Le canal Saint-Martin
Souviens-toi du canal Saint Martin
Souviens-toi comme on s'aimait bien
Le soleil d'hiver éclairait
Les péniches et les vieux quais.
Nous allions la main dans la main
Unissant pour un jour nos destins
Comme ceux qui ne savent pas
Que tout meurt hélas ici bas.
Souviens-toi, souviens-toi quelques fois
Des bons moments passés d'autrefois
Du temps où tu te savais jolie
Que mon crâne n'était pas dégarni.
Souviens-toi des casse-croûtes au jambon
Et de la bière qui sentait si bon
Du café de La Capitale
Qui se trouvait sur le quai de Jemmapes.
Souviens-toi, souviens-toi où que tu sois
Et si par hasard tu passais par-là
Vas dire un p'tit bonjour à la Grisette
Et fais-lui de ma part une risette.
Chanson Canal Saint- Martin
28 novembre 1969
Robert G.
Je pense aux Portes de la nuit, ce film de Marcel Carné et ses dialogues signés de Jacques Prévert que je trouve magnifique. Quelle poésie ! L'époque d'abord, celle de l'après-guerre, cette ambiance si particulière où chacun se "recherchait" et ne se retrouvait pas toujours. Le sifflet strident du train qui court dans la nuit, qui vous blesse, vous transperce de part en part et s'enfuit sans vous, en vous laissant là !
J'aime le passage où ce jeune titi et la fille de Carette, le vendeur de piles électriques, se parlent et font des projets. Il lui dit qu'aux beaux jours, ils pourront aller se baigner dans le canal. Elle lui répond timide, ingénue: "Mais je n'ai pas de maillot !" ; "Ça ne fait rien, qu'il lui répond, on ira plus loin ". Elle le regarde, puis baisse ses jolis yeux, gênée, un peu effrayée.
Et encore, obligé de citer Hôtel du Nord, rue de la Grange-aux-Belles où Mouloudji se rendait aux réunions politiques avec son père et rue des Ecluses Saint-Martin, là où il y avait encore dans les années 1944-45 un maréchal ferrant où j'amenais, le samedi matin, les chevaux des Messageries Nationales qui se trouvaient non loin de là, rue Claude Vellfaux.
Le marteau chantait sur l'enclume en rebondissant et le quartier se retrouvait comme par enchantement à la campagne... avec le bruit, l'odeur et le hennissement des chevaux.
Car à l'époque, il n'y avait pas beaucoup de véhicules à moteur ou alors ceux qui utilisaient le "gazogène", cette grosse carcasse noire qui dépassait sur le bord du camion et qui fumait et aussi les sacs de bois en réserve. Conduire un plateau à ridelles chargé, attelé de deux chevaux, rue du Faubourg Saint-Honoré dans la circulation n'est pas du genre aisé. Il faut savoir les conduire ces bêtes ! Il m'est arrivé de le faire quand le conducteur était parti livrer à son tour.
Mais je m'éloigne quelque peu de mon canal. Revenons-y. Un soir, tard avec ma fiancée, nous nous étions installés sur un de ces bancs dans le square qui longe la berge. Enlacés nous rêvions. En face, sur l'autre rive, dans un immeuble, une fenêtre était éclairée et dans cette pièce nous distinguions avec précision un homme qui refaisait, comme on dit, son logement. Il peignait, collait, posait des papiers peints. Il y allait de bon cœur, le brave. Et nous, sans même se parler ni penser à nous embrasser, nous restions silencieux, longtemps, longtemps à regarder ce travailleur de la nuit. Le temps a passé et il commençait à se faire tard. Nous sommes sortis enfin de notre contemplation et avons pris calmement le chemin du retour, comme dans la chanson de Brassens. Certainement qu' ils se tiennent par la main, parlent du lendemain, des papiers bleu d'azur que revêtiront les murs de leur chambre à coucher… Robert G.