Isabelle aimerait tant recevoir des nouvelles de son père ou qu'on lui parle de lui. Peut-être certains d'entre vous l'ont connu. Si c'est le cas, laissez un commentaire à la suite de ce billet. Ou envoyez-nous un message. On fera le facteur.
Bonjour Josette,
Je viens de relire vos souvenirs sur le site Rue du Pressoir.
Je m'appelle Isabelle, je suis née dans le 20e en 1955. En 1850, mes ancêtres se sont établis dans ce qui allait devenir le 20e. Mon grand-père, Georges Blaugy (né en 1900) était garçon de lavoir et ma grand-mère (née en 1898) s'appelait Léontine Delouard. Ils se marièrent et eurent six enfants, dont ma mère Denise Blaugy, la cadette. Ils habitaient au 1-bis Impasse du Pressoir, tout ce monde dans une seule pièce insalubre ! Ils étaient pauvres et le grand-père buvait comme beaucoup dans le quartier malheureusement.
Je me permets de vous écrire car vous avez bien connu le quartier et peut-être vous souvenez-vous de l'imprimerie (ou typographie) qui se trouvait Rue de Ménilmontant (et s'y trouve toujours). Vers 1954, un jeune homme d'une vingtaine d'années, Claude, travaillait dans cette typographie. Il était d'origine italienne (donc nom de famille italien). Il avait une grosse moto et un frère handicapé. Il eut d'ailleurs un accident avec cette moto, ma mère était avec lui comme passagère et se fractura la jambe. Peut-être que tout cela vous dit quelque chose ou peut-être connaissez-vous quelqu'un de l'époque qui pourrait s'en souvenir. Ce jeune homme a "fréquenté" ma mère vers 1953 pendant plus ou moins deux ans, elle avait 17 ans alors. Puis leur histoire s'est terminée à la suite d'une dispute, ils étaient si jeunes tous les deux. Mais elle était trop orgueilleuse pour lui annoncer qu'elle était enceinte de lui. Ainsi il ne l'a pas su. Et me voilà, 58 ans après... Il devrait avoir 78 ou 80 ans aujourd'hui. Ou peut-être, n'est-il même plus de ce monde. Quoi qu'il en soit, dommage que nous nous soyons manqués ! Depuis 1982, je vis en Italie, à Florence. Un jour, cela faisait déjà quelques années que je vivais en Italie, une sœur de ma mère me téléphona pour m'annoncer un décès en famille et en cette occasion elle ajouta : "C'est bizarre quand même que tu soies allée vivre en Italie, car ton père était italien tu sais". Non je ne le savais pas et je fus très impressionnée par cette nouvelle. Sans le savoir, j'étais retournée dans la terre de mes aïeux ! Et ce n'est que récemment que j'ai également appris qu'il était typographe, comme quoi l'atavisme existe... Moi aussi je travaille avec les textes, je suis traductrice spécialisée en juridique. On porte les choses en soi, sans le savoir. S'il était encore en vie, je ne voudrais pas rencontrer cet homme, pour ne pas risquer de déranger sa vie puisqu'il ne sait même pas que j'existe. D'ailleurs, ce serait impossible car je ne connais pas son nom de famille. Mais j'aimerais bien que quelqu'un me parle de lui, me dise comment il était, de quelle région d'Italie étaient ses parents. Peut-être même que ses copains de l'époque ont des photos pour que je puisse enfin me situer, comprendre d'où je viens exactement. Le site Rue du Pressoir prouve à quel point les gens sont attachés à leurs racines, même quand si elles étaient loin d'être blasonnées. Ainsi vous comprendrez que lorsqu'on ne sait rien de ses racines justement, on reste toujours un peu "bancale" dans la vie.
Je pense que vous pourriez m'aider, enfin, je l'espère de tout cœur, car vous connaissez encore beaucoup de personnes qui vivaient dans le quartier à l'époque. Vous pourriez leur faire part de ce message, peut-être que quelqu'un se souviendra du jeune Claude de la typographie.
J'attends de vous lire avec impatience, mais si je vous ai importunée, je vous prie de bien vouloir m'en excuser.
Très cordialement,
Isabelle
















C'était une voie bordée d'arbres avec, à l'écart de la chaussée, quelques moulins en bois, dressés par des charpentiers solides et travailleurs, où se pressaient les meuniers autrefois, pour y moudre le grain. Les dimanches venaient les parisiens, femmes et enfants, en carrosse ou à pied pour y goûter un air de campagne. Les maris galants invitaient leurs épouses à venir boire le petit vin de la rue des Pas-noyaux, et aimaient les inviter à danser dans quelques guinguettes proches des coteaux où Jean-Jacques Rousseau y fut renversé par les énormes chiens errant quelques peu sauvages de la Courtille. Tout là- haut, à la limite du vieux château sur les hauteurs de Télégraphe, descendaient les enfants des villages alentour pour s'amuser, mais souvent ils venaient pour travailler, aider leur père, afin de terminer au plus vite le taillage des ceps et le ramassage des brindilles, qu'ils brûlaient à petits 'feux indiens' où se réchauffaient les dignes demoiselles qui rentraient de la ville au petit matin, où elles exerçaient au Palais-Royal, le plus vieux métier du Monde. Les filles étaient belles, savaient faire appâts de leurs charmes et beautés. Les riches et nobles usaient de leurs droits pour combler leurs vifs appétits. Sur ces chemins aussi, des 'mauvais garçons' élégants, dans une misère telle qu'ils ne craignaient rien, s'attaquaient aux nobles qui possédaient richesse et fortune. Paris, alors, se composait de villages, aujourd'hui rassemblés qui forment la grande ville, capitale prestigieuse, connue et reconnue dans le monde entier. Par ci, par là, en temps de crise, collées sur les murs, des affiches portaient ces inscriptions : Terres seigneuriales à vendre ; maisons et héritages aux champs en roture à liquider; maison de Paris à louer ; office à vendre ; bénéfices à permuter ; affaires mêlées. Les fumées noires des usines et ateliers laissaient les traces, à la Soulages, coloraient le ciel de traînées blanches et grises, noircissaient encore plus la nuit sur les dernières vignes accrochées aux coteaux de la butte, à l'emplacement actuel de la rue du Pressoir, car si cette rue n'existait pas encore, là, se situaient de larges prés verdoyants entrecoupés de lignes ocres et siennes, passage des chiens affamés cherchant leur nourriture. Les Buttes- Chaumont s'élevaient, pointée dans les nuages lents et parfois, semblant à l'arrêt, qui d'un coup, prenaient de la vitesse, car s'annonçait la pluie poussée par un vent ondulant les toitures des chaumières et les arbres au bord des chemins, infligeant parfois aux carrosses, quelques petits dégâts, obligeant les Dames à descendre vite fait, en attendant les réparations d'usage. Oui ces dames riches déjà voyageaient, allaient découvrir la France, car elles ne voulaient pas que l'on se moque d'elles. Les parisiens, alors, aimaient rire de l'ignorance et de l'indolence de certains, reclus dans la ville et qui n'étaient jamais sortis de chez eux, sinon pour aller en nourrice ou partir à la guerre. Au loin, la rivière serpentine et argentée était en vue, traçant ses méandres historiques, bordés des trésors du patrimoine que construisirent peu à peu des hommes connaisseurs, architectes et bâtisseurs du Paris magnifique, éloignant loin, très loin la rue aujourd'hui célèbre de Ménilmontant, au sujet de laquelle je vous écris ces quelques lignes pour rappeler que notre cité est aussi un village qui s'agrandit toujours, toujours, et rares seront ceux d'entre nous qui garderont la mémoire de ce qu'était ces villages, à la péripétie du Grand Paris. 


