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ENTRETIEN AVEC JEAN-CLAUDE RIHARD

Rue des Couronnes-Vue du Pressoir.jpg

Carrefour rue des Couronnes - rue du Pressoir

Photo Raymond Battaglia, début des années 1960

 

Jean-Claude Rihard fait désormais partie de la belle équipe des animateurs du blog de la Rue du Pressoir. Cet ancien du quartier répond à quelques questions - quelque chose me dit qu'il y en aura d'autres.


Où as-tu vu le jour ?

Si la réponse est stricto sensu, ma réponse est : dans la dixième arrondissement, à la Clinique. Mais huit jours après, j'étais au 52 boulevard de Belleville ! Mon père était Bellevillois, ma grand-mère paternelle aussi, mon arrière grand-père paternel aussi. Il faut remonter à la génération d'avant pour retrouver...  la Bretagne non bretonnante,  premières marches de Bretagne.

Ma mère était Bellevilloise, ma grand-mère maternelle aussi (métro Belleville, côté 11ème). L'arrière grand-père maternel venait du Nord.

Que faisaient tes parents ?

Mon père était ajusteur-tourneur et après-guerre, il a monté un commerce en Normandie (cette démarche était une conséquence directe de la guerre et de la pénurie alimentaire , nous participions au trafic de fausses cartes de pain  ... imprimées dans l'impasse du Pressoir ! ).

Ma mère était danseuse, mais je ne l'ai pas beaucoup connu. Elle a quitté le domicile conjugal quand j'avais  deux ans. J'ai donc été élevé par ma grand-mère paternelle.

Dans quelles écoles fus-tu scolarisé ?

La Maternelle était celle de la rue des Maronites, le Primaire, c’était rue Julien Lacroix, à côté du passage Ronce, en face d'où était né Momo (Chevallier). Ce dernier venait nous rendre visite chaque année jusqu'à 1958 environ. Il faisait tourner un petit film à chaque fois avec les gosses. Puis un jour... il n'est plus venu, il a oublié son quartier !

Plus tard, n'ayant pas eu les meilleures notes au concours pour entrer en sixième, le CCG (Cours Complémentaire Général) m'a échappé et j'ai dû me contenter de celui situé rue Pelleport. Je n'ai pas perdu au change, je prenais le bus à plateforme tous les jours. Un bon sport pour le prendre et descendre en marche! 

Que t'as appris Belleville-Ménilmontant ?

Question trop vaste, je pourrais en écrire de très nombreuses pages ! J'y ai tout appris, du bon et du moins bon. J'y ai appris ... le travail, les différents métiers dits "de Paris", les amourettes, les copains, l'entraide, mais aussi à chaparder, à fumer… d'abord de la liane (terrains vagues obligent), puis des P4, avant d'avoir les moyens d'acheter le premier paquet de Gauloises. En bref, j'y ai appris tout simplement ... la vie !

As-tu fréquenté le rue du Pressoir et qu'y faisais-tu ?

La rue du Pressoir, c'était une annexe ! J'y avais de nombreux copains d'école,  y compris dans le passage Deschamps. De mémoire, JP Cardon dont les parents étaient concierges, les frères Tonneau, Aubri, Nathan (dont les parents étaient tailleurs dans le passage Deschamps), Ponnelle (également passages Deschamps) et quelques autres.

Quelles images conserves-tu du quartier dans les années 1960 ?

Ces années ont été pour moi comme un fin d'époque et ceci à tout point de vue.

Changements des populations tout d'abord. Alors que dans mon enfance il y avait un relatif équilibre entre les différentes ethnies, tout cela a basculé. Je ne m'étendrais pas sur ce point car de nos jours on ne peut même plus parler de choses factuelles sans être taxé a minima de xénophobie. Mais c'est un fait, il y a eu un exode massif des Bellevillois de souche, remplacés par d'autres populations.

Ces changements de population ont entraîné un changement des moeurs et de toute la sociologie. L'esprit village en a pris un sérieux coup, même si cela perdure ici où là dans des secteurs épargnés. On a changé le biotope.

Changement architecturaux. Certes, l'eau sur la palier a disparu, de même les WC à l'étage pour cinq à six familles. La salle de bain est arrivée. Ces conforts étaient devenus indispensables. Mais en parallèle, les voisins sont devenus des "étrangers", les relations humaines se sont dépersonnalisées. Les cages à lapin, c'est aussi une autre forme de promiscuité.

L'image essentielle qui m'a marqué, c'est la destruction de mon quartier. La venue des bulls, ces tours métalliques mobiles et obliques au bout desquelles pendaient les boules d'acier qui étaient balancées dans les murs. Je pense que j'aurais eu moins de chagrin de savoir qu'une bombe était tombée là.

Je me suis toujours posé la question, mais pourquoi n'a-t-on pas essayé de conserver une partie de ces quartiers en les restaurant. Tous ces jardins cachés, ces cours er arrière-cours, ces passages qui nous menaient de rues en rues et qui avaient un charme désuet. Ce quartier était un véritable capital.

Quels étaient tes loisirs en ces temps anciens, néanmoins pérecquiens ?

Pérécquiens... entre-autres, anciens pas tant que cela. Encore que la vie, ces dernières années, s'est déroulée à vitesse Grand V.

Là, encore, la question est vaste. Elle remplit plusieurs chapitres de mes mémoires en cours d'écriture.

Vaste car, bien sûr, les loisirs sont associés à l'âge. Rappelons qu'à cette époque la TV n'avait pas encore trop entamé nos modes de vie.

Dans la période de stricte enfance, ce fut tous les jeux de notre âge, billes, patins à roulettes, compétition de traîneau, jeux de cordes et autres avec les filles.

J'avais l'immense privilège d'avoir en face de chez moi le terre-plein qui recevait le marché. A l'époque, le mardi matin et le vendredi matin (si ma mémoire est bonne! Ce terre-plein était une superbe aire de jeu y compris les veilles de marché où les employés municipaux, je suppose, venaient installer les poteaux métalliques et les toits de toiles du marché. Amusants ces hommes chaussés de chaussures en bois à hauts talons pour leur donner la bonne hauteur!

Le travail terminé, c'était pour nous le temps du slalom en patins, en traîneaux, à vélo (pour les plus aisés!).

Un peu plus grand, notre périmètre s'étendait vers les terrains vagues. Nous étions comblés. Un petit en haut du passage Ronce qui donnait sur la rue des Couronnes. L'autre étant une grande partie de l'espace occupé par l'actuel Parc de Belleville ainsi que par les immeubles construits sur le plateau, vers les Envierges.

Nous y avons construit des baraques avec les matériaux qui traînaient là (briques, planches...). Nous y avons fumé les premières "lianes" puis nos premières P4, dites cigarettes de chômeurs.

Plus grand encore ce fut le cinéma, dieu qu'il y en avait entre Belleville et Ménilmontant. On était loin de la dernière séance chantée par notre compatriote Claude alias Eddy. Je me prends à penser au nombre impressionnant d'artistes que ce quartier a engendré !

Pourquoi t'intéresses-tu à Georges Perec et à Clément Lépidis ? 

Je ne connaissais pas pas Georges Perec, jusqu'à ce qu'un jour (émission de télé ), je découvre son existence et apprenne qu'il avait vécu à Belleville et pour être plus précis rue Vilin. Or, ma famille a habité au 2 rue Vilin durant une bonne dizaine d'années. J'ai su que Georges Pérec était juif, ma grand-mère m'avait beaucoup parlé du quartier, des juifs de l'époque, des rafles de l'été 42...

Juif ou pas, il était du quartier, je me trouvais donc une parenté.

Pour être honnête, Georges Pérec n'est pas mon auteur préféré... à chacun ses goûts. Mais c'est quelqu'un de "la famille", alors je lui ai trouvé  beaucoup de qualités. Peut-être un peu trop éclectique, mais quel bonheur son art lipogrammatique et ses palindromes ... un régal !

J'ai un peu sublimé "W",  tout simplement parce qu'il s'agissait de souvenirs d'enfances et que la rue Vilin y était évoquée. Ah ! cette rue Vilin et son escalier. Combien parmi nous ont usé leurs culottes courtes sur le muret pentu qui se situait sous cet escalier et que l'ami Willy a immortalisé par sa célèbre photo. Cette photo, je l'ai trouvé en poster, je l'ai faite encadrée et elle trône dans la chambre de mon papa âgé de 90 ans et qui est maintenant en maison de retraite, à 100 m de chez moi. Il vit en concubinage notoire avec une garce .... Héloïse, traduisez Aloïs...    alias Alzeihmer. Il a tout oublié ou presque mais aux mots rue Vilin, ses yeux s'illuminent... Mais je m'égare, revenons dans le sujet !

Quant à Clément, j'aurais étrangement presque rien à dire. Je me sens lui lorsque je lis ses livres. Son style près proche du peuple me va comme un gant. Je l'ai vu une fois il y a très longtemps vers la rue des Envierges, nous avons échangé quelques mots, mais je ne voulais pas trop le déranger ce fut donc a minima. J'ai dévoré tous ses livres sur Belleville. Ils trônent tous sur ma bibliothèque de plus d'un millier de livres. Je me suis payé le luxe d'orner l'intérieur de ses livres d'une palanquée de photos de Doisneau et de Ronis. Dommage Kléanthis est parti ... pas de dédicaces ! Une perte pour notre quartier.

Qu'est-ce qui te motive (dangereusement ?) à péleriner aujourd'hui dans ce quartier métamorphosé ?

La vie n'est pas un long fleuve tranquille, ne dit-on pas? Et puis, il faut vivre dangereusement. Il y a probablement un côté pathos dans ma démarche.

Un jour que j'échangeais avec Josette (de la rue du Pressoir), elle me faisait part de sa nostalgie, un peu dans le syle "c'était mieux avant".

Oui bien sûr, je l'ai évoqué plus haut, il y avait des tas de choses plus sympas, plus conviviales… Mais on sait tous que cela ne pouvait durer, car ainsi va la vie et rien n'est immuable, même les avantages acquis ! Je suis bien conscient de tout cela, bien conscient aussi, que, ce faisant, je suis à la recherche de quelque chose de perdu définitivement ... ma jeunesse.

Mais cependant, ce n'est pas que de la nostalgie, pourquoi j'y retouve des odeurs? Pourquoi ce mélange de haine (ils ont tout cassé !)  et d'amour ? Pourquoi je me dis toujours : "Cette fois, c'est la dernière" ?Et pourquoi dès que je suis à Paris j'essaie de trouver un moment pour aller traîner mes guêtres ? Alors pathos ou pas? Serait-ce du vice ?

Guy, t'es pas sympa, à cause de ta question, il va falloir que je consulte !

JC_Ecole Maternelle.jpg

Classe de Maternelle, rue des Maronites

Jean-Claude est debout, près de la maîtresse

Photo Yolande Suchet épouse Lapierre

Sur cette image, figurent Aubri (rue du Pressoir), Tonneau (rue du Pressoir), Yolande Suchet (52 boulevard de Belleville), Cardon (rue du Pressoir), Pallini.

 

 

 

 

Commentaires

  • Bonjour, j'ai habité 20 ans au 39 rue Vilin, de 1939 ( ma naissance) jusqu’en 1959
    où nous avons été relogé dans le 18 eme arrondissement. Mon école maternelle était rue des Couronnes en face de l'escalier qui donnait rue Bohta où à été tourné " Casque d'or".
    Et puis, rue Ramponneau pour la primaire. J'ai aussi la photo de Willy en poster. Et je doute que l'on trouve une personne qui a usé ses culottes (courtes ) plus que moi.
    Nostalgie quand tu nous tiens.
    Furet

  • D'après les voitures Renault 12 et Fiat 128 on est au moins en 1972 sur la photo.

    Philippe Né 26 rue des couronnes + atelier grand-père 17 rue du pressoir,

    à plus!

  • A Philippe:
    Oui il y a eu une erreur de ma part toutes les photos prises par mon oncle (R. Battaglia) l'ont été début des années 1970.

  • Quand j'habitais au 26 rue des couronnes le magasin Cemico s'appelait "magasin J" la boutique grise à coté devait être un prothésiste dentaire qui faisait équipe avec un dentiste situé plus à gauche encore. Je me souviens très bien du phamacien car partis à la porte des lilas nous avons continué un temps à fréquenter le docteur de la rue, le Dr Rouch, et allions à la pharmacie en sortant.

  • Il y avait effectivement un prothèsiste dentaire à côté. Quant au magasin alimentaire, dans les années 1950 cela devait être un Goulet-Turpin ou quelque chose de ce genre ....

  • Dans les années 60, rue des Couronnes, moi j'ai connu un comptoir français comme magasin alimentaire, une boutique rouge si je me souviens bien, pratiquement en face de la rue du Pressoir. Philippe parle du Docteur Rouch, je me souviens très bien de ce médecin, c'est lui qui m'a opéré des amygdales dans son cabinet, j'avais 12 ans.

  • Le Docteur Rouch a démarré en haut de la rue des Couronnes dans un hôtel particulier, il avait son cabinet et une salle de soin au rez de chaussée et habitait au dessus. D'après mon père c'était entre l’hôtel particulier et la grosse villa XIX siècle. Je me souviens qu'il y avait un escalier dans le hall ou on apercevait ses jeunes enfants. J'y ai été opéré des amygdales par un confrère qui faisait des tournées d'amygdales!! Retour au 26 rue des Couronnes dans les bras de mon père et nourriture à base de glace pendant 24 heures. Le Dr Rouch m'a aussi brûlé des verrues ce qui faisait très mal et m'a marqué pour que je m'en souvienne car j'étais très très jeune. Son hôtel particulier à été démoli et il a continué d'exercer dans un immeuble HLM de la rue plus bas.

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