Il m’emmenait le long des boulevards, de l'Opéra à République, et bien sûr à la Foire à la ferraille lorsqu’elle faisait son déballage le long du boulevard Richard-Lenoir.
Tout ça pour vous dire que j’ai le souvenir de quelques bateleurs, hercules et autres mangeurs de mégots allumés qui officiaient là où se trouvait le promeneur.
Je me souviens particulièrement de deux hercules. Le premier, accompagné d’un compère, crachait le feu sur le terre-plein central du Richard-Lenoir, presque à la place de la Bastille, pour attirer la galerie. Des poids, des haltères et des chaînes s’entassaient au milieu du cercle des curieux.
J’étais très impressionné par cet homme à l’air encore jeune et aux cheveux longs déjà gris. Court et trapu, il exhibait son torse tatoué, ses bras musculeux et une forte bedaine maintenue par une très large ceinture de cuir.
Il buvait à la bouteille de grandes goulées d’alcool ou d’essence, je ne sais pas très bien, qu’il recrachait en pluie sur ses torches pour faire apparaître les flammes que tout le monde guettait. Le compère commençait la manche en gueulant que le spectacle commencerait vraiment quand le chapeau serait rempli de pièces. Ensuite, il distribuait parmi l’assistance quelques barres de fer en demandant aux hommes les plus costauds d’essayer de les tordre.
Devant l’échec de tous, il les portait à l’hercule qui, les calant sous un bras, les tordait en U à l’aide de l’autre main. Après venaient les autres démonstrations de force pure pendant lesquelles il soulevait des poids de toutes formes et de toutes grosseurs.
Le spectacle se terminait toujours de la même façon. L’athlète se faisait enchaîner par son comparse qui faisait de multiples tours autour de son corps avant de boucler les derniers maillons par un gros cadenas.
Le visage de l’artiste se convulsait de grimaces étudiées, les muscles se bandaient et le corps rougissait sous l’effort. Il se démenait quelques minutes sous les encouragements des badauds et les quolibets des habitués. Puis, comme par miracle, les chaînes tombaient pour laisser apparaître la peau meurtrie, marquée par le métal comme par de nouveaux tatouages.
Je devais avoir dix ou onze ans, ce qui daterait cette scène au début des années 1960.
Si ce témoignage vous convient, je vous parlerais une autre fois du fakir du boulevard Edgar-Quinet. Gérard Lavalette, photographe
Pour mieux connaître Gérard Lavalette :
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http://www.pariscool.com/index.html
http://www.flickr.com/photos/gerard_lavalette/sets/
Commentaires
Merci cher Monsieur Lavalette pour ce témoignage. En parcourant votre récit, j'essaie de faire ressurgir, de ma mémoire, ces scènes d'Hercules et cracheurs de feu. Il est évident que, même si je ne revois pas distinctement ces scènes, j'ai obligatoirement assisté à ces exhibitions publiques. Si vous alliez, avec votre père, à la foire à la ferraille sur le boulevard Richard Lenoir, moi je m'y trouvais, aussi, avec mon père. Mon père n'ayant pas de garçon mais 4 filles, il fallait bien en choisir une pour l'accompagner et comme toujours c'est tombé sur moi. J'en ai fait des foires à la ferraille avec ce père bien trop tôt disparu. Je me revois très bien sur le boulevard Richard Lenoir, je me souviens d'un jour particulier, je devais avoir 8 ou 10 ans, mon père m'avait acheté un 45 tours avec la particuliarité d'être en plastique très souple, on pouvait le tordre. J'étais heureuse, ce titre est resté graver dans ma mémoire, Nick Nack Paddy Whack, cette chanson, je la chante encore, paroles Françaises de Boris Vian.
C'est avec des témoignages comme le votre que remontent à la surface certains souvenirs, d'enfant d'une dizaine d'années, enfouis très très loin, au plus profond de notre mémoire.
Josette
Nous sommes tous du boulevard Richard-Lenoir et de sa foire à la ferraille. Tous nous avons tenu la main du père. Le père des dimanches frisquets. Avec, Joseph, mon daron, on flânait sur le vaste trottoir, nullement pour chiner. Pour voir, rien que pour voir. On touchait des yeux. On humait aussi. Il faisait froid et chaud. Odeur de marrons. Chauds, chauds les marrons !
Après la flânerie, le cinéma. L'expédition se poursuivait vers la rue de Lyon (Le Liberté) ou la rue Saint-Antoine (Studio Rivoli ou Saint-Paul). A moins que les pas de mon père nous mènent au Cinévox du Faubourg Saint-Antoine ou au Dejazet du "Boulevard du Crime".
Hercules de foire, rois de l'évasion, fakirs... quelque soit le chemin qui menait au grand écran, nous les rencontrions, invariablement.
La rue, comme le cinéma, était un spectacle permanent.