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josette farigoul

  • JOSETTE FARIGOUL SE SOUVIENT

     

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    Le side-car des week-ends

     

     

    Dans quelles années êtes-vous né ?

    Josette Farigoul :1948

    Quelle est la rue de vos premiers pas dans le vingtième arrondissement ?

    J.F.: Rue du Pressoir

    Quel est votre plus lointain souvenir de Belleville-Ménilmontant ?

    J.F.: C'est un 14 juillet, tous les cafés diffusent de la musique, les gens dansent dans la rue du Pressoir, je suis très jeune et je danse la Raspa sur la chanson de Jacques Hélian, le Bal à Doudou. Au son de la musique, en sautillant, je lance une jambe après l'autre avec les deux mains sur les hanches, puis je tourne. Maman m'a toujours dit que j'avais 4 ans et même si je trouve que c'est bien jeune pour se souvenir, je me revois très bien sur le trottoir devant l'entrée du 23/25. Encore maintenant, cette chanson trotte toujours dans ma tête.

    Quelles sont les images (façades d'immeubles, commerces, manèges, que sais-je ?) qui vous reviennent le plus souvent lorsque votre enfance vient vous chatouiller la mémoire ?

    J.F.: Mon immeuble et ses murs gris, la cour de l'immeuble et son matelassier, ma mère à sa fenêtre, je pars pour l'école et lorsque j'arrive dans la cour, je lève la tête et je lui fais un signe de la main. Je revois, souvent, la boutique de Madame Gilles ; j'ai passé, dans cette boutique, une bonne partie de mon enfance. Des images, aussi, de la fête foraine sur le Boulevard de Belleville, je sais que nous nous rendrons à cette fête en famille et tenterons de gagner, à la roue de la loterie, 1 kilo de sucre ou un paquet de café, peut-être 1 litre d'huile. Je revois mon père s'exercer au tir, nous aurons droit à un tour de manège et tout en redescendant le Boulevard de Belleville, je croque à pleines dents cette pomme d'amour que j'attendais. Sur ce boulevard flotte, dans l'air, un doux parfum, mélange de barbes à papa, pommes d'amour et cochons en pain d'épices. Les odeurs de notre enfance.

    Qu'est-ce qui a amené vos parents à s'installer dans le vingtième arrondissement ?

    J.F.: Très bonne question mais je ne sais pas, du moins pour Maman puisqu'elle habitait déjà cet immeuble avant la guerre. La tante de mon père se trouvait au 2ème étage, ma mère au 3ème et c'est lors d'une visite chez sa tante, à la fin de la guerre, que mon père rencontra ma mère, veuve depuis un temps, seule avec ma soeur aînée Monique. Ce fut la naissance d'un nouvel amour, mes parents avaient 29 ans, mon père s'installa rue du Pressoir. Une rencontre, probablement, arrangée par la tante Angèle et jamais démentie par ma mère.

    Que faisaient vos parents (métiers et loisirs) ?

    J.F.: Maman était serveuse dans un restaurant Italien pendant la guerre, ma soeur aînée n'a pas souffert de la faim durant cette période, ses patrons lui donnaient ce qu'il fallait et même du chocolat pourtant rare en cette période. Maman s'arrêta de travailler dès ma naissance en 1948 puis, sont arrivées mes deux autres soeurs, Ghislaine et Martine, en 1953 et 1955. Par la suite, ma mère s'arrangea pour trouver du travail à domicile afin d'améliorer les conditions difficiles de la vie. Mon père débuta seul dans la vie dès l'âge de 13 ans, tout d'abord en apprentissage de boulangerie-pâtisserie puis de cuisinier, le service militaire durant trois ans et, sans être démobilisé, un départ pour la guerre dans les corps francs. Que de temps perdu ! A la suite de cela, il reprit son métier encore quelques années avant de se reconvertir dans l'électricité. Mes parents faisaient en sorte, malgré tout, de profiter de la vie, de recevoir des amis avec d'interminables parties de cartes, des ballades et des pique niques et ce vieux side-car qui nous trimballait dans les bois d'Ozoir-la-Ferrière au moment des jonquilles, du côté de Coulommiers cueillir du muguet pour le revendre au 1er mai, sans oublier l'été, les vacances à la mer direction Berck-Plage. Nous en avons fait de belles ballades avec ce side-car ! Nous étions, tous, heureux.

    Quelles écoles de quartier fréquentiez-vous ?

    J.F.: L'école de la rue Etienne Dolet, du CP au Certificat d'études puis une année au Collège technique et commercial de la rue de l'Elysée- Ménilmontant, un passage éclair, la comptabilité ne me plaisait pas, la sténo encore moins et la dactylographie pas plus. Il ne me restait plus qu'une solution, travailler. Mes parents manquaient d'argent, alors je me suis mise au travail, j'ai donné ma paye jusqu'à mon mariage à 20 ans. Le comble dans tout cela, c'est que je fais de la comptabilité depuis 36 ans, cette comptabilité que je détestais et que j'ai dû apprendre par moi-même.

    Où (rue, passage, impasse, cour, square ...) alliez-vous jouer ?

    J.F.: Les parents ne laissaient pas sortir les jeunes enfants. Malgré tout, vers 8/10 ans, de temps en temps, j'avais l'autorisation de jouer dans la cour et un peu plus tard, juste devant l'entrée de l'immeuble, sur le pas de la porte. Il ne fallait pas faire de bruit car il était interdit de jouer dans la cour ou dans le couloir. Avec mon copain Roland, nous nous retrouvions dans l'escalier, assis sur les marches ; nous discutions de tout et de rien, j'allais aussi jouer chez lui ou il venait chez moi. Aux mardi-gras, nous nous déguisions, c'était super, il ne nous fallait pas grand chose pour être heureux.

    Qu'évoque pour vous la rue du Pressoir ?

    J.F.: Cette rue évoque mon enfance, mon adolescence et les copains, la rencontre avec mon mari, la vie difficile de mes parents, de la tristesse en pensant à ces parents qui me manquent toujours terriblement, des joies et des peines, des sourires lorsque certaines situations un peu cocasses remontent à la mémoire mais aussi des larmes en pensant à d'autres souvenirs plus douloureux et laissant un goût amer, comme touchée en plein coeur. Mais il faut apprendre à s'arranger avec le passé. Lorsque ce passé ressurgit, systématiquement, ma mémoire me ramène rue du Pressoir.

    Que se passe-t-il dans votre coeur et votre tête lorsque vos pas vous mènent rue du Pressoir aujourd'hui ?

    J.F.: Difficile cette question. Lorsque mes pas me mènent rue du Pressoir, bizarrement, j'ai le coeur sec et la tête vide. Je ne reconnais rien et pour cause, il ne reste plus rien  à l'exception de la courbe. A la place, des cubes gigantesques  sans âme et sans grâce, une rue du Pressoir anonyme et ennuyeuse.  Tout cela à cause de politicards sans scrupules.

     

     

     

     

  • NOEL RUE DU PRESSOIR/NOEL DANS LE MONDE

     

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    Fallait-il prendre au sérieux les propos d’un précédent billet où j’affirmais me foutre des Noëls et de ses illuminations, depuis plusieurs années ? Eh bien non ! Tous les ans, inlassablement, je répète la même chose, Noël n’aurait, pour moi, plus aucun intérêt. Mes propos n’ont plus la même résonance lorsque le mois de décembre pointe le bout de son nez. Je prépare les commandes de jouets pour mes petits enfants et les cadeaux pour les grands. Malgré mes 60 ans, c’est toujours avec un immense plaisir que je chine, jamais de lassitude lorsqu’il s’agit de donner du bonheur. Cette année, encore, la hotte du Père Noël sera bien remplie et il est fort possible, qu’en cette douce nuit de Noël, il perle le long de mes joues une larme en voyant les yeux écarquillés de mes petits enfants de 3 ans.

    Comme tous les ans, je repasserai, en boucle, les beaux Noëls de mes enfants mais aussi, ressortira de ma mémoire, en noir et blanc, le vieux film des années 50, celui de mon enfance rue du Pressoir. J’attendais, avec impatience, ce réveillon de Noël, ce repas festif préparé entièrement par mon père, de son premier métier boulanger, pâtissier, cuisinier, médaillé de bronze, médaille que je conserve précieusement dans son écrin. Je sais aussi que le Père Noël déposera, à minuit, le cadeau tant espéré. Il le déposera sous le sapin, haut de plus de 2m, qui trône comme un roi dans la salle à manger. J’ai pris soin, avant de me coucher, de mettre en évidence, près du sapin, mes pantoufles qui devraient se remplir de friandises en chocolat. Mais pour découvrir tout ça, il me faudra attendre le lendemain matin. Un seul jouet par enfant acheté avec des bons de la Semeuse.

    Je me souviens encore mais, là, mon film est comme monté à l’envers car ce souvenir se passe avant Noël. Mes parents, mes 3 sœurs et moi, occupions un deux pièces cuisine au 3ème et dernier étage de l’immeuble 25 rue du Pressoir, peu avant le grand jour, mon père grimpait sur le toit de l’immeuble en passant par une trappe située sur le palier et, de la haut, par le conduit de la cheminée, envoyait des oranges. Les yeux pétillants de joie, je suivais le parcours de ces oranges tombant du ciel, traversant la salle à manger pour terminer leurs courses dans la cuisine. Je me précipitais pour les ramasser, mais quel dommage que mon père n’ait pas assisté à cette magie. Où était-il ? Je ne me posais pas la question, je lui raconterai cette aventure lorsqu’il sera de retour. Maman disait que le Père Noël passait au- dessus de l’immeuble. Je n’avais pas 6 ans.

    Il était aussi de coutume, quelques jours avant le 24, de mettre ses chaussons au pied du sapin et si le Père Noël jugeait que, dans cette maison, les enfants avaient été bien sages, il pourrait déposer, en général, une guimauve enrobée de chocolat. 

    Je ne sais si cette tradition était propre à ma mère ou due à ses origines Ardennaises, à la frontière Belge, qui dans ce cas pourrait faire penser à Saint Nicolas, d’autant plus que Maman parlait souvent du Père Fouettard, les deux sont indissociables. Quoi qu’il en soit, j’ai perpétué la tradition avec mes enfants sans toutefois être comparable.

    Voilà, encore une petite scène de la vie, chez moi, au 23-25 rue du Pressoir. Maintenant, je vais faire comme les enfants, attendre que le Père Noël descende du ciel,  bien installé sur son traîneau tiré par ses rênes et accompagné de ses fidèles lutins. Bien que je préfère offrir que recevoir, je sais que sa hotte contiendra moult cadeaux pour moi de la part de ma famille, je sais aussi, qu’entre autres cadeaux, je découvrirai le bouquin de Guy Darol, Héros de papier.

    Je désire terminer ce récit en souhaitant à tous les visiteurs du site rue du Pressoir ainsi qu’à Guy Darol, sa maman et sa famille, sans oublier mon ami Bienvenu Merino, un joyeux Noël et que vos projets se réalisent. Puisque nous arrivons en période de vœux, une France moins bordélique et la paix dans le monde. Mais ça c'est peut-être trop demander. Josette Farigoul

  • RUE ETIENNE DOLET

     

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    Pour répondre à Nicole, si nous parlons de la même madame Buissière, institutrice des deux années de fin d'études rue Etienne Dolet, j'ai déposé, sur le site Copains d'avant, une photo de 1960 où nous pouvons retrouver madame Buissière ainsi que notre Directrice, décédée, je crois, en 2000, à plus de 90 ans. Effectivement, nous pouvons rendre hommage à Madame Buissière. Je citerais aussi mademoiselle Gaborey-Sisson, institutrice des CM², petite bonne femme aux cheveux courts et gris, d'une grande sévérité mais tellement efficace. Merci Nicole de nous faire partager vos merveilleux souvenirs. Josette

  • JOSETTE FARIGOUL/BIENVENU MERINO/LE GRAND ENTRETIEN

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    La rue du Pressoir (vraiment) autrefois

    Bienvenu Merino : Josette Farigoul, cela fait plus de quarante ans que vous n'étiez pas revenue, rue du  Pressoir. Retrouve-t-on sa petite enfance en faisant à nouveau ses premiers pas dans cette rue qui n’a plus rien à voir avec celle  qui vous a vu naître? Je crois que vous aviez dix neuf  ans lorsque vous avez du quitter l’immeuble avant que le quartier ne soit livré à la destruction pure et nette. Ce n’est pas trop difficile d’en parler ?

    Josette enfant 1.JPGJosette Farigoul : A cette première question je répondrais que je n’ai absolument pas retrouvé ma petite enfance lors de la redécouverte de cette rue du Pressoir. Pour moi, tout de suite j'ai eu le sentiment d’une rue inconnue, mais qui portait toujours le même nom. Je ne peux pas dire que parler de cette rue, où je suis née, me soit vraiment difficile et encore moins depuis cette vision. En fait, je crois que la rue du Pressoir, berceau de ma petite enfance, est définitivement mémorisée dans ma tête. Le passé devient plus vivant, les images plus précises et plus particulièrement le 23/25. Les personnages s’animent, l’entrée de l’immeuble revit avec ses va-et-vient. Dans la cour, les enfants cavalent dans tous les sens en riant. Je revois les escaliers des deux immeubles avec ses joies et ses peines, les paliers et leurs locataires. Tout devient plus net et les flashs éblouissants.

    B.M. : Vous semblez assez sereine devant les numéros 23-25 qui étaient l’entrée de votre immeuble. Pense-t-on à la mort, juste là, sur ce trottoir arrondi, où il ne reste plus rien de ce passé ? Ou peut- être, pensez-vous plus au  départ  forcé que vous avez dû subir pour aller vous ne saviez où ?

    J.F. : A vrai dire, lorsque j’ai redécouvert le 23/25, bizarrement, et je m’en étonne moi-même, je ne pensais à rien. Impossible d’obtenir de ma mémoire une image qui me ferait revivre mon passé, franchir le seuil de la porte de l'immeuble d'autrefois, revoir ma cour en espérant, en levant la tête vers le ciel, apercevoir une silhouette qui serait celle de ma mère à sa fenêtre de salle à manger, mais non, rien, une amnésie totale. Une cruelle déception car à cet instant, j’aurais adoré ressentir, au moins, un petit quelque chose, mais non, le zapping complet. Après avoir quitté cette rue, sur le chemin du retour vers la Normandie, petit à petit, les images du passé sont remontées à la surface. Le puzzle s’est reformé comme par magie. A ce moment-là, j’ai compris que je venais, tout simplement, de gommer la vision de la connerie.

    B.M. : Josette, vous souvenez-vous de la réaction de vos parents, de vos sœurs, et votre propre réaction, lorsqu’il a fallu quitter l’appartement, déménager du quartier, faire les valises et les cartons, s’éloigner de vos amis ; en somme, quitter votre village. Tout compte fait, tout un pan de vie s’écroulait, non ?

    J.F. : A cette question, je ne dirais pas qu’un pan de vie s’écroulait, tout du moins, pas au début. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, aussi bien pour ma famille que pour la majorité des personnes expulsées, je n’ai jamais ressenti de réactions négatives. Je n’ose dire que nous étions presque heureux de quitter, comme beaucoup le pensait, des taudis. Je ne suis pas tout à fait de cet avis, un certain inconfort, certes, taudis pas vraiment, il suffisait d’avoir un peu d’imagination pour faire de ces logements, sans confort, de petits coins où, malgré tout, il faisait bon vivre. Si j’ose écrire « heureux », il ne faut pas oublier que l’on nous promettait des logements plus vastes avec salle de bains et toilettes, ce petit plus devenait important aux yeux de tous. Nous pouvons aussi parler de résignation en somme, il fallait partir, nous sommes partis. La dératisation s’est effectuée sans problème. La nostalgie a pointé le bout de son nez un peu plus tard , elle provenait plus particulièrement de nous, les enfants, beaucoup moins des parents. Je n’ai pas souvenance d’avoir entendu mes parents parler de la rue du Pressoir avec regrets. Mon père est décédé en 1970, très tôt après l’expulsion, et avec maman, jusqu’en 1984, je n’ai en mémoire aucun souvenir de grande conversation à propos de notre rue. La génération de mes parents a connu la misère, la guerre, la lente remontée de l’après guerre, il fallait se reconstruire. Pour beaucoup l’inconfort des logis était présent depuis leur naissance. On peut supposer que ce déménagement vers un appartement plus confortable apportait un peu de soleil à leur vie. C’est un constat personnel. Par contre, très tôt, avec les copains d’enfance et d’adolescence, ceux de la belle époque, nos retrouvailles se sont toujours transformées en délires phénoménaux. La rue du Pressoir passée au crible nous amenait à d’interminables éclats de rires et à ces moments-là, plus personne n’existait, pas même nos conjoints. N'existaient que nous, petite bande de fidèles, cercle fermé aux autres, n'existait que cette rue et ce quartier à nous. Nous remontions le temps,  corps et âmes, dans notre monde, à l'abri d'un autre monde, du moins pour quelques heures et ça continue  depuis plus de 40 ans.

    B.M. : A vous voir assez tranquille le jour de votre retour rue du Pressoir, vous ne sembliez pas trop émue, en tout cas vous ne le montriez pas. Cependant le lendemain vous étiez complètement remontée et vous écriviez  un récit poignant. Tout semblait, souffrance. Comment expliquer cette réaction le lendemain. J’ai eu assez de chance d’avoir été personnellement épargné ce jour là, par votre colère,  alors que j’avais  grand plaisir à vous faire retrouver votre rue du Pressoir. J’espère que vous ne  regrettez pas mon invitation ?

    J.F. :Vous avez vu juste, aucune émotion je le confirme. Pourtant depuis de nombreuses années, je désirais retourner vers cette chère rue du Pressoir, seulement il fallait bien se rendre à l'évidence, je ne retrouverais rien de mon passé, j'en étais  consciente. J'ai donc laissé filer le temps,  me disant toujours,  j'y vais, j'y vais pas, jusqu'à votre invitation que je ne regrette absolument pas. Ne dit-on pas qu'il faut boucler la boucle? Et bien voilà c'est fait ! Arrivée au coin de cette rue, de mon enfance, très vite dès les premiers pas, j'ai ressenti un blocage complet, pétrifiée et hypnotisée, je restais sans voix devant la bêtise humaine. Qu'avaient-ils fait de cette rue, jadis si joyeuse et vivante! Regardez l'ancien plan de la rue, avec ses dizaines de commerçants, cafés, hôtels, artisants, etc. Si vous vous rappelez, très peu de personnes ont croisé notre chemin ce jour-là. Aujourd'hui, elle est devenue, juste une rue dortoir, sans vie, une rue qui file le bourdon. Sur le trajet du retour, je pratique toujours de la même manière, je me remémore , je réfléchis beaucoup, j'analyse et le couperet tombe. Si seulement dans ce désastre, j'avais reconnu un petit quelque chose de l'ancienne rue du Pressoir, une chose infime du passé, on peut imaginer une réaction différente. Mais là aucun point de repère, d'où ma vive réaction le lendemain. Le soir même j'ai commencé à cracher mon venin en visionnant, dans ma mémoire, la nouvelle rue et et en superposant l'ancienne. Conclusion: du grand n'importe quoi, malheureusement encore d'actualité. Dans chaque gouvernement sommeille un lot de petits génies qui, dès qu'ls sortent de l'inertie réalisent leurs fantasmes avec souvent un manque de goût certain. Nous en avons la preuve.

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    B.M : A cet emplacement précis où nous nous trouvons maintenant, autrefois le numéro 12 de la rue du Pressoir, il y avait là,  les « BAINS, DOUCHES, HYDROTHERAPIE COMPLETE ». C’était un bâtiment du début du XXe siècle, en ‘fer à cheval’, magnifique,  avec des fleurs au milieu d’une cour superbe où, femmes, hommes et enfants, pouvaient se promener et se reposer après le bain. Vous souvenez-vous, vous y veniez étant jeune fille ? Et que ressentez vous, aujourd’hui, là ? Je vous vois faire la grimace ou plutôt je dirais, vous êtes figée, pâle! Ça va Josette ?

    Numériser0020.jpgJ.F. : Mon cher Bienvenu,  pour répondre à votre question: ça  va très bien! Et effectivement, je fais la grimace et pour cause. Je ne me rappelle absolument pas des Bains-Douches du 12. Si ma mémoire est bonne, nous allions sur le boulevard de Belleville, juste après la rue des Couronnes, en direction de la rue de Belleville. A cet endroit se trouvaient des douches, probablement moins coûteuses. A vrai dire je ne sais pas trop. Il me semble bien aussi que nous avions droit à une douche par semaine à l'école. Je suis obligé de sourire à cette évocation, je vais vous dire sincèrement que la douche n'était pas, à cette époque, pour nous, enfants, notre préoccupation première, du moins jusqu'à l'adolescence. Voilà la vérité rien que la vérité!

     

     

    B.M. : Vous avez découvert récemment, publiées  sur le site, par Guy Darol, les photos émouvantes, que vous a fait parvenir votre ami d’enfance, Roland, ainsi que celles du photographe, Henri Guérard. Sur l’une d’entre elle, des années 1963, on y voit, que poussière, vous souvenez-vous de ces moments où tout est voué au rasage dans un gris de typhon catastrophe ? Et sur une autre photo, de 1960, vous avez pu voir une poupée écartelée, accrochée ou clouée, la tête en bas. Ces images qu’évoquent-elles pour vous alors que déjà au loin se dresse  le premier immeuble neuf de ce qui va devenir la nouvelle rue du Pressoir. Vous voulez nous en parler ?

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    Photo Henri Guérard

    J.F. : La démolition des immeubles a commencé dès 1960 par les numéros pairs de la rue du Pressoir. Je ne me souviens pas de ceux détruits en premier. Je n'avais que 12 ans en 1960. Par contre, je revois très bien la démolition, en 1963, de l'immeuble en angle de la rue du Pressoir et rue des Maronites. J'étais là, debout au milieu d'une foule de badauds dans l'attente que cet immeuble tombe en poussière. Incroyable, en y pensant aujourd'hui, nous repartions couverts d'une mince pellicule grise-blanche sans nous rendre compte, à ce moment là, que toute notre Josette et Liliane bd de Belleville 62-63.JPGrue, petit à petit se transformerait en un tas de gravats. Cette même année, des constructions sortaient de terre et certains immeubles étaient déjà prêts à l'habitation. On ne se préoccupait pas vraiment de ces nouvelles constructions, nous restions de notre côté. Les premières constructions, si je me rappelle bien, étaient principalement destinées aux rapatriés d'Algérie, mais certainement pas pour nous, les 'pestiférés'. Interdiction de rentrer dans ces immeubles. Avec ma copine Liliane nous arrivions à pénétrer dans certains, rien que pour y emprunter les ascenseurs. Je me souviens d'un brin de révolte, de ma part, envers les premiers occupants ne comprenant pas très bien ce qu'étaient ces gens qui se ramenaient en territoire conquis. Notre numéro 23/25 a assisté aux transformations de la rue de Pressoir jusqu'en 1968 ou 1969, puis s'est écroulé comme un château de cartes emmenant avec lui tous nos souvenirs d'enfance et d"adolescence. Dorénavant notre seul repère la courbe restée intacte, bien maigre consolation.

    B.M : Josette, reviendrez-vous, un jour, habiter à Ménilmontant ? La première fois que je vous ai posé la question, le jour même de notre rencontre,  vous m’avez répondu, je cite : « Oh ! que non .. ou alors…. peut-être… dans le 16e arrondissement ! » Vous restez  toujours sur cette affirmation. Paris vous manque t-il ?

    J.F. : Ma question préférée, celle qui tue et qui me fait encore rire, vous seul savez pourquoi, monsieur Merino, c'était une boutade que je vous ai lancée un soir de délire et ma réponse alors était évidemment fausse, excusez-moi. Malgré tout, je confirme que non, mon intention n'est pas de retourner vivre à Ménimontant et pas plus dans le 16e. La campagne semble plus appropriée à une solitaire. J'étoufferai en appartement. Je suis un signe d'air, l'espace, la verdure et la liberté avant tout. Paris ne me manque pas ou ne me manque plus. Une confidence tout de même : cinq années ont été nécessaires pour me séparer de Paris et je dois vous avouer que, plus d'une fois, l'envie de tout quitter a effleuré mon esprit. Il est fort possible que sans enfant je serais repartie vers ce cher Paris de mon enfance. Le temps et la sagesse ont fait le restant. De temps en temps j'y retourne, pour des spectacles ou pour des raisons personnelles. Paris restera toujours Paris à mes yeux. Je suis parisienne. Nous retournerons, un jour, si vous le voulez, arpenter les rues de mon quartier de Belleville-Ménilmontant!

    B.M. : Volontiers Josette, je reviendrai avec plaisir dans ce Ménilmontant d'une valeur inestimable pour beaucoup de parisiens. Si vous voulez bien, deux questions encore! En parlant de vous-même et de l’un de vos amis, vous dites : « deux enfants paumés ». Je sais que vous avez vécue bien des  épreuves mais avec  le temps , vous pouvez encore dire,  aujourd'hui, que vous étiez  vraiment paumés, malgré l’entourage affectif de votre famille ? Secundo,  vous avez parlé avec beaucoup d’affection, de Coco, votre voisin Algérien qui habitait au fond du couloir du rez- de- chaussé dans un espèce de gourbi. Si je comprends bien, Coco était en sorte, un protecteur de votre famille et aussi il apprenait à faire le couscous à votre maman. Vous avez des nouvelles de Coco, qu’est-il devenu ?

    J.F. : Pour répondre tout d'abord à cette question, vous dites  "entourage affectif". C'est un bien grand mot. A cette époque et dans beaucoup de famille, l'affection n'était pas vraiment présente, les parents aimaient leurs enfants mais à leur manière. Cette expression, deux mômes paumés" n'est pas spécialement approprié à la situation, nous ne vivions pas en dehors de la réalité. Nous étions, malgré tout, bien seuls et le fait de se retrouver, Roland et moi, était l'occasion d'oublier ce qui, peut-être, nous attendait le soir. De quoi parlions nous, assis côte à côte sur les marches du rez-de-chaussée, je n'en ai aucune souvenance, rêvions nous de châteaux en Espagne? D'un ailleurs où notre vie serait moins grise que la façade de notre immeuble? Pas certain, ou alors tout simplement parlions-nous de nos prochaines vacances à Berck-Plage ou au lot de petites vacheries entre amis ? Ca c'estprobable. Cette vie était la notre et nous l'acceptions telle qu'elle était. Tout ce que nous donnions à nos parents nous paraissait normal et tout naturel. Ce mot "paumés" est un peu caricatural, juste un peu perdus, égarés, presque rien, un petit rien qui laisse des traces indélébiles mais avec un peu d'intelligence on vit très bien. Et si je parle de cette enfance, c'est qu'elle était néammoins formidable. Par contre, une fois adulte, je savais très bien qu'il me faudrait apporter, à cette vie, quelques petites modifications, afin qu'elle ne ressemble pas trop à celle de mon enfance. Garder le bon et éliminer le mauvais, ne pas reproduire le même schéma. Si nous parlons de Coco, effectivement, il était en quelque sorte un protecteur, surtout pour mon père. Nous avons beaucoup compté sur lui. Une armoire à glace ce Coco !  Et connu de tout le quartier. Il est revenu deux fois, je crois, nous rendre visite dans notre nouvel appartement, puis lui aussi a dû quitter la rue du Pressoir et par la suite nous n'avons plus eu de nouvelles de lui.

    B.M. : Josette Farigoul, encore une question pour terminer notre entretien. Depuis, quelques mois, vous avez un contact par courriel, je dirais privilégié, avec Guy Darol, journaliste, écrivain et voisin d'enfance rue du Pressoir, dont vous ignoriez tout, jusqu'à la récente découverte de son site. Et là, vous apprenez qu'il est,  lui aussi, né dans le même immeuble, au même numéro de la rue du Pressoir. En plus, il est écrivain. Cela doit vous faire plaisir je suppose, car vous m'avez confié que lorsque vous étiez enfant, c'était un de vos souhaits de pouvoir écrire. Aujourd'hui,  chaque jour, des centaines de personnes peuvent vous lire sur le site de la rue du Pressoir. Comment vous vivez cela? C'est exaltant n'est-ce pas ?

    J.F.: Cette dernière question m'embarrasse. J'ai du mal à parler de mon ressenti intérieur, ce n'est pas que je ne veux pas mais je ne sais pas. Effectivement ce contact courriel avec Guy Darol me donne beaucoup de satisfaction et m'a permis de concrétiser, en partie, ce souhait que je n'ai jamais pu réaliser avant, par manque de temps. Ma pensée chimérique est quelque peu devenue réalité. Exaltant aussi, bien évidemment, mais tout ce que j'ai accompli ou donné dans ma vie n'était que cadeau, les choses étaient faites tout naturellement  sans contrepartie. Pour terminer sur notre rue du Pressoir, je dirai que j'étais loin de m'imaginer, en la quittant en 1966, que le fantôme de cette rue, et principalement le numéro 23/25, hanterait mes jours et mes nuits. Pour conclure cet entretien, je voudrais remercier Guy Darol, pour la création du site sur notre chère rue du Pressoir car je suis heureuse de m'être laissée embarquer sur sa vieille bécane à remonter le temps. Par son intermédiaire, notre rue du Pressoir s'est de nouveau animée comme au  bon vieux temps des années 50/60. Belle aventure que la mienne, bisous, Guy.

    Merci à vous, Bienvenu, pour votre invitation au voyage. Ce jour là, j'ai repris le chemin des écoliers et remonté la rue de mon enfance après 41 ans de réticence à retourner sur les lieux que je savais à tout jamais anéantis. Je vous embrasse Bienvenu.

    BM. :  Josette, merci infiniment d’avoir répondu à mes questions avec autant de vérité et de générosité.

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    Le café où Josette Farigoul et Bienvenu Merino se sont rencontrés en avril 2008

     

                                                                                                     

     

     

     

     

                                                                                                       

     

     

     

     
  • LE CARRE MAGIQUE

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    Belleville

    Je reviens de week-end, de Ménilmontant. J’ai fait l’aller-retour à pied depuis la rue des Boulets. Ma destination, le carré magique. Avant d’arriver place Léon Blum, j’ai  marché tout droit boulevard Voltaire en passant devant Japy, mon gymnase où, tout jeune sportif, j’appris  à allonger ma droite et préciser ma gauche, mais surtout, à éviter les coups. J’ai remonté la rue de la Roquette , emprunté le boulevard de Charonne et celui de Ménilmontant puis le boulevard de Belleville, laissant sur ma gauche l’avenue de la République. Là, à peine à quelques centaines de mètres me séparaient du Lycée Voltaire où mon ami Guy fit ses études secondaires, puis tout juste un peu plus  loin je m’attardais sous les fenêtres d’un immeuble, où habite Bévinda, la chanteuse de Fado « Pessoa em Pessoa » . « Je n’évolue pas, je voyage », écrivait le poète portugais Fernando Pessoa. Et assez vite, continuant le boulevard de Belleville, je  suis arrivé au métro qui porte le même nom. Belleville, enfin ! Belle la ville, tant attendue, chaleureuse, animée, cosmopolite, endimanchée. Femmes, hommes, jeunes et plus anciens, enfants, tous affables et très souriants attablés aux terrasses des cafés devant une limonade ou un diabolo menthe. Je n’ai fait que passer, j’ai marché encore plus haut, puis gravis de vieilles marches comme jadis, et descendu à nouveau des passages et des venelles,  poursuivant des ruelles escarpées, parallèles, et des passages tortueux d’autrefois semblant  me mener au  bout d’un champ ou d’un précipice ou d’un trou, pas de terrier de lièvre, plutôt d’éléphant, c'est-à-dire de pelleteuses énormes, cousines de celles qui ont retourné, labouré et anéanti la rue du Pressoir. En flânant sur la côte,  rue  de Belleville, j’ai fais du lèche-vitrines de bistrots. Deux filles chinoises, aux yeux aventureux, tantôt très noirs et tantôt verts émeraudes colombien, assises à une table, derrière la vitre, m’offrirent leurs plus beaux regards de jeunes filles innocentes. Ces nouvelles parisiennes par leurs origines lointaines ont changé le visage des habitants du quartier depuis quelques années.Et si on dispose très peu de données fiables sur l’aspect physique des Parisiens et sa variation au cours des siècles, il est difficile d’accorder du crédit aux notations des voyageurs ou d’écrivains. Les seules observations faites par des anthropologues sur de vastes échantillons de la population permettraient de se faire une idée à peu près exacte de l’apparence des Parisiens à diverses époques. Ce n’est pas le cas, l’anthropologie physique  ayant toujours été une discipline assez négligée en France. En 1970, dans la revue Population, Jacques Houdaille a présenté les résultats de quatre enquêtes sur la couleur des yeux et des cheveux sur des échantillons assez réduits de la population parisienne. Il semble que le pourcentage des yeux bleus ne se soit pas sensiblement modifié entre 1810 et 1951, oscillant autour du quart, les yeux bruns et noirs représentent à peu de chose près la même proportion ; la moitié des yeux se situant dans les nuances de gris et de vert. Une enquête établie sur des militaires, dénombre six cents soldats nés avant 1785 comptant 29 % d’yeux bleus, ce qui tendrait a indiquer qu’avant la Révolution , plus de Parisiens étaient issus des régions du Nord que dans les générations suivantes. Ces dernières cinquante années l’émigration a contribué à faire ce qu’est aujourd’hui la population de Ménilmontant depuis l’arrivée de très  nouveaux émigrants venus peupler et enrichir ces villages d’autrefois, entourés de coteaux plantés de vignobles et traversés de part en part de sentiers et de chemins par où cheminaient les travailleurs viticoles.

    En haut de Belleville

    Bien avant le boulevard Mortier, j’ai pris une traverse, la  rue des Pyrénées. Avec un peu d’imagination, j’avais  la sensation d’être au Pic du Midi. Et  au loin, tout là-bas,  un rideau gris clair percé de gouttelettes comme de la neige malade, grise et même grise foncée ; le soleil timide était trop timide, comme s’il avait peur de ce qui tombait discrètement du ciel, lui, pourtant si haut, inattaquable. Je voyais des pics flous et des chaînes de coton d’hôpitaux : la pollution sur toute la ville et,  un peu plus loin à droite, je me suis mis à l’abri, tel un montagnard,et j’ai tourné avec précaution dans la rue de Ménilmontant. J’ai descendu toute la rue ;  pas à pas, lentement, freiné par un cyclone de voitures et de vélibs ainsi qu’une procession de sans papiers en observant tout, tout, tout : les portes des immeubles avec leurs  sonnettes d’appels modernes, les fenêtres anciennes à l’oblique, les volets gris fermés, les portes cochères, les façades des immeubles, avec parfois, des poutrelles métalliques  qui retiennent  des pans de mur entiers pour éviter qu’ils ne s’écroulent. Je franchissais parfois les porches sombres et à l’intérieur clair me retrouvant dans des courettes pavées ou des lopins de terre encore existants par endroits, les églises, la mosquée, j’ai tout mémorisé, rien sur papier, rien  non plus sur appareil photographique. J’avais les mains libres semblables à celles des habitants du quartier qui allaient et venaient, ce dimanche, se promenant en  ce  jour de fêtes pascales. J’ai rencontré des chinois, japonais, des titi parisiens, des bretons, corréziens, algériens, égyptiens, marocains, des espagnols réfugiés de 1936… Avec eux nous avons parlé de Lény Escudero, mon ami, lui aussi, autrefois du quartier, et tout ça,  du voyage sans passeport. Je ne dis pas sans papiers ! J’étais  très heureux d’être là au milieu de mes semblables, mes compatriotes, ça au moins ça vous vous réconforte, de se retrouver à Paris et de se croire si loin au bout du monde ! Il y avait même un singe, un vrai,  à une fenêtre d’un premier étage, entre deux oursons jouets, dans les bras de deux petites filles débordant de tendresse. A la hauteur de l’église Notre-Dame-de-la-Croix,  des familles sortaient en chapelet d’une cérémonie religieuse. Deux garçons se chipotaient une image de la vierge ou d’une sainte, je ne sais pas, sous la grimace du père. Les enfants comprirent immédiatement le langage du papa. Le plus grand des garçons plia immédiatement en deux la belle image de la vierge ou de la sainte, cassant les jambes de l’immaculée, et il la rentra comme un couteau dans sa poche de veste. Un jeune couple rayonnant tout sourire, bras dessus, bras dessous, derrière le dos, marchait sans souci, heureux, amoureux certes. Des musiques se mélangeaient aux bruits des moteurs de voitures et des scooters pétaradants. Chacun  vivait sa vie au milieu d’autres vies, parfois si différentes les unes des autres par leurs pratiques religieuses et leurs éducation.

    Avec la quinzaine de Pâques, du dimanche des Rameaux à celui de Quasimodo  prenaient fin les fêtes de l’église chrétienne, destinées à rappeler le souvenir de la résurrection de Jésus-Christ. L’établissement de la fête de Pâques remonte à l’origine même du christianisme. Depuis le quantième concile de Latran en 1215, il est  ordonné à tous les fidèles ayant l’âge de discrétion de communier au moins une fois chaque année au temps de Pâques. Libre à eux de leur pratiques.  Mais comme chaque chose à une fin,  demain lundi, les Pâques seront closes. Alors que prend naissance depuis quelques semaines, dans le bas de Ménilmontant, ce que je nomme le carré magique, à l’intérieur d’un quadrilatère allant du boulevard de Belleville à la rue des Couronnes, de la rue Julien Lacroix à la rue de Ménilmontant, situé dans autre carré  plus petit, sorte d’îlot cimenté  en bordure de la rue des Maronites, et là, en son cœur, comme une blessure terrible, longue à guérir, pansée et bandée d’un linceul de ciment blanc, la rue du Pressoir décapitée il y a plus de quarante ans mais encore habitée,oui habitée si j’ose dire cela ainsi !

    Car la rue du Pressoir existe,  elle est toujours là, bien sûr. Elle n’a plus d’âme. De la fleur d’origine et de ses graines vivantes qui pouvaient lui donner vie durant trois siècles, et  perpétuer des générations, et nous donner à tirer des enseignements de la variété et des richesses d’autrefois. Elle est là, aujourd’hui la rue, telle un cimetière, où est inhumé tout le passé. La vraie rue du Pressoir est morte !Guy Darol est né rue du Pressoir. Il se rappelle encore, il veut se rappeler, surtout il ne veut pas oublier ; surtout pas, au contraire il veut « revivre » la rue du Pressoir, retrouver son enfance passée ici, l’offrir à ceux qui ne l’on pas connu et surtout à ceux qui y ont vécu presque toute leur vie, et qui, obligés de fuir, ne sont jamais revenus, n’ont jamais pu refaire le voyage, enlevés à leur pays et déracinés à jamais.

    La rue du Pressoir, aujourd’hui, est notre carré magique. De bouches à oreilles le cercle d’amis, pardon, le carré s’agrandit, les amies se parlent et reviennent voir, retrouvent leurs traces, se l’imaginent, recréent leurs appartements, là la cuisine, le petit salon, la chambre, l’alcôve, comme avant, lorsqu’ils jouaient ensemble à la poupée, aux billes, au gendarme et au voleur ; oui au voleur… et aux échecs. Ils n’oublieront jamais.

    Josette Farigoul a été pour Guy, UNE APPARITION.  Aujourd’hui, dans  son appartement de l’Eure, près de Rouen, elle dessine dans sa mémoire les plans qu’elle envoie par mail à son voisin de  petite enfance, pour comprendre et nous faire comprendre comment c’était avant, dans les années 1950 quand elle était petite, elle qui se souvient si bien  de sa jeunesse au 23 et 25 de « sa » rue, avec ses sœurs et ses parents, ses amies, sa maîtresse d’école, son mari, connu au café et qui pour la première fois monta l’escalier, à son bras, pour être présenté à ses parents. Bienvenu Merino

  • HISTOIRE D'UN PRENOM

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    J'ai lancé ma bouteille à la mer pour notre petite réunion entre copains. Il faut juste que tout le monde soit disponible un certain samedi.
    J'ai téléphoné à deux d'entre eux hier, ils se chargent de retenir une date qui correspondrait à tous.
    Je sais déjà que mon copain Claude et sa femme (ne l'oublions pas car elle nous supporte depuis 35 ans qu'elle est mariée avec lui) sont de sorties durant les trois semaines à venir. J'aimerais bien que cette réunion se fasse au mois d'avril. Nous verrons, ils vont me recontacter puisque nous nous réunirons chez moi.
    Je compte beaucoup sur Claude car il habitait plus vers le bas de la rue  après le passage Deschamps et je sais qu'il a beaucoup de souvenirs en tête.
    Je suis sûre que nous allons pouvoir remonter la rue du Pressoir presque sans encombre. Il suffit de se mettre à plusieurs. Hier, lorsque j'ai téléphoné à mon amie, elle m'a rafraîchi la mémoire sur un bâtiment situé à côté de chez elle et que j'avais oublié, maintenant je le vois très bien.
    Plus je regarde la photo où vous êtes avec vos parents et plus j'ai l'impression de reconnaître, principalement, votre père.
    L'escalier sur le blog me fait penser au mien. Je descendais les 3 étages à califourchon, sachant que c'était le vide avec la cave rn bas, un peu inconsciente. Un peu un garçon manqué. Pour être manqué, ça je l'étais. Ma mère m'a très souvent appelé Georges. Je vous dis, j'ai toujours eu beaucoup de chance ! je n'avais pas de prénom à ma naissance. Mes parents étaient persuadés que je serais un garçon qui se prénommerait Georges. Oh ! la surprise.  Comme je suis née au 25, c'est le médecin, bien embarrassé, qui m'a trouvé mon prénom. On l'appelle comment ? Georgette ? Ce prénom ne plaisait pas à ma mère (encore heureux, déjà que je n'aime pas Josette mais Georgette faut pas déconner!) et bien Josette ? Oh oui ! répondit ma mère. Et voilà comment ce prénom de Georges m'a poursuivit jusqu'à la mort de Maman en 1984. J'ai toujours pris ça pour une marque d'affection car quand elle en avait après moi, elle m'appelait Josette et ne me reprochait pas d'être une fille. En plus, mes parents n'ont eu que des filles.  Deux autres après moi, en 1953 et 1955. Elles m'appelaient Georges dans n'importe quels lieux ce qui pouvait porter à confusion lorsque j'étais jeune fille et même mariée. Je voyais parfois des gens me regarder avec des yeux ronds, se demandant si je n'étais pas un travesti. Je n'y prêtais même plus attention. Sauf parfois en voyant la tête des gens. Ah oui ! elle m'a appelé Georges. Ce prénom (que je n'aime pas particulièrement) ne m'a pas empêché de vivre. George Sand était bien une femme.  Josette Farigoul
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  • BIENVENU MERINO

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    Cher Guy Darol,

    C’est avec  plaisir que j’ai lu tes belles  pages sur la rue du Pressoir, et j’ai été très touché de contempler les  photos de cette époque, des numéros : 23-25 de la rue où tu habitais avec tes parents. C’est un quartier où j’aime aller très souvent. Je ne me fatigue pas d’arpenter ce vingtième arrondissement, ce vieux Paris, que j’habite depuis mes dix-huit ans.  Mais ce quartier de Ménilmontant m’est particulièrement cher. Alors, depuis quelques jours, après avoir lu tes articles et la très jolie lettre d’une admiratrice qui fait réponse à tes textes, avec cette passion qui caractérise les amoureux de ces lieux qui disparaissent et auxquels nous nous accrochons, comme un enfant ne voulant lâcher prise de la jupe de sa maman, et je comprends ce lien si fort de l’enfant s’accrochant de peur de perdre ce qui  est, à ses yeux le plus cher ; et elle a vraiment raison. Ménilmontant est connu du monde entier. Lors de mes voyages aux Etats-Unis et même en Alaska ou en Amérique du sud, je rencontrais bien souvent des admiratifs de ce Paris chantonnant. Et nombreux, me chantaient les vieilles rengaines de  ces villages d’autrefois, dont on a mal à croire maintenant  que c’était éloigné de ce qu’est notre capitale aujourd’hui.  Alors, cet après-midi, j’ai eu un désir foudroyant d’aller voir, et j’y suis allé, là  où tu habitais. J’ai marché depuis le métro Boulets Montreuil, où je réside, j’ai traversé le boulevard Voltaire, monté la  rue Alexandre Dumas, pris l’avenue Philipe  Auguste, longé( j’allais dire, langé)  le Père-Lachaise, et très vite, vraiment très vite, suis arrivé  rue de Ménilmontant, tout au début, près de la bouche de métro. Déjà, enfant je voulais toujours découvrir ou redécouvrir ces lieux qui ont habité et abrité les souvenirs de mon enfance.  A 14 heures, aujourd’hui ,  il faisait beau sur  Paris, très beau  sur Ménilmontant ; pas trop de soleil, juste des rayons jaunes brillants sur  un gris uniforme de belle qualité, troué parfois par des bleus et des blancs et même du rouge, comme s’ils avaient été peint par Van Gogh, et qui nous font lever la tête pour regarder les orangers du ciel et plonger nos yeux  vers ces pavés où jadis les vignes enrichissaient les beaux coteaux. Il n’y avait pas de bruit de tonnerre, c’est plutôt rare par ici, pas d’orage non plus comme si le vent des ailes des derniers oiseaux avait chassé les nuages. Etonnant non, à Paname ? Il y a des jours, on ne voit que la beauté, que des lunes proches ou des soleils qui nous éloignent de l’aliénation et de l’emprisonnement. Oh que c’est bien de marcher ainsi, seul, la tête claire et girouette, le regard attentif à tout ce qui se passe, à ce qui nous entoure. On y  voit ainsi toujours les pêchers et les cerisiers en fleurs près desquels flirtent les filles donnant de vrais baisers aux garçons amoureux allant se cacher  aux porches des églises, devant le front gris ruisselant  des charbonniers aux yeux d’africains portant sur leur dos des sacs de boulets d’ anthracite noirs pour faire rougir les poêles dans des maisons de village alignés en montant  cette rue de Ménilmontant, nom provenant d’un ancien chemin conduisant à un hameau formé autour d’un « ménil » ou villa, dit dans une charte de 1224 Mesniolum mali temporis (mesnil du mauvais temps) et dans une autre, de 1231, Mesnilium mautenz, appellation transformée vers le  XVIe siècle en Mesnil montant. Elle s’appela aussi, de 1672 à 1869, la chaussée et aussi l’avenue de Ménilmontant. C’était une belle route bien droite plantée de deux rangées d’arbres vers 1748, fréquent but de promenade des Parisiens car elle conduisait au plateau de Ménilmontant, qui atteint, aux environs de la rue Pelleport, une altitude voisine de 117 mètres.

     Je pourrais longtemps parler de ton quartier, du 20e qui est aussi le  quartier de la belle dame  qui t’a répondu si joliment sur ton blog. Mais je continue encore un tout petit peu le chemin qu’il me reste pour aller devant l’entrée de ta maison, de votre appartement . J’y suis arrivé par la rue Julien Lacroix, (section comprise entre les rues de Ménilmontant et des Couronnes)qui est, dans cette section, une partie de l’ancien chemin des Couronnes, indiqué en 1730. No 8 . Emplacement du bal de l’Elysée-Ménilmontant  disparu lors du percement, en 1897, de la rue qui porte son nom. Numéro 17, La rue des Maronites, ex-rue de Constantine jusqu’en 1867. Et puis…tout de suite, là, à droite, juste à l’angle rond de la rue des Maronites,  une bouche obscène prête à m’avaler m’ouvrit la rue du Pressoir. Tout à coup une lame frôlait  ma nuque  et mit fin à tout mes rêves d’hier . Alors…. cher Guy, chère lectrice à la belle lettre très émouvante qui vous a fait pleurer et m'a ému moi aussi. Quelle émotion d'entrer dans ce qui était la rue du Pressoir. Là, les anges m’ont abandonné. Ils ont été effrayés ; m’ont laissé seul, tout seul au milieu du béton… J’ai continué ma marche lentement, devinant, au virage, les numéros  23-25 de votre rue, le trottoir en arrondi, la porte, la fenêtre, l’escalier bien ciré qui grimpe, le garage, vous, deux enfants de la balle, l’épicier, la marelle : la terre et le monde, bien dessinée à la craie par Guy et vous, mademoiselle,  neuf ans, les jeunes camarades ; le garage, l’eau qui coule dans le caniveau, les paquebots en papier… Mais…  il n’y a plus rien de tout ça, de tout cela, de votre enfance. j’ai continué à marcher après le virage à gauche, puis tout de suite à droite, et  je n’ai plus voulu me retourner pour voir où vous habitiez. J'ai deviné, je crois. Oui, c’était bien là ! Bienvenu Merino

  • 23-25 RUE DU PRESSOIR

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    23-25 rue du Pressoir

    Voici le 23-25 de la rue du Pressoir (vingtième arrondissement de Paris) par où j'allais et venais, chaque jour, à partir de 1954, année de ma naissance. C’est mon pays, le pays natal. Avec son peuple, plus ou moins oublié. L’immeuble fut détruit (le quartier dans sa globalité) et ses habitants sans que l’on se soucie vraiment de l’effet produit par le choc d’une boule de fonte sur l’esprit d’un être, trop petit être sans doute, insignifiant le croyaient-ils.

    Je fus l’un de ceux obligés de fuir. Il le fallait. Vers nulle part. Exode en temps de paix. Nous devions quitter le pays. Un pays sans frontières, avec ses cœurs multicolores, ses ethnies, ses croyances si peu pesantes. Nous vivions sur un même palier, portes ouvertes.

    Cette locution on la pratique de nos jours, comme un jeu de mots. Portes ouvertes n’était pas, à la fin des années cinquante, une attitude, un challenge. On vivait ainsi, les uns avec les autres. Y compris, les uns chez les autres. C’était la vie, n’est-ce pas ?

    Je me doutais qu’en jetant une boutanche à la mer me reviendrait un oiseau. Je savais, un jour ou l’autre, qu’un ange agiterait ses ailes. Je viens de vivre ce moment de grâce. Comme si tout espoir était permis. Une leçon, non ?

    Je viens de connaître la grâce (subversive) qui bouscule le train-train du mensonge. Avec Josette Fariboul, ma voisine du 25 de la rue du Pressoir, la vérité se fortifie. Il fallait, somme toute, liquider le brouillage des couleurs. Il fallait unifier. Le couple De Gaulle/Malraux n’avait d’autre objet que la réalité d’un Paris unifié. Pas de couleurs ! Rien que que les vibrations chromatiques d’un peuple arraché à son abattoir. Mes parents venaient (expulsés tout comme) de Bretagne. Guy Darol

    Josette Farigoul a lu mon billet sur la rue du Pressoir. Elle y a vécu. Elle témoigne :

    «  J'ai lu que vous habitiez au 25 rue du Pressoir, moi aussi j'habitais au 25 de cette rue, que de souvenirs en lisant votre article. J'ai d'ailleurs le livre de Willy Ronis et de Clément Lépidis mais effectivement personne ne parle de notre rue du Pressoir. Je suis née au 25 en 1948 et j'y suis restée jusqu'à l'expulsion en 1966. Vous parlez du café chez Andrée, c'est dans ce café que j'ai rencontré mon mari en juillet 1965. L'épicerie de Madame Gilles, sa boutique était rouge, j'y allais tous les jours, elle nous faisait crédit. A cette époque la vie n'était pas facile. Il y avait aussi le coiffeur Vincent, le garage MARCHADIER, je crois. Dans la cour, le matelassier. J'aimais bien le regarder travailler. Passage Deschamps, la mère fouillis et au coin, le café chez FREDO. Notre concierge NICOLE. Au mois de novembre j'ai retrouvé une amie d'enfance, par l'intermédiaire de Copains d'avant, elle habitait passage du Pressoir, dans la diagonale du 25. Nous allions ensemble à l'école rue Etienne Dolet. Nous nous envoyons des mails depuis. Elle possèderait une photo du 25 rue du Pressoir et du garage. Elle va me la faire parvenir. Quel dommage de ne pas avoir de photos de notre rue. J'ai bien essayé de chercher mais je ne trouve pas. Je suis toujours en relation avec mes amis d'enfance de la rue du Pressoir. Nous sommes toujours présents pour les bons et les mauvais moments. Nous organisons des repas de temps en temps et à tous les coups nos conversations partent en délire sur la rue du Pressoir. Nous nous remémorons toutes ces bêtises d'adolescent que nous avons fait.
    Que de beaux souvenirs  que je n'ai jamais oubliés
    .
    Je vous adresse mes sincères salutations.
    Josette FARIGOUL

    Cher Guy,

    Merci pour votre réponse qui m'a bouleversée, principalement lorsque vous parlez de votre mère.  J'ai, à ce moment- là, pensé à mes parents qui sont partis bien trop tôt. Je dois vous avouer que j'ai pleuré devant mon ordinateur en lisant votre message.

    Il est certain que nous nous sommes croisés et que je connaissais, probablement, vos parents. Je connaissais tout le monde, j'ai très souvent fait des courses pour beaucoup de personnes, je gagnais quelques petites pièces pour acheter un pain, surtout en fin de mois. Mes parents avaient pas mal de problèmes.

    Je ne sais pas si vous vous souvenez que de temps en temps nous retrouvions, devant nos portes, des échantillons de lessive, savonnette Bébé Cadum, café etc... Votre mère s'en rappellera certainement. Et bien, si comme beaucoup de locataires elle ne trouvait rien devant sa porte, je peux bien l'avouer 50 ans après, c'est que j'étais passée par là en faisant tous les étages dans le noir. Pas de quoi en être fière.

    Donc vous, vous habitiez dans l'escalier face à la porte d'entrée. Moi, j'étais dans la cour, au 3ème étage, il n'y avait que trois étages de ce côté là. Logiquement vous étiez au 23 et moi au 25. J'étais souvent assise au bas de votre escalier, nous n'avions pas le droit de jouer dans la cour. J'étais aussi, souvent, dehors devant la porte. C'est pourquoi je dis que nous nous sommes déjà vus et même vos parents car nous devions dire bonjour à tous les locataires que nous croisions. A cette époque, c'était bonjour Monsieur ou bonjour Madame mais jamais un  simple bonjour en passant.

    Je me rappelle de petits garçons jouant aux billes devant le garage. Moi je jouais aux osselets ou aux cartes.

    Vous avez peut-être connu les jumeaux qui étaient plus de votre âge (1955) et qui habitaient un peu plus haut au dessus de chez Vincent, le coiffeur, après le café chez Andrée. Les jumeaux jouaient souvent dans le caniveau lorsque l'eau coulait, pieds nus en sandales, même en hiver. Ils s'appelaient Christian et Michel Choutier. Michel est décédé, bien trop jeune, en 1997. Christian, je le vois toujours avec ses soeurs qui sont mes amies d'enfance.

    Comme dit mon fils, nous, nous n'aurons jamais de tels souvenirs ni cette nostalgie que vous avez de votre quartier. Effectivement, comme vous le dites si bien, notre enfance a été sévèrement maltraitée du fait de cette destruction. "Ils ont cassé le berceau de mon enfance", quelle belle phrase de Jo Privat ! Je crois que nous pensons tous la même chose.

    Dans le livre de Clément Lépidis, Je me souviens du 20e arrondissement, à la page 79, photo rue de la Mare, en arrière plan, nous voyons une femme avec son cabas et  deux enfants. Cette femme est la mère de cette amie que j'ai retrouvée au mois de novembre, les deux enfants, cette amie Claudie et sa soeur. Claudie m'avait dit "regarde bien, dans son sac on voit une bouteille". Elle connaissait bien sa mère. A cette époque, malheureusement, l'alcool était présent dans beaucoup de familles. La pauvreté aussi mais sans jamais se plaindre.

    Je pensais que de votre côté il y avait 5 étages mais dans ce cas, si il y avait eu 5 étages, comment de la fenêtre de ma chambre au 3ème étage et bien sûr lumière éteinte, aurais-je pu voir les Baert, de votre côté au dernier étage à droite au fond du couloir, se battre pour à la fin se réconcilier en s'embrassant. J'en rigole encore car c'était très souvent et la bagarre se terminait toujours de la même manière. J'avais 13 ou 14 ans lorsque je les épiais et j'attendais le dénouement.

    Je crois qu'elle habitait au 1er toujours de votre côté, on l'appelait la Chinoise, mais il me semble qu'elle n'était pas Chinoise, c'était son mari qui était Chinois, elle m'envoyait acheter des sangsues, si je me souviens bien, chez l'herboriste, rue des Couronnes.

    Au rez-de-chaussée, sur la photo du 25 on voit leur fenêtre, là habitaient les Dilouya. Sur cette même photo, la fenêtre au dessus du garage, c'était chez Cocotte, pourquoi on l'appelait Cocotte, je ne sais pas. Il faisait de la couture, un Juif qui avait bien failli être arrêté pendant la guerre. Juste avant l'arrivée des Allemands, il s'était caché sur la terrasse du garage. C'était tellement le merdier sur cette terrasse qu'il n'avait pas eu de mal pour se cacher. Maman était à sa fenêtre, elle avait vu Cocotte se cacher et tout de suite, après, les Allemands arriver. Ce pauvre Cocotte était connu du quartier car il avait tellement été traumatisé que, certaines nuits, il entrait en crise, se mettait à hurler pensant que les Allemands revenaient, il clouait des planches à sa fenêtre pour les empêcher de rentrer chez lui. Le lendemain matin on voyait notre Cocotte déclouer les planches. Tout était rentré dans l'ordre jusqu'à la prochaine fois. Maman m'avait raconté son histoire car ses cris en pleine nuit faisaient peur et je ne comprenais pas pourquoi il clouait des planches à sa fenêtre, la nuit, pour les enlever le lendemain. Il nous aimait bien mes soeurs et moi, il nous offrait souvent des bonbons, certainement par reconnaissance, sans jamais avoir reparlé de cette histoire ni lui ni ma mère.

    Il y a eu de sacrées histoires dans nos immeubles. Mais que de beaux souvenirs.

    L'endroit qui me faisait peur c'était  cette espèce de couloir entre l'escalier et la loge de concierge, un couloir très sombre qui me permettait d'aller chez Madame Gilles lorsque la boutique était fermée. Je n'aimais pas passer par là.

    Sans parler, de mon côté, dans la cour, celui du rez-de-chaussée qui en se suicidant au gaz aurait pu faire sauter l'immeuble. Madame Paulette qui sur la cinquantaine, peut-être plus, exerçait, encore, le plus vieux métier du monde, comme elle rentrait vers 2 ou 3 heures du matin, elle m'appelait pratiquement tous les jours pour faire ses courses. Une fois par semaine je lui achetais Intimité et Akim. Des souvenirs et des noms qui restent ancrés dans ma mémoire et pourtant j'avais 10 ou 12 ans.

    Mon nom de jeune fille est IDOUX, nous étions 4 filles. Les 4 filles du père Idoux comme certains locataires disaient.

    Même si la vie n'était pas facile pour tout le monde quelle belle époque. J'ai dans la tête plein de souvenirs du temps où j'ai vécu Rue du Pressoir. Après l'expulsion plus rien n'était pareil. Ma mère qui chantait tout le temps et commençait à 6 heures du matin n'a plus jamais chanté lorsque nous sommes arrivés vers la porte de Bagnolet. Tout était cassé.

    Vous trouverez aussi une photo de la boutique de Madame Gilles et la façade de l'immeuble qui vous rappellera quelque chose, je pense. Par contre quand nous voyons l'immeuble en construction, notre rue n'a plus rien à voir avec ce que nous avons connu.

    Amicalement et un grand bonjour à votre maman.

    Josette

    Cher Guy,

    C'est encore avec beaucoup d'émotions que je lis votre réponse, pour un petit garçon si jeune, je trouve que vous vous rappelez de beaucoup de choses. Vous en parlez si bien, les mots sont très beaux, c'est aussi votre métier. Moi je n'ai qu'un certificat d'études car il fallait travailler très jeune pour aider nos parents. Les épreuves nous font grandir. J'ai beaucoup de souvenirs en mémoire car la vie était très dure. Durant 20 ans, je n'ai pu écouter la chanson de Daniel Guichard "Mon vieux" chanson pourtant que j'adore ainsi que Daniel Guichard, mais j'ai dû attendre 1991 ou 1992 pour aller le voir à l'Olympia. J'ai malgré tout pris sur moi lorsqu'il l'a chantée. Depuis, les rares fois où il passe à Paris ou a Rouen, puisque j'habite dans l'Eure, près de Rouen, je vais le voir.

    Cette chanson me rappelle trop mon père sauf qu'il n'avait pas un vieux pardessus râpé mais un veston et sa musette avec sa bouteille, mais chut !!! qu'il n'a pas pris le même autobus de banlieue mais le métro à Couronnes. Certainement qu'avant de prendre son métro il s'arrêtait "Aux lauriers roses" et tout au long de cette chanson, je le reconnais.

    Effectivement vous étiez certainement cet enfant qui jouait dans le caniveau devant le garage. Les mamans aimaient bien surveiller leurs enfants de leur fenêtre. Je devais jouer la comédie pour pouvoir jouer devant la porte comme je disais car de la cour, maman ne pouvait pas me surveiller.

    Je vais demander à mon amie que je viens de retrouver  48 ans après et qui elle habitait passage du Pressoir, si elle se rappelle d'une dame qui gardait des enfants.

    Oh oui, que ce couloir et cet escalier étaient sombres. De mon côté il y avait une fenêtre à chaque palier mais une cave qui faisait très peur. J'arrive encore à rêver de cette cave et de la cour.

    Certainement que cette Régina, je la connaissais aussi, malheureusement je ne me souviens pas des noms.

    Il est vrai que la télévision c'était magique. Nous avons eu la télé, j'avais 12 ans, donc en 1960, en fin d'après-midi si je me rappelle bien, lorsque l'image apparut c'était Rintintin. Super !

    On était, malgré tout, souvent seuls.  Les parents ne laissaient pas, effectivement "traîner" leurs enfants. Je me suis rattrapée, un peu, vers mes 15 ans.

    En regardant le fil de ma vie, je me dis que j'ai toujours travaillé, au début pour aider mes parents, par la suite avec mon mari, qui avait une entreprise d'ascenseurs et qui est parti, bien trop tôt, en 1993, tué par le stress, d'un infarctus, en quelques minutes. Puis après, avec mon fils, ils ont tous compté sur moi, et moi je vis quand ? Je crois surtout que j'ai la vie que j'ai choisie.

    Comme vous le dites si bien, à la fin, en parlant du 23/25 "un pays en somme". Exactement, moi je dis toujours : nous sommes comme les pieds noirs, nous avons la nostalgie de notre pays.

    Comme beaucoup de personnes ayant vécues dans ce quartier, nous avons tous un point commun "la nostalgie de ces belles années"

    Et bien, après toutes ces  évocations, je vais pouvoir me mettre au travail.

    Bien amicalement,

    Josette