Cher Guy Darol,
C’est avec plaisir que j’ai lu tes belles pages sur la rue du Pressoir, et j’ai été très touché de contempler les photos de cette époque, des numéros : 23-25 de la rue où tu habitais avec tes parents. C’est un quartier où j’aime aller très souvent. Je ne me fatigue pas d’arpenter ce vingtième arrondissement, ce vieux Paris, que j’habite depuis mes dix-huit ans. Mais ce quartier de Ménilmontant m’est particulièrement cher. Alors, depuis quelques jours, après avoir lu tes articles et la très jolie lettre d’une admiratrice qui fait réponse à tes textes, avec cette passion qui caractérise les amoureux de ces lieux qui disparaissent et auxquels nous nous accrochons, comme un enfant ne voulant lâcher prise de la jupe de sa maman, et je comprends ce lien si fort de l’enfant s’accrochant de peur de perdre ce qui est, à ses yeux le plus cher ; et elle a vraiment raison. Ménilmontant est connu du monde entier. Lors de mes voyages aux Etats-Unis et même en Alaska ou en Amérique du sud, je rencontrais bien souvent des admiratifs de ce Paris chantonnant. Et nombreux, me chantaient les vieilles rengaines de ces villages d’autrefois, dont on a mal à croire maintenant que c’était éloigné de ce qu’est notre capitale aujourd’hui. Alors, cet après-midi, j’ai eu un désir foudroyant d’aller voir, et j’y suis allé, là où tu habitais. J’ai marché depuis le métro Boulets Montreuil, où je réside, j’ai traversé le boulevard Voltaire, monté la rue Alexandre Dumas, pris l’avenue Philipe Auguste, longé( j’allais dire, langé) le Père-Lachaise, et très vite, vraiment très vite, suis arrivé rue de Ménilmontant, tout au début, près de la bouche de métro. Déjà, enfant je voulais toujours découvrir ou redécouvrir ces lieux qui ont habité et abrité les souvenirs de mon enfance. A 14 heures, aujourd’hui , il faisait beau sur Paris, très beau sur Ménilmontant ; pas trop de soleil, juste des rayons jaunes brillants sur un gris uniforme de belle qualité, troué parfois par des bleus et des blancs et même du rouge, comme s’ils avaient été peint par Van Gogh, et qui nous font lever la tête pour regarder les orangers du ciel et plonger nos yeux vers ces pavés où jadis les vignes enrichissaient les beaux coteaux. Il n’y avait pas de bruit de tonnerre, c’est plutôt rare par ici, pas d’orage non plus comme si le vent des ailes des derniers oiseaux avait chassé les nuages. Etonnant non, à Paname ? Il y a des jours, on ne voit que la beauté, que des lunes proches ou des soleils qui nous éloignent de l’aliénation et de l’emprisonnement. Oh que c’est bien de marcher ainsi, seul, la tête claire et girouette, le regard attentif à tout ce qui se passe, à ce qui nous entoure. On y voit ainsi toujours les pêchers et les cerisiers en fleurs près desquels flirtent les filles donnant de vrais baisers aux garçons amoureux allant se cacher aux porches des églises, devant le front gris ruisselant des charbonniers aux yeux d’africains portant sur leur dos des sacs de boulets d’ anthracite noirs pour faire rougir les poêles dans des maisons de village alignés en montant cette rue de Ménilmontant, nom provenant d’un ancien chemin conduisant à un hameau formé autour d’un « ménil » ou villa, dit dans une charte de 1224 Mesniolum mali temporis (mesnil du mauvais temps) et dans une autre, de 1231, Mesnilium mautenz, appellation transformée vers le XVIe siècle en Mesnil montant. Elle s’appela aussi, de 1672 à 1869, la chaussée et aussi l’avenue de Ménilmontant. C’était une belle route bien droite plantée de deux rangées d’arbres vers 1748, fréquent but de promenade des Parisiens car elle conduisait au plateau de Ménilmontant, qui atteint, aux environs de la rue Pelleport, une altitude voisine de 117 mètres.
Je pourrais longtemps parler de ton quartier, du 20e qui est aussi le quartier de la belle dame qui t’a répondu si joliment sur ton blog. Mais je continue encore un tout petit peu le chemin qu’il me reste pour aller devant l’entrée de ta maison, de votre appartement . J’y suis arrivé par la rue Julien Lacroix, (section comprise entre les rues de Ménilmontant et des Couronnes)qui est, dans cette section, une partie de l’ancien chemin des Couronnes, indiqué en 1730. No 8 . Emplacement du bal de l’Elysée-Ménilmontant disparu lors du percement, en 1897, de la rue qui porte son nom. Numéro 17, La rue des Maronites, ex-rue de Constantine jusqu’en 1867. Et puis…tout de suite, là, à droite, juste à l’angle rond de la rue des Maronites, une bouche obscène prête à m’avaler m’ouvrit la rue du Pressoir. Tout à coup une lame frôlait ma nuque et mit fin à tout mes rêves d’hier . Alors…. cher Guy, chère lectrice à la belle lettre très émouvante qui vous a fait pleurer et m'a ému moi aussi. Quelle émotion d'entrer dans ce qui était la rue du Pressoir. Là, les anges m’ont abandonné. Ils ont été effrayés ; m’ont laissé seul, tout seul au milieu du béton… J’ai continué ma marche lentement, devinant, au virage, les numéros 23-25 de votre rue, le trottoir en arrondi, la porte, la fenêtre, l’escalier bien ciré qui grimpe, le garage, vous, deux enfants de la balle, l’épicier, la marelle : la terre et le monde, bien dessinée à la craie par Guy et vous, mademoiselle, neuf ans, les jeunes camarades ; le garage, l’eau qui coule dans le caniveau, les paquebots en papier… Mais… il n’y a plus rien de tout ça, de tout cela, de votre enfance. j’ai continué à marcher après le virage à gauche, puis tout de suite à droite, et je n’ai plus voulu me retourner pour voir où vous habitiez. J'ai deviné, je crois. Oui, c’était bien là ! Bienvenu Merino