, alors nous les interpellions grâce aux quelques mots appris dans le petit dictionnaire "français-anglais", investissement indispensable que j'ai  conservé.   

    - Hello Joe, have you cigarettes to sale, chewing-gum, soap ?

    ( Mon Anglais était du mot à mot, mais cela marchait…)

     

     

     

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    Et souvent, le gars avait quelque chose à vendre. Ils se passaient le mot et étaient nombreux à faire ce commerce. Nous achetions ainsi toutes sortes de produits introuvables à Paris : bas nylon, tabac, savonnettes, pantalons, blousons,  mille choses … Vers 1  à 2 heures du matin, nous remontions avec notre marchandise vers Belleville. On rangeait la cargaison chez soi, à condition que la flicaille, au parfum du manège, ne nous alpague pour passer quelques heures au commissariat du quartier, et que notre marchandise disparaisse dans leurs placards.

    Enfin, si tout se passait bien, nous avions le droit de nous reposer et de dormir.  Le lendemain, on se levait assez tard vu l'heure du coucher.  C'était dans la soirée, vers les 17-18 heures que nous chargions nos produits dans les poches ou la chemise pour aller nous installer sur les trottoirs du "Maquis", rue Robert-Houdin. Alors, doucement, le chaland arrivait, faisant des aller-retours à la recherche de ce qu'il pourrait s'offrir.

     

    Debout, les mains dans le dos, nous répétions en chuchotant : américaines, chocolats, savonnettes, chewing-gum ... Un client s'arrêtait, intéressé, et nous marchandions les prix.  Les paquets de Camel, Lucky Strike, Chesterfield et autres Old Gold sortaient discrètement des poches et s'échangeaient contre argent comptant. La "rousse" en civil rodait. Nous les connaissions, et pourtant ils arrivaient à nous faire aux pattes.  Nous leur donnions des noms, l'un d'entre eux était baptisé Chapeau vert. C'était bête, il en portait toujours un. Il nous arrêtait tout simplement, sans résistance de notre part, et nous emmenait au commissariat le plus proche mais c'était souvent celui de la rue Pradier, dans le 19e. Là, ils vidaient les poches de nos marchandises que les fonctionnaires se partageraient un peu plus tard.

     

     

    Parfois, c'était plus sérieux, ils y mettaient le paquet, il y avait des rafles monstres. Des cars à claire-voie emplis de gardiens se plaçaient au deux accès de la rue (Faubourg-du-Temple et de l'Orillon) empêchant toute échappée. Tout le monde était bloqué : vendeurs, acheteurs, joueurs de "passe anglaise" et de bonneteau.  Les agents descendaient en trombe des cars et investissaient la rue, s'éparpillant partout. Alors c'était la débandade, chacun cherchant à s'évader de la souricière, certains qui portaient sur eux des produits bien plus risqués tentaient de s'échapper par les toits des immeubles, vite rattrapés par les fonctionnaires de police, fouillés, ils étaient parfois porteurs de dollars ou plus grave, d'armes à feu dont ils n'avaient pas eu le temps de se débarrasser.  Ceux-là étaient emmenés à part dans des "paniers à salade".

     

    Les gens étaient alignés sur les trottoirs. On  faisait l'inventaire de  leurs poches, ils étaient alors chargés dans les cars et emmenés "Quai de Gesvres". Les agents se tenaient sur les marchepieds interdisant les évasions.  On payait une  amende et la marchandise était évidemment confisquée.

     

    Je sais, certains diront que c'était du "marché noir", que ce n'était pas bien… Mais que celui ou celle qui n'y a jamais eu recours comme vendeur ou comme acheteur le dise, ils ne seront pas nombreux. Il fallait bien manger, se vêtir, se chauffer. Ce marché parallèle permettait quand même  aux gens du peuple de trouver ce qui n'existait plus dans les commerces. Et de " gagner sa croûte" tout simplement.

    Je suis repassé récemment dans le Faubourg. La rue est vide et abandonnée, toute grise…  comme Belleville.  Robert Gostanian

     

     

     

  • GENS VENANT DE TOUTE PART

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    Passage des Mûriers ⚆ Crédit photographique Henri Guérard

     

    L’exil est un concept-carrefour, se situant à l’intersection d’un (non) vouloir individuel, d’une nécessité souvent impersonnelle ou supra-individuelle, et d’un espace conçu en termes de désirabilité/accessibilité. Il convient de prendre comme point de départ la définition du Grand Larousse encyclopédique qui assigne à la notion ses significations le plus fréquemment rencontrées : « expulsions hors de sa patrie » ; « séjours pénibles, loin d’un lieu ou de personnes regrettées ».

    Ces jours-ci, traversant le Père-Lachaise, j’ai pensé à TRISTAN, (Tristan de Iseult) qui remplit sans doute ces conditions. Il sera effectivement contraint à quitter sa patrie, ou, du moins, l’être qui objective son sentiment d’appartenance symbolique, son sens de la communion ; en plus, son séjour sera effectivement pénible, même feint, car il équivaut à une marginalisation sinon à une exclusion totale de la société. Il est vrai, d’autre part, que la valeur purement géographique de l’exil n’est guère mise en lumière ; TRISTAN n’a pas le mal du pays, il a plutôt le mal d’amour, si on peut dire, pour se confronter à une réalité que l’ont perçoit aliénante.

    Exil veut dire, contrainte de quitter son « chez soi » (qu’il s’agisse d’un lieu ou d’un être) pour se confronter à une réalité que l’ont perçoit aliénante. 

    Habiter un quartier. Par exemple, Ménilmontant ou Belleville, que beaucoup d’entre nous connaissent. Le quartier occupe, sans doute, dans la vie urbaine des citadins, une belle place, en tous cas le citadin doit y trouver sa place et nous devons faire le nécessaire pour qu’il la trouve. Ni entité délaissée ni univers social privilégié. Le quartier doit apparaître comme un lieu de vie relativement important, diversement investi par les habitants en fonction de leurs situations sociales et résidentielles et selon les caractéristiques morphologiques et sociales du lieu, je dis bien du lieu, dans lequel ils résident. En même temps, dans cette courte analyse je voudrais  montrer que cette diversité ne se résume pas à l’opposition entre habitants de quartier à la mobilité réduite et citadins nomades dépourvus de toute attache avec un lieu de résidence. Au contraire, dans certains lieux, comme dans d’autres contextes urbains, les individus qui se caractérisent par un fort ancrage  dans le quartier sont plus fréquemment des citadins mobiles que des citadins sédentaires. 

    Citadin, j’ai été maintes fois exilé. Né dans une maison au bord d’un ruisseau dans le sud de la France, sous la ligne médiane de Bordeaux et la frontière franco-italienne.

    Venu , à Paris, après maints aboutissements, nulle part ou un peu partout, par des chemins de traverses. Je suis arrivé dans le 20e arrondissement de la Capitale pour un temps court qui dura  l’épopée d’un vaste amour. Je devins résident d’un des plus populaires arrondissements de Paris en venant vivre passage des Mûriers. Un passage qui montait et que les enfants aimaient descendre à chariot à quatre roues avec une adresse fulgurante, comme eux seulement savent le faire. Rien que ces deux noms de rues me rappellent encore ma région natale aux confins du Lot et de la Dordogne où sont si nombreuses les haies avec ses mûres et les arbres fruitiers. 

    Ménilmontant, je le connais un peu. Je l’ai sillonné dans tous les sens, à pied et en voiture, de nuit comme de jour. Moi, natif d’ailleurs, j’ai découvert la rue du Pressoir encore intacte pour la première fois en 1960. C'est-à-dire avant que les troubleurs de vie par les destructeurs de l’Etat viennent perturber les habitants du quartier, où existait alors, calme, travail et espoir.

    J’y revenais de temps à autres, rue du Pressoir, combattre les voleurs de rêves, opposer résistance à ceux dont les déchaînements étaient néfastes à l’équilibre du quartier, constatant bien plus tard, les dégâts lamentables de rues éventrées, crevées. Plus rien n’était pareil à la vie paisible et quelque peu campagnarde qu’il y avait autrefois, même si tous savaient que l’habitat avait grand besoin d’être restructuré et rénové. C’est cela que nombre d’entre eux attendirent longtemps, très longtemps. Leurs souhaits ne furent que très peu exaucés. La blessure fut longue pour qui attendait avec espoir qu’arrive le droit au logement, l’attente d’être relogé, le droit à la paix. Bien évidemment ont leur proposa, très loin du lieu où ils habitaient, de nouveaux logements avec plus de confort certes mais il n’y eut pas beaucoup de justice ! Lorsque, juste après le chaos, je suis revenu rue du Pressoir, j’avais personnellement le sentiment terrible que des hélicoptères bombardiers avaient survolé les pâtés de maisons, pour tout casser et tout anéantir.

    Puis longtemps, durant des années et des années, la laideur de la rue nouvelle me fit reculer à l’idée de faire le pas du retour, celle de revenir dans ce qui avait été  un joyau du 20e arrondissement, l’une des parties de ce village du beau Paris. Je n’acceptais plus « d’être du quartier ».

    Car la rue du Pressoir fut pour moi, en exagérant un peu, mes Champs-Elysées lorsque, jeune,  je la découvris pour la première fois avec ses hôtels, boutiques, commerçants, garages, épiceries, costumiers et tailleurs, miroitiers, coiffeurs, boulangerie-pâtisserie, maroquiniers,  librairie, joailliers, ses nombreux cafés, ses corporations de métiers, ses artistes accordéonistes, bals, saltimbanques, tireuses de cartes, sa jeunesse, ses belles filles et ses musiciens. Que de changements,  pour moi, ayant passé mon enfance, dès le lever du jour avec le chant du coucou et sous le regard des oiseaux, au milieu des escargots, des fouines, des écureuils, des lapins, des poules, des oies et canards. Lorsque je revenais rue du Pressoir, c’était un vrai enchantement.

    Je connais hélas la destruction en sa totalité d’un lieu, celui où j’habitais, le Passage des Mûriers.

    Du passage reste seulement le plan avec son nom minuscule imprimés dans ma vieille Editions L’indispensable et le souvenir de  sa pente et de ses pavés à jamais gravés dans ma mémoire. J’habitais là avec ma fiancée. Je dirais mieux,  c’est là que m’accompagna ma fée, Ludmilla, dans une belle portion de vie. Ce peu de temps qui me semblaient des années de connivences, de tendresse, de passion et de rêve. Notre tout petit logement était situé tout en haut d’un immeuble étroit, rocambolesque, beau et ancien, d’une architecture séduisante du début du 19e  qui tenait d’un vieux décor de théâtre. Notre lit fabriqué de mes mains où reposait notre matelas de laine, cousu à la main rue Orfila, si j’ai bonne mémoire, était installé dans la petite alcôve qui jointoyait notre chambre que j’avais tapissée avec mon amoureuse Ludmilla qui en grec signifie arc-en-ciel, Ludmilla ma bellevilloise native de Diafani, île de Karpatos. L’alcôve n’était pas grande, cependant elle suffisait pour tout notre amour. Au petit matin, le jour blafard entrecroisait les premiers rayons du jour qui apparaissait par la lucarne de la cuisine et de la petite fenêtre du salon aux rideaux blancs brodés à l’image du Parthénon et signés à chaque extrémité d’un bleu de mer.  Cette frange de  lumière  nous faisait ouvrir les yeux et admirer le peu de ciel visible, encore étoilé d’été ; de l’automne plus gris, et puis de l’hiver sévère ménilmontois, avec les flocons qui voltigeaient et donnaient peu à peu, luminosité et splendeur, au quartier, en voie d’insalubrité triste, entouré de collines, le soir blanches et enneigées. Une fois la nuit passée et le café avalé, on dégringolait les vieux escaliers qui nous portaient vers le village pour aller travailler en nous faufilant parfois derrière le beau  Saint-Bernard docile, trottinant devant son maître, esquivant le camionneur livrant le lait où venaient roder des chiens bâtards que Ludmilla nommait « renards » et qui aboyaientt à nos trousses. On riait en rejoignant quelque peu essoufflé la rue des Partants sur notre itinéraire. Nous n’avions peur de rien. Nous possédions l’amour. Seuls au monde, Ludmilla et moi, nous allions  travailler, en nous tenant par la main avec la difficulté de nous séparer au moment de prendre, elle son vélo, et  moi, le 96. Ces souvenirs sont là, vivants dans mon cœur. Le passage des Mûriers et nous deux, fous du bonheur de vivre. Du haut de  Ménilmontant la vue était superbe, toute la capitale était à mes yeux ! La montagne de Paris intra-muros était unique. Et le soir, revenant à pied de mon travail, du haut de  la rue Piat, la vue sur la ville était encore à moi. Tout cela est dans ma mémoire, comme un diamant dans mon catalogue du cœur, un trésor dans mon œuvre de vie.

    Hélas aujourd’hui, le Passage des Mûriers n’est plus. Ce passage défunt aux consonances si méditerranéennes qui me conduisait chaque matin vers les cimes de la ville, et dont Monsieur Henri Guérard nous a laissé des traces brillantes dans son livre de photographies, a vécu.

    Je suis un réfugié de nulle part ainsi que le dit de lui-même  Frédérick Tristan qui n’était pas seulement le barbare dont peu à peu il souhaita nous donner l’image. Bienvenu Merino

     

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    Ménilmontant sous la neige

    Crédit photographique ☞ Michel Sfez


  • A LA SERPE D'OR

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    Située à l'angle de la rue de Ménilmontant et de la rue des Amandiers, la grande bijouterie "A la serpe d'or" était réputée pour la qualité et le choix des articles qui y étaient proposés.  
    Traditionnellement, les fiancés et futurs mariés du quartier y choisissaient les bagues et alliances qui célébraient leur union. Lucile
  • QUI SE SOUVIENT ENCORE DU CAIFFA ?

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    BISCUITERIE CAIFFA

     

     

    Vos souvenirs nous intéressent ...

  • RUE DE MENILMONTANT, LE 5 MARS 2011

    Nouvelle balade d’hiver, cette fois sous un soleil magnifique, une brume de beau temps masquant la vue sur Paris ! Descente jusqu’au boulevard pour retrouver l’atmosphère et percevoir les changements.

     

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    Après la rue des Amandiers, là où s’ouvrait la partie la plus commerçante de la rue, la nostalgie, pour moi, devient pesante : la joyeuse animation du samedi matin a disparu, la plupart des magasins de bouche qui attiraient la grosse majorité des chalands a fait place à des boutiques disparates, dont la laideur des enseignes et le caractère apparemment éphémère n’inspirent aucune envie d’achat. Seuls ont résisté quelques bistrots, dont le tabac du coin de la rue Julien Lacroix. Un souvenir personnel : c’est là où, avec maman, la seule fois de ma vie, nous avons joué au tiercé et gagné… des clopinettes ! Comme tout le monde puisque c’était le prix de l’Arc de Triomphe et que les favoris avaient tenu leurs promesses ! 

    Comme on peut le voir sur les photos, les petites maisons XIXème de un, deux ou trois étages n’ont pas été toutes remplacées par de hauts immeubles. Il est vraisemblable que le sous-sol mité a fait reculer les promoteurs, sinon… Le fier Comptoir National d’Escompte de Paris, depuis longtemps disparu certes, va, après avoir abrité Toto Soldes, bientôt faire place à une succursale des surgelés Picard… Grandeur et décadence ?

     

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    « La cour du 24 », comme nous l’appelions couramment, et qui relie la rue de Ménilmontant à la rue des Panoyaux par le Passage du Labyrinthe, a gardé du caractère. Tout en changeant de nature, puisque de nombreux ateliers ont été transformés en locaux d’habitation. Les riverains ont agréablement égayé leurs façades et leurs abords en installant des jardinières au long de la chaussée. Dommage que les motos en stationnement viennent perturber l’harmonie des lieux…

     

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    C’est tout pour aujourd’hui et je n’ai pas le cœur gai. A vrai dire, je n’ai plus envie de retourner flâner de sitôt rue de Ménilmontant. Pour la première fois, j’ai eu l’impression en cette fin de semaine que le quartier tel que nous l’avons connu était bel et bien mort. D’autres nous y ont remplacé et y ont heureusement trouvé leur place. C’est normal puisque la roue tourne. Mais, tout de même… c'était bien plus sympa autrefois ! Lucile

     

  • GERARD MORDILLAT A COMPTE TRENTE CINQ CINEMAS ENTRE BELLEVILLE ET MENILMONTANT

     

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    « … Il y avait trente cinq cinémas entre Belleville et Ménilmontant, sans compter la salle paroissiale et la Bellevilloise, salle historique où, pour la première fois, on projeta en France Le Cuirassé Potemkine de Sa Majesté Eisenstein. Il y avait l’Alcazar, l’Alhambra, l’Améric- Cinéma, le Bagnolet-Pathé, le Bellevue, le Chantilly,, le Ciné-Palace, le Cocorico, le Crimée, le Danube, l’Eden Jean-Jaurès, le Féérique-Pathé, le Floréal, Les Folies-Belleville, le Gambetta, le Ferber, le Mambo, appelé aussi Gambetta-Etoile, le Miami, le Ménil-Palace, l’Olympic Jean-Jaurès, le Paradis, le Phénix, le Provence, le Pyrénées-Palace, le Renaissance, le Rialto-Flandres, le Riquet, le Secrétan-Palace, le Secrétan-Pathé, le Séverine, le Théâtre de Belleville, les Tourelles, le Zénith, tous ces noms qui font rêver, sans oublier le Florida… », Gérard Mordillat in Rue des Rigoles (Editions Calmann-Lévy, 2002 ; Le Livre de Poche, 2006).

  • HOMMAGE A MAURICE ARNOULT

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    Maurice Arnoult

     

    Dans ses nombreuses célébrations de Belleville, Clément Lépidis revient sur la figure de Maurice Arnoult, Maître bottier. Nous avons choisi un fragment de Belleville, mon village qui sent le cuir et fait entendre le métier. Pour en savoir plus sur Maurice Arnoult, il vous suffira de cliquer sur le lien plus bas.

     

    "Traces visibles de ce Belleville d'autrefois que la foudre du temps a marqué sur l'émail bleu d'une plaque de rue : Tourtille ! Denoyez ! Rébéval ! Ermitage ! Moulin-Joly ! Rue des Cascades et rue de la Mare, rue des Rigoles et rue de la Fontaine-au-Roi. L'impasse du Puits ! Que d'eau parmi ces anciennes terres à vignobles ! Miracle : l'inscription délavée mais encore visible : "A la Renommée de la Bonne friture de Seine" au 85 de la rue de Belleville. Là où Maurice Arnoult, Maître Lournat pour les intimes, le plus ancien bottier du quartier, frappe encore le cuir à l'ancienne manière dans son échoppe-atelier, façonnant avec amour les beaux souliers de Paris".

     

    A PROPOS DE MAURICE ARNOULT

  • TIMBRO RELIEF

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    Pascal voudrait bien savoir si quelqu'un garde le souvenir d'un magasin, situé rue de Belleville, à l'enseigne Timbro-Relief. Ce commerce existait dans les années 1900-1920 et proposait des étiquettes gommées. Pascal possède un catalogue attestant de l'existence de cette boutique mais il est avide d'informations. Si cela vous dit, merci de laisser des commentaires sur ce sujet.

  • UNE NOSTALGIE TRES SELECTIVE

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    Rue du Pressoir aujourd'hui

     

     

    Il pleut et vente ce lundi sur ma campagne. Coincée à la maison, j’ai tout loisir de me confier à mon ordinateur.

    Il ne se passe pas de jour où je ne vais faire un tour sur notre site, et j’ai souvent envie de réagir. Avec véhémence quelquefois.

    Au risque de choquer quelques-uns, mais avec le souci, croyez-le bien, de ne peiner personne, je décide aujourd’hui de préciser ma pensée.

    La « rue du Pressoir » et son environnement, avant les destructions massives qui les ont défigurés, ce n’était pas le Paradis. Il y régnait certes un esprit de quartier encore marqué du sceau des faubourgs du XIXème siècle, et nous y avons tous des souvenirs d’enfance, d’adolescence, directs ou transmis par des êtres chers, qui nous ont marqués à vie. Il nous arrive de nous les remémorer avec un tendre sentiment d’attachement en oubliant tous les désagréments du quotidien. 

    Et pourtant ! L’eau sur le palier, les wc à l’étage, le charbon qu’il fallait aller chercher à la cave l’hiver pour alimenter la cuisinière, la vie de famille concentrée dans 30m2, les dissertations rédigées sur un coin de table quand était venu le temps du lycée, expliquent la réaction de soulagement de nombreux habitants du secteur lorsque leur fut proposé un relogement dans des locaux plus spacieux et surtout plus confortables.

    Sans parler de l’état de délabrement de certains immeubles que les propriétaires ne pouvaient plus entretenir depuis des décennies en raison de la modicité des loyers encaissés. (La fameuse loi, dite de 48 je crois, n’a pas eu que de bons côtés.)

    La lassitude était grande de vivre dans un quartier qui dépérissait progressivement et le fait de devoir abandonner le vieux Paris et s’exiler en banlieue n’a pas pesé lourd en face de « la salle de bains » annoncée. Fut occulté pour un grand nombre de ceux qui n’avaient pas encore trouvé mieux où se loger le dépaysement sentimental pourtant à prévoir. Les jeunes gens qui n’avaient pas encore eu l’occasion de connaître autre chose, attristés de voir se décomposer leurs groupes d’amis, et les très âgés prêts à tout pour conserver le logement où ils avaient passé la plus grande partie de leur vie l’ont bien ressenti, mais une grande majorité d’adultes y a vu, au contraire, un changement de mode de vie bienvenu.

    Il est vrai qu’une réhabilitation, telle qu’on la conçoit maintenant, eût été mille fois préférable à la brutale démolition entreprise. Cinquante ans plus tard, on ne peut que le regretter. Je ne saurais pas dire si, à l’époque, il y avait vraiment le choix, compte tenu de l’urgence et de l’ampleur  du problème à régler. Ce n’était pas un ou deux immeubles qu’il fallait remettre en état l’un après l’autre, mais complètement reconsidérer un quartier tout entier, qui plus est, de forte densité d’occupation.  

    Voilà, c’est dit : j’ai une nostalgie très sélective !

    C’est pourquoi cela me chagrine un peu de voir percer au travers de différents récits un certain et nuisible esthétisme, au détriment de la réalité des faits et du vécu des ménilmontagnards ou bellevillois de souche.

    Je l’ai déjà noté : pour retourner souvent sur place puisque mes enfants ont choisi d’y demeurer, je sais qu’il  règne encore dans ces quartiers de l’est parisien, une atmosphère de convivialité, différente de celle que nous avons connue, mais tout aussi précieuse aux yeux de ceux qui la vivent.

    Amicalement à tous, Lucile.

     

    Un point de vue que partage entièrement la chanteuse Clarika qui habite dans la rue du Pressoir des jours actuels. Elle avait témoigné, sur notre site, il y a quelques-années, de la continuité des équilibres dans l'immeuble où elle vit, du fait que la mixité des âges et des cultures est toujours aussi nourrissante. Une occasion de recommander l'écoute de son cinquième album, Moi en mieux (Mercury, 2009) et en particulier du titre Bien Mérité, lequel pourrait être l'hymne mappemondial de la rue du Pressoir. Guy Darol

     

     

     

  • PARFOIS, JEAN-CLAUDE RIHARD SE SENT COMME UN VIEUX CHIEN

     

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    Habitant en province depuis maintenant quarante-et-un ans, je n'ai pas oublié le quartier de mes vingt-cinq premières années. A chaque fois que j'ai l'occasion de monter à Paris, je ne puis m'empêcher d'aller faire mon tour dans ces lieux si riches en souvenir : rue des Couronnes, rue Vilin, rue des Maronites, rue du Pressoir, boulevard de Belleville, rue de Ménilmontant. Je me sens comme un vieux chien qui rechercherait ses anciennes pissettes pour y refaire quelques gouttes !
    Le propos est trivial, j'en conviens ... et pourtant ... n'est-ce pas un peu la vérité ? Jean-Claude Rihard

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  • DE ALGER LA BLANCHE A PARIS, MENILMONTANT

    Française, enfant d’Alger, où elle est née, Aline Marçot vient en France, dans les années 1960, à 13 ans. Elle s’installe d’abord en banlieue avec sa famille, puis à Paris en 1975, dans le 20e arrondissement, rue des Maronites, à deux pas de la rue du Pressoir.  Elle y habite toujours. Sculpteur, mais aussi passionnée de théâtre, comédienne avec à son actif plusieurs mises en scène, Aline Marçot est surtout une amie de longue date. 

     

     

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    "ON N’HABITE PAS MENILMONTANT, C’EST MENILMONTANT QUI NOUS HABITE" 

     Serge Guérin, sociologue.

     

    Bienvenu Merino : Chère Aline, merci d’avoir accepté de venir à ce rendez-vous. Je t’imagine à Alger, sur une terrasse toute blanche, avec l’odeur du jasmin, attablée devant un thé à la menthe. Il y fait très beau. Il est loin ce temps là ?

    Aline Marçot : Oui, c’est loin ce temps là, et par moment, ce n’est pas si éloigné que ça, j’ai fais tout de même du chemin depuis. A Alger, avec mes parents, nous habitions à l’européenne, dans un appartement sans terrasse,  avec un grand balcon sans plantes, ni fleurs, ni odeurs de jasmin. Je te parle comme si le temps depuis m’avait fait oublier les senteurs, fait disparaître les odeurs. Pourtant, ce n’est pas tout à fait vrai, tout est là encore, dans le souvenir, il me suffit d’y repenser, d’aller puiser un peu dans ma mémoire pour que tout cela revienne. Mais ce n’était pas du tout notre habitude de prendre du thé. Avec mes parents, nous avions un mode de vie à la française, sauf le vendredi, qui, en général, était notre jour de couscous. Le samedi,  maman préparait le pique-nique pour le dimanche : la coca, plat typique algérois ainsi que le pâté de porc au cognac. Nous passions la journée au bord de la mer, à la plage. C’était une façon  d’oublier qu’il y avait les événements ; la guerre, quoi ! Mais ce mot guerre était très dur pour moi qui était un enfant ; en famille nous disions : les événements. A la plage, c’était convivial, on oubliait  un peu ce qui se passait en ville. Après le repas, mes parents jouaient à la belote en famille ou avec des amis. Moi, je n’aimais pas du tout ça. Je restais dans mon coin avec mon frère. C’est sans doute la raison pour laquelle, je déteste tous les jeux de carte, belote et tout ce qui s’en suit. Là ne sont que quelques brefs souvenirs de cette période, je pourrais parler encore et encore.

    B. M : Aline, te rappelles-tu de ce jour où, toute jeune fille, très belle, tu prends l’avion et puis vlan, voici Orly ! C’est un bond, non ? Un bond dans l’inconnu ? Ta famille, était-elle déjà installée en métropole ? En proche banlieue de Paris, je crois?

    A. M : Ah oui je me rappelle ! Je suis arrivée en France, à Paris précisément, à 13 ans. Et oui, ce fut un bond, tu as raison, un  bond dans l’inconnu. A coup sûr, il y avait des raisons d’être désorientée. Puis nous nous sommes installés dans la banlieue sud, proche d’Orly, à Villeneuve-le-Roi. Je trouvais la ville grise, le ciel bas ; les avions, je les entendais au-dessus et ça me faisait peur. Je le voyais  tous les jours ainsi.

    C’était l’hiver 1961, il faisait très froid, le gel, la neige, tout cela était nouveau pour moi, je ne connaissais pas les saisons. C’était insupportable, se couvrir, se barricader en nous-mêmes, cacher notre corps, ne pas s’aérer, sinon dans le froid et la neige. Je découvrais ce qui n’existait pas à Alger, du moche, la grisaille, la solitude. Oui, il est vrai, nous vivions les événements, mais mes parents nous protégeaient du mieux qu’ils le pouvaient afin que l’on ne s’en rende pas compte. Partir : moments très difficiles pour moi, quitter ma meilleure amie et ceux qui m’étaient chers. Puis, j’ai repris mes études en banlieue parisienne dans un lycée mixte. C’était nouveau pour moi un lycée avec ensemble filles et garçons. Il a fallu du temps pour m’y habituer, beaucoup de temps. Ma meilleure amie était restée à Alger, je me sentais seule.

    C’est bien des années après que je suis arrivée rue des Maronites, en 1975 je crois. J’approchais de la trentaine. Ma grand-mère avec ses deux jumeaux, frère et sœur, c'est-à-dire mon oncle et ma tante, habitaient déjà rue Julien-Lacroix depuis 1962. Ce fut un grand changement pour moi, la plupart des membres de ma famille, du côté de ma mère étaient restés en Algérie, oncles, tantes, amies. Plus personne parmi les proches n’était là dans mon nouveau pays ; ce fut très difficile vraiment, je me sentais isolée, le cocon familial désagrégé.

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    La rue des Maronites aujourd'hui

     

    B.M : Aline, je me souviens des très belles  poupées en tissus que tu fabriquais il y a quelques années, exposées dans une galerie, quai Malaquais, près du Pont Neuf. Ces poupées, gardaient-elles ton innocence, celle de ton enfance dans ce beau pays qu’est l’Algérie et que j’ai eu la chance de connaître ? 

    A.M : Oui, il y eut une période où je faisais des poupées, puis je me suis mise à la sculpture. Les matériaux, les techniques, tout est différent. Quand à leur ressemblance, les poupées, ce qu’elles voulaient dire, ce qu’elles signifiaient, je ne sais trop comment répondre à ta question,  je laisse à chacun le soin de dire ce qu’il ressent. Je pense que c’est la nostalgie du désir de fusion avec la mère  qui  a fait naître ces poupées de tissu. Elles avaient un rapport avec ce que j’étais, mon passé, mon histoire. Oui, tu as peut-être raison, je ne suis pas sûre, moi je ne me posais pas de questions, je faisais, mais il y a du vrai dans ce que tu dis.

    B. M : Se sent ont déboussolée quand on quitte l’Algérie à 12 ans. Etais-tu consciente, toi, de ce qui se passait dans ton pays natal. Comment voyais-tu ces événements ? Tu te sentais protégée ou bien désorientée ? C’était difficile à certains moments, te souviens-tu ?

    A. M : Cela me paraissait incroyable tout ce qui m’arrivait, et cette idée de recommencer une nouvelle vie ailleurs. Mon père se sentait menacé là-bas, il voulait nous protéger ; il était syndicaliste et libéral ; il n’était pas pour le F.L.N. ni pour l’O.A.S. et il décida, du jour au lendemain, de partir, de tout quitter, de nous embarquer en France. Tout alla très vite. 

    B. M : Lorsque tu as trouvé le logement rue des Maronites, tu es arrivée dans des bâtiments flambants neufs, non ? J’ai remarqué que les trois rues : rue du Pressoir, rue des Maronites et Etienne-Dolet forment, géographiquement, une sorte de croix. C’est un signe de la croisée des chemins, ou bien une croix sur un passé, pourrait-on dire. Ce n’est pas exagéré ? Aline, tu avais conscience de la situation grave que vivaient les Français d’Algérie et la nation  algérienne. Ce n’est pas douloureux de raviver ce passé ? 

    A. M : L’immeuble où j’emménageai en 1975, rue des Maronites, n’était pas neuf, et ceux voisins du même groupe d’immeubles semblaient avoir été construits la même année. Ils avaient déjà une quinzaine d’années, sinon plus. Quand à la croix que forment les trois rues, tu as une imagination débordante, je ne suis pas géomètre. Il me faudrait regarder un plan du quartier pour le confirmer. Oui, j’avais pris conscience de la gravité des événements en Algérie. Je devais avoir une dizaine d’année à peine, je sentais que c’était très grave, tout était en jeu, le destin peut-être de deux nations ! En fin de compte, oui, ce fut comme un trait que l’on avait voulu jeter sur mon passé, mais moi, jamais je ne pus, ni ne voulus, ni ne veut  oublier le pays où je suis née. Je le garde dans mon coeur, présent à tout jamais ! En vérité, Alger et l’Algérie, ce fut toute mon enfance, mon berceau natal, mon repaire nid. C’est émouvant d’y repenser en répondant à tes questions. La France, ma patrie où j’arrivais pour la première fois je ne m’y retrouvais pas.

    B. M : L’intégration a-t-elle été difficile pour toi. Je veux dire de rentrer en classe du jour au lendemain, s’asseoir au milieu de têtes blondes ?

    A. M : Ce fut très dur. Un long tunnel pour moi commençait. Je ne pouvais pas comprendre ce qui m’arrivait. Voyant que la situation m’était difficile, j’essayais et voulais comprendre. Je le voulais afin de m’épanouir, de vivre bien, sans conflit dans ma tête. J’étais en pleine crise d’adolescence, dès mon arrivée d’Algérie. Rentrer dans une  classe mixte, je devais m’habituer à ce changement. C’était un nouveau mode de vie, tout me semblait différent, les maisons, les gens qui m’entouraient, les élèves, les profs, dont certains riaient de mon accent pied noir. Le prof de français, grec et latin était cynique avec moi, ça je m’en souviens ! J’allais très mal. Je ne suis sortie du tunnel que vers les 15-16 ans. Enfin,  je commençais à voir plus clair, je respirais mieux. C’était à Savigny-sur-Orge où se trouvait le lycée et non à Ménilmontant, comme je t’en ai parlé précédemment, où je ne suis venue qu’après les études secondaires.

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    La rue du Pressoir autrefois



    B. M : Aline, la belle rue de Pressoir d’avant, l’as-tu connue, avec ses cafés, ses hôtels et ses très nombreux commerçants ? Et que ressens-tu, là, aujourd’hui aux premières loges de ces immeubles, masse de béton, car toute la rue du Pressoir d’autrefois a été décapitée pour construire du neuf, afin de recevoir des familles françaises rapatriées d’Afrique du Nord. Savait-tu que ces immeubles avaient été construits pour les rapatriés d’Algérie?

    A. M : Non, je n’ai pas connu la rue du Pressoir d’avant. A mon arrivée dans le quartier,  la rue du Pressoir nouvelle  était déjà construite, c’est celle qui est là actuellement. J’ai vu les photos que vous avez publiées, mais c’est tout. Je ne savais pas que les immeubles où j’habite avaient été réservés aux rapatriés d’Algérie, tu me l’apprends, aujourd’hui. Oh !  j’en apprends des choses !

    B. M : Aline, de nombreux contingents de populations ne trouvent plus dans leur propre pays des perspectives de vie digne et sûre. Ils passent souvent les frontières et partent ailleurs. De nombreux émigrés arrivent en France. Ménilmontant fut longtemps une terre d’asile. Pour toi qui habites le quartier,  penses-tu qu’il en soit toujours ainsi ? Vois-tu un changement positif, dans l’arrivée de nouvelles émigrations qui s’installeraient à Belleville et à Ménilmontant?

    A. M : Ménilmontant est un quartier qui se boboïse. S’il a été un quartier d’asile, il l’est toujours je pense aujourd’hui. Peut-être ce n’est pas la même émigration ; ça c’est sûr !  Si les Français reviennent, beaucoup d’Asiatiques s’installent depuis de nombreuses années. Les chinois surtout s’implantent dans ma rue, achètent des appartements dans mon immeuble, ils font partie du quartier, ils s’intègrent assez bien je crois. Mais les nouveaux arrivants dans le quartier s’embourgeoisent, sont embourgeoisés, ça n’a rien à voir avec les années cinquante et soixante. Dans le quartier, il y a aussi une certaine classe moyenne, parisienne, bien assise, qui est à sa place, si je peux dire.

    B. M : Merci Aline d’avoir répondu à mes questions. Veux-tu, un thé, une bière, un cognac avant de goûter à ta coca algéroise ou à un bon couscous, selon ton choix, pour célébrer notre amitié ?

     

    Entretien réalisé par Bienvenu Merino, le 10 septembre 2010

     


    Dernières réalisations théâtrales et projets d'Aline Marçot

     

     

    Théâtre : Nous avons  tué  Stella, monologue adapté du roman de Marlen Haushofer, 2008.

    Projet :  Une femme sous silence, en cours d’écriture.

    Lecture et mise en scène : L’odeur de la mémoire.

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    Aline Marçot sur scène

     

     


     

     

     

     

  • ENTRETIEN AVEC JEAN-CLAUDE RIHARD

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    Carrefour rue des Couronnes - rue du Pressoir

    Photo Raymond Battaglia, début des années 1960

     

    Jean-Claude Rihard fait désormais partie de la belle équipe des animateurs du blog de la Rue du Pressoir. Cet ancien du quartier répond à quelques questions - quelque chose me dit qu'il y en aura d'autres.


    Où as-tu vu le jour ?

    Si la réponse est stricto sensu, ma réponse est : dans la dixième arrondissement, à la Clinique. Mais huit jours après, j'étais au 52 boulevard de Belleville ! Mon père était Bellevillois, ma grand-mère paternelle aussi, mon arrière grand-père paternel aussi. Il faut remonter à la génération d'avant pour retrouver...  la Bretagne non bretonnante,  premières marches de Bretagne.

    Ma mère était Bellevilloise, ma grand-mère maternelle aussi (métro Belleville, côté 11ème). L'arrière grand-père maternel venait du Nord.

    Que faisaient tes parents ?

    Mon père était ajusteur-tourneur et après-guerre, il a monté un commerce en Normandie (cette démarche était une conséquence directe de la guerre et de la pénurie alimentaire , nous participions au trafic de fausses cartes de pain  ... imprimées dans l'impasse du Pressoir ! ).

    Ma mère était danseuse, mais je ne l'ai pas beaucoup connu. Elle a quitté le domicile conjugal quand j'avais  deux ans. J'ai donc été élevé par ma grand-mère paternelle.

    Dans quelles écoles fus-tu scolarisé ?

    La Maternelle était celle de la rue des Maronites, le Primaire, c’était rue Julien Lacroix, à côté du passage Ronce, en face d'où était né Momo (Chevallier). Ce dernier venait nous rendre visite chaque année jusqu'à 1958 environ. Il faisait tourner un petit film à chaque fois avec les gosses. Puis un jour... il n'est plus venu, il a oublié son quartier !

    Plus tard, n'ayant pas eu les meilleures notes au concours pour entrer en sixième, le CCG (Cours Complémentaire Général) m'a échappé et j'ai dû me contenter de celui situé rue Pelleport. Je n'ai pas perdu au change, je prenais le bus à plateforme tous les jours. Un bon sport pour le prendre et descendre en marche! 

    Que t'as appris Belleville-Ménilmontant ?

    Question trop vaste, je pourrais en écrire de très nombreuses pages ! J'y ai tout appris, du bon et du moins bon. J'y ai appris ... le travail, les différents métiers dits "de Paris", les amourettes, les copains, l'entraide, mais aussi à chaparder, à fumer… d'abord de la liane (terrains vagues obligent), puis des P4, avant d'avoir les moyens d'acheter le premier paquet de Gauloises. En bref, j'y ai appris tout simplement ... la vie !

    As-tu fréquenté le rue du Pressoir et qu'y faisais-tu ?

    La rue du Pressoir, c'était une annexe ! J'y avais de nombreux copains d'école,  y compris dans le passage Deschamps. De mémoire, JP Cardon dont les parents étaient concierges, les frères Tonneau, Aubri, Nathan (dont les parents étaient tailleurs dans le passage Deschamps), Ponnelle (également passages Deschamps) et quelques autres.

    Quelles images conserves-tu du quartier dans les années 1960 ?

    Ces années ont été pour moi comme un fin d'époque et ceci à tout point de vue.

    Changements des populations tout d'abord. Alors que dans mon enfance il y avait un relatif équilibre entre les différentes ethnies, tout cela a basculé. Je ne m'étendrais pas sur ce point car de nos jours on ne peut même plus parler de choses factuelles sans être taxé a minima de xénophobie. Mais c'est un fait, il y a eu un exode massif des Bellevillois de souche, remplacés par d'autres populations.

    Ces changements de population ont entraîné un changement des moeurs et de toute la sociologie. L'esprit village en a pris un sérieux coup, même si cela perdure ici où là dans des secteurs épargnés. On a changé le biotope.

    Changement architecturaux. Certes, l'eau sur la palier a disparu, de même les WC à l'étage pour cinq à six familles. La salle de bain est arrivée. Ces conforts étaient devenus indispensables. Mais en parallèle, les voisins sont devenus des "étrangers", les relations humaines se sont dépersonnalisées. Les cages à lapin, c'est aussi une autre forme de promiscuité.

    L'image essentielle qui m'a marqué, c'est la destruction de mon quartier. La venue des bulls, ces tours métalliques mobiles et obliques au bout desquelles pendaient les boules d'acier qui étaient balancées dans les murs. Je pense que j'aurais eu moins de chagrin de savoir qu'une bombe était tombée là.

    Je me suis toujours posé la question, mais pourquoi n'a-t-on pas essayé de conserver une partie de ces quartiers en les restaurant. Tous ces jardins cachés, ces cours er arrière-cours, ces passages qui nous menaient de rues en rues et qui avaient un charme désuet. Ce quartier était un véritable capital.

    Quels étaient tes loisirs en ces temps anciens, néanmoins pérecquiens ?

    Pérécquiens... entre-autres, anciens pas tant que cela. Encore que la vie, ces dernières années, s'est déroulée à vitesse Grand V.

    Là, encore, la question est vaste. Elle remplit plusieurs chapitres de mes mémoires en cours d'écriture.

    Vaste car, bien sûr, les loisirs sont associés à l'âge. Rappelons qu'à cette époque la TV n'avait pas encore trop entamé nos modes de vie.

    Dans la période de stricte enfance, ce fut tous les jeux de notre âge, billes, patins à roulettes, compétition de traîneau, jeux de cordes et autres avec les filles.

    J'avais l'immense privilège d'avoir en face de chez moi le terre-plein qui recevait le marché. A l'époque, le mardi matin et le vendredi matin (si ma mémoire est bonne! Ce terre-plein était une superbe aire de jeu y compris les veilles de marché où les employés municipaux, je suppose, venaient installer les poteaux métalliques et les toits de toiles du marché. Amusants ces hommes chaussés de chaussures en bois à hauts talons pour leur donner la bonne hauteur!

    Le travail terminé, c'était pour nous le temps du slalom en patins, en traîneaux, à vélo (pour les plus aisés!).

    Un peu plus grand, notre périmètre s'étendait vers les terrains vagues. Nous étions comblés. Un petit en haut du passage Ronce qui donnait sur la rue des Couronnes. L'autre étant une grande partie de l'espace occupé par l'actuel Parc de Belleville ainsi que par les immeubles construits sur le plateau, vers les Envierges.

    Nous y avons construit des baraques avec les matériaux qui traînaient là (briques, planches...). Nous y avons fumé les premières "lianes" puis nos premières P4, dites cigarettes de chômeurs.

    Plus grand encore ce fut le cinéma, dieu qu'il y en avait entre Belleville et Ménilmontant. On était loin de la dernière séance chantée par notre compatriote Claude alias Eddy. Je me prends à penser au nombre impressionnant d'artistes que ce quartier a engendré !

    Pourquoi t'intéresses-tu à Georges Perec et à Clément Lépidis ? 

    Je ne connaissais pas pas Georges Perec, jusqu'à ce qu'un jour (émission de télé ), je découvre son existence et apprenne qu'il avait vécu à Belleville et pour être plus précis rue Vilin. Or, ma famille a habité au 2 rue Vilin durant une bonne dizaine d'années. J'ai su que Georges Pérec était juif, ma grand-mère m'avait beaucoup parlé du quartier, des juifs de l'époque, des rafles de l'été 42...

    Juif ou pas, il était du quartier, je me trouvais donc une parenté.

    Pour être honnête, Georges Pérec n'est pas mon auteur préféré... à chacun ses goûts. Mais c'est quelqu'un de "la famille", alors je lui ai trouvé  beaucoup de qualités. Peut-être un peu trop éclectique, mais quel bonheur son art lipogrammatique et ses palindromes ... un régal !

    J'ai un peu sublimé "W",  tout simplement parce qu'il s'agissait de souvenirs d'enfances et que la rue Vilin y était évoquée. Ah ! cette rue Vilin et son escalier. Combien parmi nous ont usé leurs culottes courtes sur le muret pentu qui se situait sous cet escalier et que l'ami Willy a immortalisé par sa célèbre photo. Cette photo, je l'ai trouvé en poster, je l'ai faite encadrée et elle trône dans la chambre de mon papa âgé de 90 ans et qui est maintenant en maison de retraite, à 100 m de chez moi. Il vit en concubinage notoire avec une garce .... Héloïse, traduisez Aloïs...    alias Alzeihmer. Il a tout oublié ou presque mais aux mots rue Vilin, ses yeux s'illuminent... Mais je m'égare, revenons dans le sujet !

    Quant à Clément, j'aurais étrangement presque rien à dire. Je me sens lui lorsque je lis ses livres. Son style près proche du peuple me va comme un gant. Je l'ai vu une fois il y a très longtemps vers la rue des Envierges, nous avons échangé quelques mots, mais je ne voulais pas trop le déranger ce fut donc a minima. J'ai dévoré tous ses livres sur Belleville. Ils trônent tous sur ma bibliothèque de plus d'un millier de livres. Je me suis payé le luxe d'orner l'intérieur de ses livres d'une palanquée de photos de Doisneau et de Ronis. Dommage Kléanthis est parti ... pas de dédicaces ! Une perte pour notre quartier.

    Qu'est-ce qui te motive (dangereusement ?) à péleriner aujourd'hui dans ce quartier métamorphosé ?

    La vie n'est pas un long fleuve tranquille, ne dit-on pas? Et puis, il faut vivre dangereusement. Il y a probablement un côté pathos dans ma démarche.

    Un jour que j'échangeais avec Josette (de la rue du Pressoir), elle me faisait part de sa nostalgie, un peu dans le syle "c'était mieux avant".

    Oui bien sûr, je l'ai évoqué plus haut, il y avait des tas de choses plus sympas, plus conviviales… Mais on sait tous que cela ne pouvait durer, car ainsi va la vie et rien n'est immuable, même les avantages acquis ! Je suis bien conscient de tout cela, bien conscient aussi, que, ce faisant, je suis à la recherche de quelque chose de perdu définitivement ... ma jeunesse.

    Mais cependant, ce n'est pas que de la nostalgie, pourquoi j'y retouve des odeurs? Pourquoi ce mélange de haine (ils ont tout cassé !)  et d'amour ? Pourquoi je me dis toujours : "Cette fois, c'est la dernière" ?Et pourquoi dès que je suis à Paris j'essaie de trouver un moment pour aller traîner mes guêtres ? Alors pathos ou pas? Serait-ce du vice ?

    Guy, t'es pas sympa, à cause de ta question, il va falloir que je consulte !

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    Classe de Maternelle, rue des Maronites

    Jean-Claude est debout, près de la maîtresse

    Photo Yolande Suchet épouse Lapierre

    Sur cette image, figurent Aubri (rue du Pressoir), Tonneau (rue du Pressoir), Yolande Suchet (52 boulevard de Belleville), Cardon (rue du Pressoir), Pallini.

     

     

     

     

  • ENTRETIEN AVEC SOPHIE POUJADE, MENILMONTOISE DE COEUR

     

     

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    Et si c’était le mot d’ordre d’un nouvel essor des anarchistes

     

     

     

     

     

    « LES SOUVENIRS SE CONSERVENT-ILS  COMME DES PHOTOS DANS UNE BOITE ? »

     

     

     

    Bienvenu Merino : Sophie, nous nous connaissons depuis longtemps. La mémoire est la faculté de se rappeler le passé et comporte plusieurs degrés. D’abord, la mémoire immédiate qui enregistre momentanément les informations significatives. Elle est fugitive et son contenu s’élimine rapidement s’il n’est pas travaillé par une contention renouvelée de l’esprit ou une captation inconsciente. Ensuite, la mémoire moyenne qui garde la trace de ce dont nous avons besoin d’un point de vue pratique. Enfin, la mémoire profonde qui détermine notre identité et nous construit sur un plan affectif. Nous y voilà !

    Tu as habité Ménilmontant dans les années 1975-1979, si j’ai bon souvenir, rue Delaître précisément, rue située presque à la hauteur de la rue Julien-Lacroix, sur la droite en montant la rue de Ménilmontant. Dis-moi, tu peux me parler de tes années passées dans ce quartier de Ménilmuche ? Ta rue, le voisinage, les commerçants. Les raisons qui ont fait qu’un jour tu es venue habiter ce Ménilmontant si populaire et pourquoi l’as-tu quitté - sans vouloir être indiscret - soudainement après y avoir vécu quelques années ?

    En ces temps là, connaissais-tu la rue du Pressoir, située à quelques centaines de mètres, où l’on pouvait se rendre par la rue Julien-Lacroix et la rue du Liban ainsi que par sa voisine, la rue des Maronites ?

     

    Sophie Poujade : Je suis arrivée rue Delaître par hasard début 1976. Je rentrais d’un long voyage en Afghanistan et au Pakistan. Je n’avais pas de logement et c’est par un copain que j’ai trouvé un ancien atelier d’imprimerie à louer. C’était un rez-de-chaussée qui donnait sur une cour d’immeuble. C’était très précaire, les toilettes étaient dans la cour et je n’avais pas de salle de bain, juste un évier avec un robinet d’eau froide. Alors j’allais régulièrement dans un établissement de bains et douches dans le quartier, je ne me rappelle plus le nom de la rue, et je lavais mon linge dans une laverie tout prés.

    Juste à côté de chez moi, il y avait un petit café fréquenté par les habitués du coin. A l’époque, tout le monde n’avait pas le téléphone, il fallait même attendre longtemps pour l’obtenir quand on en faisait la demande, c’est difficile à croire maintenant où c’est l’ère de la téléphonie quasi à outrance. Bien sûr, moi, je ne l’avais pas, je donnais mes coups de fil et on m’appelait dans ce café dont l’arrière salle donnait sur la même cour d’immeuble.

    Le café était une annexe de chez moi, beaucoup de gens passaient me voir et pratiquement tous les jours on y prenait l’apéro.

    On allait parfois voir des films indiens ou égyptiens dans un cinéma boulevard de Ménilmontant, on écoutait Oum Kalsoum dans un café du boulevard sur un juke box avec un écran qui permettait de voir le chanteur, ça se faisait beaucoup à l’époque, c’était le scopitone.

    Je ne situe pas la rue du Pressoir, mais je devais certainement y passer parce que je vois bien la rue Julien-Lacroix et la rue des Maronites. Quand j’habitais rue Delaître, je travaillais pour un institut de sondage et je faisais du porte à porte en quête de personnes susceptibles de répondre à des questionnaires ; ça m’a fait sillonner le quartier.

    Je ne dirais pas que j’ai quitté la rue Delaître soudainement : j’y suis restée un an et demi, c’est un moment de ma vie où je bougeais beaucoup, un an et demi, c’était déjà pas mal.

    Je faisais de la poterie depuis quelques temps et je suis partie travailler chez des potiers en basse Ariège et dans le Gers. J’allais vers de nouvelles aventures.

     

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    B. M. : Ta rue d’autrefois a bien changé, l’immeuble où tu habitais n’existe plus. Un bâtiment énorme et monstrueux, tout en briques rouges, avec seulement quelques petites fenêtres, situées très haut, a été construit à sa place, cela ressemble à une Centrale, quoi ... une prison ! C’est une école je crois ou un collège avec sa cour de récréation cernée de hauts murs. Connais-tu les raisons de  la destruction de ton ancien immeuble et as-tu connu les bouleversements dans le quartier que le photographe Henri Guérard a immortalisé ? Tu m’as dit récemment que le bâtiment où tu avais habité était vieux, et qu’il avait  grand besoin de rénovation, cependant il fut détruit. Mais ne penses-tu pas qu’il aurait pu être rénové et non détruit, afin de préserver l’âme du quartier et l’élégance de l’ensemble des immeubles qui avaient alors beaucoup de charme à l’angle de la rue des Panoyaux. Sophie, es-tu retournée rue Delaître ?

     

    S. P : Il me semble avoir vu ce qui a remplacé l’immeuble du 6 rue Delaître, mais ça fait longtemps, j’en garde une image confuse.

    Oui, avec le recul, je me rends compte que mon logement était très insalubre, c’était humide, j’avais une cour privée où il y avait des rats énormes pour lesquels j’avais une véritable répulsion, seule chose qui me dérangeait dans la précarité du lieu, je m’arrangeais bien du reste. Bien sûr, j’aurais préféré qu’on rénove cet endroit plutôt que de le détruire.

     

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    B.M : Maurice Chevalier est né rue Julien-Lacroix et Eddy Mitchell près de Belleville, d’autres personnalités telles que Clément Lépidis, Jo Privat, Marie Trintignant ont longtemps habité le quartier. Monica Bellucci et Vincent Cassel sont toujours là, sur le boulevard. Etais-tu au courant ?

     

    S.P : Non, je ne savais pas tout cela, sauf que Maurice Chevalier était de Ménilmontant. je sais qu’Edith Piaf est née dans ce quartier, sur le trottoir devant un commissariat, dit-on.

     

    B. M : Sophie, je t’ai souvent écoutée parler de tes voyages, entre autres en Asie et au Moyen Orient. Les souvenirs se conservent-ils comme des photos dans une boîte ?

    Cependant il est assez rare que je t’entende parler de la rue Delaître où tu as, tout de même, passé de belles soirées durant ces années d’insouciance. Ces années là, furent-elles bonnes pour toi, là dans ce quartier pittoresque et captivant dans les années 1930, et où autrefois la vigne sur les coteaux était un vrai « empire» où arrivèrent des  générations d’émigrés pour s’y installer et  travailler.

    Ce Ménilmontant te parle t-il encore, à toi, parisienne, native du 14e arrondissement ?

     

    S. P : Tu veux dire que les photos sont des souvenirs en boîte de conserve ? C’est vrai qu’à notre époque on consomme beaucoup d’images en boites de conserves : DVD, vidéos, photos numériques qu’on ne voit même pas sur du papier …

    C’est vrai que je parle plus souvent de mes voyages que des lieux où j’ai habité. Il m’arrive de penser que c’est en voyage dans une chambre d’hôtel que je me sens le plus chez moi.

    <mce;"> y;">Mais il y a eu beaucoup d’endroits où j’ai habité, il faut bien se poser quelque part parfois, des endroits où j’ai passé de très bons moments, la rue Delaître en fait partie.

    En y repensant, je réalise que c’était alors Janis Joplin qu’on écoutait à fond la caisse, la tombe de Jim Morrison au Père Lachaise, les films indiens au cinéma sur le boulevard, Oum Kalsoum au juke box du café du coin, on est loin de Ménilmuche.

    Alors pour te répondre, Ménilmuche pour moi, c’est la chanson d’Aristide Bruant que mon père nous avait apprise et que nous chantions, tout gamins, mon frère, ma sœur et moi :

    … ma sœur est avec Eloi

    dont la sœur est avec moi,

    comme ça sur le boulevard je la refile

    à Belleville

    Comme ça je gagne pas mal de braise,

    mon beau frère en gagne autant,

    puisqu’il refile ma sœur Thérèse

    à Ménilmontant, à Ménilmontant

     

    C’était dans les années 1950, mon oncle et ma tante habitaient justement rue de Ménilmontant, je me rappelle qu’on allait les voir. Dans mes souvenirs d’enfant, c’était une rue qui monte.

    Mon oncle était le beau-frère de mon père, mais il ne s’appelait pas Eloi et mon père n’avait pas de sœur …

     

    B. M : Lorsque tu es partie aux Indes, était-ce juste après avoir quitté ton logement de Ménilmontant ou bien était-ce après tes études confortables de médecine que tu as interrompues très vite ? Il y avait-il une raison due à la difficulté de retrouver un logement convenable ou étais-tu partie pour partir, comme l’a écrit si joliment Charles Baudelaire dans un de ses poèmes. Je sais que tu as fait une vingtaine de voyages là-bas, je ne pense pas que les raisons étaient liées aux difficultés existentielles mais plutôt par goût du voyage comme beaucoup de jeunes qui partaient pour une expérience radicalement nouvelle et qui servait de modèle à toute une génération ?

     

    S. P : Je suis allée en Inde pour la première fois en 1984, longtemps après avoir quitté la rue Delaître.

    Très jeune, j’ai eu envie de voyager. La première fois que je suis partie, j’avais 19 ans, je suis allée au Moyen Orient, juste avant de rentrer à la fac de médecine ; puis l’année d’après j’ai passé l’été en Grèce.

    Comme je te le disais, quand j’ai emménagée rue Delaître, je revenais d’Afghanistan. J’ai quitté la rue Delaître pour le Sud de la France où j’avais déjà séjournée avant de partir précisément en Afghanistan : en Provence et en Lozère. Et depuis j’ai fait d’autres voyages.

    En fait, j’avais toujours un projet de voyage en tête, c’était un peu ma raison de vivre.

    Depuis, avec l’âge, je me suis calmée, j’attache plus d’importance à mon « intérieur », mot révélateur, mais il y a encore des voyages que j’aimerais faire.

    Tu me demandes pourquoi tant de jeunes sont partis voyager à cette époque.

    Il faut se rappeler d’abord que ma génération était la première depuis bien longtemps à ne pas avoir connu de guerre.

    Mon grand-père à 19 ans a été mobilisé en 1918. Heureusement pour lui, l’armistice a eu lieu de suite.

    Il n’était pas non plus question de partir à l’autre bout du monde pour les jeunes entre 1939 et 1945 …

    D’autre part, c’était une période économiquement très faste. On trouvait facilement du boulot, c’était possible de travailler six mois, puis de partir six mois dans l’année. Surtout qu’on voyageait à très peu de frais, avec les moyens du bord.

    Tu dis que ce mode de vie a servi de modèle à toute une génération. Je ne suis pas tout à fait d’accord. Je fais partie des gens du baby boom, ça veut dire que nous étions nombreux dans cette tranche d’âge (nous le sommes encore, d’où le problème des retraites). Cela a donné beaucoup de profils différents. C’est l’époque des grands de la Pop Music, et aussi des grands extrêmes politiques comme Action Directe, la bande à Baader, les Brigades Rouges…et ceux qu’on a appelés les babas. Mais quel pourcentage de cette génération représentaient-ils au juste, ces babas ? Pas énorme.

    Quand je considère les gens de mon âge ou à peu prés, la grande majorité a mené une vie des plus classiques : travail, mariage, enfants. Il y a eu en effet des changements dans la société : divorces, familles recomposées, mais c’est autre chose que le mode de vie auquel tu faisais allusion.

    Si le problème des retraites se pose, ce n’est pas pour « toute une génération de marginaux », mais pour ceux, les plus nombreux, qui ont mené une vie normale.

     

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    B. M : Ton travail d’enseignante et de pédagogue dans une structure spécialisée, te fait rencontrer des émigrés de diverses nationalités qui sont souvent arrivés en France dans des conditions difficiles et qui vivent dans des conditions très modestes, pour ne pas dire, précaires, que garderas-tu de ces années de travail avec ce « monde » venu d’ailleurs ?  Ces émigrés sont je suppose une famille, comme ta famille, non ?

    S. P : Après quelques années chez les babas, j’en ai eu marre de leur anticonformisme en fait très conformiste.

    Je me rappelle d’un choc, comme une révélation soudaine que j’ai eue dans une campagne magnifique entre Pamiers et Saverdun, ça m’est venu d’un seul coup. C’était trop facile de vivre pour soi, isolée, planquée … et j’ai eu envie de m’impliquer socialement.

    J’avais une opportunité d’être engagée à la formation continue de l’académie de Créteil pour des cours d’alphabétisation. J’en avais déjà fait bénévolement quand j’avais 18 ans.

    Un an après cette « révélation » en plein champ, en 1979, j’étais formatrice de français auprès d’un public d’immigrés.

    J’avais toujours mes sentiments de rébellion contre cette société et je considérais que c’était un travail qui me permettait de conserver les mains propres.

    Je n’ai pas une vocation d’enseignante, j’ai toujours été intéressée par les différentes cultures, l’ethnologie me passionnait et pour moi ça a été la possibilité de rencontrer des personnes d’origines très différentes.

    Ces personnes avec qui je travaille vivent dans des conditions très diverses, certains ont une vie difficile, très modeste, mais pas tous, c’est très varié.

    Pour donner un exemple, j’ai eu comme stagiaire un monsieur Polonais à la retraite, il est arrivé jeune adulte en France, il y a été ébéniste toute sa vie et il profitait d’avoir enfin du temps libre pour apprendre à écrire correctement le français. Je l’ai gardé deux ans. C’était il y a dix ans. Maintenant encore, je reçois de lui des cartes de Pologne quand il y va en vacances et ses vœux à chaque nouvelle année, avec une orthographe et une syntaxe tout a fait correctes.

    Un autre exemple. En séance d’oral, je faisais un exercice sur les couleurs : qu’est ce qu’évoque pour vous le jaune, le bleu, le vert. Quand j’ai cité le rouge, une femme de je ne sais plus quel pays d’Europe de l’Est est devenue terrorisée et s’est écriée : « je ne supporte pas le rouge, c’est le sang». J’ai pensé alors que j’étais bien heureuse car le rouge m’évoque les coquelicots alors que pour d’autres, c’est l’horreur de la guerre.

    Il m’est revenu le Chant des Partisans de Joseph Kessel et Maurice Druon :

    Il y a des pays où les gens au creux des lits font des rêves

    Ici nous, on marche, nous on tue, nous on crève

     

    Je cite ces exemples pour sortir du cliché du Maghrébin ou de l’Africain. Quand j’ai commencé en effet, mes stagiaires étaient presque tous Maghrébins, puis sont arrivés des Africains.

    Depuis cela a beaucoup changé. Cela a suivi l’évolution des événements dans le monde : l’arrivée des boat people du Sud-Est asiatique, les réfugiés Iraniens, l’ouverture du bloc des pays de l’Est. J’ai connu aussi des Sud Américains. Il me serait plus simple de citer quels sont les pays dont je n’ai jamais rencontré de ressortissants.

    Je garde de tous ces contacts des images de parcours de vies, certains tragiques, certains heureux, parfois même privilégiés.

    Mais je ne dirais pas que c’est une famille. Je veux bien que nous soyons tous frères (et sœurs) dans ce monde, mais je ne peux pas me sentir de la famille du marabout Africain, de la femme voilée, du Russe qui a passé cinq ans dans la légion pour obtenir un titre de résidence à vie, du latinos fils à papa qui pleure parce qu’une réforme agraire dans son pays a donné une partie de son domaine à des paysans sans terre …. Je n’ai pas forcément de sympathie pour tout le monde, je crois que c’est normal. Mais je m’efforce de considérer tous mes stagiaires de façon égale.

    J’ai des relations d’amitié, voire d’affection avec quelques uns qui passent me voir au centre, qui me téléphonent ou m’écrivent longtemps après avoir suivi mes cours. Il m’arrive aussi d’en rencontrer des années après les avoir eus comme stagiaires et c’est toujours un plaisir de se rencontrer.

     

    B. M : Sophie, une dernière question. Tu te consacres depuis 35 ans à l’enseignement du Français, belle carrière ! Tu m’as dit récemment, qu’une fois le métier terminé, c'est-à-dire, une fois en retraite, tu voudrais travailler pour les Libertaires, quoi, pour les anars ! Cela ne m’a pas surpris de l’entendre dire, mais ce qui me surprend est de vouloir s’y consacrer à la fin de ta carrière professionnelle.

    N’était-il possible de militer vraiment en parallèle tout en étant active dans l’enseignement ?

    Est-ce la façon de vouloir te reposer alors que déjà tu as beaucoup donné dans ta vie. Mais je sais qu’il n’est jamais trop tard, tu en conviendras.

     

    S. P : C’est une idée qui m’est venue comme ça récemment parce que je vois autour de moi des gens qui partent à la retraite et qui cherchent à s’occuper : certains se consacrent à leurs petits enfants, d’autres apprennent à jouer au bridge ou s’inscrivent dans des clubs de randonnée.

    J’écoute depuis des années Radio Libertaire, leurs analyses me semblent souvent très censées, et ce sont les rares à parler de politique de façon jubilatoire.

    Il y a 40 ans Léo Férré chantait « Marketing, salope ! ».

    Chez les babas, on vivait selon les principes de Vaneigem et Guy Debord.

    L’UNEF de St rasbourg et de Nantes se rangeaient du côté des situationnistes. Une petite brochure avait été éditée : «  De la misère en milieu étudiant », j’étais alors très jeune et peu avertie mais quand j’ai lu ce petit ouvrage, il me semblait bien déjà avant que les gauchistes et les féministes n’avaient pas le même combat.

    Le journal Hara Kiri annonçait l’an 01 d’une nouvelle ère à venir, c’étaient les premiers écolos et ils n’étaient pas pris au sérieux.

    Actuellement il y a de plus en plus de démunis, les acquis sociaux régressent. Depuis plus de 10 ans, des systèmes d’échanges locaux (SEL) se mettent en place, cela améliore de façon sensible le quotidien de personnes qui vivent avec des revenus plus que modestes. Je m’y suis intéressée mais mon travail ne me laisse pas de temps pour m’y consacrer.
    Des retraités se regroupent en communauté parce que leurs maigres moyens ne leur permettent pas de vivre décemment.

    On nous parle d’une diminution de l’Etat, pour arriver à quoi ? à une jungle capitaliste ?

    La société va peut-être vers la constitution de communautés solidaires autonomes. On s’approche des théories libertaires.

    Nous étions partis de ma vie à Ménilmontant. Je n’en ai gardé qu’un souvenir matériel : une photo que j’ai prise dans ce quartier vers 1976-77.

    Ca représente une expression de révolte inscrite sur une palissade au dessus d’un dépotoir. Cette photo aurait pu être prise de nos jours dans un coin sordide en banlieue.

    « Devenez fou de colère ». Et si c’était le mot d’ordre d’un nouvel essor des Libertaires.

    B.M : Merci Sophie d’avoir répondu à mes questions et je t’en félicite. Maintenant nous allons pouvoir aller boire un verre en l’honneur de ton anniversaire.

     

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    Entretien réalisé le 14 juin 2010 par Bienvenu Merino

     

     

     

     

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  • ROBERT NAVIGUE SUR LE CANAL SAINT-MARTIN

     

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    Le canal Saint-Martin

    Souviens-toi du canal Saint Martin

    Souviens-toi comme on s'aimait bien

    Le soleil d'hiver éclairait

    Les péniches et les vieux quais.

     


    Nous allions la main dans la main

    Unissant pour un jour nos destins

    Comme ceux qui ne savent pas

    Que tout meurt hélas ici bas.

     


    Souviens-toi, souviens-toi quelques fois

    Des bons moments passés d'autrefois

    Du temps où tu te savais jolie

    Que mon crâne n'était pas dégarni.

     


    Souviens-toi des casse-croûtes au jambon

    Et de la bière qui sentait si bon

    Du café de La Capitale

    Qui se trouvait sur le quai de Jemmapes.

     


    Souviens-toi, souviens-toi où que tu sois

    Et si par hasard tu passais par-là

    Vas dire un p'tit bonjour à la Grisette

    Et fais-lui de ma part une risette.

     


    Chanson Canal Saint- Martin

    28 novembre 1969

    Robert G.

     

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    Je pense aux Portes de la nuit, ce film de Marcel Carné et ses dialogues signés de Jacques Prévert que je trouve magnifique. Quelle poésie ! L'époque d'abord, celle de l'après-guerre, cette ambiance si particulière où chacun se "recherchait" et ne se retrouvait pas toujours. Le sifflet strident du train qui court dans la nuit, qui vous blesse, vous transperce de part en part et s'enfuit sans vous, en vous laissant là !

    J'aime le passage où ce jeune titi et la fille de Carette, le vendeur de piles électriques, se parlent et font des projets. Il lui dit qu'aux beaux jours, ils pourront aller se baigner dans le canal. Elle lui répond timide, ingénue: "Mais je n'ai pas de maillot !" ;  "Ça ne fait rien, qu'il lui répond, on ira plus loin ". Elle le regarde, puis baisse ses jolis yeux, gênée, un peu effrayée.

    Et encore, obligé de citer Hôtel du Nord, rue de la Grange-aux-Belles où Mouloudji se rendait aux réunions politiques avec son père et rue des Ecluses Saint-Martin, là où il y avait encore dans les années 1944-45 un maréchal ferrant où j'amenais, le samedi matin, les chevaux des Messageries Nationales qui se trouvaient non loin de là, rue Claude Vellfaux.

    Le marteau chantait sur l'enclume en rebondissant et le quartier se retrouvait comme par enchantement à la campagne... avec le bruit, l'odeur et le hennissement des chevaux.

    Car à l'époque, il n'y avait pas beaucoup de véhicules à moteur ou alors ceux qui utilisaient le "gazogène", cette grosse carcasse noire qui dépassait sur le bord du camion et qui fumait et aussi les sacs de bois en réserve. Conduire un plateau à ridelles chargé, attelé de deux chevaux, rue du Faubourg Saint-Honoré dans la circulation n'est pas du genre aisé. Il faut savoir les conduire ces bêtes !  Il m'est arrivé de le faire quand le conducteur était parti livrer à son tour.

     

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    Mais je m'éloigne quelque peu de mon canal. Revenons-y.  Un soir, tard avec ma fiancée, nous nous étions installés sur un de ces bancs dans le square qui longe la berge. Enlacés nous rêvions. En face, sur l'autre rive, dans un immeuble, une fenêtre était éclairée et dans cette pièce nous distinguions avec précision un homme qui refaisait, comme on dit, son logement. Il peignait, collait, posait des papiers peints. Il y allait de bon cœur, le brave. Et nous, sans même se parler ni penser à nous embrasser, nous restions silencieux, longtemps, longtemps à regarder ce travailleur de la nuit. Le temps a passé et il commençait à se faire tard. Nous sommes sortis enfin de notre contemplation et avons pris calmement le chemin du retour, comme dans la chanson de Brassens. Certainement qu' ils se tiennent par la main, parlent du lendemain, des papiers bleu d'azur que revêtiront les murs de leur chambre à coucher… Robert G.

     


     

  • ROBERT REGARDE DANS LE RETROVISEUR

     

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    Vous êtes né en 1930, rue Ramponneau. Essayons de remonter le temps. Quels sont les souvenirs les plus anciens que vous conservez de cette rue ?

     


    Les plus anciens ? Je cherche et curieusement je ne trouve pas. C'est pour moi tout un ensemble, la porte du 16 de la rue près de laquelle je me suis si souvent adossé attendant les copains ou regardant les passants car il se passait toujours quelque chose dans ma rue. Mais ma rue c'était aussi les soirs d'été, quand j'étais couché la fenêtre grande ouverte, les pièces n'étaient pas grandes et mon logement était sous les toits, en zinc comme tous les toits de Paris. Je m'endormais tard et tous les bruits extérieurs me parvenaient. Comme je connaissais si bien ma rue, je devinais d'où venait chaque bruit : une porte manœuvrée au loin et je me disais, tiens quelqu'un entre au 13 ou quelqu'un sort car le bruit n'était pas le même quand on entrait ou que l'on sortait ; la porte du 12 ou celle du 20 et 22, celle-ci était très lourde et avait un bruit profond, la porte du 16 s'ouvrait ? Le bruit de pas dans le couloir, le cliquetis des fers des souliers, le tintement de pièces de monnaie remuées par la main dans la poche et je savais aussitôt que c'était Kiki qui rentrait. Lui seul faisait sonner sa ferraille et il en avait toujours pas mal dans ses poches. J'en profitais souvent. Quand, adossé à la porte du 16, Kiki passait et s'arrêtait pour me dire: Salut Robert, alors t'es pas au cinoche ? Non monsieur Kiki. C'est la dèche alors ? Plutôt, oui. Alors il glissait sa main dans sa fouille et en sortait une poignée de pièces. Tiens, qu'il me disait, va t'payer une toile. Merci, monsieur Kiki, merci. Il s'éloignait dans le couloir et j'entendais les fers résonner encore quelques instants.

    La nuit, il y avait les siffleurs, souvent de très bons. Cela ne se pratique presque plus de nos jours ou ils ne valent pas ceux de mon temps. Parfois, l'un deux arrivait du bas de la rue et je le suivais à l'oreille jusqu'en haut à la rue de Tourtille.

    Toujours en été, mais le matin de bonne heure, aux environ de sept heures, j'entendais quelques notes sifflées par un gars dans la cour, sans réponse, l'arrivant lançait alors : Marcel, c'est l'heure ! Une tête passait par une fenêtre et le gars Marcel répondait : J'arrive toute suite.

    Il était habituel autrefois que les copains de travail viennent se chercher chez eux pour ne pas faire le chemin seul et puis pour parler, tout simplement. Moi aussi mes copains ont bien essayé de venir me chercher pour partir au boulot, mais ils ont vite abandonné, j'étais vraiment trop en retard !

    La nuit dernière, je me suis réveillé, mon réveil indiquait 2 h 45 et une pensée trottait dans ma tête. Je l'avais mon souvenir le plus ancien, et il n'était pas loin. J'aurais pu d'ailleurs en parler bien avant. Mon souvenir le plus ancien, c'est une porte qui ouvre sur un mur blanc juste à côté, à droite du cinéma Cocorico, une petite porte qui donne accès au dispensaire appelé La goutte de lait.  C'est dans cet établissement que bon nombre de petits bellevillois ont reçu les premiers soins destinés aux nouveaux-nés. Je suis sûr que nous sommes nombreux à nous en souvenir car c'est là que bien souvent on nous réparait quand l'enfant que nous étions se blessait ou souffrait de quelques maux. Avec ma maman, nous entrions toujours par la rue Desnoyer, juste avant les portes de secours des Folies Belleville. Une grille fermait l'entrée. Il y avait un petit appentis sous lequel se serraient quelques voitures d'enfant, le tout terriblement poussiéreux. Rien que de franchir l'entrée me mettait dans un état de peur insurmontable. La grande salle que je trouvais immense et ses bancs nombreux placés les uns devant les autres et dans le fond, une sorte de scène sans décors, abandonnée. Les murs très hauts qui montent, montent uniformément blancs, sont tristes à pleurer, et je retiens déjà mes larmes car j'ai toujours peur ! Maman produit des documents. Je suis inscrit, nous nous asseyons sur un de ces bancs et attendons. Je la revois cette porte, petite et antipathique, je sais que c'est par elle que tout à l'heure une infirmière tout de blanc vêtue, portant sur la tête une sorte de linge blanc avec une petite croix rouge arrivera et braillera mon nom. La panique s'emparera alors de moi et blotti contre ma mère je la suivrai, pitoyable.

     

     

    Clément Lépidis, dans ses chroniques bellevilloises, décrit un quartier voué à la chaussure et il évoque parmi ceux qu'il appelle "les colonels de la bottine" les noms de Gravanis, Milonas, Katarklakis, Tokatlérian ... Arméniens ayant survécu aux  massacres de 1915, Juifs ashkhénazes chassés par les pogromes de Pologne et de Russie, Grecs fuyant la  Turquie composent alors l'essentiel de la population du quartier. Vous-mêmes êtes d'origine arménienne. Comment vivent ensemble les habitants de notre vingtième arrondissement ?

     

     

    Mon père était Arménien, ma mère Française, mais notre "maison" était, du fait de l'entourage de la famille, grands-parents, frères et sœurs vivant dans le même immeuble ou le même quartier, "française".

    Bien sûr, la chaussure a tenu une place importante dans les métiers pratiqués par les immigrés à Belleville et particulièrement par des Arméniens, mais il y en eut bien d'autres : tailleur, lapidaire, épicier, restaurateur, artiste peintre, musicien... Chaque nationalité avait sa spécialité. Les Arméniens : chaussure, tricot, lapidaire, épicier, restaurant, tailleur. Les Juifs : tailleur, confection et vente, horloger, restaurant, boucher. Les Italiens: la construction, le ciment et le plâtre, épicier. Les Arabes : ventes de primeurs, surtout à la sauvette, restaurant.

    Belleville a accueilli depuis très longtemps les immigrés de toutes origines. En plus de ceux que vous avez mentionnés, il faut citer aussi les Italiens, les Espagnols, des Manouches qui furent nombreux à s'installer dans ce quartier. Dans l'ensemble tout se passait de manière acceptable, chacun vivant sa religion, ses coutumes, sa manière de se nourrir. Exemple, il y avait des épiciers ou bouchers italiens, espagnols, arméniens, cacher et hallal. Mais suivant la conjoncture, les étrangers étaient plus ou moins acceptés, surtout quand le chômage s'installait. Les immigrés même naturalisés étaient accusés de prendre le travail des français. On reprochait aux Juifs de s'entraider, on regrettait surtout de ne pas être capable de pratiquer cette même aptitude et la rivalité s'installait car rapidement leur situation financière s'améliorait. Il n'y a rien de changé de nos jours. L'Arménien je crois, s'est généralement bien intégré en France. Il n'est pas d'un naturel violent ou agressif, il est discret et hospitalier, mais je m'arrête ici, on pourrait m'accuser de chauvinisme.

    L'arrivée massive à la fin 1956 de français et autres fuyant l'Afrique du nord suite aux déclarations d'indépendance entraîna un bouleversement radical de la société bellevilloise. Tout alla très vite et le quartier fut submergé par ces nouveaux arrivants. Les anciens habitants partaient vers les banlieues et laissaient la place libre. Belleville, celui d'avant, se mourait et ne s'en remettrait jamais. Belleville de la Courtille, du sieur Ramponeau cabaretier, des guinguettes mais aussi Belleville de la Commune de 1871, de la Libération en 1944 et des ouvriers de 1936 qui luttaient pour leur pain et leur dignité.

    A présent je suis incapable de dire de quoi se composent les habitants de ce quartier. Les derniers arrivants, d'après ce que j'ai pu constater sont asiatiques. Irrémédiablement je crois, leur présence s'étendra à tout le périmètre et émergera alors un 14° arrondissement bis.

     

     

    Quels métiers exerçaient vos parents ?

     


    Ma mère était sans profession. Elle a élevé quatre enfants et a été de ce fait amplement occupée. Mon père avait appris notre langue qu'il maîtrisait assez bien. Cela lui permit de l'enseigner à ses compagnons d'immigration lors de leur arrivée en France. Arrivé à Paris, il pratiqua divers métiers : traducteur, lapidaire, canevas de tricot, épicier, et pour finir rédacteur dans un journal de langue arménienne. Trouver un emploi en France n'était pas toujours facile. Il fallait obtenir pour les apatrides un droit de séjour et de travail. Pas toujours aisé à obtenir.

     


    Les appartements étaient exigus et la vie quotidienne se déroulait en partie dans les cafés. Vous souvenez-vous de ces cafés du dimanche, des habitudes que l'on y avait ?

     


    Les appartements étaient cela est vrai exigus. Dans notre immeuble, il n'y avait que des logements de deux ou trois pièces maximum. Pour ce qui nous concernait, la fonction de ma grand-mère et de ma mère ensuite, nous facilitait l'occupation de plusieurs logements, ce qui me permit à treize ans, au départ de mes sœurs, de me retrouver le seul occupant d'un deux pièces. Pas de vrais problèmes de ce côté.

    L'Arménien est quand même un oriental et aime à se retrouver au café, c'est son agora. Il y retrouve ses coreligionnaires et peut parler sa langue maternelle. Le dimanche, vers midi, ma mère m'envoyait chercher mon père à La Chope qui se tenait à l'angle du boulevard de Belleville et de la rue Pali-Kao. C'est dans cette brasserie que se réunissaient en grande partie les Arméniens du quartier. Papa me disait : Va, commande-toi une grenadine, je viens de suite. Le temps passait : Papa il faut venir, maman va crier. Oui, oui je viens. Enfin la partie de jacquet, de dominos ou de belote terminée, il consentait à me suivre et nous rentrions à la maison. Ma mère le sermonnait mais cela ne durait pas longtemps car mon père avant de rentrer passait acheter un ou deux kilos de raisins, de pêches ou que sais-je encore au vendeur de quatre saisons à la sauvette du coin de la rue.

     


    Quelles étaient les distractions d'un enfant de dix ans, rue Ramponneau ?

     


    Dans cette rue (et celles de tout le quartier), j'ai pratiqué tous les jeux de l'époque : la marelle, la corde à sauter, saute-mouton, le foot avec un ballon ou même une boîte à conserve, les osselets (qui venaient directement de la boucherie) à "dos-creu-i-s" difficile ! Le traîneau que je construisais avec une planche. Un jour, j'ai eu la mauvaise idée d'utiliser la planche à laver de ma mère pour mon œuvre. Il m'en a cuit et le chat à neuf queues a laissé quelques marques sur mes cuisses. A l'époque, les jeunes garçons ne portaient que des pantalons courts et on ne se posait pas la question : Faut-il oui ou non interdire la fessée? Quelques morceaux de bois et des roulements à billes que j'allais récupérer au garage du coin. Ah ! Ça en faisait du bruit quand nous dévalions, parfois à trois ou quatre, la rue en partant de la rue de Tourtille jusqu'au boulevard. Il y avait peu d'automobile dans les rues. La rue était à nous !

     

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    Le cinéma, je l'ai déjà évoqué, il m'est arrivé d'y aller à une certaine époque plusieurs fois par semaine. Un détail, la veille au soir du jour de ma naissance, ma maman et mon papa avaient assisté à une séance de cinéma du quartier (je n'ai jamais su lequel) où était projeté Le collier de la Reine de Gaston Ravel et Tony Lekain, film de 1929. Ma mère a ressenti les premières douleurs lors de cette séance, m'a-t-elle confié un jour. Pas étonnant alors que j'aime le cinéma. Mais j'aimais aussi le music-hall et le théâtre. A ce dernier j'allais pourtant seul, mes copains ne devaient peut-être pas aimer. J'ai assisté à des opérettes ou des marivaudages et aussi à l'opéra comique Le Pays du Sourire de Franz Lehar. Je me relis et je m'aperçois un peu tard que j'ai dépassé mes dix ans. Excusez-moi, tant pis, mais je ne gomme rien de ce que j'ai écrit, je suis lancé !

     

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    Vous avez commencé de travailler à l'âge de 14 ans. Quels furent vos premiers métiers et vous emmenaient-ils loin de Belleville ?

     


    Même un peu avant car afin d'être embauché j'avais modifié de quelques mois ma date de naissance. Mais c'est très loin tout ça et j'avoue que cela se chevauche un peu dans ma mémoire. Je me souviens très bien des différents métiers que j'ai pratiqués, où, dans quel établissement à la rigueur, mais pas dans l'ordre chronologique et il faut préciser qu'en ce temps, trouver du travail était relativement facile, mais mal payé. J'ai été coursier, maroquinier, plombier-zingueur, terrassier-poseur de rails (je vous en parlerai à une autre occasion, c'était Trappes,  j'ai failli y laisser mes 14 ans ! ). Coursier à Paris vous apprend à bien connaître la capitale. Je l'ai parcouru de long en large, du nord au sud, de l'est à l'ouest, à pied, en métro, à vélo, en triporteur (Bloto Frères, rue Charlot à Paris) avec son imposant grelot. Difficile à conduire, l'engin se mettait facilement en équerre. Ou encore avec un plateau à ridelles et les chevaux à conduire. Les chevaux demandent de l'entretien, des soins. Je ne vous expliquerai pas le travail du palefrenier qui est riche d'apprentissage, mais le ripeur devait la journée terminée dételer les bêtes, les conduire à l'écurie et les installer dans leurs boxes respectifs en évitant de placer trop près deux chevaux qui se querellent. Un détail, les chevaux de trait son harnachés de collier, de sangles et divers équipements très souvent parés de grelots qui doivent êtres nettoyés et passés à la poudre à faire briller ( le Miror). Ils doivent reluire et sonner gaîment. J'ai connu des chevaux qui refusaient de partir travailler si leur collier n'étincelait pas ou si oublieux ou fainéant vous aviez oublié de cirer leurs sabots à la graisse noire.

     

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    Parlez-nous de ce bonheur : être un piéton de Paris.

     


    Que l'on parcoure la capitale en travaillant ou en flânant,pour celui qui sait "regarder", Paris offre les mêmes choses : joyaux ou ruines, beauté ou laideur. Je me souviens, je débutais dans un emploi de coursier chez un maroquinier près des Champs–Elysées. De retour d'une livraison, un sac à main magnifique chez une Madame de V…, le patron me fit la remarque suivante : Dis tu en as mis du temps pour livrer. Je lui ai aussitôt répondu : Monsieur, ce n'est pas ma faute mais vous êtes trop bien situé, le quartier est  rempli de belles choses à voir alors il m'arrive de m'arrêter et de regarder. Il a souri et il est parti sans rien ajouter.

     

     

    Est-ce à la suite de la démolition, en 1960, de l'immeuble dans lequel vous êtes né que vous fûtes contraint de quitter Belleville ?

     


    Non, du 16 où je suis né ainsi que mon fils aîné nous avons emménagé un peu plus bas au 10, un cinquième étage avec une pièce de 12 m² et un minuscule réduit faisant office de cuisine : eau, gaz, électricité, le confort. Les wc étaient sur le palier que nous partagions avec deux autres locataires. Il y avait une porte-fenêtre prolongée d'un tout petit balcon avec une vue plongeante sur la rue Ramponeau et le boulevard de Belleville, je pouvais même voir mon école.

    Pour nous chauffer nous avions acheté un chauffage au gaz Butane mais qui produisait beaucoup de vapeur et donc des gouttes d'eau au plafond qu'il fallait éponger avec une serpillière au bout d'un balai, ce qui faisait éclater de rire mon fils. Une petite fille venue accroître notre famille, la surface habitable s'avérait vraiment trop réduite malgré les éléments en bois avec portes à glissières fixés sur les murs que je fabriquai moi-même.

    Départ pour Rungis ou nous resterions quelques mois car le loyer était trop élevé, ensuite Bagneux et la naissance de notre dernier fils dans un neuvième étage d'où l'on voyait les avions atterrir à Orly. L'occasion se présentant et qui me rapprochait encore de mon lieu de travail, nous nous sommes installés à Issy-les-Moulineaux où je suis en train de rédiger non sans mal,mais avec plaisir, les réponses aux sujets que notre cher et grand Ami Guy Darol me propose. Et je le remercie sincèrement pour cet honneur.

    Mais pour rien au monde je n'aurais pu rester dans ce Belleville qui mourait, assassiné par les politiques et les promoteurs, ce quartier que j'avais vu vivre, respirer et procurer de la vraie vie à ses habitants, malgré les taudis qui y existaient mais pour lesquels il eut fallut apporter un peu d'argent pour rénover, adapter, et améliorer le confort.

     

     

    Saviez-vous que  Jo Privat, le créateur du Balajo, demeurait près de chez vous, rue des Panoyaux ? Croisait-on, dans votre jeunesse, les célébrités du quartier ?

     


    Accordéon, qui se resserre et se détend comme les cœurs. Qui chantait cette chanson ? Albert Préjean, peut-être.

    Non, je n'en savais rien, je l'ai découvert bien plus tard à l'occasion d'une lecture. Je me suis contenté de danser sous le charme de son piano à bretelles dans son palais de la rue de Lappe. Il savait insinuer juste ce qu'il fallait de jazz dans son musette, un peu comme Claude Nougaro avec Le jazz et la java.

    J'aimais sa frimousse de titi parisien avec sa gâpette fièrement installée sur le crane comme il le fallait à cette époque et dans le quartier, la gâpette où l'on fixait la visière avec des épingles à tête pour ne pas ressembler à un livreur de journaux.

     

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    A part Maurice Chevalier, aux Folies Belleville, je ne me rappelle pas d'autres célébrités. Les vraies, les authentiques célébrités étaient tous les Titis qui couraient la gueuse à l'occasion, ceux qui se bagarraient pour elles. Je me souviens de tous ces gars qui, le beau temps venu, descendaient fièrement la rue le dimanche matin en maillot de corps immaculés et moulants, ils étaient beaux, de vrais aminches. L'un d'eux, pas mal baraqué, on le surnommait Robert la grande gueule. Pour l'avoir grande, il l'avait, mais pas grand risque car c'était de la frime. Bon le voilà habillé pour l'hiver le pauvre, mais il était quand même sympa.

     

     

    Quel souvenir vous reste-t-il de la rue du Pressoir ? Car vous avez certainement arpenté ses trottoirs.

     


    Je sais que je vais vous décevoir et j'en suis sincèrement désolé, j'aimerais pouvoir vous parler de la rue du Pressoir, vous dire que j'en ai des souvenirs mais malheureusement je n'en ai aucun. Et à présent,  je me trouve un peu idiot à rester devant ma feuille blanche sans pouvoir vous en dire le plus petit mot. Cette rue ne m'est pas inconnue, je la connais de nom au même titre que la rue des Maronites, d'Eupatoria, et bien d'autres du quartier, je suis persuadé y avoir traîné mes bottes comme on dit, mais je n'ai aucun souvenir à lui attribuer.

    Toute proche, la rue Etienne Dolet, je me souviens de l'école, non pas pour l'avoir fréquenté afin de m'y instruire mais plus prosaïquement parce que je venais y faire la queue en me relayant avec mes sœurs et ma mère pour y retirer les tickets d'alimentations avant le début du mois, pendant la guerre. J'ai cité plus haut les rues des Maronites et d'Eupatoria mais pour ces deux rues non plus je ne peux faire jaillir le souvenir, contrairement à toutes celles du quartier pour lesquelles je pourrais écrire pendant des heures. Je n'ai fait qu'y passer voilà tout. Mon cher Guy, à toutes et à tous, à ceux qui ont fréquenté cette rue et à cet espace sur la rue du Pressoir qui m'accueille si fraternellement, je vous renouvelle mes regrets mais je vous dois la vérité.

    Pour conclure cette interview si vous me le permettez, je voudrais vous dire tout le plaisir que j'ai eu à y répondre. Confier à mon papier tous ces souvenirs, qui arrivent comme des larmes que l'on ne peut retenir, et en prime savoir ou espérer qu'ils seront lus et partagés, me donne la sensation du passage de flambeau.

    Nous avons chacun notre BELLEVILLE et MENILMONTANT,nous les portons en nous comme un reliquaire du souvenir, nous les connaissons différemment mais nos souvenirs par nous réunis composent de bien jolies chansons comme Je me souviens d'un coin de rue aujourd'hui disparu et Ménilmontant mais oui Madame, c'est là que j'ai laissé mon cœur... Merci monsieur Trenet, merci mon ami Guy Darol. Robert

     

     

     

     

  • ROBERT FLANE SUR LES GRANDS BOULEVARDS

     

     

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    Yves Montand chantait J'aime flâner sur les grands boulevards, y'a tant de choses, y'a tant de choses, y'a tant de choses à voir… Avec les copains, c'était très souvent notre balade quand nous ne savions pas où aller. Nous partions de Belleville et descendions par le faubourg du Temple. Les magasins se suivaient : Prisunic, Dimax, Les Cent Culottes et j'en passe. Passage au métro Goncourt et nous continuions notre descente avec sur la droite le marchand de musique Paul Beuscher. Nous admirions, dans la vitrine, les harmonicas chromatiques Hohner que nous espérions nous acheter bientôt. La guitare n'était pas encore à la mode.

     

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    Le magasin vendait aussi des chansons papier et puis des disques 78 tours que nous pouvions écouter avant de les acheter. Nous arrivions au cinéma Le Palais des glaces. Cet établissement devait être un ancien théâtre car il y avait de grandes loges à plusieurs fauteuils. Je me souviens que, accompagné d'une charmante, il suffisait de donner un bon pourboire à l'ouvreuse pour rester seul dans la loge. Il y avait L'Obus, un café à l'angle du faubourg et de la rue de la Fontaine-au-Roi. Après la brasserie La Capitale,  à l'angle du quai de Jemmapes, juste devant la statue de la Grisette, près du canal saint Martin, on traverse et il y a encore un cinéma sur la droite et sur la gauche avant d'arriver place de la République. Puis la caserne à droite, les Magasins Réunis à gauche et enfin la statue de cette vénérable Dame qui a cinq enfants comme le chante Michel Delpech.

     

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    C'est le point de départ vers les Grands Boulevards. Il faudrait beaucoup de temps et de talent surtout pour entreprendre la description de ces lieux avec ses innombrables cinémas : le Rex et son ciel étoilé (quelle modernité pour l'époque !), ses théâtres, ses restaurants, ses brasseries, ses boutiques en tous genres, son Musée Grévin, sans oublier aux moments des fêtes de Noël les petites baraques où l'on vendait mille choses. Et la porte Saint Martin, la porte Saint Denis, avec sa rue Blondel, très renommée à une certaine époque… Je me souviens très bien, c'est juste au début, il y a une brasserie, Le Balthazar, où jouait l'orchestre Deprince, un grand monsieur de l'accordéon. Les établissements où il y avait un orchestre, il y en avait pas mal et pour tous les goûts : musique classique, légère, populaire, et même du jazz.

    Nous allions jusqu'à Opéra et revenions par le même chemin. Nous accostions les jeunes filles qui s'enfuyaient en riant et en se moquant, quitte à nous attendre quelques centaines de mètres plus loin. C'était alors le début d'une longue conversation entre garçons et filles qui finissait parfois fort bien.

     

     

     

    Dans l'armée en Algérie (1949-1950, la situation était relativement calme), je me suis le plus souvent trouvé avec des gars natifs de la province et parfois même de la campagne. Des gars qui n'étaient souvent jamais allés dans une grande ville et encore moins à Paris. Ceux-là, connaissant mon origine, me demandaient le soir après le couvre-feu quand nous étions tous allongés sur notre lit, attendant l'esprit rêveur que le sommeil vienne enfin, ils me demandaient de leur décrire ce chemin qui allait de la République à l'Opéra en leur détaillant chaque boutique ou établissement. Je dois dire que contrairement à aujourd'hui, je savais tout cela dans le détail. Et alors le miracle s'accomplissait comme par enchantement. Tous écoutaient dans un profond silence mon récit et malheur à celui qui cédait au sommeil accompagné d'un ronflement bienheureux, il recevait à tous les coups un godillot sur le coin de son nez. Je continuais. Ils étaient curieux de tout sur les filles… Jusqu'à l'instant où, du fond de la chambrée, certainement un parisien, fusait un "Ta gueule la Gostagne, tu nous fous le cafard ! " Je m'arrêtais mais je savais qu'un autre soir ils en redemanderaient. Je ne leur en voulais pas. J'en ai vu qui pleuraient. Ils pensaient à leur chez eux et à cette ville inconnue qui les faisait rêver. Robert

     


     

  • LA FETE FORAINE A BELLEVILLE

     

     

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    Elle allait, je crois, du métro Belleville jusqu'à Combat devenu Colonel Fabien.

    C'était à la file, les baraques de loteries diverses avec ce petit cliquetis particulier que fait la roue de la ou de (l'in)fortune en tournant.  Le chaland attend  le nez en l'air que le grand disque de la chance s'immobilise et que le manipulateur annonce :  "Le numéro ... est gagnant !" On pouvait choisir 1 kilo de sucre ou d'autres choses. Le tir à la carabine, j'entends encore le petit bruit sec que fait le plomb quand il s'écrase sur la plaque d'acier derrière la cible en carton et qui résonne fort loin. Les autos-tamponneuses ou l'on fonce, de préférence, dans la voiture des filles et parfois on arrive à "échanger" le copain pour une des copines. La femme-tronc, le mouton à cinq pattes, les lutteurs et les boxeurs... On applaudit celui qui relève le gant. J'aimais bien les écureuils, petites nacelles fixées sur un axe ou l'on s'enfermait à un ou à deux et en se balançant. On faisait exécuter un arc de cercle et de plus en plus vite. Cela me fait penser encore à Yves Montand avec Une demoiselle sur une balançoire. La Chenille, nous attendions émus que la coiffe se referme sur nous pour oser embrasser sa passagère. La barbe à papa et les pommes d'amour, rouges comme les lèvres des jeunes filles qui ne pouvaient s'offrir que des bâtons de rouge de qualité douteuse. Même  la marque Rouge Baiser nous laissait des traces sanglantes autour des lèvres. Quel ravissement !


     

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    Un dimanche après-midi d'automne, j'étais à la fête avec les copains, je devais avoir seize ans. Nous déambulions au hasard quand tout à coup je vois passer tout près de moi, pareille à une traînée lumineuse, une jeune fille portant une magnifique robe blanche à volants. Nous nous regardons alors, l'espace d'un instant, comme surpris de notre rencontre. J'ai juste le temps de voir son visage à la carnation pâle mais admirable. Ses yeux étaient bleus avec un éclat qui me transperçait, ses lèvres minces, bien dessinées et un nez très fin. Je ne l'avais jamais vue auparavant mais j'avais tout à coup l'impression de la connaître ou plutôt de l'avoir toujours attendu. Ces cheveux blonds étaient bouclés et formaient des anglaises. Elle était belle, magnifique, éblouissante, divine. Mon cœur battait très fort et j'étais conquis, non pas "… loué jusqu'au mois d'août", comme Rimbaud mais pour toute l'année déjà finissante. Laissant en plan mes copains, je courais derrière la belle qui déjà m'échappait. Elle n'était pas grande mais ses jambes si fines se mouvaient rapides et s'éloignaient rapidement dans la foule. Elle paraissait fuir ou chercher quelqu'un. Etait-elle égarée ? Avait-elle perdu le bras d'un père ou d'une mère ? Elle paraissait apeurée. Je la suivais des yeux craignant de la perdre à chaque instant, bousculant sur mon passage tout se qui me séparait de cette furtive apparition. emportée par la foule… Edith Piaf a chanté cette belle et poignante chanson, cette foule qui lui rend, lui prend, lui redonne et lui reprend à tout jamais l'être aimé. Car ce jour là moi aussi j'aimais.

    J'ai couru, j'ai cherché partout, j'ai inspecté tous les stands, toutes les baraques, en vain. Elle avait disparue. J'ai longtemps parcouru la fête foraine avant de me résigner. Je l'avais perdue à tout jamais. J'étais triste ainsi que l'on est quand un être cher meurt et que l'on sait que l'on ne le reverra jamais plus, vous laissant seul, abandonné.

    Depuis ce jour, j'ai cessé d'aller aux fêtes foraines.

    Encore aujourd'hui, je pense à cette robe blanche qui courait dans la foule. Si par extraordinaire, vous la croisez, dites-lui que je l'ai cherchée et que je l'ai attendue longtemps, très longtemps. Robert

     

     


     


    Edith Piaf - La Foule