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LE "MAQUIS" DANS LE FAUBOURG DU TEMPLE

 

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La Traversée de Paris - Claude Autant-Lara


 

Qui a connu cette petite rue Robert-Houdin qui donne entre le Faubourg-du-Temple et la rue de L'Orillon ? En 1945, elle avait été surnommée "Le Maquis". Peut-être y avait-t-on fait de la résistance, du trafic sûrement. Tout ce qui était le "Marché Noir" Il fallait la voir quand vers les 17-18 heures elle commençait de s'animer. Les "vendeurs" venaient s'installer et prenaient place sur les trottoirs, chacun sortait sa marchandise aussi variée qu'insolite, car on y vendait de tout. Le  quidam, à condition que son portefeuille soit bien garni, qui y entrait à poil d'un coté pouvait s'il le désirait, en ressortir de l'autre côté habillé de pied en cap portant sous le bras sa baguette de pain, dans son cabas toutes sortes de victuailles introuvables chez les commerçants patentés du coin, et même traînant en laisse par la main un chien corniaud ou de pure race.

 

Quelle époque ! La guerre se terminait. Pendant quelques jours les boulangers avaient vendu du "pain blanc" mais vraiment blanc comme on ne l'avait plus connu depuis quatre années. C'était de la folie, il fallait voir cela. On manquait de tout, les produits proposés étaient de l'ersatz (succédanés), et l'imagination était sans limites : on fumait de la mousse mélangée à un grossier tabac belge, ("Fume, c'est du Belge !"), on lavait le linge avec de la cendre de bois et les pneus de vélo étaient chargés de bouchons de liège. Nous avons affreusement souffert de toutes ces privations.

 

 

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Carte d'alimentation


 

Comme le rappelle Jean-Claude Rihard dans l'un de ses billets sur la participation au trafic de cartes de pain, il s'en imprimait un peu partout, de bonne et de moins bonne qualité. Les plus douteuses, il fallait les frotter un peu sur le sol pour leur donner une couleur plus convaincante et on se risquait dans une boulangerie. Là, suivant la bienveillance et l'indulgence de la boulangère, elle acceptait ou refusait nos tickets qui sentaient encore l'imprimerie et la mauvaise encre. Car il faut dire qu'il arrivait que les fonctionnaires du "Contrôle Économique" les refusent et alors il fallait les rembourser. 

  

Les Ricains

  

Le débarquement des alliés avait eu lieu et les Américains remplaçaient les "Verts de gris" à l'Hôtel Moderne, Place de la République, à deux stations de métro de Belleville.

 

 

A cette époque, le trafic battait son plein et chaque soir, vers les 21 heures, nous quittions Belleville avec quelques copains par la rue du Faubourg-du-Temple, direction République. Nous allions faire  "Les Ricains".

L'opération consistait à attendre que les nombreux G.I.'s entrent ou sortent de leur hôtel, alors nous les interpellions grâce aux quelques mots appris dans le petit dictionnaire "français-anglais", investissement indispensable que j'ai  conservé.   

- Hello Joe, have you cigarettes to sale, chewing-gum, soap ?

( Mon Anglais était du mot à mot, mais cela marchait…)

 

 

 

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Et souvent, le gars avait quelque chose à vendre. Ils se passaient le mot et étaient nombreux à faire ce commerce. Nous achetions ainsi toutes sortes de produits introuvables à Paris : bas nylon, tabac, savonnettes, pantalons, blousons,  mille choses … Vers 1  à 2 heures du matin, nous remontions avec notre marchandise vers Belleville. On rangeait la cargaison chez soi, à condition que la flicaille, au parfum du manège, ne nous alpague pour passer quelques heures au commissariat du quartier, et que notre marchandise disparaisse dans leurs placards.

Enfin, si tout se passait bien, nous avions le droit de nous reposer et de dormir.  Le lendemain, on se levait assez tard vu l'heure du coucher.  C'était dans la soirée, vers les 17-18 heures que nous chargions nos produits dans les poches ou la chemise pour aller nous installer sur les trottoirs du "Maquis", rue Robert-Houdin. Alors, doucement, le chaland arrivait, faisant des aller-retours à la recherche de ce qu'il pourrait s'offrir.

 

Debout, les mains dans le dos, nous répétions en chuchotant : américaines, chocolats, savonnettes, chewing-gum ... Un client s'arrêtait, intéressé, et nous marchandions les prix.  Les paquets de Camel, Lucky Strike, Chesterfield et autres Old Gold sortaient discrètement des poches et s'échangeaient contre argent comptant. La "rousse" en civil rodait. Nous les connaissions, et pourtant ils arrivaient à nous faire aux pattes.  Nous leur donnions des noms, l'un d'entre eux était baptisé Chapeau vert. C'était bête, il en portait toujours un. Il nous arrêtait tout simplement, sans résistance de notre part, et nous emmenait au commissariat le plus proche mais c'était souvent celui de la rue Pradier, dans le 19e. Là, ils vidaient les poches de nos marchandises que les fonctionnaires se partageraient un peu plus tard.

 

 

Parfois, c'était plus sérieux, ils y mettaient le paquet, il y avait des rafles monstres. Des cars à claire-voie emplis de gardiens se plaçaient au deux accès de la rue (Faubourg-du-Temple et de l'Orillon) empêchant toute échappée. Tout le monde était bloqué : vendeurs, acheteurs, joueurs de "passe anglaise" et de bonneteau.  Les agents descendaient en trombe des cars et investissaient la rue, s'éparpillant partout. Alors c'était la débandade, chacun cherchant à s'évader de la souricière, certains qui portaient sur eux des produits bien plus risqués tentaient de s'échapper par les toits des immeubles, vite rattrapés par les fonctionnaires de police, fouillés, ils étaient parfois porteurs de dollars ou plus grave, d'armes à feu dont ils n'avaient pas eu le temps de se débarrasser.  Ceux-là étaient emmenés à part dans des "paniers à salade".

 

Les gens étaient alignés sur les trottoirs. On  faisait l'inventaire de  leurs poches, ils étaient alors chargés dans les cars et emmenés "Quai de Gesvres". Les agents se tenaient sur les marchepieds interdisant les évasions.  On payait une  amende et la marchandise était évidemment confisquée.

 

Je sais, certains diront que c'était du "marché noir", que ce n'était pas bien… Mais que celui ou celle qui n'y a jamais eu recours comme vendeur ou comme acheteur le dise, ils ne seront pas nombreux. Il fallait bien manger, se vêtir, se chauffer. Ce marché parallèle permettait quand même  aux gens du peuple de trouver ce qui n'existait plus dans les commerces. Et de " gagner sa croûte" tout simplement.

Je suis repassé récemment dans le Faubourg. La rue est vide et abandonnée, toute grise…  comme Belleville.  Robert Gostanian

 

 

 

Commentaires

  • Très beau récit, je n'ai, bien sûr, pas vécu tout ce que raconte Robert puisque je suis née en 1948, mais Maman m'a raconté la même histoire. Effectivement il fallait bien vivre et se nourrir. Le marché noir, hé oui et alors !
    Je me rappelle, Maman me parlait de bas nylon, de tabac, de savonnettes et bien d'autres choses que nous ne trouvions qu'au marché noir.
    Merci Robert de me faire redécouvrir une partie de la dure vie de mes parents.
    Bien amicalement à tous.
    Josette

  • Robert Gostanian me tire encore une larme!
    Trop jeune pour avoir pu vivre les petits traffics durant le guerre .... le marché noir ce n'était probablement pas bien mais il a permi de faire survivre des milliers de personnes durant cette difficile époque.

    La Robert Houdin, je l'ai bien connue à peine plus tard 1950 et au delà. C'était une rue assez typique du "Bas-Belleville". Parfois on y venait depuis Couronnes par la rue de l'Orillon, c'était les jours ou l'on était pressé, sinon on arrivait par le Fg du Temple car cela permettant de faire les marchands de 4 saisons en même temps!
    Il y avait dans cette rue Robert Houdin une petite boutique d'aquariophilie et ma grand-mère venait y acheter ses poissons rouges et la nourriture adhoc. Descendre depuis Couronnes jusque là, c'était loccasion de faire les courses au Dimax (Monoprix), il fallait rentabiliser le déplacement!

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