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LE COIN DU SOUVENIR - Page 3

  • CONVERSATION AVEC LUCILE/2

     

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    Où Lucile nous parle de cinéma et de pommes d'amour, de chocolats glacés et de la Rosengart de son père surnommée Trottinette.

    Avez-vous le souvenir d’un spectacle de rue et particulièrement de la fête (scénic railway, stands de jeux) qui s’étalait sur les trottoirs du boulevard de Ménilmontant ?

    Lucile : Hormis le cinéma, les sorties « parisiennes » de mes parents n’étaient pas très nombreuses.

    La Foire à la ferraille et au Pain d’épices  - qui me voyait gratifiée d’un petit cochon portant mon nom en sucre coloré, quelquefois les Puces de Montreuil, la balade sur les grands boulevards au moment des Fêtes lorsque s’y installaient les baraques du Jour de l’An, c’était à peu près tout.

    Même la fête foraine du boulevard de Belleville ne les tentait pas. On la traversait sans s’arrêter en allant rendre visite à mon parrain qui habitait le 19ème, et les pommes d’amour me subjuguaient. Je fus d’ailleurs très déçue lorsque j’en reçus une ! Par contre, on descendait fréquemment jusqu’à la République en empruntant le faubourg du Temple, ou l’on remontait la rue de Belleville jusqu’à la rue des Pyrénées. Mais disons qu’en faisant ces promenades,  on n’avait pas l’impression de sortir du quartier.

    Il faut dire que Papa alliait un fort goût pour la verdure et l’air pur à celui non moins prononcé de la mécanique. Cela tombait bien à cette époque si l’on souhaitait disposer d’un moyen de transport familial personnel. Il commença donc avec un side-car, puis s’équipa d’une vieille Rosengart baptisée Trottinette.  

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    La Trottinette Rosengart

    Quelles étaient vos promenades avec vos parents ?

    Lucile : Dès les premiers beaux jours, nous partions en forêt de Fontainebleau, sur les bords de Marne, ou ailleurs… et l’hiver, Papa désossait complètement Trottinette et bichonnait son moteur afin qu’elle soit fin prête pour la saison prochaine !

    Pendant la guerre, la voiture échappa aux Allemands, dissimulée dans une cour de la rue Julien Lacroix. Elle reprit vaillamment du service aussitôt qu’il fut possible de se procurer de l’essence. Papa n’abandonna en fait sa chère Rosengart que lorsque apparut la 4CV. 

    Plus tard, à l’âge du collège, les sorties « culture » du jeudi vers les monuments et musées parisiens, théâtres ou concerts, c’est au patronage que je les dois. Encore maintenant je rends grâce à la qualité de ces éducateurs dévoués qui surent très tôt éveiller ma curiosité. 

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    Quelles étaient vos distractions dans le quartier ? Fréquentiez-vous les cinémas ? 

    Le cinéma ! Le bon et le mauvais, en vrac, on était tellement émerveillés de l’avoir qu’on absorbait goulûment tous les programmes

    Du bas de la rue de Ménilmontant jusqu’à la rue des Pyrénées, il y avait trois salles, toutes du même côté, à droite en montant : Le Phénix, à côté de l’Uniprix, Le Ménil-Palace en face de la rue Julien Lacroix et le Gaîté-Ménil un peu après la rue Boyer.

    (C’est au Phénix que j’ai vu mon premier film : Blanche-Neige et les Sept nains de Walt Disney. Je devais avoir 5 ou 6 ans.)

    Le choix était grand car on trouvait l’Impérator, rue Oberkampf, l’Excelsior, avenue de la République près du Père Lachaise, le Zénith, rue Malte-Brun et le 20ÈME Siècle boulevard de Ménilmontant, avant la rue des Panoyaux. 

    C’était, dans ma famille, la sortie rituelle du samedi soir. Dès le mercredi on allait repérer les films qui passaient dans le quartier et les parents décidaient. On se dépêchait de dîner - surtout si le choix se portait sur l’Excelsior ou le Zénith qui étaient plus loin – et on allait faire la queue pour être bien placés. Il n’était pas question de manquer l’attraction, les actualités et le documentaire qui précédaient le film. Ni même la publicité Jean Mineur qui nous amusait beaucoup ! Les ouvreuses vendaient leurs « chocolats glacés » à l’entracte, c’était du plaisir à bon compte.

    Les films dont je me souviens surtout sont les films américains d’après-guerre . Tels Mrs Miniver ou Ouragan sur le Caine, Le Bal des Sirènes avec Esther Williams qui enchantait mon papa, Le Troisième homme avec Orson Welles. Et puis les Zorro, les films de cow-boys en général, et les péplums comme Ben Hur. Les grands films français, je les ai vus plus tard, en ciné-club. De même que le Cuirassé Potemkine dont la célèbre séquence de la voiture d’enfant qui dévale les escaliers d’Odessa nous a tous marqués. 

    À l’époque on ne se souciait guère du réalisateur, ce sont les acteurs qui avaient la vedette. Le cinéma n’était pas encore le Septième art, c’était une distraction à la portée de tous, plus facilement accessible que le théâtre. La notion de film d’auteur n’avait pas encore fait son apparition dans l’esprit du public.   

     

  • CONVERSATION AVEC LUCILE/3

     

     

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    Lucile : Je reviens sur le cinéma, tel que - je crois - la plupart des gens l’abordaient dans ces années là.


    C’était « l’histoire » qui retenait d’abord le spectateur. Puis la plastique et le jeu des acteurs. L’intérêt pour l’écriture du scénario, de la photo, du cadrage ou du son n’était pas courant. Il a fallu que le public soit progressivement éduqué pour qu’il puisse apprécier.

    Des personnalités vécurent dans le quartier, parmi lesquelles Maurice Chevalier, Georges Pérec, Clément Lépidis… Les avez-vous croisées ?

    Lucile : Je sais que notre quartier a inspiré des plumes célèbres. Je n’ai malheureusement pas eu la chance de les connaître. À moins que je ne les aie croisées avant qu’elles le soient devenues !

    Mis à part Maurice Chevalier qui était revenu tourner un court-métrage sur sa vie - ou quelque chose de ce genre - dans le fond de la rue du Pressoir, je n’ai pas de souvenirs marquants. Bien sûr la chanson « Les gars de Ménilmontant » était en quelque sorte l’hymne local et je l’avais entendue, comme tout le monde. Je dois dire que je n’apprécie ni l’homme, ni l’acteur. Ce doit être la raison profonde de mon oubli…

    Vous avez connu le photographe Henri Guérard. Pouvez-vous nous en parler ?

    Lucile : J’ai connu Henri Guérard qui faisait partie de l’équipe fondatrice de l’Ami du XXème. Nous étions proches de la paroisse Notre-Dame-de-la-Croix, et c’est tout naturellement que nous lui avons demandé de faire nos photos de mariage. Il habitait alors rue d’Annam et nul ne se doutait encore, à l’époque, qu’il figurerait parmi les grands photographes de sa génération. Les albums de mariés, où il mettait tout son cœur, étaient pour lui une source de revenus.

    L’année dernière, en compagnie d’amis retrouvés, nous avons eu l’occasion de passer un moment avec lui et son épouse qui l’a toujours accompagné dans ses travaux. Nous ignorions qu’il était devenu aveugle et cela nous a beaucoup peinés. Il nous a toutefois laissé l’impression d’un vieux monsieur charmant qui semble avoir conservé le sens de l’humour et la joie de vivre en dépit de son cruel handicap. Je regarderai maintenant nos photos avec encore plus d’émotion.

    Henri Guérard, Willy Ronis, et d’autres, ont laissé du Ménilmontant d’avant le massacre des années 60 des images inoubliables. C’est une grande chance. La mémoire est volage. C’est en participant à votre blog et en essayant de reconstituer dans ma tête les rues de mon enfance que je m’aperçois combien il est difficile d’être fidèle.


    Avez-vous été le témoin de la destruction du quartier et particulièrement de la rue du Pressoir ?

    Lucile : Je n’ai pas vécu les démolitions de masse. Nous avions déjà quitté le quartier quand elles ont commencé, mais nous les avons suivies de près en venant voir nos familles rue Julien Lacroix et rue des Platrières.

    Nos parents ne sont plus, nos amis de jeunesse se sont éparpillés à travers la France, mais c’est toujours avec plaisir que nous retrouvons sur les photos célèbres les personnages que l’on connaissait de vue et dont les silhouettes caractéristiques avaient retenu l’œil du photographe.

     

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    La plume remarquable de Lucile, la précision de ses témoignages, nous ont incité à lui poser quelques questions sur son histoire personnelle. Elle a bien voulu nous livrer certains renseignements au sujet de ses parents et de son parcours professionnel et nous l'en remercions.

    "Quand on a perdu ses parents, on se sent en première ligne. Les années passant, il arrive même que l’on tente de se retrouver en eux. À moins que ce ne soit le contraire : on cherche à les retrouver en soi.

    Mon papa était ajusteur de formation.

    Je sais qu’il avait fréquenté l’école de la rue Henri Chevreau, mais j’ignore où et comment il avait appris son métier. Toujours est-il qu’il a terminé sa carrière professionnelle comme chef-monteur au département essoreuses industrielles des Pompes Guinard.

    Ce qui l’entraînait à circuler à travers toute la France, l’Europe, et même le monde. Il n’était jamais à la maison en semaine et ne rentrait le week-end que si ses déplacements n’étaient pas trop éloignés de Paris.

    À partir des années 60 jusqu’à sa retraite, il a promené successivement sa chère caisse à outils, qui pesait des tonnes, en Espagne, en Italie, en Allemagne, au Moyen-Orient et même au Brésil où il mettait en route des installations de dessalement d’eau de mer. Au Moyen-Orient il utilisait deux passeports :  à ce moment là – déjà -  il valait mieux ne pas faire figurer sur un même document les cachets d’Israël et ceux du Liban…

    Il nous rapportait de ses voyages des informations inédites car il était en général chaleureusement accueilli par les ingénieurs locaux. Cela dit, il en fallait beaucoup pour étonner Papa, et il partait à Bahia comme s’il allait à Saint-Ouen.  L’important pour lui était de trouver sur place les compétences nécessaires à la résolution de ses problèmes techniques !

    Maman jouait les Pénélope.

    Elle tenait un poste de secrétaire-comptable dans une petite entreprise de la rue Boyer, juste en face de la Bellevilloise et de la Maroquinerie. Ce qui lui a permis, jusqu’à ce que nous quittions Ménilmontant, de profiter de son petit fils en fin de journée alors que je n’étais pas encore rentrée du bureau.

    Car à mon tour j’étais entrée dans la vie active après l’E.S.D. de la rue Soufflot (Ecole des Secrétaires de Direction). Après une dizaine d’années d’arbitrage/titres (bourse), j’ai suivi mon mari muté à Lyon par sa banque et, une fois rentrée à Paris, me suis consacrée à la vie associative : animation de club d’investissement féminin et organisation de consommateurs essentiellement.

    Comme nous vivons le plus souvent à la campagne depuis la retraite de mon mari, mes activités ont changé mais n’en sont pas moins passionnantes. Je me suis impliquée dans la rédaction du bulletin communal : histoire du village depuis son origine, de ses monuments, de sa sainte patronne et surtout, d’un personnage historique qui a marqué le 18ème siècle de son empreinte, Madame Roland, l’égérie des Girondins, dont le mari, éphémère ministre de l’Intérieur de Louis XVI, a eu le bon goût de venir se suicider sur nos terres !

    De plus, j’ai participé pendant deux ans au travail de la commission Culture de la Communauté de Communes à laquelle nous sommes rattachés. Il me revenait, après les avoir présentés et mis en valeur pour allécher nos concitoyens, de faire les comptes-rendus des divertissements divers que nous proposions : théâtre, cirque, concerts de rock, et spectacles de rue. 

    Inutile de préciser que, comme hier encore, j’ai aussi bien souvent, servi d’écrivain public."

     

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    B I O G R A P H I E DE HENRI GUERARD

    Henri Guérard naît le 19 mai 1921 au 10 rue Sorbier à Ménilmontant. Il commence à travailler très tôt comme employé de bureau. Ce travail ne lui convient pas et c’est grâce à un collègue qu’il rentre aux Éclaireurs de France et s’initie à la randonnée et au canoë. C’est lors d’une de ces sorties qu’Henri réalisera ses premières prises de vues. Il rencontre Simone qui deviendra son épouse en 1942. Le jeune couple «entre» en résistance en passant des messages ou en distribuant des tracts. Ils aident aussi, avec leurs camarades, les personnes âgées particulièrement démunies. En 1944, Henri réalise des photos de la Libération de Paris et de la bataille de Ménilmontant. Il entre cette même année au service photographique et cinématographique des armées. L’année suivante, il quitte l’armée et s’installe avec Simone comme artisan photographe. Photos de mariages, de communions, reportages industriels… sont le lot des photographes d’alors. Il travaille pour le journal «L’Ami du 20e» et commence à photographier l’arrondissement sous toutes ses coutures. Henri est le témoin des grandes mutations que subit le 20e dans les années 60. Il s’intéresse au sort des habitants et capte mieux que personne, l’atmosphère, le charme particulier de Belleville et de Ménilmontant. À partir de 1963, Henri et Simone travaillent pour les Petits Frères des Pauvres pour lesquels ils réaliseront de nombreux reportages tant en France qu’à l’étranger, tout en organisant des sorties et des animations culturelles pour de jeunes couples. Infatigable, généreux, heureux de partager son savoir, Henri Guérard animera un club photo de 1970 à 1985. 

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    PHOTOGRAPHIES D'HENRI GUERARD

    PORTRAIT D'HENRI GUERARD SUR AGORAVOX

     

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  • LUCILE SE SOUVIENT DE LA RUE DU PRESSOIR

     

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    Cinquième à gauche, arborant fièrement sa croix d'honneur sur son tablier noir d'écolière, la maman de Lucile. Cette photo prise devant le magasin de Monsieur et Madame Tabak, 24 rue des Maronites, date de 1922 ou 1923. Lucile a bien connu ces commerçants avant qu'ils ne disparaissent dans la tourmente de la guerre de 40
    Comme je l'ai précédemment indiqué, mes grands-parents maternels habitaient, dès avant la guerre de 14, 24 rue des Maronites, juste en face de la rue du Pressoir. L'immeuble existe encore aujourd'hui bien que j'aie toujours entendu dire qu'il allait être abattu !(Comme la rue du Pressoir a été percée en 1937 - ai-je lu sur votre blog - je suppose que l'intention était de rejoindre ainsi la rue Etienne Dolet dont presque tous les immeubles correspondaient à ceux de la rue des Maronites par une suite de cours intérieures.)
    Leur logement était celui, sur rue, du troisième étage. C'est là que ma grand-mère, devenue veuve de guerre, a élevé seule ses deux enfants, nés, mon oncle en 1912, et maman en 1915.
    Mes parents, jeunes mariés (Papa venait, lui, de la rue des Couronnes) s'installèrent en 1934 au premier étage du  même immeuble. Et c'est, lorsqu'en 1938 à la naissance de mon frère, ils déménagèrent pour un appartement plus confortable rue Julien Lacroix, que ma grand-mère "descendit" occuper le premier étage car les escaliers commençaient à lui peser.
    Crise du logement oblige, moi, née en 1935, je suis restée auprès d'elle. Et c'est là que le film commence...
    Dès ma toute petite enfance j'ai aimé le mouvement de la rue et j'ai gardé un souvenir précis des gens et des bruits qui l'animaient. Du haut de mon observatoire - trois fenêtres ce n'est pas rien! - j'étais aux premières loges et je ne perdais rien du spectacle.
    Je me souviens, comme si c'était hier, du troupeau de chèvres et du marchand à qui sa boite de bois peinte en bleu servait de boutique pour le lait et les fromages. Il prévenait de son arrivée avec une trompette et il fallait se dépêcher de descendre car les chèvres s'impatientaient !
    Le vitrier équipé de son harnais soutenant les carreaux qu'il ne demandait qu'à poser s'annonçait en criant, de même    que le rémouleur qui aiguisait sur place les couteaux et ciseaux.
    Moins fréquemment venaient également les matelassières, convoquées pour retaper les matelas de laine. Elles s'installaient de préférence dans les cours, mais également sans problème dans la rue. Le travail durait la journée car il fallait aérer la laine et reconstituer le matelas si la toile était encore bonne.
    J'entends encore le piétinement de l'attelage à deux énormes chevaux dont l'écurie se trouvait dans une cour à large porche, rue du Pressoir, un peu avant le passage Deschamps. Je crois me souvenir avoir entendu mon père parler de brasserie.
    Il y a avait aussi la visite du "Caïffa" qui venait régulièrement en espérant qu'on lui passerait commande une fois pour l'autre. Il laissait en toute confiance son triporteur dans le couloir de l'immeuble et montait avec sa toilette pleine de trésors. Il l'installait sur la table de la salle à manger et il était bien rare qu'on ne soit pas tenté par quelque produit d'épicerie fine. Les bouchées de chocolat à la crème et les bonbons fondants de Noël m'ont laissé des souvenirs inoubliables!
    (Je précise pour les plus jeunes, que "Le Caïffa" était une grande épicerie orange, dont l'une des succursales se trouvait presque au coin de la place Ménilmontant, boulevard de Belleville).
    Et puis il y avait bien sûr les chanteurs à qui l'on jetait du haut des fenêtres des sous soigneusement enveloppés dans du papier journal.
    Je grandissais et mon intérêt quitta naturellement le coeur de la maison pour s'étendre à ce qui l'entourait. Arriva la guerre et l'entrée à l'école. J'allais au Sacré-Coeur, rue des Panoyaux, là où Maman elle-même était allée. C'était une "grande" qui m'y accompagnait : Ginette, la fille de Monsieur et Madame Terrot, qui tenaient l'épicerie/crémerie/fruits et légumes du début de la rue du Pressoir, située juste après le café-hôtel du coin "Chez Gaston".
    Une parenthèse : celui-ci est appelé "chez Terro" sur votre plan, parce qu'en fait, la fille de Madame Gaston, la bistrote, épousa un jour le frère de Monsieur Terrot, l'épicier ! et c'est le jeune couple qui prit la suite. Mais ceci est une autre histoire !
    Toujours est-il que dans les années 40, avant, pendant et après l'Occupation, c'était pour tout le monde "Chez Gaston". Du haut de mon premier étage, j'avais évidemment une vue à 180° sur tout ce qui s'y passait !
    De l'autre côté de la rue du Pressoir et ouvrant sur la rue des Maronites, se trouvait le Primistère, encore une épicerie. Et si l'on remontait la rue côté pair, on trouvait vite le bougnat dont la patronne, "l'Auvergnate" bien sûr, tricotait continuellement des chaussettes, à quatre aiguilles s'il vous plaît !, tout en faisant sa petite promenade.
    J'étais très admirative...
    Toujours du même côté un peu plus haut, il y avait le dépôt Maggi (laiterie/crémerie à succursales). Tout blanc, le magasin frisquet à l'odeur légèrement surette, offrait ses yoghourts, coeurs à la crème et "Fontainebleau" mousseux dans des grands bacs de zinc. Il ne fallait surtout pas oublier sa boîte car on y versait directement le lait puisé dans le grand réservoir à couvercle avec les mesures de métal. J'entends encore le bruit des pots de verre que l'on rapportait et déposait sur le marbre du comptoir, le frottement contre les bacs... c'était déjà du bling-bling ...
    Cela ne dura d'ailleurs pas bien longtemps pour moi, car c'était la guerre et les tickets de rationnement changèrent la donne. Dans l'esprit d'un enfant, la guerre c'est flou. Je garde cependant très vif le sentiment de malaise, informulé à l'époque, des questions qui se posaient à propos de mes petites voisines en allées on ne savait où. Cécile, Lisette, savais-je seulement qu'elles étaient juives ?
    Certes, presque toutes les familles avaient un "prisonnier" en Allemagne (chez nous c'était mon oncle) ou un réquisitionné du S.T.O., mais les enfants n'avaient pas vraiment conscience des drames qui se jouaient. Les problèmes évidents étaient la course à l'alimentation, les rues plongées dans l'obscurité le soir venu, les bandes de papier collées en croix sur les vitres pour éviter la casse en cas de bombardement (!), l'obligation de tenir bien fermés les double-rideaux pour qu'aucune lumière ne soit visible de la rue, et les coups de sifflet des chefs d'îlots rappelant à l'ordre les récalcitrants. Et puis, à partir de 1943, je crois, les alertes, et les sirènes qui  en annonçaient le début et la fin. En principe il fallait descendre aux abris : en ce qui me concerne, ma grand-mère accueillait des voisins de l'immeuble et nous jouions en attendant que cela se passe !
    Le plus pénible souvenir de cette époque demeure pour moi - surtout lorsque j'y repense maintenant - le matin où je vis, rue du Pressoir, les familles juives regroupées au pied de leurs immeubles par des agents en pèlerines, leurs petites valises à la main et l'air complètement perdu. Ce devait être un jeudi, puisque je n'étais pas à l'école. On sait ce qu'il en est advenu.
    La Libération arriva enfin en 1944 et la vie reprit son cours. Je me souviens avec émotion du bal du premier 14 juillet qui suivit, organisé par un café du "fond" de la rue du Pressoir, bal où je n'avais pas le droit d'aller - j'avais neuf ans - mais dont les flons-flons arrivaient jusqu'à moi. C'était la fête.De même lorsque le Tour de France repartit et que l'on suivait au jour le jour, sur la carte de France dessinée à la peinture à l'eau sur la vitre de chez Gaston, le parcours et les résultats d'étapes. Cela attirait un monde fou et chacun y allait de ses commentaires. Moi, j'observais et n'aurais cédé ma place pour rien au monde ! Lucile
  • LUCILE SE SOUVIENT DE LA RUE DU PRESSOIR/2

     

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    24 et 26 rue des Maronites

     

    En fait, les jours passant, chacun prit vite conscience qu'il y eut "avant" et "après" la guerre.

    Mais, comme la nature après un trop long hiver, la vie reprit son cours en essayant de rattraper le temps perdu. On avait toujours aussi froid puisqu'il n'y avait pas assez de charbon pour alimenter les salamandres, mais le peu de circulation automobile permettait aux enfants de se réchauffer en jouant dans la rue. Ce ne sont pas les véhicules à gazogène qui encombraient la chaussée. Si les filles se réservaient le saut à la corde ou la marelle, les garçons avaient le monopole des jeux de billes ou d'osselets, et dévalaient la rue du Pressoir à bord des traîneaux de leur fabrication.

    Certes maman était sévère, il n'était pas question que je descende "jouer sur le trottoir".
    Bah ! ce n'était pas grave! Seul un petit étage me séparait des autres.
    J'étais aux premières loges pour apprécier les concours de gymnastique qui s'organisaient spontanément au carrefour Maronites/Pressoir. Une certaine Denise dominait la bande de la tête et des épaules, spécialiste qu'elle était de la grande roue et du poirier ! Les jeux de saute-mouton n'étaient pas mal non plus, d'autant que là tout le monde participait. De même à la navigation des bateaux de papier dans les caniveaux quand les employés de la ville les mettaient en eau et bouchaient l'entrée des égouts avec des sacs de sable.

    Bref, aux adultes les soucis, la queue à la porte des magasins approvisionnés, la course aux rumeurs quant aux arrivages prévus - qui n'arrivaient pas - et, bien sûr, toujours les cartes d'alimentation. (Je crois qu'elles ont bien dû persister jusqu'en 1947).

    Le dimanche matin, on oubliait tout ça. La fanfare défilait dans le quartier, remontait la rue du Pressoir et les musiciens récupéraient de leurs efforts dans les bistrots du "haut". Les vendeurs de L'Humanité tenaient leurs permanences. À l'heure du déjeuner arrivaient les chanteurs de rue. L'un d'entre eux, en élégant costume noir, saluait à la ronde avec son chapeau melon, en guise de remerciement. L'homme-orchestre passait aussi, mais moins régulièrement ; il en était d'autant plus apprécié.

    L'été, pour se procurer de la glace, il suffisait de héler au passage le camion qui approvisionnait les nombreux cafés.
    À l'aide de son crochet de fer, le livreur débitait un morceau dans les grands pains dégoulinants, l'entourait d'un papier blanc, on le payait, et on se dépêchait de le déposer dans une bassine pour rafraîchir les boissons.
    Il se trouvait toujours au cul du camion un ou deux galopins prêts à sucer les glaçons éclatés !
    En soirée, si la chaleur était trop pesante dans les petits logements, les grand-mères descendaient leur chaise pour bavarder au frais sur le pas des portes.

    De temps en temps, il y avait bien quelques bagarres chez Gaston, mais d'une façon générale la vie était plutôt paisible.

    En 1945, j'allais sur mes dix ans. J'étais en troisième année de catéchisme, le temps était venu de faire ma communion solennelle. Mais... il y avait un "mais" !
    Pas question de faire la fête si mon oncle et parrain n'était pas rentré de captivité.
    La cérémonie était prévue pour le 31 mai : Parrain nous arriva sans prévenir au début du mois !
    De plus, il rapportait des rations américaines et du chocolat !

    La joie fut grande à la maison et il fallut mettre les bouchées doubles pour s'organiser. On profita de l'occasion pour célébrer le baptême de mon petit frère qui avait été repoussé en raison des événements. Ma grand-mère paternelle sortit de ses cartons la tenue de communiante de ma tante (robe, voile et aumônière), qui datait bien de trente ans, mais qui, mise à ma taille, amoureusement lavée, amidonnée et repassée fit son effet le moment venu.

    Le déjeuner familial posa, lui, beaucoup plus de problèmes et réclama une grande dose d'ingéniosité.
    Heureusement, Papa avait ses habitudes en vallée de Chevreuse où il allait régulièrement à vélo échanger ses tickets de tabac contre un peu de ravitaillement. Il rapportait le plus souvent des haricots secs et du blé en grains. Concassés dans le moulin à café, mêlés à de l'eau et cuits à la poêle dans trois gouttes d'huile, on se régalait d'une "galette", que je n'ai pas oubliée. Surtout lorsqu'elle était un peu brûlée !
    Pour le repas de communion, il fallait absolument trouver autre chose. Je ne saurais dire comment les opérations se déroulèrent, mais nous eûmes une pièce montée confectionnée en famille grâce à la générosité de chacun.

    La cérémonie en elle-même perpétuait les fastes "d'avant". Les garçons d'un côté, les filles de l'autre, un cierge à la main, formaient la procession à partir de la rue Étienne-Dolet et pénétraient dans l'église en empruntant les superbes volées de marches qui, pour moi, font de Notre-Dame-de-la-Croix le plus bel édifice XIXème de Paris. La foule était nombreuse, les cloches carillonnaient, croyants et incroyants se rassemblaient autour de la tradition.

    Après, ce fut l'examen d'entrée en 6ème, le collège Sophie-Germain ... la fin de l'enfance.
    En 1947, un téléviseur apparut dans la vitrine de l'électricien de la rue des Couronnes et les badauds purent se regrouper pour assister au mariage de la princesse Elizabeth, future reine d'Angleterre.
    Le monde avait changé, sinon le quartier.

    L'année 1953 fut celle de mon premier vrai chagrin. Ma grand-mère chérie nous quitta brusquement et je laissai ma maison pour retrouver le domicile de mes parents, rue Julien-Lacroix. Heureusement, je connaissais déjà celui qui quitterait sa rue des Plâtrières pour devenir mon époux. Papa et Maman avaient eu la bonne idée de conserver la jouissance de l'appartement. Il nous fut précieux lorsqu'en 1957 nous avons enfin pu nous marier, les obligations militaires du sursitaire étant considérées comme accomplies après un maintien de 27 mois en Tunisie ! C'est donc ensemble que nous retrouvâmes le 24 rue des Maronites.

    Notre mariage eût lieu naturellement à Notre-Dame-de-la-Croix et nous descendîmes les marches entourés de nos amis, précédés par le Suisse en grande tenue avec bicorne et hallebarde, ainsi que cela se faisait à l'époque. Cela sous l'oeil bienveillant de la foule rassemblée comme d'habitude, sur la petite place en bas de l'église, lorsqu'il y avait des cérémonies. Les marchandes de quatre-saisons de la rue de Ménilmontant pouvaient bien attendre un peu les clients, on prenait son temps le samedi matin !

    C'est Henri Guérard, qui n'était pas encore le célèbre photographe qu'il est devenu, qui immortalisa pour nous ces moments de bonheur.

    Toutefois, la rue du Pressoir n'en avait pas fini avec moi ! Un jour de 1958, la guerre d'Algérie faisant rage, deux factions rivales avaient choisi les cafés arabes du côté impair pour s'affronter. C'est en vitesse que nous avons dû déplacer le berceau de notre fils de crainte qu'une balle perdue n'arrive jusqu'à lui !

    Les années 1960 se profilaient à l'horizon et l'on parlait déjà d'échanges d'appartements en vue de la démolition des immeubles, vétustes ou non : un relogement en banlieue contre un abandon du quartier. Si c'était un crève-coeur pour les vieux Parisiens de souche, il faut bien avouer que l'espoir d'une installation plus confortable faisait envie aux jeunes. Je crois que nul ne se rendait compte des dégâts esthétiques qui se perpétraient. À ma connaissance, il ne fut malheureusement jamais question de réhabilitation.

    Par chance pour nous la question ne se posa pas. Nous avons cédé la place à mon frère et ma jeune belle-soeur, de sorte que l'appartement du 24 rue des Maronites resta "dans la famille" quelques années encore. Finalement l'immeuble fut épargné, ainsi que le 26. Ils sont toujours debout aujourd'hui, plus fringants que jamais !

    Depuis des décennies nous ne vivons plus à Ménilmontant, mais nous y avons laissé une grande partie de notre coeur.
    Et même de sérieuses attaches, puisque notre fils a choisi d'habiter Belleville. Question de gènes probablement ...

    Il ne faut pas oublier que Ménilmontant n'a été de tout temps qu'un quartier du village de Belleville ! Lucile

  • NICOLE BOURG SE SOUVIENT

     

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    Suite au récit de Bienvenu Mérino, je confirme que, comme pour lui, ce quartier de Ménilmontant est particulièrement cher à mon coeur. Une passion qui nous est commune à tous.

    Je plante le décor. C'était l'hiver, le mois de décembre, plus particulièrement. Sortie de la bouche du métro Ménilmontant. Le marchand de marrons était là : chauds, les marrons,  disait-il. Cette odeur est encore si présente. C'était en même temps la Saint-Nicolas, la fête foraine. Mon père (qui me manque cruellement.) revenait du travail, de Boulogne-Billancourt. En sortant du métro, il achetait au stand confiseries, un gros paquet de nougats pour ma fête. J'attendais ce moment... C'est curieux comme ces souvenirs sont ancrés dans ma mémoire. Les narines de la petite fille qui crie à l'intérieur sont encore imprégnées de l'odeur des marrons, de l'odeur du métro et de la barbe à papa. Mes souvenirs se succèdent, défilent... Là le kiosque de la remailleuse de bas. A côté la maroquinerie,puis deux grandes épiceries-charcuteries "Molinati","Baldini", encore une odeur inoubliable! Des anchois entassés dans un tonneau qui trônait, au milieu du magasin. Les fromages au goût si particulier. Puis, le salami, le jambon de Parme, la coppa, pancetta,etc... Dans un autre registre, par exemple, les charbonniers si bien décrits par Bienvenu Mérino. Je cite: aux yeux d'africains, portant sur leur dos des sacs de boulets d'anthracite noir. Je m'en souviens, comme si c'était hier. Mes parents commandaient régulièrement le charbon chez le "Bougnat" de la rue des Maronites. Le patron était auvergnat. Il vendait aussi des pains de glace l'été. Cher Guy, suite au prochain numéro! Nicole Bourg

  • NOEL RUE DU PRESSOIR/NOEL DANS LE MONDE

     

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    Fallait-il prendre au sérieux les propos d’un précédent billet où j’affirmais me foutre des Noëls et de ses illuminations, depuis plusieurs années ? Eh bien non ! Tous les ans, inlassablement, je répète la même chose, Noël n’aurait, pour moi, plus aucun intérêt. Mes propos n’ont plus la même résonance lorsque le mois de décembre pointe le bout de son nez. Je prépare les commandes de jouets pour mes petits enfants et les cadeaux pour les grands. Malgré mes 60 ans, c’est toujours avec un immense plaisir que je chine, jamais de lassitude lorsqu’il s’agit de donner du bonheur. Cette année, encore, la hotte du Père Noël sera bien remplie et il est fort possible, qu’en cette douce nuit de Noël, il perle le long de mes joues une larme en voyant les yeux écarquillés de mes petits enfants de 3 ans.

    Comme tous les ans, je repasserai, en boucle, les beaux Noëls de mes enfants mais aussi, ressortira de ma mémoire, en noir et blanc, le vieux film des années 50, celui de mon enfance rue du Pressoir. J’attendais, avec impatience, ce réveillon de Noël, ce repas festif préparé entièrement par mon père, de son premier métier boulanger, pâtissier, cuisinier, médaillé de bronze, médaille que je conserve précieusement dans son écrin. Je sais aussi que le Père Noël déposera, à minuit, le cadeau tant espéré. Il le déposera sous le sapin, haut de plus de 2m, qui trône comme un roi dans la salle à manger. J’ai pris soin, avant de me coucher, de mettre en évidence, près du sapin, mes pantoufles qui devraient se remplir de friandises en chocolat. Mais pour découvrir tout ça, il me faudra attendre le lendemain matin. Un seul jouet par enfant acheté avec des bons de la Semeuse.

    Je me souviens encore mais, là, mon film est comme monté à l’envers car ce souvenir se passe avant Noël. Mes parents, mes 3 sœurs et moi, occupions un deux pièces cuisine au 3ème et dernier étage de l’immeuble 25 rue du Pressoir, peu avant le grand jour, mon père grimpait sur le toit de l’immeuble en passant par une trappe située sur le palier et, de la haut, par le conduit de la cheminée, envoyait des oranges. Les yeux pétillants de joie, je suivais le parcours de ces oranges tombant du ciel, traversant la salle à manger pour terminer leurs courses dans la cuisine. Je me précipitais pour les ramasser, mais quel dommage que mon père n’ait pas assisté à cette magie. Où était-il ? Je ne me posais pas la question, je lui raconterai cette aventure lorsqu’il sera de retour. Maman disait que le Père Noël passait au- dessus de l’immeuble. Je n’avais pas 6 ans.

    Il était aussi de coutume, quelques jours avant le 24, de mettre ses chaussons au pied du sapin et si le Père Noël jugeait que, dans cette maison, les enfants avaient été bien sages, il pourrait déposer, en général, une guimauve enrobée de chocolat. 

    Je ne sais si cette tradition était propre à ma mère ou due à ses origines Ardennaises, à la frontière Belge, qui dans ce cas pourrait faire penser à Saint Nicolas, d’autant plus que Maman parlait souvent du Père Fouettard, les deux sont indissociables. Quoi qu’il en soit, j’ai perpétué la tradition avec mes enfants sans toutefois être comparable.

    Voilà, encore une petite scène de la vie, chez moi, au 23-25 rue du Pressoir. Maintenant, je vais faire comme les enfants, attendre que le Père Noël descende du ciel,  bien installé sur son traîneau tiré par ses rênes et accompagné de ses fidèles lutins. Bien que je préfère offrir que recevoir, je sais que sa hotte contiendra moult cadeaux pour moi de la part de ma famille, je sais aussi, qu’entre autres cadeaux, je découvrirai le bouquin de Guy Darol, Héros de papier.

    Je désire terminer ce récit en souhaitant à tous les visiteurs du site rue du Pressoir ainsi qu’à Guy Darol, sa maman et sa famille, sans oublier mon ami Bienvenu Merino, un joyeux Noël et que vos projets se réalisent. Puisque nous arrivons en période de vœux, une France moins bordélique et la paix dans le monde. Mais ça c'est peut-être trop demander. Josette Farigoul

  • LA FOIRE A LA FERRAILLE

     

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    Photographie Gérard Lavalette

    Au tournant des années 1960, nous quittâmes la rue du Pressoir, promise à la démolition, et nous installâmes rue des Minimes, troisième arrondissement. Les dimanches n'étaient jamais tristes. 

     

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    Mon rez-de-chaussée de la rue des Minimes

    Ils débutaient sur des arômes de petit déjeuner et d'encre fraîche (France-Dimanche) avec les trilles du poste de radio qui célébrait l'accordéon et le musette.

    Le matin, avec le daron, nous allions remplir le filet sur les trottoirs de la rue Saint-Antoine où les marchandes de quatre-saisons alignaient leurs provendes.

    Avant de regagner notre rez-de-chaussée, nous faisions une halte devant la vitrine à jouets et petits formats de la rue de Birague. Mon attention allait alors aux illustrés nommés Akim, Tartine, Mandrake ou encore Blek le Roc.

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    L'après-midi était dédiée à la flânerie dans les rues circonvoisines du Marais, de la Bastille ou du Temple.

    A la saison (dans mon souvenir, elle était toujours frisquette) de la Foire à la Ferraille, nous allions humer les étals. On touchait des yeux sans acheter. L'ambiance suffisait à nous contenter.

    Puis les pas de mon père nous menaient au cinéma. Joseph avait détaillé le programme dès le matin. Les salles étaient toujours les mêmes : Le Saint-Paul, le Studio Rivoli, le Lux-Bastille, le Cinévox du Faubourg Saint-Antoine, le Liberté de la gare de Lyon, le Dejazet du boulevard du Crime. Quelquefois, mais c'était alors une expédition, nous fréquentions les ors de La Scala et son escalier de château de fées. Là, je vis les westerns de John Ford et La Guerre des Boutons d'Yves Robert.

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    Le Dejazet

    Les yeux piquaient à la sortie et une petite tristesse venait assombrir le dimanche. C'était fini. J'en avais la gorge serrée.

  • LE FAKIR DU BOULEVARD EDGARD-QUINET

     

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    Photographie de Francis Beddok

    Vers la fin des années 1960, j’avais un peu délaissé Saint-Germain-des-Prés et je fréquentais assidûment Montparnasse. La vieille gare était toujours là et je n’imaginais même pas quelle serait un jour remplacée par l’immonde gratte-ciel. Nous naviguions du Rosebud au bar américain de la Coupole, du Falstaff à Bobino pour nous retrouver le soir à la Bohême. Boîte américaine bien planquée dans l’impasse du Départ qui n’existe plus aujourd’hui. Manu Dibango y faisait ses débuts et nous découvrions Otis Redding et Wilson Pickett.

    Le croisement du boulevard et des rues de la Gaité, du Montparnasse et d’Odessa forme une place sans nom juste à la sortie du métro Edgar Quinet.

    Invariablement, le fakir était là. C’était sa scène et il y retrouvait son public. Epées, sabres et dagues de toutes les longueurs voisinaient avec la planche à clous sur une grande toile noire.  Deux masses et des extenseurs complétaient l’équipement ainsi que des parpaings.

    Le bonhomme ressemblait à l’image qu’on a de Raspoutine. Grand et mince, il était doté d’une musculature fine et bien dessinée. Lui aussi exhibait des tatouages de mauvais garçons. Serpent entrelacé autour d’un poignard, le Saint des voyous et les fameux points bleus entre le pouce et l’index. Autant de codes pour les initiés. Ces tatouages-là n’étaient pas la création d’un artiste à la mode et ils délivraient des messages qu’à l’époque nous connaissions tous. 

    Le type haranguait la foule en tournant à l’intérieur du cercle formé et faisait tâter le fil de ses lames aux badauds. Il s’arrêtait puis coupait des journaux  en les sabrant d’un seul mouvement. La quête pouvait commencer. Contrairement aux musiciens qui passent le chapeau après leur récital, j’ai remarqué une tradition toujours présente chez les hercules et les fakirs c’est qu’il faut payer pour voir. Si la manche n’est pas assez importante, le spectacle ne débute pas. Et si jamais il arrivait un accident…

    Le fakir se concentrait après avoir réclamé le plus grand silence et se figeait les bras en croix,

    la garde de deux sabres dans ses mains, et leurs pointes contre chaque aisselle.

    Des spectateurs pas choisis par hasard, nous avions repérés les barons, se mettaient à deux pour tendre les extenseurs et caler leurs poignées dans les mains de « l’artiste ».

    Les muscles saillaient sous l’effort et notre homme crucifié  devait maintenir les tendeurs  le plus longtemps possible sous peine de se voir transpercer les flancs.

    Tous les spectateurs attendaient avec impatience la planche à clous sur laquelle il s’allongeait,

    Puis les compères déposaient sur son ventre les parpaings et invitaient quelques badauds à démontrer leur force en les cassant à grands coups de masse.

    C’était il y a fort longtemps mais en fait, le spectacle continue comme le démontre les photos offertes par Francis Beddok pour illustrer ce billet que je dédie à Josette Farigoul qui nous conte si bien la rue du Pressoir. Gérard Lavalette, photographe

     

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    Photographie de Francis Beddok

    Nos remerciements vont à Gérard Lavalette et à Francis Beddok pour ses photographies.

    VOIR LE BLOG DE FRANCIS BEDDOK

     

  • FETE FORAINE ET HOMME ORCHESTRE

     

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    Impossible de me rappeler de ces Hercules et Fakirs qui devaient déambuler sur les trottoirs du quartier. J'ai beau me creuser la tête, je ne vois pas,  ça ne resurgit pas. Sur le boulevard de Belleville nous pouvions, souvent, regarder de belles scènes de rue exécutées par des artistes. Je sais que tous les ans, s'installait entre le métro Couronnes et celui de Ménilmontant, une fête foraine qui attiraient les gens du quartier et d'ailleurs et qui durait, je crois, plusieurs semaines. Peut-être qu'au moment de cette fête, il y avait des exhibitions de ces charmants personnages.
    Je revois la roue, en face du bar La Mascotte, à l'angle de la rue des Couronnes et du boulevard de Belleville. Nous pouvions gagner du café ou des kilos de sucre et bien d'autres choses. Je revois le tir à la carabine, les manèges sur la place de Ménilmontant, la chenille et le Mont Blanc ainsi que les auto-tamponneuses. Tous les ans, nous allions à cette fête foraine avec mes parents. Plus tard, à l'adolescence, je m'y rendais avec Liliane. Les jeunes se retrouvaient devant les manèges sur la place de Ménilmontant. Grisés par la vitesse de la chenille ou du Mont Blanc, qui était couvert si je me rappelle bien, nous pouvions entendre les cris de tous les jeunes dont notre bande faisait partie.
    Si je ne me souviens pas des Hercules et Fakirs, j'étais impressionnée et admirative des hommes orchestre. Très souvent, je rencontrais l'un de ces hommes dans notre quartier. Comme hypnotisée, je restais plantée devant lui, à le regarder. Il était appareillé de la tête aux pieds. Sa démarche au son des cymbales et de tous ses instruments de musique en mouvement le faisait ressembler à un pantin. Il arpentait le trottoir du boulevard de Belleville, entre la rue des Maronites et la rue de Ménilmontant. Je me rappelle aussi les mimes, ces automates vivants, que nous pouvions apercevoir principalement sur le boulevard. Du beau spectacle de rue que je regrette et que j'aimerais retrouver.
    Notre époque, c'était vraiment le bon temps même si elle était parfois difficile. On ne se posait pas trop de questions, la vie était comme elle était et cette chienne de vie était la nôtre. Nous l'aimions. Il fallait juste bosser pour s'en sortir, c'est tout ce que nous avions à faire.
    J'ai comme l'impression de ne pas vous être d'un grand secours dans l'histoire de votre Hercule de foire. Espérons que d'autres visiteurs pourront vous apporter des témoignages bien plus intéressants. Josette Farigoul

     

  • HERCULE DE FOIRE/GERARD LAVALETTE

     

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    Je dois mon héritage de badaud en grande partie à mon père. Curieux et amateur des petites scènes de la vie parisienne, il appréciait particulièrement les camelots. Il se faisait refourguer toutes sortes d’ustensiles qui entre leurs mains habiles découpaient les patates en fleurs et qui arrivés dans la cuisine se retrouvaient dans un placard, inutiles, au grand dam de ma mère.

    Il m’emmenait le long des boulevards, de l'Opéra à République, et bien sûr à la Foire à la ferraille lorsqu’elle faisait son déballage le long du boulevard Richard-Lenoir.

    Tout ça pour vous dire que j’ai le souvenir de quelques bateleurs, hercules et autres mangeurs de mégots allumés qui officiaient là où se trouvait le promeneur.

    Je me souviens particulièrement de deux hercules. Le premier, accompagné d’un compère, crachait le feu sur le terre-plein central du Richard-Lenoir, presque à la place de la Bastille, pour attirer la galerie. Des poids, des haltères et des chaînes s’entassaient au milieu du cercle des curieux.

    J’étais très impressionné par cet homme à l’air encore jeune et aux cheveux longs déjà gris. Court et trapu, il exhibait son torse tatoué, ses bras musculeux et une forte bedaine maintenue par une très large ceinture de cuir.

    Il buvait à la bouteille de grandes goulées d’alcool ou d’essence, je ne sais pas très bien, qu’il recrachait en pluie sur ses torches pour faire apparaître les flammes que tout le monde guettait. Le compère commençait la manche en gueulant que le spectacle commencerait vraiment quand le chapeau serait rempli de pièces. Ensuite, il distribuait parmi l’assistance quelques barres de fer en demandant aux hommes les plus costauds d’essayer de les tordre.

    Devant l’échec de tous, il les portait à l’hercule qui, les calant sous un bras, les tordait en U à l’aide de l’autre main. Après venaient les autres démonstrations de force pure pendant lesquelles il soulevait des poids de toutes formes et de toutes grosseurs.

    Le spectacle se terminait toujours de la même façon. L’athlète se faisait enchaîner par son comparse qui faisait de multiples tours autour de son corps avant de boucler les derniers maillons par un gros cadenas.

    Le visage de l’artiste se convulsait de grimaces étudiées, les muscles se bandaient et le corps rougissait sous l’effort. Il se démenait quelques minutes sous les encouragements des badauds et les quolibets des habitués. Puis, comme par miracle, les chaînes tombaient  pour laisser apparaître la peau meurtrie, marquée par le métal comme par de nouveaux tatouages.

    Je devais avoir dix ou onze ans, ce qui daterait cette scène au début des années 1960.

    Si ce témoignage vous convient, je vous parlerais une autre fois du fakir du boulevard Edgar-Quinet. Gérard Lavalette, photographe

    Pour mieux connaître Gérard Lavalette :

    http://www.parisfaubourg.com/

    http://www.pariscool.com/index.html

    http://www.flickr.com/photos/gerard_lavalette/sets/

     

  • LUCILE DE LA RUE DES MARONITES

     

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    Je suis tombée par hasard, il y a quelques jours sur votre site et depuis je ne fais qu'y penser. Mes souvenirs, et ceux qui m'ont été transmis par mes parents, me reviennent en mémoire, sans souci réel de chronologie, mais de façon très vivace. En effet, je suis née en 1935 et ai habité pratiquement, jusqu'en 1959, dans l'immeuble situé 24 rue des Maronites, juste en face de la rue du Pressoir. Mes grands-parents maternels y avaient "émigré" dès avant la guerre de 14, quittant la rue Saint-Blaise et St-Germain de Charonne pour N.D. de la Croix de Ménilmontant. Depuis les trois fenêtres de l'appartement, la rue du Pressoir fut durant toute mon enfance un lieu d'observation privilégié. Mes souvenirs sont à votre disposition si vous le souhaitez pour, notamment, ajouter des commentaires antérieurs aux années 50 à l'excellent plan que vous avez dressé. Lucile Flèche

    Nos rues sont voisines et sans doute avons-nous quelques souvenirs en commun. Merci, Lucile, de nous adresser votre témoignage. Et peut-être possédez-vous des images du quartier avant sa démolition ? Nous sommes très intéressés, très émus, et d'avance nous vous remercions. Ecrivez ici

  • LE PERE NOEL/RUE ETIENNE DOLET

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    Je réponds aux commentaires que Nicole a si gentiment laissés sur le site. Nous avons bien eu, toutes les deux, la même institutrice en classe de fin d'études. Je comprends sa déception, s'entendre dire qu'elle est reçue et ne pas voir son nom sur la liste, c'est traumatisant. Pour moi les choses se sont passées différemment puisqu'on m'a fait comprendre que je ne suivrais pas en 6ème. J'ai accepté, mes parents aussi. Le passage au collège coûtait cher, bien trop cher pour mes parents. Effectivement le passage d'office après le CM2, laisse une chance, non négligeable, à tous les enfants et surtout plus de distinction de classe. Nous pouvions remarquer, à notre époque, cette fâcheuse tendance à diriger les enfants des familles, dites, défavorisées, sauf à être très bons, vers le certificat d'études puis le CAP. Il est vrai, aussi, que les parents ne contestaient pas les décisions. Mes résultats scolaires étaient moyens, je n'ai jamais redoublé mais certainement que ce niveau était insuffisant pour une scolarité au collège. Nullement traumatisant pour moi, je n'aimais pas l'école et n'ai jamais rien regretté. Je regrette, toutefois, un manque d'aisance dans la communication, ma foi je ne peux m'en prendre qu'à moi-même.
    Nicole me demande si je me souviens des fêtes de Noël dans notre école de la rue Etienne Dolet, bien évidemment que je me souviens. L'année 1954 était l'année de mon entrée en CP, j'ai su très vite qu'une "grande" faisait le Père Noël et voilà que 54 ans plus tard, j'apprends le nom de ce Père Noël que les petites attendaient ce jour de décembre 1954. Les élèves se regroupaient dans le préau, impatientes. Il me semble bien que l'immense sapin trônait sur l'estrade. Un coup de sonnette, tous les yeux sont rivés en direction de la grande porte du préau, les battants s'ouvrent et le Père Noël apparaît. Un grand moment de bonheur.
    Cette même année j'appris que le Père Noël n'existait pas, je ne saurai dire si c'était avant ou après cette fête d'école. Je me revois m'approcher de ma mère et lui demander si ce qu'on venait de me dire était vrai. Une scène pourtant insignifiante mais probablement importante, pour l'enfant de 6 ans que j'étais, à m'en rappeler dans les moindres détails. Maman est assise sur une chaise tout près de la fenêtre de la salle à manger, elle reprise les chaussettes de mon père avec comme support une boule de billard, elle entrelace les fils pour faire une belle reprise bien serrée et là, elle me répond, elle avoue la vérité. C'est la fin d'un rêve.  Elle me fait promettre de ne rien en  dire à mes deux petites sœurs, le secret sera gardé jusqu'au bout.
    Même si, par la suite, les lumières scintillantes du sapin se reflétaient moins dans le bleu de mes yeux, la magie opérait toujours et a opéré longtemps. Les lumières se sont quelque peu éteintes en 1984, ma mère était orpheline, moi je le suis devenue le jour de sa mort, ça je l'ai ressenti comme si on m'enfonçait une épine dans le cœur. Des Noëls suivants, il me reste un goût amer, plus rien n'était pareil. Maintenant, je me fous des noëls, je me fous des lumières et je me fous des flonflons. Malgré tout, je continue pour mes petits enfants, tout du moins, ceux que je connais. Encore un goût amer devant la bêtise humaine. Maman si tu voyais ça !
    Je termine ce récit avec des larmes dans les yeux. Ces larmes sont, bien sûr, pour mes parents, j'aimerai bien qu'ils soient là, près de moi, Papa, Maman.
    Ce récit est écrit grâce ou à cause de Nicole, que dois-je dire ? Aucune importance, j'ai passé un bon moment à l'écrire malgré qu'il ne soit pas facile d'exprimer certains souvenirs. Josette Farigoul

  • RUE ETIENNE DOLET

     

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    Pour répondre à Nicole, si nous parlons de la même madame Buissière, institutrice des deux années de fin d'études rue Etienne Dolet, j'ai déposé, sur le site Copains d'avant, une photo de 1960 où nous pouvons retrouver madame Buissière ainsi que notre Directrice, décédée, je crois, en 2000, à plus de 90 ans. Effectivement, nous pouvons rendre hommage à Madame Buissière. Je citerais aussi mademoiselle Gaborey-Sisson, institutrice des CM², petite bonne femme aux cheveux courts et gris, d'une grande sévérité mais tellement efficace. Merci Nicole de nous faire partager vos merveilleux souvenirs. Josette

  • CINEMAS DE BELLEVILLE

     

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    Le Ménil Palace

     

    Cher Guy,

    Je cherche toujours à comprendre pourquoi, depuis tant et tant d’années, la rue du Pressoir est si présente dans ma mémoire. Probablement que sommeillent, au fond de moi, l’enfant et l’adolescente que j’étais. Ce temps-là ne me semble pas si loin et pourtant …

    Avec mon amie Liliane nous en avons fait des pas dans cette rue et dans tout le quartier. Sans vraiment d’argent, nos sorties s’en trouvaient limitées mais Liliane se débrouillait toujours pour obtenir, de ses parents, un peu d’argent de poche.

    Nous pourrons, peut-être, nous offrir une toile au Ménil-Palace ou encore au Phénix de la rue de Ménilmontant, ou bien au Cocorico sur le Boulevard de Belleville proche de la rue de Belleville, nos trois cinémas préférés.

    Le Phénix se trouvait dans le bas de la rue de Ménilmontant sur le trottoir de droite en remontant. Le Ménil-Palace se situait plus haut, à côté du Prisunic, sur le même trottoir de droite, pratiquement en face de la rue Julien Lacroix. Nous avons tendance à l’oublier mais il y avait un autre cinéma sur le Boulevard de Ménilmontant, en direction du Père Lachaise, et dont le nom m’échappe. D’après un écrit d’Edgar Morin (qui a vécu dans notre quartier) rédigé en espagnol, que j’ai tenté de traduire, mal traduit, mais malgré tout je comprends les grandes lignes, Edgar Morin parle du Ménil-Palace, du Phénix et de ce troisième cinéma situé sur le Boulevard de Ménilmontant. Son nom serait le XXe Siècle.

    Si je me reporte au temps des années 1963/64, une place de cinéma coûtait un peu plus d'1 franc, l’esquimau à l’entracte dans les 20 centimes. Je ne pense pas être très loin de la vérité.

    A cette époque, on peut dire que le cinéma, c’était du vrai spectacle. Je nous revois toutes les deux, côte à côte, confortablement assises dans nos fauteuils, attendant que les lumières baissent tout doucement, que le spectacle commence. Il fuse des «Taisez-vous ! chut !» pour les petits malins qui n’auraient pas compris. Plus un bruit dans la salle, nous pouvons maintenant assister, avec une grande élégance, à l’ouverture des rideaux qui dissimulent un gigantesque écran. Il nous est, tout d’abord, présenté un documentaire quelque peu ennuyeux, par la suite la réclame avec ce très fameux Balzac 00 01 Jean Mineur Publicité 79 Champs Elysées Paris, phrase et petit bonhomme inoubliables. Après diverses réclames les rideaux se referment, l'un reste fermé sur l’écran pendant que l’autre s’ouvre de nouveau pour laisser apparaître un artiste en herbe, peut-être un magicien. 

    Maintenant, le film ! Il est fort possible que notre choix se soit porté, une fois de plus, sur un Josélito et une fois de plus nous verserons des larmes. Il nous aura fait pleurer, ce Josélito. Je crois bien que nous avons vu la majorité de ses films. Ou alors, non Liliane, pas un Hercule, je suis à saturation, La Vengeance d’Hercule, Le Triomphe d’Hercule, Les Amours d’Hercule, Hercule Se Déchaîne, pour n’en citer que quelques-uns. Depuis, je déteste les péplums tout autant que les westerns que nous avons consommés sans modération. 

    Nous n’avons pas vu que ça ! Impossible de rater le film avec l’idole des jeunes de l’époque (D’où Viens-tu Johnny ?) et bien évidemment ceux avec Elvis Presley, bien meilleur chanteur que comédien. Mais oui, mais oui, nous avons aimé certains navets dont Elvis était la vedette. Il faut bien que jeunesse se passe. Et bien sûr, j’en oublie.

    Ah ! nos sorties au ciné ! Que de bons souvenirs et malgré les difficultés de la vie, cette vie, nous l’avons croquée à pleines dents, en toute insouciance. 

    Voilà, c’était la dernière séance et le film est terminé pour reprendre quelques mots d’une chanson d’Eddy Mitchell qui a vécu à Belleville lui aussi. Je referme le couvercle sur ce récit afin qu’il retrouve sa place dans les archives de ma mémoire.

    Avec toute mon amitié,

    Josette

  • FELIX BRAMI, APO /AMIS, QU'ETES-VOUS DEVENUS ?

     

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    Félix Brami

     

     

    Cher Guy,

    Lorsque mon amie la solitude vient me rendre visite, je reprends le petit train de ma jeunesse, le passé remonte à la surface, je revois des visages, des endroits, des situations et tout ce qui a fait de moi ce que je suis. Ce petit train va bien évidemment me déposer rue du Pressoir, la rue de mon enfance et de la vôtre, cette rue que j’ai adorée et si vivante dans les années 50/60.

    J’ai aimé vivre mon enfance et mon adolescence dans ce quartier populaire de Ménilmontant, faire le tour du Boulevard comme nous disions avec Liliane, s’asseoir sur la pierre en face du garage et regarder les gens passer. Nous pouvions passer des heures sur cette pierre en attendant les copains.

    A cet endroit, souvent, il nous arrivait de taper la discute avec le champion de boxe des années 60, Félix Brami, qui habitait notre quartier. Je le revois très bien, il passait dans la rue du Pressoir au volant de sa décapotable et s’arrêtait à notre hauteur et nous parlions un moment. Tout le monde dans le quartier connaissait Félix Brami, il faut dire qu’il ne passait pas inaperçu. Très sympa ce Félix mais qu’est-il devenu notre champion ?

    Lorsque nous serons tous réunis, nous quitterons cette pierre pour redescendre notre rue et il est fort possible que nous ferons un arrêt, vers le bas de la rue du Pressoir, chez Apollinaire, notre copain, qui devait avoir une dizaine d’années de plus que nous. Apo, comme nous l’appelions, avec ses cheveux d’ébène et son sourire d’ivoire, arrivé seul dans notre pays en  pensant y trouver une vie meilleure. Il vivait dans une pièce sans fenêtre dont la superficie devait atteindre les 10m², une niche au fin fond d’un couloir lugubre et très sombre. Chez lui nous écoutions de la musique ou parlions de sa culture différente de la notre. Je pense que sa vie était moins triste et qu’il se sentait moins seul avec nous. Cette amitié a duré dans le temps. Jusqu’au jour où je me suis aperçue que, pour moi, il aurait décroché la lune. A partir de ce moment là, je me suis éloignée, sur la pointe des pieds, surtout ne pas faire de dégâts, mais je ne suis pas certaine qu’à 17 ans on ait le cœur assez grand pour ça. Malgré tout, je persiste à croire que pour aimer il faut être deux. Nous reparlons souvent de lui et de ces bons moments passés ensemble, qu’est-il devenu ? Au moment de la retraite est-il reparti dans ce grand et beau pays qui l’a vu naître ? Nul ne sait. Le revoir ? Pourquoi pas ? Ça fait bien longtemps mon vieux copain.

    Lentement je lève le voile sur l’histoire de la rue du Pressoir mais c’est, aussi, sur moi que je lève le voile car cette histoire est également mon histoire. Dans ma mémoire j’ai classé et archivé tous ces petits moments alors, croyez bien, cher Guy, que ma réserve est remplie de documents plus ou moins croustillants.

    Avec toute mon amitié,

    Josette

     

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  • LILIANE ET JOSETTE

     
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    Josette et Liliane, deux copines de la rue du Pressoir
    Cher Guy,
    Je vais maintenant parler de mon amie d'enfance Liliane. Notre amitié a débuté en 1961 sur le trottoir de la rue du Pressoir et nous sommes très vite devenues inséparables. Notre relation n'était pas du goût de tout le monde, certains locataires du 23 comme du 25 l'ont, d'ailleurs, fait savoir. Ma foi, cette amitié dure depuis 47 ans.
    La photo de nous deux date de 1963 ou 1964, nous n'avons pas en mémoire l'année exacte. Elle a été prise sur le Boulevard de Belleville, par un photographe qui se tenait sous un porche à côté d'un petit cinéma où, très souvent, il était programmé des westerns. Ce cinéma se situait pratiquement à la hauteur de la rue Ramponneau.
    Peu après notre rencontre notre bande de copains s'est formée : six garçons pour deux filles  en majorité de la rue du Pressoir sauf deux du Passage Deschamps. A cette bande de garçons s'ajoutaient les frères de Liliane, les jumeaux.
    Toute notre bande se retrouvait, toujours chez Liliane où nous pouvions, en toute liberté, profiter pendant des heures de franches rigolades, danser et chanter. Comment résister à la déferlante des groupes anglos-saxons, des Rockeurs comme Elvis et bien d'autres puis des Yé-yés  qui nous arrivaient, à commencer par Johnny, les Chaussettes Noires et les Chats Sauvages ? Quelle révolution pour notre jeunesse !
    Nos ballades dans tout  le quartier et principalement sur le Boulevard de Belleville, les diabolos fraises, les glaces à l'Italienne, le Ménil Palace, le Cocorico sans oublier les garçons que nous rencontrions sur notre parcours... Dans ce domaine, jamais l'une n'a empiété sur le territoire de l'autre et pour cause, pour une fois, nous n'avions pas les mêmes goûts. Liliane préférait les bruns et moi les blonds aux yeux bleus et de préférence aux cheveux longs. Evidemment Liliane possédait un sérieux avantage sur moi, mon idéal ne se trouvant pas à tous les coins de rues.
    Nous nous retrouvions, aussi, très souvent au café de la rue du Pressoir chez Mme Andrée. Le soir nous écoutions Salut les Copains, nous étions souvent assises en face du garage sur la pierre.
    En 1964 j'ai fait embaucher Liliane dans l'entreprise où je travaillais, place Martin Nadaud en face du Père Lachaise, elle y travaille toujours sauf que l'entreprise a déménagé. Après 45 ans de bons et loyaux services elle prendra sa retraite en 2009.
    Pour ma part, à cette époque, cette vie ne me convenait pas. A 16 ans j'avais décidé de partir au Canada mais j'avais simplement oublié qu'il m'était impossible de laisser ma mère seule. Je me suis sacrifiée et j'ai, alors, abandonné mon projet.
    Voilà la petite histoire de Liliane et de Josette, deux copines de la rue du Pressoir.
    A bientôt, cher Guy,
    Josette

  • L'ESCALIER OU S'ELEVE L'ENFANCE

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    23-25, rue du Pressoir

    Au 23-25 de la rue du Pressoir, je n'ai vécu que les six premières années de ma vie (des années capitales) et il m'arrive souvent de refaire dans ma tête le chemin qui des trottoirs de la rue menait à la porte du deux pièces que nous occupions au quatrième étage.

    Ce chemin est désormais éclairé par les lumières de Josette Farigoul à qui j'ai demandé de me conter l'escalier, un escalier bien sombre, grinçant et qui, selon elle, foutait la trouille.

    "Cher Guy,
    A votre question, si je me souviens de l'escalier qui grimpait à votre étage, je répondrais qu'il me reste, bien sûr, quelques souvenirs. J'étais très souvent de votre côté et il est évident que je vous ai croisé, à un moment ou à un autre, ainsi que vos parents.
    Je revois très bien l'entrée carrelée du 23-25 de la rue du Pressoir, juste en entrant, sur la gauche, la porte de Madame Dilouya, la Tunisienne comme nous l'appelions, sa fenêtre blanche donnait sur la rue. En prolongement de sa porte, votre escalier. Je dirais, trois marches droites face à l'entrée de l'immeuble puis l'escalier tourne sur la gauche, il monte droit jusqu'au 1er étage. Les marches en bois grincent sous l'effet de notre passage. Les murs sont écaillés et de couleur marron foncé. Au palier du 1er nous tournons sur la droite pour monter aux étages supérieurs. L'escalier ainsi que les couloirs sont très sombres, je vois quatre  appartements par palier, une porte de chaque côté des paliers au fond à droite et à gauche et deux autres portes sur la gauche en arrivant à chaque étage. Les fenêtres des appartements de gauche donnent sur la rue et celles des appartements de droite sur la cour de mon côté, face à mon immeuble, du moins face aux fenêtres des chambres du 25, côté matelassier pour mieux se repérer. A chaque palier des WC à la turque et un robinet.
    Au regret de vous dire, cher Guy, que je n'étais pas très à l'aise de votre côté. Les couloirs bien trop sombres et sans fenêtres, le cliquetis de la minuterie, cette minuterie qui, bien évidemment, se coupait au moment où je me trouvais entre deux étages, le grincement des marches de l'escalier, un cocktail détonant pour foutre la trouille à un enfant. Les voisins m'attendaient pour leurs courses alors je prenais mon courage à deux mains, je grimpais très vite les étages.
    Il me semble bien que les locataires du 23 étaient  plus calmes que ceux du 25 et mis à part les habitants du 4ème, et oui vos voisins Guy, je n'ai pas souvenance de réels problèmes dans cet immeuble.
    Voilà encore un bond dans le temps où j'ai pu un instant me retrouver chez nous au 23/25 de notre chère rue du Pressoir.
    Avec toute l'amitié de votre voisine,
    Josette"
  • JOSETTE FARIGOUL/BIENVENU MERINO/LE GRAND ENTRETIEN

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    La rue du Pressoir (vraiment) autrefois

    Bienvenu Merino : Josette Farigoul, cela fait plus de quarante ans que vous n'étiez pas revenue, rue du  Pressoir. Retrouve-t-on sa petite enfance en faisant à nouveau ses premiers pas dans cette rue qui n’a plus rien à voir avec celle  qui vous a vu naître? Je crois que vous aviez dix neuf  ans lorsque vous avez du quitter l’immeuble avant que le quartier ne soit livré à la destruction pure et nette. Ce n’est pas trop difficile d’en parler ?

    Josette enfant 1.JPGJosette Farigoul : A cette première question je répondrais que je n’ai absolument pas retrouvé ma petite enfance lors de la redécouverte de cette rue du Pressoir. Pour moi, tout de suite j'ai eu le sentiment d’une rue inconnue, mais qui portait toujours le même nom. Je ne peux pas dire que parler de cette rue, où je suis née, me soit vraiment difficile et encore moins depuis cette vision. En fait, je crois que la rue du Pressoir, berceau de ma petite enfance, est définitivement mémorisée dans ma tête. Le passé devient plus vivant, les images plus précises et plus particulièrement le 23/25. Les personnages s’animent, l’entrée de l’immeuble revit avec ses va-et-vient. Dans la cour, les enfants cavalent dans tous les sens en riant. Je revois les escaliers des deux immeubles avec ses joies et ses peines, les paliers et leurs locataires. Tout devient plus net et les flashs éblouissants.

    B.M. : Vous semblez assez sereine devant les numéros 23-25 qui étaient l’entrée de votre immeuble. Pense-t-on à la mort, juste là, sur ce trottoir arrondi, où il ne reste plus rien de ce passé ? Ou peut- être, pensez-vous plus au  départ  forcé que vous avez dû subir pour aller vous ne saviez où ?

    J.F. : A vrai dire, lorsque j’ai redécouvert le 23/25, bizarrement, et je m’en étonne moi-même, je ne pensais à rien. Impossible d’obtenir de ma mémoire une image qui me ferait revivre mon passé, franchir le seuil de la porte de l'immeuble d'autrefois, revoir ma cour en espérant, en levant la tête vers le ciel, apercevoir une silhouette qui serait celle de ma mère à sa fenêtre de salle à manger, mais non, rien, une amnésie totale. Une cruelle déception car à cet instant, j’aurais adoré ressentir, au moins, un petit quelque chose, mais non, le zapping complet. Après avoir quitté cette rue, sur le chemin du retour vers la Normandie, petit à petit, les images du passé sont remontées à la surface. Le puzzle s’est reformé comme par magie. A ce moment-là, j’ai compris que je venais, tout simplement, de gommer la vision de la connerie.

    B.M. : Josette, vous souvenez-vous de la réaction de vos parents, de vos sœurs, et votre propre réaction, lorsqu’il a fallu quitter l’appartement, déménager du quartier, faire les valises et les cartons, s’éloigner de vos amis ; en somme, quitter votre village. Tout compte fait, tout un pan de vie s’écroulait, non ?

    J.F. : A cette question, je ne dirais pas qu’un pan de vie s’écroulait, tout du moins, pas au début. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, aussi bien pour ma famille que pour la majorité des personnes expulsées, je n’ai jamais ressenti de réactions négatives. Je n’ose dire que nous étions presque heureux de quitter, comme beaucoup le pensait, des taudis. Je ne suis pas tout à fait de cet avis, un certain inconfort, certes, taudis pas vraiment, il suffisait d’avoir un peu d’imagination pour faire de ces logements, sans confort, de petits coins où, malgré tout, il faisait bon vivre. Si j’ose écrire « heureux », il ne faut pas oublier que l’on nous promettait des logements plus vastes avec salle de bains et toilettes, ce petit plus devenait important aux yeux de tous. Nous pouvons aussi parler de résignation en somme, il fallait partir, nous sommes partis. La dératisation s’est effectuée sans problème. La nostalgie a pointé le bout de son nez un peu plus tard , elle provenait plus particulièrement de nous, les enfants, beaucoup moins des parents. Je n’ai pas souvenance d’avoir entendu mes parents parler de la rue du Pressoir avec regrets. Mon père est décédé en 1970, très tôt après l’expulsion, et avec maman, jusqu’en 1984, je n’ai en mémoire aucun souvenir de grande conversation à propos de notre rue. La génération de mes parents a connu la misère, la guerre, la lente remontée de l’après guerre, il fallait se reconstruire. Pour beaucoup l’inconfort des logis était présent depuis leur naissance. On peut supposer que ce déménagement vers un appartement plus confortable apportait un peu de soleil à leur vie. C’est un constat personnel. Par contre, très tôt, avec les copains d’enfance et d’adolescence, ceux de la belle époque, nos retrouvailles se sont toujours transformées en délires phénoménaux. La rue du Pressoir passée au crible nous amenait à d’interminables éclats de rires et à ces moments-là, plus personne n’existait, pas même nos conjoints. N'existaient que nous, petite bande de fidèles, cercle fermé aux autres, n'existait que cette rue et ce quartier à nous. Nous remontions le temps,  corps et âmes, dans notre monde, à l'abri d'un autre monde, du moins pour quelques heures et ça continue  depuis plus de 40 ans.

    B.M. : A vous voir assez tranquille le jour de votre retour rue du Pressoir, vous ne sembliez pas trop émue, en tout cas vous ne le montriez pas. Cependant le lendemain vous étiez complètement remontée et vous écriviez  un récit poignant. Tout semblait, souffrance. Comment expliquer cette réaction le lendemain. J’ai eu assez de chance d’avoir été personnellement épargné ce jour là, par votre colère,  alors que j’avais  grand plaisir à vous faire retrouver votre rue du Pressoir. J’espère que vous ne  regrettez pas mon invitation ?

    J.F. :Vous avez vu juste, aucune émotion je le confirme. Pourtant depuis de nombreuses années, je désirais retourner vers cette chère rue du Pressoir, seulement il fallait bien se rendre à l'évidence, je ne retrouverais rien de mon passé, j'en étais  consciente. J'ai donc laissé filer le temps,  me disant toujours,  j'y vais, j'y vais pas, jusqu'à votre invitation que je ne regrette absolument pas. Ne dit-on pas qu'il faut boucler la boucle? Et bien voilà c'est fait ! Arrivée au coin de cette rue, de mon enfance, très vite dès les premiers pas, j'ai ressenti un blocage complet, pétrifiée et hypnotisée, je restais sans voix devant la bêtise humaine. Qu'avaient-ils fait de cette rue, jadis si joyeuse et vivante! Regardez l'ancien plan de la rue, avec ses dizaines de commerçants, cafés, hôtels, artisants, etc. Si vous vous rappelez, très peu de personnes ont croisé notre chemin ce jour-là. Aujourd'hui, elle est devenue, juste une rue dortoir, sans vie, une rue qui file le bourdon. Sur le trajet du retour, je pratique toujours de la même manière, je me remémore , je réfléchis beaucoup, j'analyse et le couperet tombe. Si seulement dans ce désastre, j'avais reconnu un petit quelque chose de l'ancienne rue du Pressoir, une chose infime du passé, on peut imaginer une réaction différente. Mais là aucun point de repère, d'où ma vive réaction le lendemain. Le soir même j'ai commencé à cracher mon venin en visionnant, dans ma mémoire, la nouvelle rue et et en superposant l'ancienne. Conclusion: du grand n'importe quoi, malheureusement encore d'actualité. Dans chaque gouvernement sommeille un lot de petits génies qui, dès qu'ls sortent de l'inertie réalisent leurs fantasmes avec souvent un manque de goût certain. Nous en avons la preuve.

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    B.M : A cet emplacement précis où nous nous trouvons maintenant, autrefois le numéro 12 de la rue du Pressoir, il y avait là,  les « BAINS, DOUCHES, HYDROTHERAPIE COMPLETE ». C’était un bâtiment du début du XXe siècle, en ‘fer à cheval’, magnifique,  avec des fleurs au milieu d’une cour superbe où, femmes, hommes et enfants, pouvaient se promener et se reposer après le bain. Vous souvenez-vous, vous y veniez étant jeune fille ? Et que ressentez vous, aujourd’hui, là ? Je vous vois faire la grimace ou plutôt je dirais, vous êtes figée, pâle! Ça va Josette ?

    Numériser0020.jpgJ.F. : Mon cher Bienvenu,  pour répondre à votre question: ça  va très bien! Et effectivement, je fais la grimace et pour cause. Je ne me rappelle absolument pas des Bains-Douches du 12. Si ma mémoire est bonne, nous allions sur le boulevard de Belleville, juste après la rue des Couronnes, en direction de la rue de Belleville. A cet endroit se trouvaient des douches, probablement moins coûteuses. A vrai dire je ne sais pas trop. Il me semble bien aussi que nous avions droit à une douche par semaine à l'école. Je suis obligé de sourire à cette évocation, je vais vous dire sincèrement que la douche n'était pas, à cette époque, pour nous, enfants, notre préoccupation première, du moins jusqu'à l'adolescence. Voilà la vérité rien que la vérité!

     

     

    B.M. : Vous avez découvert récemment, publiées  sur le site, par Guy Darol, les photos émouvantes, que vous a fait parvenir votre ami d’enfance, Roland, ainsi que celles du photographe, Henri Guérard. Sur l’une d’entre elle, des années 1963, on y voit, que poussière, vous souvenez-vous de ces moments où tout est voué au rasage dans un gris de typhon catastrophe ? Et sur une autre photo, de 1960, vous avez pu voir une poupée écartelée, accrochée ou clouée, la tête en bas. Ces images qu’évoquent-elles pour vous alors que déjà au loin se dresse  le premier immeuble neuf de ce qui va devenir la nouvelle rue du Pressoir. Vous voulez nous en parler ?

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    Photo Henri Guérard

    J.F. : La démolition des immeubles a commencé dès 1960 par les numéros pairs de la rue du Pressoir. Je ne me souviens pas de ceux détruits en premier. Je n'avais que 12 ans en 1960. Par contre, je revois très bien la démolition, en 1963, de l'immeuble en angle de la rue du Pressoir et rue des Maronites. J'étais là, debout au milieu d'une foule de badauds dans l'attente que cet immeuble tombe en poussière. Incroyable, en y pensant aujourd'hui, nous repartions couverts d'une mince pellicule grise-blanche sans nous rendre compte, à ce moment là, que toute notre Josette et Liliane bd de Belleville 62-63.JPGrue, petit à petit se transformerait en un tas de gravats. Cette même année, des constructions sortaient de terre et certains immeubles étaient déjà prêts à l'habitation. On ne se préoccupait pas vraiment de ces nouvelles constructions, nous restions de notre côté. Les premières constructions, si je me rappelle bien, étaient principalement destinées aux rapatriés d'Algérie, mais certainement pas pour nous, les 'pestiférés'. Interdiction de rentrer dans ces immeubles. Avec ma copine Liliane nous arrivions à pénétrer dans certains, rien que pour y emprunter les ascenseurs. Je me souviens d'un brin de révolte, de ma part, envers les premiers occupants ne comprenant pas très bien ce qu'étaient ces gens qui se ramenaient en territoire conquis. Notre numéro 23/25 a assisté aux transformations de la rue de Pressoir jusqu'en 1968 ou 1969, puis s'est écroulé comme un château de cartes emmenant avec lui tous nos souvenirs d'enfance et d"adolescence. Dorénavant notre seul repère la courbe restée intacte, bien maigre consolation.

    B.M : Josette, reviendrez-vous, un jour, habiter à Ménilmontant ? La première fois que je vous ai posé la question, le jour même de notre rencontre,  vous m’avez répondu, je cite : « Oh ! que non .. ou alors…. peut-être… dans le 16e arrondissement ! » Vous restez  toujours sur cette affirmation. Paris vous manque t-il ?

    J.F. : Ma question préférée, celle qui tue et qui me fait encore rire, vous seul savez pourquoi, monsieur Merino, c'était une boutade que je vous ai lancée un soir de délire et ma réponse alors était évidemment fausse, excusez-moi. Malgré tout, je confirme que non, mon intention n'est pas de retourner vivre à Ménimontant et pas plus dans le 16e. La campagne semble plus appropriée à une solitaire. J'étoufferai en appartement. Je suis un signe d'air, l'espace, la verdure et la liberté avant tout. Paris ne me manque pas ou ne me manque plus. Une confidence tout de même : cinq années ont été nécessaires pour me séparer de Paris et je dois vous avouer que, plus d'une fois, l'envie de tout quitter a effleuré mon esprit. Il est fort possible que sans enfant je serais repartie vers ce cher Paris de mon enfance. Le temps et la sagesse ont fait le restant. De temps en temps j'y retourne, pour des spectacles ou pour des raisons personnelles. Paris restera toujours Paris à mes yeux. Je suis parisienne. Nous retournerons, un jour, si vous le voulez, arpenter les rues de mon quartier de Belleville-Ménilmontant!

    B.M. : Volontiers Josette, je reviendrai avec plaisir dans ce Ménilmontant d'une valeur inestimable pour beaucoup de parisiens. Si vous voulez bien, deux questions encore! En parlant de vous-même et de l’un de vos amis, vous dites : « deux enfants paumés ». Je sais que vous avez vécue bien des  épreuves mais avec  le temps , vous pouvez encore dire,  aujourd'hui, que vous étiez  vraiment paumés, malgré l’entourage affectif de votre famille ? Secundo,  vous avez parlé avec beaucoup d’affection, de Coco, votre voisin Algérien qui habitait au fond du couloir du rez- de- chaussé dans un espèce de gourbi. Si je comprends bien, Coco était en sorte, un protecteur de votre famille et aussi il apprenait à faire le couscous à votre maman. Vous avez des nouvelles de Coco, qu’est-il devenu ?

    J.F. : Pour répondre tout d'abord à cette question, vous dites  "entourage affectif". C'est un bien grand mot. A cette époque et dans beaucoup de famille, l'affection n'était pas vraiment présente, les parents aimaient leurs enfants mais à leur manière. Cette expression, deux mômes paumés" n'est pas spécialement approprié à la situation, nous ne vivions pas en dehors de la réalité. Nous étions, malgré tout, bien seuls et le fait de se retrouver, Roland et moi, était l'occasion d'oublier ce qui, peut-être, nous attendait le soir. De quoi parlions nous, assis côte à côte sur les marches du rez-de-chaussée, je n'en ai aucune souvenance, rêvions nous de châteaux en Espagne? D'un ailleurs où notre vie serait moins grise que la façade de notre immeuble? Pas certain, ou alors tout simplement parlions-nous de nos prochaines vacances à Berck-Plage ou au lot de petites vacheries entre amis ? Ca c'estprobable. Cette vie était la notre et nous l'acceptions telle qu'elle était. Tout ce que nous donnions à nos parents nous paraissait normal et tout naturel. Ce mot "paumés" est un peu caricatural, juste un peu perdus, égarés, presque rien, un petit rien qui laisse des traces indélébiles mais avec un peu d'intelligence on vit très bien. Et si je parle de cette enfance, c'est qu'elle était néammoins formidable. Par contre, une fois adulte, je savais très bien qu'il me faudrait apporter, à cette vie, quelques petites modifications, afin qu'elle ne ressemble pas trop à celle de mon enfance. Garder le bon et éliminer le mauvais, ne pas reproduire le même schéma. Si nous parlons de Coco, effectivement, il était en quelque sorte un protecteur, surtout pour mon père. Nous avons beaucoup compté sur lui. Une armoire à glace ce Coco !  Et connu de tout le quartier. Il est revenu deux fois, je crois, nous rendre visite dans notre nouvel appartement, puis lui aussi a dû quitter la rue du Pressoir et par la suite nous n'avons plus eu de nouvelles de lui.

    B.M. : Josette Farigoul, encore une question pour terminer notre entretien. Depuis, quelques mois, vous avez un contact par courriel, je dirais privilégié, avec Guy Darol, journaliste, écrivain et voisin d'enfance rue du Pressoir, dont vous ignoriez tout, jusqu'à la récente découverte de son site. Et là, vous apprenez qu'il est,  lui aussi, né dans le même immeuble, au même numéro de la rue du Pressoir. En plus, il est écrivain. Cela doit vous faire plaisir je suppose, car vous m'avez confié que lorsque vous étiez enfant, c'était un de vos souhaits de pouvoir écrire. Aujourd'hui,  chaque jour, des centaines de personnes peuvent vous lire sur le site de la rue du Pressoir. Comment vous vivez cela? C'est exaltant n'est-ce pas ?

    J.F.: Cette dernière question m'embarrasse. J'ai du mal à parler de mon ressenti intérieur, ce n'est pas que je ne veux pas mais je ne sais pas. Effectivement ce contact courriel avec Guy Darol me donne beaucoup de satisfaction et m'a permis de concrétiser, en partie, ce souhait que je n'ai jamais pu réaliser avant, par manque de temps. Ma pensée chimérique est quelque peu devenue réalité. Exaltant aussi, bien évidemment, mais tout ce que j'ai accompli ou donné dans ma vie n'était que cadeau, les choses étaient faites tout naturellement  sans contrepartie. Pour terminer sur notre rue du Pressoir, je dirai que j'étais loin de m'imaginer, en la quittant en 1966, que le fantôme de cette rue, et principalement le numéro 23/25, hanterait mes jours et mes nuits. Pour conclure cet entretien, je voudrais remercier Guy Darol, pour la création du site sur notre chère rue du Pressoir car je suis heureuse de m'être laissée embarquer sur sa vieille bécane à remonter le temps. Par son intermédiaire, notre rue du Pressoir s'est de nouveau animée comme au  bon vieux temps des années 50/60. Belle aventure que la mienne, bisous, Guy.

    Merci à vous, Bienvenu, pour votre invitation au voyage. Ce jour là, j'ai repris le chemin des écoliers et remonté la rue de mon enfance après 41 ans de réticence à retourner sur les lieux que je savais à tout jamais anéantis. Je vous embrasse Bienvenu.

    BM. :  Josette, merci infiniment d’avoir répondu à mes questions avec autant de vérité et de générosité.

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    Le café où Josette Farigoul et Bienvenu Merino se sont rencontrés en avril 2008

     

                                                                                                     

     

     

     

     

                                                                                                       

     

     

     

     
  • UNE 4 CV RUE DU PRESSOIR

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    Rue Etienne Dolet
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    René, Simone & Titine
     

    Monsieur, 

    C’est notre fils, qui nous a tenu au courant du site, rue du Pressoir.

    Et bien, ces documents peuvent, je pense, vous intéresser. Une carte postale de la rue Etienne Dolet, que nous avions dans nos papiers et une photographie de notre 4 C.V. Renault, celle stationnée, rue du Pressoir, avant que la rue ne soit démolie complètement. Sur  la photo que je vous envoie, avec notre voiture, nous sommes, au mois d’Août 1956, pendant nos congés payés, près de la Nationale 7, où nous faisions une halte casse-croûte, avant de rejoindre le sud.

    Avec mon épouse nous avions l’habitude de garer la « Titine » rue du Pressoir ou rue des Couronnes (où nous habitions), parfois,  boulevard de Belleville.  Ma foi, c’était déjà assez difficile de se garer.

    Très cordialement,

    René et Simone

    Merci du fond du coeur chers René et Simone !

  • HISTOIRE D'UN PRENOM

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    J'ai lancé ma bouteille à la mer pour notre petite réunion entre copains. Il faut juste que tout le monde soit disponible un certain samedi.
    J'ai téléphoné à deux d'entre eux hier, ils se chargent de retenir une date qui correspondrait à tous.
    Je sais déjà que mon copain Claude et sa femme (ne l'oublions pas car elle nous supporte depuis 35 ans qu'elle est mariée avec lui) sont de sorties durant les trois semaines à venir. J'aimerais bien que cette réunion se fasse au mois d'avril. Nous verrons, ils vont me recontacter puisque nous nous réunirons chez moi.
    Je compte beaucoup sur Claude car il habitait plus vers le bas de la rue  après le passage Deschamps et je sais qu'il a beaucoup de souvenirs en tête.
    Je suis sûre que nous allons pouvoir remonter la rue du Pressoir presque sans encombre. Il suffit de se mettre à plusieurs. Hier, lorsque j'ai téléphoné à mon amie, elle m'a rafraîchi la mémoire sur un bâtiment situé à côté de chez elle et que j'avais oublié, maintenant je le vois très bien.
    Plus je regarde la photo où vous êtes avec vos parents et plus j'ai l'impression de reconnaître, principalement, votre père.
    L'escalier sur le blog me fait penser au mien. Je descendais les 3 étages à califourchon, sachant que c'était le vide avec la cave rn bas, un peu inconsciente. Un peu un garçon manqué. Pour être manqué, ça je l'étais. Ma mère m'a très souvent appelé Georges. Je vous dis, j'ai toujours eu beaucoup de chance ! je n'avais pas de prénom à ma naissance. Mes parents étaient persuadés que je serais un garçon qui se prénommerait Georges. Oh ! la surprise.  Comme je suis née au 25, c'est le médecin, bien embarrassé, qui m'a trouvé mon prénom. On l'appelle comment ? Georgette ? Ce prénom ne plaisait pas à ma mère (encore heureux, déjà que je n'aime pas Josette mais Georgette faut pas déconner!) et bien Josette ? Oh oui ! répondit ma mère. Et voilà comment ce prénom de Georges m'a poursuivit jusqu'à la mort de Maman en 1984. J'ai toujours pris ça pour une marque d'affection car quand elle en avait après moi, elle m'appelait Josette et ne me reprochait pas d'être une fille. En plus, mes parents n'ont eu que des filles.  Deux autres après moi, en 1953 et 1955. Elles m'appelaient Georges dans n'importe quels lieux ce qui pouvait porter à confusion lorsque j'étais jeune fille et même mariée. Je voyais parfois des gens me regarder avec des yeux ronds, se demandant si je n'étais pas un travesti. Je n'y prêtais même plus attention. Sauf parfois en voyant la tête des gens. Ah oui ! elle m'a appelé Georges. Ce prénom (que je n'aime pas particulièrement) ne m'a pas empêché de vivre. George Sand était bien une femme.  Josette Farigoul
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  • L'ESCALIER DU PARADIS

     

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    Chaque jour, Josette Farigoul anime ce très vieux film dont les bobines ne tournaient plus. Ses souvenirs, ceux de ses soeurs, précisent le contour des images floues. Et le mouvement opère.

    Je croyais voir (l'entrecroisement des sensations),  depuis les fenêtres du 4ème étage, une cour pavée, flanquée de bâtiments artisanaux. Peut-être même y avait-il quelques cabanes, identiques à celle que Willy Ronis fixa sur la pellicule, rue des Cascades. J'entendais monter de cette cour des pépiements d'oiseaux, des caquètements plutôt. J'y voyais des lapins, serrés dans leurs clapiers. Tout cela n'exista que dans mon imagination, l'imagination d'un enfant qui passait ses vacances, chaque été, dans la ferme bretonne de ses grands-parents au milieu des veaux, des vaches, des cochons. Aussi des poules. Rue du Pressoir ne traversait pas un hameau. Je le crus longtemps. Sans doute s'agit-il là de souvenirs anténataux. Qui sait ?

    Josette mène l'enquête avec une grande opiniâtreté. Savez-vous qu'elle est parvenue à faire bouger l'enfant de cinq ans au débouché de la cage d'escalier ?

    "Revenons à notre élevage de lapins ou de poules. Dans vos rêves ! Ma soeur, qui a huit ans de plus que moi, me dit qu'il n'y avait aucun bâtiment bas et elle ne voit pas d'élevage. J'ai aussi envoyé un mail à cette amie d'enfance qui habitait impasse du Pressoir, nous allons voir si elle se rappelle de quelque chose.
    Par contre, ma soeur avait, au 4ème étage, deux copines, Roselyne et Jeannette. Elles étaient très souvent chez leurs grands-parents qui occupaient l'appartement à côté de chez vous. Elle se rappelle qu'elle voyait souvent un tout petit garçon qui rentrait avec sa maman et qui courait dans le couloir. Eh oui, Monsieur Darol, c'était vous."
    Me voici  courant dans le couloir aux murs marrons, écaillés, crayeux. Maman est venue me chercher à la sortie de l'école, rue des Maronites. Elle me tient fermement la main jusqu'à l'entrée de l'immeuble. Mais au pied de la cage d'escalier, je suis libre. Attention quand même, il est interdit de taper du pied. Surtout, ne pas se faire remarquer, ne jamais déranger les voisins. Je grimpe à pas feutrés. A chaque palier, j'attends maman. Qu'il fait sombre ! Au quatrième étage, le couloir est éclairé par une fenêtre qui donne sur une courette où l'on étend le linge. A gauche, la porte de chez Régina. J'irai la retrouver tout à l'heure. Elle me serrera contre sa poitrine généreuse. J'entendrai battre son coeur et ses mots rouleront, ses mots d'un autre pays, Israël. Lorsque j'ai découvert, bien récemment, la musiques klezmer de Denis Cuniot, c'est à toi que j'ai pensé immédiatement, à toi Régina de mon coeur, ma seconde maman. Tu es au paradis, à présent, le paradis de la rue du Pressoir. Je ne m'arrête pas. Je cours. Je regarde la vasque où coule l'eau courante. Je t'attends maman. Viens maman ! Je t'attends. Un jour, je serai grand et je pourrai atteindre la sonnette. Papa qui sait tout faire, tout tout tout, a posé une sonnette sur la porte de bois clair. C'est un bouton noir. Si on le tourne, il craque. Plus tard, je ferai craquer le bouton et papa ouvrira la porte. Là, je me contente d'attendre. Car je n'ai pas le droit de crier : "Ouvre, ouvre-moi papa! On est là !". Non, je dois patienter en regardant, au fond du couloir, ce mystérieux escalier, étroit, très étroit qui mène à l'étage supérieur. Un appendice vers le ciel. Une sorte d'échelle qui mènerait au paradis. Il y a un étage au-dessus où je ne suis jamais allé. Guy Darol

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    Le petit Guy
    Agnès et Joseph, mes parents
  • LE BALLON ROUGE FLOTTE SUR LA RUE DU PRESSOIR

     

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    Le Ballon Rouge, 1956

    Depuis que nous nous sommes retrouvés, plus de quarante ans après, nous entretenons une correspondance par mails qui aboutit à sauver de l'oubli des images, des piétons de Paris. Chaque jour ou à peu près, Josette Farigoul désensevelit. Des rues effacées de ma mémoire reprennent vie, des visages passent de l'invisible au visible.

    Dans un billet publié sur ce blog il y a jolie lurette, j'évoquais la couleur de la rue du Pressoir (Paris,vingtième arrondissement) et je tâchais de faire entendre les bruits qui sonnaient à mes oreilles d'enfant. Je vécus 23-25 rue du Pressoir de 1954 à 1960 et ce fut mon âge d'or. J'ai raconté le mélange des êtres, la générosité, les portes toujours ouvertes. Durant cette période j'ignorais que vivait tout près de moi et à portée de mes souvenirs futurs une jeune Josette, née en 1948, qui demeura dans ce quartier jusqu'à l'expulsion ordonnée par les maîtres de l'époque, le couple De Gaulle-Malraux.

    J'ignorais que l'immeuble de mon enfance serait sauvée des ruines par un être si habité qu'il contient plus de souvenirs que je n'en aurai jamais. Josette ranime les couloirs, les cages d'escaliers. Elle fait parler des paliers, des fenêtres. Ses phrases réalisent le mouvement. Un film s'écrit grâce à elle. Le film des petites choses vraies. Un cinéma fait de passants, de silhouettes rapides d'où partent des rires, aussi parfois des cris et des pleurs.

    Chaque matin, je retrouve Josette Farigoul dans ma messagerie et c'est un parfum de jeunesse qui embaume mon bureau. Chaque jour je rejoins la rue du Pressoir, notre embarcadère lumineux.

    Hier, nous nous promenions rue de Ménilmontant, rue Oberkampf. Nous allions au cinématographe. Au Ménil Palace, au Cythea, au Cocorico du boulevard de Belleville. Séances dominicales qui occupaient l'après-midi.

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    Le Ménil Palace, 1955
    Photo H. Guérard

    Aujourd'hui, Josette évoque Le Ballon Rouge, le film d'Albert Lamorisse datant de 1956 où jouaient Renaud et David Séchan, les deux frères jumeaux nés quatre ans plus tôt. Le fameux ballon vire-voltant dans le ciel de Ménilmontant, Josette Farigoul l'a vu, de ses yeux vus. Et je ne parle pas du film qu'elle connaît par coeur. Mais de cette sphère remplie d'air qui vint toquer à sa fenêtre. Et pourtant le moyen métrage de Lamorisse était déjà sorti en salle. L'objet du film, le fil du souvenir flottait toujours. Lisez plutôt :

    "Le Ballon Rouge,  je l'ai visionné. J'ai bien vu au générique Edmond Séchan. J'ai effectivement pensé que c'était peut-être de la famille de Renaud. Par contre je n'ai pas reconnu le chanteur.
    Savez-vous que ce ballon rouge a existé ? Lorsque je suis allée sur votre site pour la première fois je me suis dit "mais c'est mon ballon", sauf que le mien était beaucoup plus gros.
    C'était un matin, très tôt avant de partir pour l'école. Il faisait très froid. Le linge à la fenêtre était complètement gelé, il se serait cassé comme du verre. De la fenêtre de mon 3e, j'ai aperçu un énorme ballon, que j'ai toujours vu rouge. Je pense que j'avais 10 ans. C'était donc en 1958. Certainement un ballon publicitaire (de la réclame à ce moment là).  Avec ma mère, à l'aide d'un balai, nous avons réussi à le ramener jusqu'à la fenêtre, je voulais absolument ce ballon. Le seul petit problème c'est qu'il ne passait pas par la fenêtre, j'ai dû le laisser repartir. Peut-être est-il parti vers la rue Vilin. Je me suis toujours souvenue de ce ballon énorme. Coïncidence bien sûr, mais la couleur et l'année correspondent. J'aimais voir aussi dans le ciel,  les réclames que les avions écrivaient. On ne voit plus tout cela." Josette
  • 23-25 RUE DU PRESSOIR

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    23-25 rue du Pressoir

    Voici le 23-25 de la rue du Pressoir (vingtième arrondissement de Paris) par où j'allais et venais, chaque jour, à partir de 1954, année de ma naissance. C’est mon pays, le pays natal. Avec son peuple, plus ou moins oublié. L’immeuble fut détruit (le quartier dans sa globalité) et ses habitants sans que l’on se soucie vraiment de l’effet produit par le choc d’une boule de fonte sur l’esprit d’un être, trop petit être sans doute, insignifiant le croyaient-ils.

    Je fus l’un de ceux obligés de fuir. Il le fallait. Vers nulle part. Exode en temps de paix. Nous devions quitter le pays. Un pays sans frontières, avec ses cœurs multicolores, ses ethnies, ses croyances si peu pesantes. Nous vivions sur un même palier, portes ouvertes.

    Cette locution on la pratique de nos jours, comme un jeu de mots. Portes ouvertes n’était pas, à la fin des années cinquante, une attitude, un challenge. On vivait ainsi, les uns avec les autres. Y compris, les uns chez les autres. C’était la vie, n’est-ce pas ?

    Je me doutais qu’en jetant une boutanche à la mer me reviendrait un oiseau. Je savais, un jour ou l’autre, qu’un ange agiterait ses ailes. Je viens de vivre ce moment de grâce. Comme si tout espoir était permis. Une leçon, non ?

    Je viens de connaître la grâce (subversive) qui bouscule le train-train du mensonge. Avec Josette Fariboul, ma voisine du 25 de la rue du Pressoir, la vérité se fortifie. Il fallait, somme toute, liquider le brouillage des couleurs. Il fallait unifier. Le couple De Gaulle/Malraux n’avait d’autre objet que la réalité d’un Paris unifié. Pas de couleurs ! Rien que que les vibrations chromatiques d’un peuple arraché à son abattoir. Mes parents venaient (expulsés tout comme) de Bretagne. Guy Darol

    Josette Farigoul a lu mon billet sur la rue du Pressoir. Elle y a vécu. Elle témoigne :

    «  J'ai lu que vous habitiez au 25 rue du Pressoir, moi aussi j'habitais au 25 de cette rue, que de souvenirs en lisant votre article. J'ai d'ailleurs le livre de Willy Ronis et de Clément Lépidis mais effectivement personne ne parle de notre rue du Pressoir. Je suis née au 25 en 1948 et j'y suis restée jusqu'à l'expulsion en 1966. Vous parlez du café chez Andrée, c'est dans ce café que j'ai rencontré mon mari en juillet 1965. L'épicerie de Madame Gilles, sa boutique était rouge, j'y allais tous les jours, elle nous faisait crédit. A cette époque la vie n'était pas facile. Il y avait aussi le coiffeur Vincent, le garage MARCHADIER, je crois. Dans la cour, le matelassier. J'aimais bien le regarder travailler. Passage Deschamps, la mère fouillis et au coin, le café chez FREDO. Notre concierge NICOLE. Au mois de novembre j'ai retrouvé une amie d'enfance, par l'intermédiaire de Copains d'avant, elle habitait passage du Pressoir, dans la diagonale du 25. Nous allions ensemble à l'école rue Etienne Dolet. Nous nous envoyons des mails depuis. Elle possèderait une photo du 25 rue du Pressoir et du garage. Elle va me la faire parvenir. Quel dommage de ne pas avoir de photos de notre rue. J'ai bien essayé de chercher mais je ne trouve pas. Je suis toujours en relation avec mes amis d'enfance de la rue du Pressoir. Nous sommes toujours présents pour les bons et les mauvais moments. Nous organisons des repas de temps en temps et à tous les coups nos conversations partent en délire sur la rue du Pressoir. Nous nous remémorons toutes ces bêtises d'adolescent que nous avons fait.
    Que de beaux souvenirs  que je n'ai jamais oubliés
    .
    Je vous adresse mes sincères salutations.
    Josette FARIGOUL

    Cher Guy,

    Merci pour votre réponse qui m'a bouleversée, principalement lorsque vous parlez de votre mère.  J'ai, à ce moment- là, pensé à mes parents qui sont partis bien trop tôt. Je dois vous avouer que j'ai pleuré devant mon ordinateur en lisant votre message.

    Il est certain que nous nous sommes croisés et que je connaissais, probablement, vos parents. Je connaissais tout le monde, j'ai très souvent fait des courses pour beaucoup de personnes, je gagnais quelques petites pièces pour acheter un pain, surtout en fin de mois. Mes parents avaient pas mal de problèmes.

    Je ne sais pas si vous vous souvenez que de temps en temps nous retrouvions, devant nos portes, des échantillons de lessive, savonnette Bébé Cadum, café etc... Votre mère s'en rappellera certainement. Et bien, si comme beaucoup de locataires elle ne trouvait rien devant sa porte, je peux bien l'avouer 50 ans après, c'est que j'étais passée par là en faisant tous les étages dans le noir. Pas de quoi en être fière.

    Donc vous, vous habitiez dans l'escalier face à la porte d'entrée. Moi, j'étais dans la cour, au 3ème étage, il n'y avait que trois étages de ce côté là. Logiquement vous étiez au 23 et moi au 25. J'étais souvent assise au bas de votre escalier, nous n'avions pas le droit de jouer dans la cour. J'étais aussi, souvent, dehors devant la porte. C'est pourquoi je dis que nous nous sommes déjà vus et même vos parents car nous devions dire bonjour à tous les locataires que nous croisions. A cette époque, c'était bonjour Monsieur ou bonjour Madame mais jamais un  simple bonjour en passant.

    Je me rappelle de petits garçons jouant aux billes devant le garage. Moi je jouais aux osselets ou aux cartes.

    Vous avez peut-être connu les jumeaux qui étaient plus de votre âge (1955) et qui habitaient un peu plus haut au dessus de chez Vincent, le coiffeur, après le café chez Andrée. Les jumeaux jouaient souvent dans le caniveau lorsque l'eau coulait, pieds nus en sandales, même en hiver. Ils s'appelaient Christian et Michel Choutier. Michel est décédé, bien trop jeune, en 1997. Christian, je le vois toujours avec ses soeurs qui sont mes amies d'enfance.

    Comme dit mon fils, nous, nous n'aurons jamais de tels souvenirs ni cette nostalgie que vous avez de votre quartier. Effectivement, comme vous le dites si bien, notre enfance a été sévèrement maltraitée du fait de cette destruction. "Ils ont cassé le berceau de mon enfance", quelle belle phrase de Jo Privat ! Je crois que nous pensons tous la même chose.

    Dans le livre de Clément Lépidis, Je me souviens du 20e arrondissement, à la page 79, photo rue de la Mare, en arrière plan, nous voyons une femme avec son cabas et  deux enfants. Cette femme est la mère de cette amie que j'ai retrouvée au mois de novembre, les deux enfants, cette amie Claudie et sa soeur. Claudie m'avait dit "regarde bien, dans son sac on voit une bouteille". Elle connaissait bien sa mère. A cette époque, malheureusement, l'alcool était présent dans beaucoup de familles. La pauvreté aussi mais sans jamais se plaindre.

    Je pensais que de votre côté il y avait 5 étages mais dans ce cas, si il y avait eu 5 étages, comment de la fenêtre de ma chambre au 3ème étage et bien sûr lumière éteinte, aurais-je pu voir les Baert, de votre côté au dernier étage à droite au fond du couloir, se battre pour à la fin se réconcilier en s'embrassant. J'en rigole encore car c'était très souvent et la bagarre se terminait toujours de la même manière. J'avais 13 ou 14 ans lorsque je les épiais et j'attendais le dénouement.

    Je crois qu'elle habitait au 1er toujours de votre côté, on l'appelait la Chinoise, mais il me semble qu'elle n'était pas Chinoise, c'était son mari qui était Chinois, elle m'envoyait acheter des sangsues, si je me souviens bien, chez l'herboriste, rue des Couronnes.

    Au rez-de-chaussée, sur la photo du 25 on voit leur fenêtre, là habitaient les Dilouya. Sur cette même photo, la fenêtre au dessus du garage, c'était chez Cocotte, pourquoi on l'appelait Cocotte, je ne sais pas. Il faisait de la couture, un Juif qui avait bien failli être arrêté pendant la guerre. Juste avant l'arrivée des Allemands, il s'était caché sur la terrasse du garage. C'était tellement le merdier sur cette terrasse qu'il n'avait pas eu de mal pour se cacher. Maman était à sa fenêtre, elle avait vu Cocotte se cacher et tout de suite, après, les Allemands arriver. Ce pauvre Cocotte était connu du quartier car il avait tellement été traumatisé que, certaines nuits, il entrait en crise, se mettait à hurler pensant que les Allemands revenaient, il clouait des planches à sa fenêtre pour les empêcher de rentrer chez lui. Le lendemain matin on voyait notre Cocotte déclouer les planches. Tout était rentré dans l'ordre jusqu'à la prochaine fois. Maman m'avait raconté son histoire car ses cris en pleine nuit faisaient peur et je ne comprenais pas pourquoi il clouait des planches à sa fenêtre, la nuit, pour les enlever le lendemain. Il nous aimait bien mes soeurs et moi, il nous offrait souvent des bonbons, certainement par reconnaissance, sans jamais avoir reparlé de cette histoire ni lui ni ma mère.

    Il y a eu de sacrées histoires dans nos immeubles. Mais que de beaux souvenirs.

    L'endroit qui me faisait peur c'était  cette espèce de couloir entre l'escalier et la loge de concierge, un couloir très sombre qui me permettait d'aller chez Madame Gilles lorsque la boutique était fermée. Je n'aimais pas passer par là.

    Sans parler, de mon côté, dans la cour, celui du rez-de-chaussée qui en se suicidant au gaz aurait pu faire sauter l'immeuble. Madame Paulette qui sur la cinquantaine, peut-être plus, exerçait, encore, le plus vieux métier du monde, comme elle rentrait vers 2 ou 3 heures du matin, elle m'appelait pratiquement tous les jours pour faire ses courses. Une fois par semaine je lui achetais Intimité et Akim. Des souvenirs et des noms qui restent ancrés dans ma mémoire et pourtant j'avais 10 ou 12 ans.

    Mon nom de jeune fille est IDOUX, nous étions 4 filles. Les 4 filles du père Idoux comme certains locataires disaient.

    Même si la vie n'était pas facile pour tout le monde quelle belle époque. J'ai dans la tête plein de souvenirs du temps où j'ai vécu Rue du Pressoir. Après l'expulsion plus rien n'était pareil. Ma mère qui chantait tout le temps et commençait à 6 heures du matin n'a plus jamais chanté lorsque nous sommes arrivés vers la porte de Bagnolet. Tout était cassé.

    Vous trouverez aussi une photo de la boutique de Madame Gilles et la façade de l'immeuble qui vous rappellera quelque chose, je pense. Par contre quand nous voyons l'immeuble en construction, notre rue n'a plus rien à voir avec ce que nous avons connu.

    Amicalement et un grand bonjour à votre maman.

    Josette

    Cher Guy,

    C'est encore avec beaucoup d'émotions que je lis votre réponse, pour un petit garçon si jeune, je trouve que vous vous rappelez de beaucoup de choses. Vous en parlez si bien, les mots sont très beaux, c'est aussi votre métier. Moi je n'ai qu'un certificat d'études car il fallait travailler très jeune pour aider nos parents. Les épreuves nous font grandir. J'ai beaucoup de souvenirs en mémoire car la vie était très dure. Durant 20 ans, je n'ai pu écouter la chanson de Daniel Guichard "Mon vieux" chanson pourtant que j'adore ainsi que Daniel Guichard, mais j'ai dû attendre 1991 ou 1992 pour aller le voir à l'Olympia. J'ai malgré tout pris sur moi lorsqu'il l'a chantée. Depuis, les rares fois où il passe à Paris ou a Rouen, puisque j'habite dans l'Eure, près de Rouen, je vais le voir.

    Cette chanson me rappelle trop mon père sauf qu'il n'avait pas un vieux pardessus râpé mais un veston et sa musette avec sa bouteille, mais chut !!! qu'il n'a pas pris le même autobus de banlieue mais le métro à Couronnes. Certainement qu'avant de prendre son métro il s'arrêtait "Aux lauriers roses" et tout au long de cette chanson, je le reconnais.

    Effectivement vous étiez certainement cet enfant qui jouait dans le caniveau devant le garage. Les mamans aimaient bien surveiller leurs enfants de leur fenêtre. Je devais jouer la comédie pour pouvoir jouer devant la porte comme je disais car de la cour, maman ne pouvait pas me surveiller.

    Je vais demander à mon amie que je viens de retrouver  48 ans après et qui elle habitait passage du Pressoir, si elle se rappelle d'une dame qui gardait des enfants.

    Oh oui, que ce couloir et cet escalier étaient sombres. De mon côté il y avait une fenêtre à chaque palier mais une cave qui faisait très peur. J'arrive encore à rêver de cette cave et de la cour.

    Certainement que cette Régina, je la connaissais aussi, malheureusement je ne me souviens pas des noms.

    Il est vrai que la télévision c'était magique. Nous avons eu la télé, j'avais 12 ans, donc en 1960, en fin d'après-midi si je me rappelle bien, lorsque l'image apparut c'était Rintintin. Super !

    On était, malgré tout, souvent seuls.  Les parents ne laissaient pas, effectivement "traîner" leurs enfants. Je me suis rattrapée, un peu, vers mes 15 ans.

    En regardant le fil de ma vie, je me dis que j'ai toujours travaillé, au début pour aider mes parents, par la suite avec mon mari, qui avait une entreprise d'ascenseurs et qui est parti, bien trop tôt, en 1993, tué par le stress, d'un infarctus, en quelques minutes. Puis après, avec mon fils, ils ont tous compté sur moi, et moi je vis quand ? Je crois surtout que j'ai la vie que j'ai choisie.

    Comme vous le dites si bien, à la fin, en parlant du 23/25 "un pays en somme". Exactement, moi je dis toujours : nous sommes comme les pieds noirs, nous avons la nostalgie de notre pays.

    Comme beaucoup de personnes ayant vécues dans ce quartier, nous avons tous un point commun "la nostalgie de ces belles années"

    Et bien, après toutes ces  évocations, je vais pouvoir me mettre au travail.

    Bien amicalement,

    Josette