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littérature

  • RADIOSCOPIE DE CLEMENT LEPIDIS

     

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    Le 20 juin 1980, Clément Lépidis fut l'invité de Jacques Chancel pour une Radioscopie de sa vie. On y apprend beaucoup. On découvre le grouillot photographe qu'il a été, le commis d'agent de change à la bourse de Paris, le représentant en préservatifs et en produits de beauté, l'homme de tous les métiers, le titi parisien amoureux de la Grèce et de Belleville.

     

    Cliquer sur le lien ci-dessous pour écouter

     

    RADIOSCOPIE DE CLEMENT LEPIDIS

  • CLEMENT LEPIDIS/ECRIVAIN CATHODIQUE

     

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    Depuis jolie lurette que vous flanôchez sur le blog de la rue du Pressoir, vous savez notre enthousiasme inextinguible  pour l'oeuvre de Clément Lépidis, pour l'homme Lépidis, soutien infaillible de Belleville.

    Il nous a paru nécessaire de vous le montrer, non pas sous toutes les coutures, mais tel que la télévision l'a filmé. Car il fut souvent sous les projecteurs et devant les caméras, défendant ses livres bellevillois, prévenant de la mort d'un quartier si l'on n'y faisait rien. De plus en plus pessimiste, Lépidis finit par déclarer que Belleville serait de toute façon détruite dans quelques décennies. C'était en avril 1978.

    Pour retrouver l'auteur de La vie en chantier (roman autobiographique) et de Belleville au coeur, il vous suffit de cliquer sur les liens ci-dessous. Ainsi Clément Lépidis vous deviendra de plus en plus merveilleux, de plus en plus fraternel.

     

     

    CLEMENT LEPIDIS A APOSTROPHES POUR DEFENDRE LA MAIN ROUGE


    SUR LE PLATEAU DE L'EMISSION AUJOURD'HUI MADAME L'ECRIVAIN EVOQUE LES FOLIES-BELLEVILLE, DAMIA ET FREHEL

     

    SUR LE PLATEAU DE L'EMISSION AUJOURD'HUI LA VIE L'ECRIVAIN PARLE DE SES DIMANCHES A BELLEVILLE

     

    EN 1996, L'ECRIVAIN SE SOUVIENT DE BELLEVILLE QUI SELON LUI EST MORT

     

    CLEMENT LEPIDIS, ROBERT DOISNEAU ET ODETTE LAURE SE RAPPELLENT LES 14 JUILLET DE LEUR JEUNESSE

     

    BERNARD PIVOT INVITE L'ECRIVAIN SUR LE PLATEAU D'APOSTROPHES A L'OCCASION DE LA PUBLICATION DE L'OR DU GUADALQUIVIR

     

    CLEMENT LEPIDIS DIT VOULOIR QUITTER BELLEVILLE QU'IL CONSIDERE N'ETRE PLUS SON QUARTIER

     

    POUR L'EMISSION OUVREZ LES GUILLEMETS L'ECRIVAIN INTERROGE QUELQUES HABITANTS DU QUARTIER

     

    DANS SAGA CITES CLEMENT LEPIDIS ET JO PRIVAT EVOQUENT L'UN DES PLUS VIEUX QUARTIERS DE PARIS

     


     


  • CLEMENT LEPIDIS ET LES ASSASSINS DE BELLEVILLE

     

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    C'est souvent (et cela se reproduira) que je rappelle le nom de Clément Lépidis, infatigable défenseur de Belleville, contempteur des casseurs de Belleville.

    Clément Lépidis est le grand écrivain du vingtième arrondissement populaire (pays d'exil), il est l'auteur de Des dimanches à Belleville (ACE éditeur, avril 1984) et de Je me souviens du 20e arrondissement (Editions Parigramme, août 2003). Son oeuvre est plus vaste que ces contours. L'homme (admiré de Henry Miller) est un témoin inoccultable du monde des humbles et des sans-grades.

    Le voici de nouveau, pestant et célébrant.

    Cliquer sur le lien ci-dessous pour le voir en action.

     

    BELLEVILLE DETRUIT

  • LE THEATRE DE BELLEVILLE

     

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    On a démoli le Théâtre de Belleville pour édifier à sa place un immeuble - en béton armé bien sûr - et qui comprenait il est vrai un cinéma remplacé quelque temps après par un Uniprix lui-même supprimé. Ah cette manie de tuer les choses avant leur temps, n'est-ce pas assez que meurent les hommes ? Clément Lépidis in Des dimanches à Belleville, ACE éditeur, avril 1984.

  • QUI ETES-VOUS BIENVENU MERINO ?

     

     

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    Guy Darol : Il n'y a pas que  la pratique de l'écriture et de la marche qui traverse ta vie. Ne serais-tu pas également dessinateur, peintre, photographe et cinéaste ?

    Bienvenu Merino :  Je suis un touche-à-tout.  C'est probablement cela qui m'éloigne de la réussite et du travail bien accompli. Dans mon âme, l'amour de bien faire est divin,  donc, s'il n'y a pas de discipline et de travail bien fait, je ne peux pas être totalement satisfait. Ceci vaut pour les  travaux  que j'ai entrepris et qui me tenaient à cœur.  Tout est lié. La photographie m'apporta, durant les années de voyage, beaucoup de plaisirs, puis peu à peu elle s'éclipsa pour être remplacée par la peinture et le dessin. Quant au cinéma, ce fut un déclic qui surgit comme un boum, après m'être intéressé à une période de l'histoire de France si souvent auscultée dans ma mémoire. Ma première expérience au cinéma n'est pas encore terminée puisque le montage de mon film n'est pas achevé. Mais faire tout, tout seul : écriture du scénario, repérages des lieux, recueillir des fonds, chercher des acteurs, des figurants, des techniciens, faire la mise en scène, le secrétariat, l'attaché de presse, ce n'est pas toujours facile. 

    G.D. : Quels sont les écrivains qui regardent par-dessus ton épaule lorsque tu te trouves à ta table de travail ?

    B.M. :  Ma table de travail est vaste. En vérité, je suis plus un véritable promeneur qu'un écrivain. A proprement parler, je n'ai pas de méthode bien précise. Aller sur le terrain m'apporte en général l'essence même de mes écrits. Etre écrivain, c'est  un sacerdoce, comme Gustave Flaubert qui ne procédait que par notes précises dont il avait scrupuleusement vérifié l'exactitude. Il se condamnait à fréquenter pendant des semaines les bibliothèques jusqu'à ce qu'il ait trouvé le renseignement désiré. Il ne reculait pas devant l'ennui de lire vingt ou trente volumes traitant de la matière. Il ira en outre interroger  des hommes compétents,  poussera les choses jusqu'à visiter des champs de culture, se rendra sur les lieux, y vivra.  Ainsi, pour le premier chapitre de L'Education Sentimentale qui a comme cadre le voyage d'un bateau  à vapeur remontant la Seine de Paris à Montereau,  il a suivi le fleuve en cabriolet, le trajet ne se faisant plus en bateau à vapeur depuis longtemps ! C'est fou ! Je ne dis pas qu'il était dingue, mais il avait cette passion, celle que j'ai dans les voyages et dans la marche toute simple qui m'a conduit à l'extrême, naturellement,  avec fascination et  plaisir. Toutefois, bien des écrivains m'ont marqué, et je laisse à mes lecteurs le soin d'apprécier certains de mes auteurs favoris qui m'ont influencé et qu'ils découvriront eux-mêmes, en me lisant. Cependant Antonin Artaud et Georges Bataille et les œuvres du CHE, pour une autre raison, surtout  la lecture de son Journal de Bolivie,furent déterminants.

    L'écriture de Diarrhée au Mexique est assez brute, dans le sens où la matière est tirée du vécu et si elle détonne encore et toujours c'est que la vérité je suis allé la chercher au fond de moi, dans la douleur ; récit qui choqua, qui choque encore, et qui choquerait en 2007 comme m'avait dit Éric Dussert avant la sortie du livre, lequel est à l'origine de la troisième publication, ce  qui m'encouragea à continuer afin de n'être pas l'auteur d'un seul livre.

    G. D. : Tu vis désormais à Paris. Le globe-trotter est-il encore un promeneur invétéré ?

    B.M. :  Je commencerais par te répondre par ces lignes de Platon, extraites de l'Apologie de Socrate. « Les hommes peuvent être heureux en demeurant attachés à une forme de vie immuable, que la musique et la poésie n'ont pas besoin de créations nouvelles, qu'il suffit de trouver la meilleure constitution et qu'on peut forcer les peuples à s'y tenir ».

    Voyager fut toujours ma passion car je trouvais dans ce mode de vie et de vivre une belle manière de découvrir, d'apprendre, d'étudier, sans contraintes, ce que je n'avais pas fait dans mon enfance et mon adolescence. Enfant, je n'eus pas  une scolarité exemplaire.  Dès mon plus jeune âge, je n'étais pas un fervent de la discipline, j'étais bien plus attiré par les dormeurs à la belle étoile et les bergers. C'est à mon retour d'un  long voyage que j'eus l'envie et le besoin de conforter certains acquis appris de la route, en  étudiant quelque peu à l'Université. Je ne dis pas, comme Flaubert, que le seul moyen de supporter l'existence, c'est de s'étourdir dans la littérature comme dans une orgie perpétuelle.

    La vie de voyage s'était ancrée en moi car toujours elle fit partie de mon existence, un peu comme les gitans qui se meuvent continuellement à travers le monde depuis leur naissance. Même si, aujourd'hui,  mes voyages ne me mènent plus aussi loin, très souvent ça passe par l'écriture, une manière de traverser les choses et de vivre différemment. Les yeux sont peut-être moins éblouis par la beauté du spectacle comme l'étaient ceux du voyageur incorrigible que j'étais.  J'ai une façon différente de voyager  dans l'écriture et je sais que je n'ai pas encore tout puiser de mon vécu  et c'est devant les pages blanches que je gribouille  à ma table de travail que je perpétue ce qui était ma vie d'explorateur.  J'habite à  Paris, entrecoupé de quelques  escapades, cependant j'ai gardé cette habitude de persévérer dans cette irrépressible envie de marcher pour encore et toujours découvrir ma ville et  mieux comprendre le monde qui m'entoure. Je suis un inlassable marcheur solitaire.  Marcher m'est nécessaire. Le globe-trotter que j'étais est devenu un simple homme qui marche. Hier encore, mercredi 22 décembre, je suis revenu de banlieue, d'Ivry,  à pied, en essayant de longer la Seine avec ses hautes cheminées d'usines chapeautées de glace, et ces péniches tranquilles, amarrées sur les berges où, quand elles  coulent nonchalantes sur le fleuve  lent,  recouvertes d'un peu de neige comme si c'était seulement cela qu'elles transportaient tant elles flânaient, écrasant les vaguelettes de leur chargement invisible en allant jusqu'au Pont de Tolbiac, un des de mes anciens quartier. Je fus enchanté de  suivre la rivière sous la neige. C'était un vrai conte de Noël. Que d'histoires j'ai revécu, que de nouvelles envies m'ont donné le désir de repartir vers l'inconnu.

    Virginia Woolf, la belle rêveuse londonienne, Jean Giono, Julien Gracq, Jacques Réda, dans Marchons sous la pluie, Jacques Lacarrière, Karl Gottlob Schelle,  Arthur Rimbaud, Léon-Paul Fargue, Walter Benjamin, Henri Calet, André  Hardellet ont fait cela bien avant moi. Mais, c'est sans doute de Don José Merino Martin Campos, mon père, que je tiens  l'incroyable invention de savoir aller par les chemins et par les routes. Il commença, jeune, très jeune, avant ses dix ans. De Malaga à Madrid, de Madrid à Barcelone, de Santander à Algesiras, il accompagnait les chevaux, à pied, marchant à leurs côtés, de jour et parfois de nuits, dans la beauté des paysages. Je ne compte pas le voyage forcé par l'exil, celui qui lui causa tant de désagréments, LA RETIRADA DE MALAGA,  guerre entre hommes du même pays, d'un  même village et parfois d'un même clan familial, mais il sut cheminer, armé de fusil ou sans fusil, et faire magnifiquement son très long parcours, celui dont il apprit ce qu'étaient les hommes et les femmes dans des combats féroces, dans la douleur et  la défaite, dans le camps des vainqueurs et dans celui des vaincus, sur la route qui le conduisit vers les hommes libres.

    G.D. : Crois-tu que la culture underground ait quelque chose encore à voir avec la pratique des blogs ? Et cette pratique est-elle une chance pour le développement de la pensée et de la création ?

    B.M. : Oui, bien sûr, et elle  se  pratique aussi avec les blogs. C'est  un mouvement parallèle, hors des circuits officiels normaux du commerce et de diffusion. On devient underground  par la force. Ce sont les maffias du show-biz, de l'art subventionné qui obligent l'artiste à prendre cette tangente. En luttant contre l'establishment qui souvent met le créateur à l'écart, on doit trouver la solution pour se faire entendre ou être lu et par ce moyen  il lui est possible enfin de dire ce qu'il ne pouvait pas, d'enlever le frein qui ne permet pas de s'exprimer. Les censeurs dans notre société existent, la diffusion par les blogs permet de résister contre ceux qui sont au pouvoir, contre certaines pressions qui obligent l'artiste à trouver d'autres solutions pour mieux se faire entendre et exister enfin. Le moteur de l'underground, dès ses débuts, a été l'exhibition du corps, la transgression des codes sociaux, montrer ce qui est « caché » et le faire venir à la lumière. C'est une avancée importante pour la communication et la liberté d'expression. Underground et blogs ça fonctionne  de pair. Tu peux imaginer pourquoi je n'envoyais plus mes manuscrits aux éditeurs, pourquoi certains de mes « textes monstrueux » sont  passés à l'oubliette, ignorés ou simplement jetés au feu de la non-prospérité.

    G.D. : Préfères-tu l'ombre à la lumière ?

    B.M. : Souvent je me sens dans lumière, même si je vais sur la route sans que personne ne soit au courant ni me reconnaisse. Je vais, fidèle à un certain idéal. J'essaye de faire ce dont j'ai le  plus envie, c'est ma manière de marcher à la lumière.

     

     

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    Bibliographie de Bienvenu Merino

     

    Prière

    (Nouvelle)

     Manifeste de la Délinquance Littéraire

    Cahiers Zédébis, 1975

     

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    Situations Normales

    (Nouvelles)

    (Cahier des Hirondelles), 1975

    Fleurs et Chant d'Espoir du peuple d'Espagne

    (Poème (l'agonie d'un dictateur)

    Les Cahiers St Germain des Prés, 1976

     

    Plus édition originale accompagnée d'une gravure de l'auteur

    Atelier Say, 1996

    Satisfaction

    et autres nouvelles

    Revue Le Gué,1976-1977-1978

    Extrait d'un voyage dans les excréments

    ou

    Diarrhée au Mexique

    (nouvelle)

    Editions du Peuple,  1976

    (épuisé)

     

    Diarrhée Epuisé.jpg

     

    Réédité par Les Cahiers Lolita, préface de Gérald Scozzari, 1977

    Scènes

    (nouvelle)

    Livre d'artiste, 1996

     

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    Qui sera libre demain ?

    Gravures de 10 artistes plasticiens

    Portfolio

    Atelier Say, 1996

     

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    Ana

    Poème et champs de mots

    Préface de Emilio Sanchez-Ortiz

    Isabelle Venceslas, 1995

    (épuisé)

    Descendre au cercueil

    (Ouvrage sur auguste Pinochet)

    Dessins à l'encre de l'auteur

     Préambule

    Lettres des  femmes prisonnières politique de la prison

    de haute sécurité de Santiago de chili

    Connaissance, 2000

     

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    O, voyelle

    D'après une œuvre sur acier de l'auteur

    Portfolio

    Isabelle Venceslas, 2002

     

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    Traces de plantes fossilisées

    Carnet des mines, Graissessac-Hérault

    Avec traces et dessins de l'auteur

    Ouvrage personnel,  tirage limité, 2005)

    Diarrhée au Mexique

    ou

    Extrait d'un voyage dans les excréments

    (Nouvelle)

    (Préface de Éric Dussert)

    Atelier du Gué, éditeur 2006

     

    Diarrhée.jpg

     

    Ensayos sobre el placer de la Felaçion

    Essai sur le plaisir de la fellation

    Editions espagnole et française avec photos et dessins de l'auteur

    Coffret, d'Artiste, 2007

     

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    Lignes Noires

    (Encres et  dessins)

    Isabelle Venceslas, janvier 2010


    Lignes noires.jpg

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  • QUI ETES-VOUS BIENVENU MERINO ?

     

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    Guy Darol : La réédition, en 2006, de Diarrhée au Mexique, a été suivie d'échos plus que favorables. Ce livre a été couvert d'éloges et cependant c'est l'arbre qui cache la forêt, car ton activité d'écriture est riche de plusieurs volumes. Peux-tu nous en parler ?

    Bienvenu Merino : Oui, quelques critiques littéraires ont réservé un bon accueil à mon livre et c'est une chance de savoir qu'il ait touché et  conquis  autant de lecteurs. Mes autres livres sont bien plus sages, tout en étant fidèles à mes convictions politiques et à mes expériences  d'éternel homme qui marche.

    J'ai peu publié. Pendant presque vingt ans je n'ai plus envoyé de manuscrits aux éditeurs, alors comment veux-tu que l'on me lise ? La peinture de tableaux avait pris le relais, alternant des travaux de décoration  et de construction de lieux et scènes de théâtre. J'étais ouvrier pour gagner ma vie. Puis la fête et les rigolades, les bistrots de Paris où naissaient les rencontres aventureuses  me portaient au zénith d'une gloire acquise par mon manque assidu à l'écriture et à toute relation avec le système éditorial. Je vivais  bien, cela me convenait assez la vie faite de plaisirs. J'étais doué pour la danse et les jeux de séduction qui m'apportaient  plus de bonheur. A 19 ans, durant mes deux années de pratique de la  boxe, j'appris à travailler mon jeu de jambes. Le direct du gauche et l'uppercut me donnèrent plus de confiance. Je me mouvais à la manière de Ray Sugar Robinson dansant sur un ring. Mes amies spectatrices qui suivaient mes combats se sentaient protégées. Très entouré, je me perdais avec elles dans les nuits de Saint-Germain-des-Prés.  Comment veux-tu que je puisse travailler consciencieusement l'écriture ? Pour bâtir une œuvre, "c'est chaque jour qu'il faut se poster devant la page blanche", me disait mon ami écrivain Emilio Sanchez-Ortiz, alors qu'après quelques verres à La Coupole et au Sélect puis dans les petits bals bretons du quartier de  Cambronne, nous allions guincher non sans avoir passé deux ou trois heures  avec mon ami le batteur Jackie Bouissou qui jouait au River-Boat  avec  Claude Luter, rue de Rivoli, et avec  Marc La Ferrière et Maxime Saury au Caveau de la Huchette. La belle vie en somme car en ces moments-là la littérature venait après la fête. La lecture m'était bohème et je devais faire des efforts afin de continuer à lire et à étudier sérieusement. En fait, c'était mon "manuscrit de vie", mon livre de chair. Un laisser-aller impardonnable si l'ont veut écrire vraiment. Henry Miller mena cette vie et je me demande comment il trouva du temps pour réussir à accomplir une œuvre aussi solide et si intéressante. Mes vrais manuscrits sont rangés aux rayons de l'oubli, certains en partie inachevés ou à corriger. Ce peu de ma fortune ne peut intéresser un éditeur, croyais-je longtemps. Dans leur état actuel, où ils racontent des moments de vie égarée entre splendeur et jouissance, ce sont des manuscrits pas vraiment aboutis.

    Pour mes  livres parus, la grâce s'est trouvée sur ma trajectoire, mais souvent en faisant personnellement  un travail de grand écolier studieux et appliqué qui, tout petit homme, eut quelques rêves passagers pour se prouver à lui-même qu'il pouvait vraiment se faire plaisir et pouvoir  se sentir devenir écrivain. Tout cela me donne parfois de l'énergie pour donner à ma vie la satisfaction qui emplit mon cœur et  m'aide à m'appliquer à exprimer ce que je vis. Les pétards mouillés ne peuvent jaillir et faire des étincelles que si le désir de bien les sécher correctement existe. Je crois que j'ai préféré vivre avant tout. Existence de chevalier, entouré de nymphes, mais c'est ainsi que jamais la solitude ne m'a gagné. Ecrire des livres vous plonge dans les souterrains et les puits de la recherche de la vie fabriquée de  livres.  J'ai eu la chance partout dans le monde de rencontrer ce que jamais je n'avais espéré. La littérature ne me manqua pas ; si le besoin d'écrire me prenait, j'avais toujours un crayon et du papier pour exercer mon envie, sinon,  je contemplais le ciel, la mer, les arbres, les cimes des montages, et surtout, tout être humain sur mon passage, quel qu'il soit. Je pouvais lire dans les yeux et sur les visages le sommet de la bonté ou bien y découvrir la pire des crapules. Mais même si les livres sont mes amis, rien ne vaut ces hommes ou femmes rencontrés dans mes voyages qui avec génie m'ont offert ce qu'il est impensable que l'on puisse donner et  détacher du cœur : leur amour, quitte à se dépouiller de tout ce qu'ils avaient en leur possession. C'est eux qui m'ont le plus appris, mieux que ce je pouvais apprendre dans les livres et à l'université. Le bonheur tout simplement. Voilà sans doute pourquoi écrire des livres ne m'est pas obligé, ni un besoin nécessaire, même pas vital, ni un métier.

    Ecrire n'est pas pour moi une nécessité, je lai toujours su, j'avais d'autres cordes à mon arc. Voilà pourquoi, l'ours qui est en moi s'est mieux habitué à un environnement hors des sentiers battus, peut-être de crainte de déranger son voisinage postulant au succès de la renommée et à l'aliénation, ce que sans doute j'ai toujours su éviter sans crier gloire ni déception. Non, surtout, ne pas me faire voler mes ardeurs, mon souffle, mon enthousiasme et ma liberté, ce qui donne à ma personnalité ce rien de riche qui m'est tout.

     

    G.D. : Les billets que tu publies régulièrement sur Rien ne te soit inconnu et Rue du Pressoir attestent que tu as approché de grands noms de la vie culturelle et politique. J'observe toutefois que tu es l'opposé d'un mondain. De quelle façon se réalisent ces rencontres ? Quelles sont celles qui t'ont le plus profondément marqué ?

    B.M : J'ai rencontré quelques grands talents du showbiz, comme Compay Secundo qui était mon ami, et le fils et la fille de Violetta Parra, Angel et Isabel, merveilleux interprètes, réfugiés en France après le coup d'Etat au Chili,  mais c'est  surtout des peintres  et des  artistes avec lesquels je suis le plus  lié. Aussi, ayant un de mes frères comédien, et un autre militant,  cela me facilite les rencontres.  Les hommes politiques rencontrés  avec qui j'eus un vrai contact, sont assez rares. En 1970, j'ai approché Salvador Allende pendant sa campagne Présidentielle, cela grâce à des amis du MIR (Movimiento d'Izquierda Revolucionaria), et je fus invité à une de ses marches légendaires avec les paysans, à Osorno et à Valdivia, dans le sud du Chili. Dans les années 1970, il existait une telle peur, dans certains pays d'Amérique du Sud, que la Gauche arrive au pouvoir au Chili, que pour moi, il était inconcevable que je n'accepte pas l'invitation de mes compagnons militants chiliens d'être auprès d'eux et de leur leader à la Présidence  de la République. Le souvenir de Salvador Allende est celui de sa simplicité, de sa gentillesse et de sa conviction  absolue qu'il allait gagner les élections et être élu Président du pays. Tout le monde connaît la suite.

    Moi qui voulait être discret, c'est raté. Je ne vais pas cependant tout t'avouer. Mais  je ne résiste pas. Voici arrivé un instant de grâce. Un vrai conte de fée.  Je veux  te parler de Monica, la compagne de mon frère Emmanuel,  jeune femme et attachante qui fit son entrée glorieuse dans notre modeste clan familial, et pour qui nous avons beaucoup d'estime et d'admiration. Monica Justo est la petite-fille de Pedro Agustín  Justo, Président de l'Argentine de 1932 à 1938. C'est quelques années après, durant mon séjour à Buenos Aires, que j'appris vraiment qui était la famille de Monica, son grand-père, Président, et le père de ma belle sœur, Liborio Justo,  écrivain et leader  du Trotskisme durant un demi siècle, qui vécut jusqu'à cent et un an et qui est décédé il y a peu de temps.

    Donc, de fil en aiguille, notre  famille s'agrandit, un mélange d'artistes des Beaux-Arts, comédien, chanteuse, cantador flamenco, belle-sœur, petite fille de Freddo Gardoni, accordéoniste célèbre, banquier, médecin, juristes, avocats, enseignants ou ouvriers de la politique universelle, ouvriers tout court, sportifs. Comme je te disais, Guy, c'est  la chance. Plus nous sommes de frères et sœurs, plus nous rencontrons de monde, gens connus, ou simples citoyens méritants.  Parfois nous  débarquons à dix, douze, dans un vernissage ou un cocktail  au Théâtre de Chaillot ou à l'Odéon, pour la première d'un spectacle de mon frère Louis, et nous continuons la soirée dans la fête et la bonne humeur. Mais aussi, parfois, cela nous arrive, d'accompagner un ami pour son premier voyage en cercueil,  son dernier dans la mort, porté sur des épaules des frères andalous-périgourdins en chantant les honneurs que mérite le défunt.

    Ma rencontre avec Dennis Hopper et Peter Fonda  ainsi qu'avec d'autres acteurs américains, eut lieu dans des circonstances invraisemblables au carnaval de Oruro, au Pérou, au milieu des fameuses  Diabladas, uniques dans le pays. Dennis et Peter venaient de terminer le tournage d'un film, près du Cusco, à Chinchero, et c'est par hasard, en revêtant une peau d'ours en guise de déguisement, en compagnie de deux de mes amis, avec l'intention d'aller dans les rues de la ville en fête que nous nous sommes rencontrés, face à face, habillés en animaux.  Parfois, c'est très simple, tout s'enchaîne. Je repartis le lendemain avec eux en taxi, de Oruro à la frontière bolivienne, le long du splendide lac Titicaca, jusqu'au village frontière, Copacabana, et c'est ainsi que je j'eus la chance d'être avec eux, avec leur enthousiasme pour passer la frontière, ce qui n'était pas très facile en ces moments-là avec un passeport Français, car Régis Debray, sympathisant du CHE, c'est-à-dire, d'Ernesto Guevara, était emprisonné à Camiri, Bolivie,  pour  les raisons politiques que l'on connaît. A la frontière, comme tout le personnel de la douane savait qui était Peter fonda, je n'eu absolument aucun problème à rentrer dans le pays. On ne me demanda même pas mon passeport.

     

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    Aussi, je dirais quelques mots sur ma rencontre avec le magnifique acteur  du film  Les Enfants du Paradis, Jean-Louis Barrault, à la Cartoucherie de Vincennes, où je travaillais sur les décors d'un spectacle qui allait être donné en Avignon. Personne, parmi nous, techniciens et comédiens,  ne s'attendait à le voir arriver. Surtout, nous pensions qu'il n'avait aucune raison pour que nous le retrouvions devant nous, tout souriant. En fait, Il était venu féliciter la troupe, du travail qu'avait accompli le Théâtre de l'Aquarium, dans la l'immense hall qui lui avait appartenu et qu'il avait légué à la jeune compagnie pour laquelle nous travaillions.  Ce jour là, il fit une distribution de présents inattendus. Moi, j'héritais, entre autres,  d'un de ses habits de scènes, un smoking noir splendide que je devais porter durant plus de vingt ans, plutôt fier du cadeau dont il m'avait honoré.

    Mais un de mes souvenirs inoubliables et qui n'a rien à voir avec une personnalité culturelle, date de 1966 dans le désert du Sahara, le grand Erg de la Soif, où, affaiblit physiquement  par le manque d'eau et craignant ne pas arriver à temps au premier village pour m'abreuver, j'eus l'immense chance de me trouver face à mon sauveur, le caïd du village, qui je ne sais comment, descendit ,  pied après pied, sans chaussures dans un puits profond de  plus de vingt mètres et remonta à la surface avec un seau d'eau. Je puis t'assurer que l'eau était fraîche et la meilleure que je n'ai jamais bu.

    Pour revenir à ta question sur "l'opposé d'un mondain", oui, tu as parfaitement raison. Je n'aime guère tout ce qui relève de la haute société, non très peu pour moi. Je n'apprécie  pas les habitudes de la vie bourgeoise et leurs divertissements qui ont attrait au luxe et aux plaisirs de la table même si j'ai grand plaisir à  faire un bon repas  en famille ou avec des amis. Dans les phrases qui précèdent,  j'ai donné un aperçu de mon mode vie.  Pour moi, les rencontres me sont assez faciles pour ce qui concerne l'art et mon attirance de la vie  avec les hommes et les femmes que je rencontre. « Faire de la vie un chemin d'épanouissement, la vie doit toujours devancer l'art, une activité parmi bien d'autres, la vie doit être considérée comme une œuvre d'art potentielle ».

    (A suivre... demain !)

     

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    Emmanuel Merino et Monica Justo

     

     

     

     

     

  • QUI ETES-VOUS BIENVENU MERINO ?

     

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    Bienvenu Merino. Premier voyage en Espagne. Juin 1968
    "J'aurais voulu travailler avec mon père et Bartabas dont les chevaux étaient une passion"


    Guy Darol : Nous nous sommes rencontrés dans les années 1970, rue du Montparnasse, à l'époque où j'animais la revue Dérive avec Christian Gattinoni et Philippe Lahaye. Le lien qui nous unissait était Daniel Delort qui avait lancé L'Atelier du Gué, première maison d'édition orientée vers la nouvelle et le texte bref. Quels sont les souvenirs de cette période ?

     

    Bienvenu Merino : C'est au printemps-été 1976 que nous sommes rencontrés, à Villelongue d'Aude, chez Martine et Daniel Delort.  Ils étaient au début de leur aventure éditoriale avec L'Atelier du Gué et  la revue Le Gué et ils venaient de publier l'une de mes nouvelles puis d'autres publications de mes textes suivirent. C'est peu de temps après que nous nous sommes retrouvés chez toi, à Paris, rue Henri-Pape. Ce soir là, tu fis un exposé sur la revue Dérive, qui en était au deuxième ou troisième numéro, je crois. Je me rappelle de tes explications de textes, comme si, en fin d'étude universitaire, tu soutenais une thèse d'Etat. Je n'exagère pas. Ce qui me surprenait le plus, c'était ton aisance à parler de philosophie, éclaircissant point par point chacun des sujets développés.  Moi qui avais l'habitude d'être sur le terrain, je t'écoutais, mais par prudence, j'avais "mon fusil invisible" chargé, appuyé le long de ma jambe,  prêt à dégainer, comme un chasseur attentif au gibier qui va sortir du bois.

    Quelques semaines plus tard, en effet, nous nous retrouvions chez moi, rue du Montparnasse.  Cette soirée fut plus calme intellectuellement. Un  repas et du bon vin calmèrent nos énergies et nos ardeurs ; en tout cas ce furent des échanges de  fêtards, comme nous apprécions de le faire, en bons vivants. Cependant, là où il y avait désaccords  politiques, je te tenais tête, de crainte de rentrer dans un de tes discours fleuves et de te stopper net en te disant : « Basta camarade, je ne suis pas d'accord ! » Ce qui n'arriva pas.

    Tout à coup, me vient à l'idée, ce souvenir à Villelongue, chez Daniel Delort, et de la table qu'avait dressée Martine, pour honorer ma présence lors de la parution d'un de mes textes sélectionné pour le Festival de la nouvelle de Nice. Jamais dans l'édition, je n'avais eu pareil honneur. La table devait mesurer 12 mètres de long  sur 2,5 de large, recouverte d'une nappe de soie blanche immaculée de mots littéraires joliment écrits à la plume en bout de table. Pendant l'apéro, chacun pouvait se cultiver en lisant sur les nappes des phrases poétiques tout en croquant de minuscules tomates bien mûres qui provenaient de leur potager ou bien de celui du voisin. Daniel, en bon  « Relation Presse », avait invité trois journalistes des quotidiens régionaux de Carcassonne, plus une dizaine de convives, amis et potentiels écrivains à publier. Des centaines de  revues toutes fraîchement imprimées garnissaient les tables, sous-tables, étagères et dessus d'armoires au rez-de-chaussée, dans les sous-sols, les couloirs et greniers, partout, la revue Le Gué (aujourd'hui revue Brèves), les manuscrits qui attendaient d'être  ouverts, et les livres, ceux dans les cartons prêts à voyager en train pour Paris, partout en France et même à l'étranger. Je me demandais comment deux individus à eux seuls pouvaient abattre autant de travail, et surtout, comment ils arrivaient à lire sérieusement tous les manuscrits qui leur parvenaient ; c'était un travail de titan.  Classement du courrier reçu, réponses, lectures, choix des textes à publier et à envoyer à l'imprimerie où Daniel, seul, mettait tout en branle, impression, pliage, coupage, notes, corrections et préfaces, c'étaient des dizaines et des dizaines de lettres et paquets provenant du monde entier qui s'entassaient et fleurissaient, maison, jardins, escaliers, terrasse, toutes ces 'graines de mots' qui allaient germer étaient d'une beauté printanière, ici dans cette région, inconnu ailleurs au monde !  Mais surtout, Daniel et Martine, à eux deux, faisaient cela avec une décontraction déconcertante, sans soulever le moindre soupir, entourés de leurs enfants qui arrivaient à la vie en même temps que naissait la maison d'édition et que venaient à la lumière des écrivains débutants, en herbe, et parfois déjà connus ou célèbres. Personnellement, un ange entourait mon front et enserrait ma tête, la réchauffant  d'un certain bonheur, comme si tout à coup le monde entier allait me lire. Etonnante sensation. L'éditeur vous écoute, mais vraiment, il écoute ! Il parle de contrat à signer, de droits d'auteurs, de futurs contacts avec les journalistes du Monde, de Libé, du Nouvel Observateur, et alors, souriant, l'œil pétillant, il vous remet le premier exemplaire, tout chaud comme un bif qui sent bon l'encre cuite et quand vous l'ouvrez, il craquette comme si vous aviez un billet de 2000 euros amidonné au bout des doigts et que vous le dépliiez plein de désir. Là, à ce moment, on se dit : « Ce n'est pas vrai, je rêve ou quoi, en écrivant mes petites historiettes, ils sont là devant moi comme si j'étais intéressant et le plus grand des auteurs». En fait, il y eut un peu de reconnaissance de part de la presse, Le Monde des Livres nous ayant consacré un article annonçant la sortie de ma nouvelle ainsi que celle de Buzzati, l'auteur du Désert des tartares. Autre sensation, je regardais dans la pile de mes livres bien rangés avec cette surprenante surprise de croire voir s'échapper des lignes fluides de mes textes qui  s'écoulaient toutes seules semblables à de petits lézards ou serpents de couleur vert-gris venant au monde. Alors, vous vous  tapez la tempe, et une peur vous serre la tête qui vous descend à la hauteur de l'estomac. Beau et horrible à la fois ce sentiment de 'bien-être' qui ne vous torture, heureusement, que quelques secondes. Dans la pile à côté, c'étaient les ouvrages de Betty Duhamel qui sortaient de presse, brûlants comme d'un gril. Rien ne bougeait de la pile qu'avait soigneusement entassée Martine. Si les lignes semblaient  s'échapper de mon livre, voltigeant déjà dans l'air, ceux de Betty Duhamel, plus classiques, restaient sages dans le tas. Cependant, j'ai ce souvenir du récit de Betty, d'une littérature étudiée, très bien écrite, soignée, cependant que mes mots espiègles s'échappaient des pages, comme des feuilles d'orties venant piquer les jambes et cuisses de mes lecteurs et lectrices. J'avais ce sentiment  mais sans doute je me trompe.  Dans cet émerveillement de paperasse et de vagues de livres, L'Atelier du Gué ressemblait déjà à une imposante Maison d'édition dans ce joli presbytère de curé transformé en maison du livre littéraire.  Le lieu était superbe, petite cathédrale de papier fragile construite au fur et à mesure et au hasard du courrier qui arrivait, dans l'enceinte de la bâtisse. Murs de pierres vieilles de quatre cents ans et protégés par un crucifix incrusté sous la charpente ancienne dont personne jusqu'à ce jour n'a dû mettre la main dessus. L'ayant décroché pour la nuit, j'avais oublié de le remettre en place. J'y pense seulement aujourd'hui et qu'on veuille bien me pardonner, que mes amis sachent, jamais je n'ai pu dormir dans une maison où veillait un tel ornement religieux.

    Ici dans l'ancien presbytère, maison de curé, les livres avaient leur place. Et cela fait presque quarante ans qu'ils veillent reconnaissants aux créateurs et que moi, en tant que l'un des  premiers lecteurs je me dois et j'ai honneur de féliciter.

     

    G.D : Diarrhée au Mexique publié à L'Atelier du Gué est un récit de voyage qui atteste ton goût pour les explorations intercontinentales. Je crois d'ailleurs que ce texte est extrait d'un volumineux Journal. À quel moment et dans quelles circonstances as-tu éprouvé le désir de focaliser et sur la diarrhée et sur le Mexique ?

     

    B.M : Guy, le titre de mon livre en couverture de cette troisième édition, a été abrégé. Le titre complet était  Extrait d'un voyage dans les excréments ou Diarrhée au Mexique. Je trouve qu'il y a plus de douceur dans cette longueur du titre, les mots absents de la couverture font voyager, nous emportent dans le rêve de ce qui va advenir lors de cette aventure, il classe la nouvelle dans l'exploration. Le titre complet adoucit ce voyage. J'ai entendu dire que 'des bombes' étaient à la place des mots. C'est du domaine de la fabulation ces dires ; mais scientifiquement, oui ce livre contient de petits explosifs. Mais c'est dans la maladie qu'ils s'y trouvent, dans le vécu. Il y a un de mes amis, J. Gaillard, pour ne point le citer, que j'ai revu au Salon du Livre,  qui avait dit à son éditeur, pourquoi il fallait publier ce livre à qui il promettait un bon avenir ; il m'en parla, comme s'il avait la conviction que mon livre pouvait devenir un best-seller et avoir un beau succès. Mon éditeur de l'époque fut assez timide pour lancer cette nouvelle, qui en fait est très médicale et refusa la publication. Le récit de mon livre est une anecdote vraie, alliant troubles de la santé, en l'occurrence diarrhée et constipation, et fête de la sublimation. Parler de diarrhée n'a rien de choquant. Le mot cancer, à moi, me fait plus trembler. M'émeut plus d'apprendre que tel ou telle  ami(e)s souffre de ce mal. La colique c'est moins lourd. Mais attention, ce symptôme est fréquent et il peut être grave. Les diarrhées par altérations de la muqueuse sont provoquées par des lésions qui peuvent aller de la destruction isolée de la bordure en brosse de la cellule intestinales avec inflammation, ulcération  (entérite nécrosante et colites), en passant par l'atrophie villositaire complète, maladie coeliaque.

    Il ne faut pas rire de ce mal,  même si, à la lecture de mon texte, l'écriture semble danser et faire  danser les personnages du récit. Au cours des diarrhées avec colites (recto-colites hémorragiques, Crohn, colites ischémique, parasitaire ou bactérienne), les selles sont nombreuses mais peu abondantes avec glaires et pus. Les causes et les facteurs du risque sont en général des diarrhées hydro-électrolytes, le plus souvent d'origine sécrétoire, parfois motrice. Le grand risque est la déshydratation d'autant plus grave qu'elle touche les enfants, les vieillards et les sujets malades.

    Lors de sa première publication, en 1976, j'avais envoyé mon livre au Docteur Escoffier-Lambiotte, responsable de la rubrique Médecine au quotidien Le Monde. Par retour du courrier, elle m'envoya une lettre de reconnaissance qui me remerciait de lui avoir fait parvenir mon livre, récit qui avait surpris certains de mes lecteurs. Quelques jours après, elle publia tout une page sur le sujet, dans la page Médecine. C'était assez navrant d'écouter certains commentaires sur mon livre. En fait, c'est plus la matière qui les gênait, oui, l'excrément, la merde, celle que chaque être humain, hommes, femmes et enfants, évacue quotidiennement, ou au contraire celle qui  ne peut s'évacuer pour cause de freinage et blocage, de constipation quoi ! Et pourtant,  la plupart des parents de bambins son habitués à soigner leurs enfants de ces maux et les torcher.  Ce n'est pas mes quelques propos politiques ou antireligieux qui les dérangent, non, c'est la merde naturelle, qui explose dans le corps et hors du corps. Oui, là, ce n'est plus naturel, il y a mal, douleurs intenses, maladie. Alors, mon récit, pour atténuer les douleurs, je l'ai voulu artistique. L'écrivain que je suis à ces moments là,  jongle avec les pires douleurs. Il magnifie le spectacle, il sublime le mal, il renforce les liens entre deux amoureux qui souffrent dans leur chair. C'est terrible de vouloir aller à la selle et ne pas pouvoir,  vouloir stopper une diarrhée et constater qu'il nous ait difficile d'arrêter le flux endiablé d'une colique. Le spectacle est hallucinant, nous ne sommes pas au théâtre, même si l'ont peut s'y croire : deux artistes fous d'amour l'un pour l'autre sont renversés par le terrible mal, blessés, jetés à terre  et tordus de douleur par les terribles occlusions. A ce moment, il n'y a pas dieu, personne pour soulager, rien qui puisse atténuer ces douleurs, ni la prière, non rien ne peut faire croire que cela va s'arrêter. Un homme et une femme en transe dans leur caca, s'accrochant l'un à l'autre avec espoir, dans le but que tout s'arrête et qu'ils reprennent enfin le cycle de la vie normale. Ils s'entraident, mains dans les mains besognant une  flopée de médicaments. Et c'est pour oublier le mal qu'ils s'inventent une autre façon de contrôler l'événement et d'enfin pouvoir guérir.  L'amour, heureusement, est là ! Deux êtres unis dans la douleur, en fêtant et  réussissant à s'apaiser de la terrible 'chose sans nom' qui s'accroche à l'intérieur du corps et qu'ils réussissent enfin à se délivrer.

    Pour revenir à ta question, sur mes voyages intercontinentaux, c'est très simple : après mai 68, j'ai pris un billet aller-retour, Paris-New York, valable un mois, avec l'intention de revenir après ce temps. Mais la providence, je dirais plutôt l'évidence, a joué en ma faveur et en a voulu autrement. J'étais bien à New York, alors j'ai décidé d'y rester  et de poursuivre le voyage dans d'autres Etats du pays, en travaillant lorsque ce serait nécessaire. A cette époque trouver du travail n'était pas un problème. Je possédais un métier, mais de toute façon, j'étais prêt à changer d'emploi, aller de l'avant, faire autre chose, découvrir et continuer ma route de la félicité. J'ai quitté les Etats-Unis pour le Mexique, après un court séjour en Alaska de deux semaines, pour une période de pêche. Mon visa étant terminé après huit mois, je devais sortir du pays, si je voulais revenir vivre plus longtemps aux Etats-Unis. La guerre des Américains au Viêt-Nam ne facilitait pas la situation aux U.S.A, tout était contrôlé de près, les étrangers ne pouvaient renouveler leur visas que difficilement et c'est là que j'ai décidé d'aller au Mexique. Comme je vivais en Californie, région frontalière, je partis avec une amie, danseuse au Ballet de Danse Moderne de New York, qui voulait venir avec moi. C'est elle qui deviendra l'héroïne du livre dont on a beaucoup parlé.

    L'écriture d'un livre sur un voyage qui dure plusieurs années est plus difficile à maitriser, même avec les notes que j'avais écrites. C'est à partir de cahiers,  mes journaux de route, que je tenais jour après jour, et notant toutes mes activités que j'ai commencé à rédiger à mon retour en France.  A Paris, j'ai fréquenté la bibliothèque de l'Ecole des Hautes Etudes d'Amérique Latine. Là, j'ai pu lire les auteurs spécialisés de l'Amérique Latine.  Et après bien des lectures, voulant  améliorer, ou croyant améliorer l'écriture de mon récit de voyage qui comprenait des centaines pages, j'écrivis trois versions : un journal, un récit et une troisième version un peu romancée. Ce travail a duré des années, quatre, et plus même, en parallèle à des études d'Economie Politique à Paris VIII et à un travail au Muséum d'Histoire Naturelle, dans le Laboratoire d'ethnobotanique où j'avais la possibilité de choisir mes horaires afin d'assister à mes cours à la fac. Je travaillais aussi une partie de la nuit comme photographe à bord des bateaux mouches sur la Seine. Trop pris par mes activités, peu à peu, j'ai laissé mon manuscrit de voyage, que je reprenais de temps à autre. Mais plus je laissais 'dormir la bête', plus le temps passait, moins j'avais le cœur à l'ouvrage et plus je sentais que ' la bête' s'éloignait de moi. Bien des années plus tard m'est venue l'idée de développer des situations intéressantes de mon voyage. Par exemple : mon escalade des volcans d'Amérique Centrale, ou les crises politiques au Pérou et en Bolivie ainsi que sur les dictatures au Brésil et  en Argentine. Et puis cette idée d'écrire sur la diarrhée a surgi à un moment où j'étais trop occupé par des travaux manuels en travaillant dans un théâtre ce qui m'obligeaient à des jongleries d'horaires pour faire face à la situation et l'idée me vint de cesser tous mes projets d'écriture en cours, ce qui me semblait pourtant impensable.

    Je partis à la campagne, en Seine-et-Marne, dans une maison isolée, revenant tous les quinze jours à Paris car je faisais alors partie du comité de rédaction d'une revue de poésie underground. A la campagne, j'avais du temps devant moi. Entre le matin, aller chercher mon lait à la ferme et le repas du soir, je commençais à réfléchir sur mon nouveau projet : rédiger ce petit 'bijou explosif', Diarrhée au Mexique. Sur les 800 pages que comprenait mon récit de voyage, où j'avais résumé en quelques chapitres tous les événements de mon long périple en Amérique (Nord, Centrale et Sud), je décidais d'extraire cet épisode rocambolesque, qui était d'une quarantaine de lignes, et d'en  faire un petit livre d'une centaine de pages, certain que cela m'aiderait à mieux cerner le sujet traité .Voilà  comment apparût le bébé emmailloté de langes mexicains.

    Certaines lectures de Georges Bataille, comme 'Le Petit' ou de Samuel Beckett 'Premier amour'  publié aux Editions de Minuit contribuèrent à faire court. Ces deux livres furent des modèles, non pour l'écriture, mais pour format du livre et ses longueurs. Je me mis au 'travail', qui n'en fut vraiment pas un, et pris un plaisir de tous les instants. Jamais mon écriture ne fut aussi vertigineuse, tête baissée dans les pages, mon stylo bille serré entre les doigts repris par ma petite machine à écrire Olivetti, je terminais en peu de temps cet étrange ouvrage qui allait en déranger plus d'un. Mais bien avant l'écriture  de Diarrhée au Mexique, la publication de certaines de mes nouvelles courtes furent publiées, dans lesquelles je m'étais exercé à la réduction de textes.  J'avais la conviction qu'en écrivant court, je pouvais mieux décrire un événement, développer même une vie. 

    (A suivre... demain !)

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  • BELLEVILLE DANS LES AGENDAS DE JEAN FOLLAIN

     

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    Jean Follain

     

     

    Jean Follain, dans ses Agendas publiés en 1993 par Claire Paulhan, évoque ainsi Belleville, le vendredi 30 octobre 1942 :

    "Après avoir été en vain à la Petite Roquette, je remonte les Boulevards jusqu'à Belleville et sous une pluie battante... Après avoir mangé en compagnie de Guillevic, nous allons aux Folies-Belleville où chante Fréhel. Divers bons numéros : l'illusionniste levantin, la jeune Antillaise aux belles cuisses, la noce grotesque aux visages de personnages peints sur des dos de femmes et la figure du marié sur une jeune poitrine et les yeux sur les seins ..."

     

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    Première édition des Agendas 1926-1971 :

    Editions Seghers, collection Pour Mémoire

    642 pages

     

     

  • BELLEVILLE-MENILMONTANT VU PAR JEAN FOLLAIN

     

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    « Il faut toujours recomposer la carte du tendre. Le chemin qui suivaient femmes et gars des hauteurs de la Courtille a depuis été remué par la pioche ; mais les cieux restent les mêmes, ils soutiennent les mêmes nuances fines ; ils sont peints avec les fumées qui montent de partout, du petit café-restaurant comme de ces appartements riches où les meubles en bois noir de style 1880 reprennent faveur aux yeux des dernières indolentes qui, ravies à des terres lointaines, fument le tabac de la régie turque. Quant aux fumées usinières, le ciel les reçoit aussi, le vieux ciel bleu du Moyen Age à l'escalade duquel veulent monter certains pourvoyeurs de rêves, auteurs, par ailleurs, de fort beaux poèmes d'amour. (...)

    Rue de Belleville, à la devanture d'une marchande de couronnes mortuaires, on a mis en montre une petite bicyclette en perles commandée spécialement par la famille d'un coureur cycliste, pour honorer la mémoire du champion dont elle était fière. Une impalpable poussière de farine venue de la boulangerie voisine tourne autour de la petite bicyclette funéraire.

    Le dernier des hommes-orchestres joue dans un bistrot dont le patron a la nostalgie des louis d'or et où l'odeur d'une savonnette à la violette fait légèrement se gonfler les ailes du nez d'une jeune ouvrière.

    Rue des Cascades, dans le jardin de la guinguette en contrebas, des lurons jouent aux boules la veste tombée.

    Rue des Envierges s'allume à peine la petite boutique poussiéreuse montrant en devanture un globe terrestre, un bâton d'encre de Chine à lettres d'or, des cartes-lettres à filet rouge.

    Des filles à petites oreilles, d'immenses et tristes cinémas, les grises maisonnettes de l'allée des Soupirs donnent à Belleville une préciosité sombre, glorieuse et tendre. »

     

    Extraits de Paris par Jean Follain.

    Ce livre publié en 1935 chez Corrêa a été réédité en 1978 puis en  2006 chez Phébus (collection Libretto) avec une préface de Gil Jouanard.

     

    JEAN FOLLAIN

    Paris

    Editions Phébus

    185 pages, 7,50 €

     

    CONSULTER

    JEAN FOLLAIN PRESENTE PAR OLIVIER BARROT


     

     

  • EUGENE DABIT/LE VIEUX BELLEVILLE

     

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    Citée par le grand historien de Paris qu'était Louis Chevalier (il y vécut), décrite par Jacques Hillairet dans son Évocation de Paris en trois volumes, la rue du Pressoir n'apparaît que rarement dans les pages de la Littérature. Clément Lépidis ne l'oublia pas et nous ne l'avons trouvé (pour le moment) sous aucune autre plume. Comme si on en faisait le tour. Serait-elle un hameau perdu de Belleville ? Un obscur chemin vigneron ? Avec Eugène Dabit, populaire auteur de Petit Louis, d'Hôtel du Nord, nous n'en sommes jamais loin. Mais c'est surtout dans Faubourgs de Paris que son odeur transpire. Là, le romancier fraie des voies, ouvre des portes et nous marchons dans son sillage parmi les souvenirs de ce que fut la rue du Pressoir et ses environs avant démolition. On y retrouve le cinéma Cocorico, les cafés Le Point du Jour, La Vielleuse « où s'alignent dix billards qu'entourent dès six heures les joueurs en bras de chemise. » Voici La Bellevilloise, Les Folies-Belleville, le ciné Floréal. « Fracas des autobus, rumeurs ; enseignes, réclames étincelantes (...) Les trottoirs ne sont pas assez larges, on marche sur la chaussée. » La rue de Belleville et sa ruée nous sont décrites dans un luxe d'images et de sons. On croirait une fenêtre ouverte tant la vie est palpable. « A Belleville, on trouve peu de fonctionnaires, peu d'employés. Dès qu'ils peuvent, singeant leurs chefs, ils vont s'installer à l'ouest de Paris. » Eugène Dabit poursuit de sa lumière ouvriers, apprentis, manœuvres. « C'est ici qu'on naît, vit et meurt ; qu'on travaille et qu'on aime, sur sa terre natale. » Pour Dabit, Belleville n'a de racines que parisiennes. Avec lui, la couleur des rues est celle de la suie mais tous les visages resplendissent. Pour peu, on se croirait ailleurs, dans quelque cambrousse. Du reste l'herbe y pousse. La végétation se rebelle contre le macadam. Guy Darol

     

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    LIRE

    EUGÈNE DABIT

    FAUBOURGS DE PARIS

    GALLIMARD, Collection L'Imaginaire


    CONSULTER

    FAUBOURGS DE PARIS AUX EDITIONS GRANDS CARACTERES

     

     

  • GUY DAROL EXPLORATEUR DE FRANK ZAPPA

     

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    Tout autour de Zappa à la Librairie Dialogues, ce samedi 28 mars, à 17h

    Librairie Dialogues
    9, rue de Aiguillon
    29600 Morlaix
    Tel : 09 63 25 23 36


    The Grand Wazoo est un album de jazz-rock fusion de Frank Zappa parut en 1972, pendant sa période de convalescence. Le 10 décembre, Zappa est projeté dans la fosse d’orchestre par un spectateur, Trevor Howell, lors d’un concert donné au Rainbow Theater de Londres. Celui-ci justifia l’agression de deux manières : soit il jugea la qualité de la prestation trop médiocre, soit il considéra que Frank Zappa avait regardé sa petite amie avec trop d’insistance. Mais, personnellement, je pense que l’auteur de cette violence pris conscience de la « vérité » dévoilée dans les propos du chanteur-guitariste et c’est ainsi qu’il se manifesta violemment. Frank Zappa souffre de plusieurs fractures sérieuses, d’un traumatisme crânien, de blessures au dos, au cou, ainsi que d’un écrasement du larynx. Pendant plus d’un an, Frank Zappa reste en chaise roulante, dans l’incapacité de jouer en concert et gardera des séquelles de ce triste évènement. Il s’agit d’un album à dominance instrumentale, la musique ne pastiche pas les styles populaires comme on peut l’entendre sur de nombreux albums, même si l’on retrouve des emprunts dans différents morceaux.
    Cet album est plutôt marqué par la musique contemporaine avec des orchestrations riches donnant la part belle aux cuivres et à une caisse claire martiale, avec la guitare électrique venant en renfort. Il met également à l’honneur le jazz, notamment dans BLESSED RELIEF où il apparaît sous une forme conventionnelle. Il explore des ambiances très différentes : mélodie et orchestration complexe dans THE GRAND WAZOO, bancale et déstructurée dans FOR CALVIN, délirante-joyeuse dans CLETUS AWREETUS-AWRIGHUS, et pour finir cool dans BLESSED RELIEF.
    Guy Darol nous conduit au cœur de la réflexion de Zappa, nous fait découvrir les ingéniosités du grand artiste et démontre, avec une clarté limpide et époustouflante la panoplie superbe du jongleur-musicien magistral, du chanteur inventeur d’un trapèze emmenant avec lui, dans une voltige à couper le souffle, une partie de la jeunesse américaine et aussi du monde entier. Guy Darol retrace une partie de la route de Zappa.

    « Comme les chevaliers agitaient l’oriflamme, Zappa envoie ses textes à la face d’une Amérique à la « cérébralité livide » (Joseph Delteil). Il ne mâche pas ses mots contre « les têtes molles » (Lautréamont), les puritains et autres prosélytes de bonnes manières - un schmuck est un schmuck.  A la plommée, Zappa dégomme l’armée, la police, les politiciens, Dieu sur son sofa bordeaux, les évangélistes, le star system, la publicité, et ses victimes consentantes, les consommateurs de drogue et leurs pourvoyeurs, l’école et enfin la normalité. Oncle Sam lui fait les gros yeux. La société américaine qui jure sur la Bible et les pèlerins du Mayflower, qui n’apprécie pas les invectives du trublion. Dès 1965, Zappa est de mèche avec Lenny Bruce, en cheville avec les contestataires qui fustigent l’engagement militaire au Viêt-Nam. Depuis Freak Out !, il travaille au libelle. Ses chansons bien humectées d’acide (chlorhydrique s’entend) éclaboussent les néonazis et la droite évangélique coalisés contre l’avortement et la sexualité démuselée. Après avoir ri de la « gelée d’amour » tartinée par le flower power, Zappa brocarde les yuppies (young urban professionals) et leurs notices d’hygiènes. « Bobby Brown », sur Sheik Yerbouti, incarne cette morale désinfectante qui ordonne d’être « toujours jeune, riche et en bonne santé ». Le danger ne provient-il pas de l’Utopie qui se profile, sous la bannière de Monsieur Propre, tout opposé, il va de soi, aux idées libertaires de Fourier ? Les racines du mal, solidement fixées dans les mentalités, mobilisent Zappa contre l’apathie à frime de légumes - « Call Any Vegetable » sur Just Another Band From L.A. -, aussi monte-il au créneau pour prévenir l’inquisition dont les relents continuent de pourrir la société américaine depuis la chasse aux sorcières. Rien n’a changé sous le soleil républicain. Zappa voit se profiler, comme au temps de la HUAC (House Un-American Activities Committee), le spectre détergent et son cyclone de pureté qui transforma l’Amérique, à la fin des années 1940, en un tribunal permanent ». Bienvenu Merino

     

  • GUY DAROL REPOND A BIENVENU MERINO

    Au moment où paraît son dernier livre 

    FRANK ZAPPA/ONE SIZE FITS ALL/COSMOGONIE DU SOFA

    aux Éditions Le Mot et le Reste

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    Guy Darol, enfance à Paris et en Bretagne.

    Dès ses six ans, passionné de lecture, comment en arrive-t-il à l’écriture ?

    Ses livres, dont son récit Héros de papier (Le Castor Astral éditeur), ses premières années vécues rue du Pressoir dans le 20e arrondissement de Paris puis, rue des Minimes, à deux pas de la place des Vosges, enfin en banlieue, à Vincennes, sur les traces d'André Hardellet (d’où résultera son magnifique essai André Hardellet, Une halte dans la durée, Le Castor Astral éditeur).

    Le retour en Bretagne, près de Morlaix.

    Questions/Réponses.

    BM : Bonjour Guy, comment va l’Indien d’Armorique ? Je suis content de savoir que tu te sentes « Indien ». Te reste-t-il, toi qui est très parigo, un peu d’accent de cette langue bretonne qui doit t’être très chère et qui est celle de ta mère qui monta à Paris avant de retourner au pays. Elle conserve toujours cette couleur chantonnée du terroir, je crois. Parles-tu breton?

    GD : L'indien d'Armorique affûte ses flèches. Il voit le ciel bleu, la mer calme. Du soleil d'octobre chaud caresse son front tanné. Mais son cœur entend le verdict des cœurs. Il sait qu'il est urgent d'amplifier le combat. Ami, je ne parle pas le breton, du moins celui que l'université enseigne, surnommé KLT, une combinaison des mille langues qui bruissaient autrefois. Mes parents, natifs du Cambout (Côtes-du-Nord) et de Ménéac (Morbihan) parlaient quelque chose que d'un commun accord, sans barguigner ni se mordre les lèvres, on appelait le patois. Ils patoisaient comme je déballe le jars. Joseph et Agnès patoisaient un parler mélangeant roman, breton et mots orfèvrés par l'instinct poète qui est aussi celui de la survie. Ils découvrirent, avec un étonnement que je partageai avec eux, qu'ils parlaient le gallo. Sans le savoir, ils maniaient un patois qu'à présent l'Université ratifie. Ce gallo (qui de fait est une langue de coursier ; mon grand-père Jean-Baptiste posséda plusieurs juments ; l'une se nommait Voltige) me manque. Et ce que j'en lis, ce que j'en entends est bien éloigné des métaphores filées par Génie, Mathurin, Augustine, Béderi, Victor, Léontine ou Constance. Ceux et celles de mon village, un village aujourd'hui asséché et qui, il y a 35 ans, ruisselait de mille accents, joies, coquecigrues plus ou moins aigues. Car chaque jour était une fête autour de l'abreuvoir, de la bolée, du feu de cheminée. Joseph, mon père et maître regretté, a replié ses gaules, il y a trois ans, emportant avec lui une bonne humeur (inégalée), des chemins secrets dans la broussaille, des images et des formules que j'entretiens (pieusement) comme le bon feu qui un jour s'éteindra. Si le soir fait chanter les rainettes (mais les nitrates, les phosphates, l'agriculture et ses poudres à canon les ont presque toutes dégommées) alors je me souviens de Baptiste, sur le seuil de sa carrée, revissant sa viscope et portant sur l'horizon ce jugement dernier : « Les ernettes chantent é saille i va faire bao demain. » Signe qu'après la nuit, le beau temps régnerait. Quant à ma mère, pauvre petite mère qui vécut son enfance à l'abri des talus, dans le nid des fossés, dehors était sa chambre, à la cloche des champs, ma petite mère n'a plus d'accent. Car étouffé par les mouchoirs du dégoût qu'elle appuya elle-même sur ses lèvres, sur son coeur, partout où transpiraient ses origines de va-nu-pieds. Ce qu'elle fut. Ce qu'elle n'est plus. Mais il lui reste la sauvagerie dont mes flèches sont amidonnées. Ma petite mère entame sa huitième décennie à Josselin.

    BM : Qu’évoquent pour toi Hôtel-Dieu ?

    GD : L'Hôtel-Dieu est mon lieu insulaire de naissance, un berceau au milieu de l'eau, mes commencements de marin terrestre. Là je suis né et chaque fois que le piéton (mon père m'exerça à cette fonction en lui ajoutant le côté flâneur) m'en rapproche, mon coeur s'humidifie, mes yeux s'humectent. Je sens une odeur de muguet et le parfum de révolution. Cela eut lieu un premier mai. D'où le nez et l'esprit de rebiffe. Subversif un jour, subversif toujours.

    BM : La Bretagne, Paris, rue du Pressoir, retour au pays breton. Court itinéraire, mais vie bien remplie, n’est-ce pas, Guy ? Quels sont les souvenirs que tu conserves de cette rue du 20e arrondissement, presque légendaire aujourd’hui, où tu vécus cinq ans.  Ne plane-t-il pas, là, au-dessus de cet îlot, le képi du général De Gaulle et la maltraitance d’un gouvernement (De Gaulle, Pompidou, Malraux) à l’égard d’une classe travailleuse et laborieuse, bien que les habitants, installés aujourd’hui dans une rue du Pressoir nouvelle, ne semblent pas du tout s'en plaindre. Veux-tu nous en parler ?

    GD : Ami, ces années-là sont celles du bonheur. Rue du Pressoir, dans un étroit deux pièces privé de ce que nous nommons aujourd'hui le confort, je vécus sans savoir, sans même deviner, que le meilleur avait une fin. Là tout se déroulait à l'infini, sans obstacles, sans heurts. Ça roulait. Et j'étais loin d'imaginer que mes pieds reposaient sur un sol menacé par les machines à pelles et à boules de fonte. Un jour, ma main serrée dans  celle de mon père, je compris. Nos yeux assistaient à l'éboulement de nos fiestas : cendres, fumée retombant sur un tas de gravats. Je venais de constater ce qu'était la fin des rêves et il s'en suivit, logiquement, un malaise tantôt fait d'anxiété, tantôt fait de révolte. Rue du Pressoir est un film qui se déroule chaque jour dans ma tête. Le film d'un immeuble gris, écaillé, au tournant d'une rue au pavé luisant.

    BM : Tu dis : « Je viens du peuple combattu, humilié, mais ne conçois aucune solution dans le sang .» Guy, parfois nous n’avons pas le choix, disons-le clairement, il faut faire ce choix, prendre les armes, malheureusement, si l’ennemi est là, à notre porte, si l’agresseur occupe notre territoire. Non, qu’en penses-tu ? Pendant la dernière grande guerre, hommes et femmes ont pris les armes et s’en sont servis. Il fallait mettre hors de France nos agresseurs ! Tu peux nous parler de tes réflexions à ce propos ?

    GD : J'admets qu'il faille aller au feu sous la menace – et sans doute devons-nous la vie à ceux qui ont donné la leur – mais je ne peux acquiescer au credo qui voudrait que l'émancipation résulterait d'un combat armé. Je ne crois pas en ces meilleurs jours que promettent les révolutions. Cette tentation au contraire m'inspire le dégoût. Elle est la faiblesse des idéalistes. J'appartiens quant à moi à l'espèce des rêveurs. J'ai foi, même si le temps semble long, dans le dialogue des contraires. Je crois en la dialectique qui annule les conflits. Pacifiste obstinément, tout en moi rejette l'idée d'une salvation par le sang. Toute guerre est un drame. Toute destruction est atteinte à mon amour de la vie.

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    BM : Guy, dans l'un de  tes livres bouleversants, Héros de papier, tu dis : « Je fus élevé dans une tanière de luxe, empêché de voir au dehors, obligé de contempler dedans. » La liberté te manquait-elle ? Des privations t’étaient-elles imposées et étaient-elles vécues comme un enfermement qui te mettaient en position de séquestré ou d’animal traqué, interdit.  Tu écris : « Mon esprit passait les murailles ». Te sentais-tu prisonnier ? Et prisonnier de qui ? de quoi ?

    GD. : Unique enfant né de parents venus à Paris pour échapper à la vie dure, je fus entouré de tant de soins que la liberté me manqua. Placé en pension chez les soeurs des écoles chrétiennes à l'âge de quatre ans, je connus la haute solitude des murs que l'on ne peut franchir. Lorsque Joseph et Agnès, mes parents, purent enfin me garder près d'eux, d'abord rue du Pressoir, ensuite rue des Minimes, je n'avais ni le droit de sortir ni celui d'accueillir mes camarades de jeu. Sauf à sentir ma main tenue par des adultes craintifs. On redoutait que la rue me soit un danger. Je fus ainsi enfermé dans de petits appartements qu'aéraient la lecture, la musique et la conversation de mes parents ou des membres de la famille. Il me fallut souvent ruser et même fuguer pour aller vers le dehors et découvrir que le danger ne s'y trouvait pas. La plupart de mes livres racontent cet influx de vie et les circonstances qui me permirent d'échapper à l'emprise de parents qui n'étaient pas calculateurs de tyrannie. Je ressens souvent cette mise à l'écart forcée comme un manque, une carence, puisque mes dix-neuf premières années, à quelques exceptions près, se résument à l'environnement familier. Je constate chez moi une variété d'émotions qui ne doit rien à la diversité des événements. L'école était pour moi le lieu où l'on respire. J'eus des maîtres talentueux et des compagnons de classe vertueux. Ils m'ouvraient la porte du monde.

    BM : Si tu avais pu quitter ce terroir breton et partir loin, dans des  contrées où tu aurais ignoré la langue, la géographie, le paysage, peut-être alors l’aventure t’aurait donné la clé, pour échapper aux griffes qui te retenaient, non ?  Probablement que la compagnie des livres t’a aidé à créer ton propre univers mais peut-être te sentirais-tu plus libre. Tu écris : « On m’a donné le livre pour m’occuper l’esprit. Combattre l’ennui, tuer le temps (...) échapper à la solitude désœuvrée que je peuple d’apparitions ».

    GD. : Des échappées s'ouvraient à moi lorsqu'aux vacances nous revenions en Bretagne. Car alors l'étreinte se relâchait et je pouvais m'imprégner d'images, de sensations. Ma solitude s'en peuplait à délices. Adolescent, mais au prétexte de meilleures performances scolaires, je fus autorisé à franchir les frontières. J'étais envoyé en Angleterre puis en Allemagne. Là, je connus d'autres émois et cette liberté dense qui forge une personnalité. Le goût de la lecture, plus tard l'amour de la littérature, ont toujours volé à mon secours lorsque le manque se faisait trop cruel. Un tel équipement vous permet, sinon de franchir les obstacles, du moins de tenir tête à la détresse. J'eus cette chance : que de bons livres viennent à ma rencontre, qu'ils épaulent ma solitude, qu'ils prennent en main l'enfant désemparé. Mes grands amis se trouvent sur les rayons des bibliothèques. Ils se nomment Charles Dickens, Jean-Jacques Rousseau, Léon-Paul Fargue, Jorge-Luis Borges. Une foule qu'il serait fastidieux d'énumérer. Un écrivain se tient toujours à mes côtés selon le lieu où vont mes pas. Il est certain que je serais autre, ou différemment complété, si j'avais envisagé de partir. Mais je n'y ai jamais songé. Le livre est plus vaste que le monde. Le livre est ma demeure, une demeure au milieu des arbres. 

    BM : Guy, quel genre d’enfant, étais-tu ? Si je comprends bien, tu n’étais pas hors-la-loi, ni intrépide, tête brûlée, casse cou, mais, tu l'écris : « Voleur à l’escapade, peut-être, et très habile ». « Jamais une effraction, pas une branche brisée. J’allais à pas de loup, par sentes et buissons ». A te lire, tu étais un gosse bon, gentil, cependant, prudemment, ne faisais-tu pas les coups en douce ? Devenu adulte, et aidé de l’écriture, prends-tu une revanche avec les mots ? Devant la page blanche, tu t’exécutes, tu exécutes librement, avec des mots, carnavalesques ou francs, très francs, comme si tu foutais une patate en pleine gueule à un mec qui t’emmerde. En fait, t’étais un môme bien, et c’est par la lecture et l’écriture que tu t’en sors ! Tu peux donner des coups sans faire trop mal. Tout compte fait, le petit Guy Darol était un enfant sage. Tu étais moins enclin à la bricole explosive, comme l’était l'un de tes potes, toi, tu « mijotais lentement, imbibé de phrases onctueuses, doucement mariné de vocables...» Tu es passé par des envies de nuire, de révolutions, mais jamais d’armes à la main, sauf en plastique. Tu dis bien cela ? Un poète calme mais cependant en ébullition ?

    GD : Joyeux, cher Bienvenu. L'enfant était joyeux, une joie sans rides. En dépit du mauvais temps que le capitalisme en crise (ce qui est le propre du capitalisme) offre à notre décor. Calme par la force des choses, agité au fond, voire agitateur. Ce qui me valut, en 1968, pour avoir professé l'oisiveté, une certaine turbulence (jamais la mise à sac de mon quartier), de connaître l'âpreté d'un conseil de discipline qui décida de mon renvoi du lycée Charlemagne. J'évoquai tout à l'heure mes fugues. Elles étaient nocturnes. Et mon père découvrit alors que son fils savait passer à travers les murs. Une technique souvent employée pour aller humer l'air des rues parisiennes. Je fus une fois pincé, rue Soufflot, et je sus ce qu'était la maison Poulaga et ses volières grillagées. Joseph vint m'en sortir et je crus qu'il me ferait connaître le cuir de ses mains paysannes. Après avoir mené la charrue et les chevaux de la ferme, il fut forgeron puis marin dans la Marchande. L'homme était robuste et leste de ses bras musclés. Je connais le sens exact du mot torlogne. Cette fois, éberlué par l'audace qu'il ne soupçonnait pas, il fut incroyablement paisible. Ce qui m'invita à renouer avec l'aventure. Anguille, agile, il est peu facile de me maintenir longtemps en état d'apnée. Je m'échappe à la manière de ces Hercules de foire qui faisaient autrefois démonstration de leur don, place de la Bastille. J'admirais le spectacle de leurs évasions. Plusieurs fois enchaînés, harnachés de cadenas inviolables, ils parvenaient toujours à retrouver la liberté. Ainsi je vécus, innocent enfant mis aux fers, habile à esquiver toute tentative de me tenir en laisse, soumis et silencieux. Ami, nos chemins se sont croisés car nous possédons l'art de la fugue. Qui pourrait nous soustraire au désir de grand air ?

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    BM : Guy, tu as connu, par le plus grand des hasards, dis-tu, les poètes du feu, ceux que la société méprise et que l’école de l’ignorance ne peut évidemment connaître. Quel est ce hasard ? Et que t-ont apporté ces     poètes ? En fait, te sentais-tu proche d'eux, de leur rébellion ? Je pense cela à force de t'entendre dire, enfant : « Si tu ne veux pas apprendre tu garderas les vaches » ou alors certains mômes et  professeurs, au lycée : «  D’où tu viens il te faudra faire tes preuves. » Tu as dû te battre contre cet acharnement, n’est-ce pas ?

    GD : La poésie est le seul guide mais j'ajouterais la philosophie, celle d'un certain Diogène ou du grand Nietzsche. Il me faut ici honorer les noms de Serge Koster et de Roland Brunet, deux Maîtres du service public, qui m'enseignèrent l'exercice de la pensée au temps que j'étais l'élève du lycée Voltaire. D'autres suivirent mais ces deux sémaphores chançardement placés sur mon chemin adolescent, ont été déterminants. Ils me firent découvrir Antonin Artaud, Georges Bataille, Karl Marx, Proudhon et Max Stirner. Inimaginable de nos jours ! Ces lueurs de la pensée en liberté éclairèrent ma jeunesse. Elles me furent données au début des années 1970. Si l'on observe la déliquescence programmée de l'enseignement des Lettres et de la Philosophie, il est utile de souligner que les potaches actuels, et ceux qui les suivront, sont dépourvus de tout espoir quant à la possibilité de penser par soi-même. Pour être complet, il me faut rendre hommage à mon père sévère, mon Joseph (décédé en 2004 et je ne m'en remets pas), attentif à mes professeurs, les vénérant sans l'ombre d'un cillement, et qui fit de moi, d'une façon discutable sur le fond, un lecteur et un lecteur intense. Il ne possédait pas le certificat d'études (se souvient-on de ce brevet indispensable au début des années 1940 ?) mais il avait deviné que les livres étaient un passeport. Je ne connus Noël, fêtes et anniversaires, qu'habillés de cadeaux qui étaient le Livre. Dès que j'eus 14 ans, je lui soumettais chaque semaine une liste d'ouvrages qu'il honorait sans rechigner. Je dois beaucoup à ces professeurs et à ce père qui m'initièrent à la lecture articulée sur le réel. Très tôt, je lus Antonin Artaud, Benjamin Péret et les auteurs publiés par Jean-Jacques Pauvert et Eric Losfeld. J'eus la chance d'avoir pour ami, au lycée Charlemagne, Romain Sarnel, l'un des meilleurs exégètes actuels de Nietzsche, qui m'incita à lire Baudelaire et Rimbaud. Le hasard a toujours posé sur mon épaule une main amie. Je ne l'avais pas cherché. Il se présenta, comme un luxe, à mes soifs qui restent encore à étancher.

    BM : A propos d’un de nos grands poètes, tu écris : « Je pense à Antonin Artaud, pour qui la réalité, souillée de mensonges, n’était qu’une abomination. Il déployait le Merveilleux contre les forces d’envoûtements et lançait des dés de magie. Etendre l’être à une dimension cosmique, s’élargir, exige une énergie constante. C’est une bataille continue. Faut-il se satisfaire des limites tracées du corps dans lequel on jette un voile en damier ? Car aujourd’hui l’homme s’insurge, ce n’est pas qu’il réclame plus d’être, mais l’amélioration de son confort dans une réalité d’images. Et non pour celles qu’il se fabrique, analogies, correspondances, enjambées dans l’imaginaire, mais le catalogue des clichés où il est invité sans cesse à se fournir, à se doper, pour s’élever au-dessus de la boue ». Artaud a souffert, lui qui a traversé les flammes et le feu, mais Guy, actuellement, nous sommes dans une situation critique, tout bouge, ça tangue, l’économie mondiale chute, les « petits », je parle des classes défavorisées souffrent. On veut fermer la gueule aux poètes, aux  écrivains. On vire des gens bien qui se trouvaient, il y a peu, à certains poste clés de la culture. Es-tu inquiet, toi, journaliste et écrivain ?  Je viens de lire, en première page d’un hebdomadaire, Siné Hebdo, ce titre signé Jules Lafargue. Je cite : « Qu’on les pende par les couilles en or ! » Il va plus loin : « Fusiller les riches de but en blanc serait de la folie : Il faut d’abord les mettre en prison et les affamer jusqu’à ce qu’ils aient fait revenir de l’étranger l’argent qu’ils ont caché(…) C’est seulement quand ils n’auront plus rien que nous les fusillerons ». Réponse de journaliste en colère ? Un éclat de mots dans la presse, à la gueule d’une certaine société ? Qu'en dis-tu ?

    GD : Fidèle à Antonin Artaud, j'expédie au néant ceux dont les mots ne sont pas un brise-lames. Fidèle à Antonin Artaud (comme je le suis à Stanislas Rodanski, Jean-Pierre Duprey, Jean-Daniel Fabre, André Laude), je biffe d'un grand trait houilleux toute écriture qui ne jaillit pas des abîmes. Je pourrais ainsi citer d'autres figures qui nous seraient des vigies essentielles, mais le temps agit contre les voyants. Le temps accélère une descente vers des gouffres sans fond ni nerfs. Antonin Artaud fut l'écho de mes vertiges nullement esthétiques. Je ne viens pas de la jeunesse dorée ni d'une histoire acquise à la victoire. J'appartiens au peuple des petits et des faibles. Je suis un petit et un faible et n'ai jamais cherché à rejoindre le courant ascendant. L'ascension, selon moi, est de croître à l'intérieur de notre propre histoire, d'assumer les pentes et d'en revendiquer les splendeurs. Je viens des serfs et des artisans de la Commune. Je suis voisin des anarchistes espagnols et me revendique libertaire. Libertaire et pacifiste. Furieusement libertaire et bravement pacifiste. Ceci dans une époque trouble qui porte en elle les germinations d'un retour au fascisme. Notre époque est fasciste et je ne manque jamais une occasion de le souligner. Peut-être est-il déjà trop tard ? L'école laïque, publique et obligatoire vacille sur ses assises républicaines. L'enseignement de la philosophie est menacé et l'on questionne aujourd'hui la possibilité de supprimer l'Histoire des programmes. Les maîtres des écoles primaires (j'insiste sur la formule) sont soumis à l'obligation d'indiquer certains auteurs, suivant une liste définie. L'exercice de la pensée, qui ne peut agir sans une connaissance exacte de notre histoire mondiale, est menacé. Le capitalisme s'effondre, entraînant dans sa déconfiture (prévisible de longue date) un système voué à l'échec, car inégalitaire. Toutes ces indications, désormais parfaitement lisibles, augurent d'une catastrophe qui nous reconduit aux temps féodaux. Nous marchons à l'envers et il y aura des morts. Je le dis en toute conscience. Le baromètre ambiant ne démentira pas. Le citoyen lambda que je suis est avisé et il avise au sein des structures qui lui sont fournies. Je passe le message là où il m'est (encore !) permis de le passer. Sur le front des luttes je me tiens, là où le combat est possible. Quant à l'écrivain : indignation totale. Que me viennent les noms de Benjamin Péret, d'André Laude ou de Guy Debord (d'autres me sont présents mais trop obscurs à nos lecteurs car ils appartiennent à mon rang) et la colère me montent aux joues. Qu'est-ce que la littérature aujourd'hui ? Serait-ce un bizness ? Rien ne me fait signe qu'il en soit autrement. Une réverbération des tares de notre temps : individualisme, égo, carrière perso. Rien qui ne colle aux étriers de mon enfance. La littérature était alors un combat, une mise en péril des puissants et des convenances. J'y suis venu avec le souci d'alerter. Ne possède pas la surface pour donner de l'ampleur à ma révolte. Jamais ne la posséderait. Je fais partie des zigues à plume et à clavier sans surface publique. Hormis la parole que tu me donnes, occasion de saisir le taureau par les cornes, nul ne se soucie de ce que j'en pense. Faible intérêt pour les insurgés du verbe. Tel est le temps, notre temps. Une époque sans souvenir. J'osais dire, avant hier, que le meilleur est à venir mais un bémol s'impose. Peu enclin à la prise d'armes, je souhaiterais lire et entendre plus de colères. Et c'est ainsi que je lis Siné Hebdo et Le Nouvel Attila avec une ferveur impossible à dissimuler.

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    A l'occasion de la publication de Frank Zappa/One Size Fits All/Cosmogonie du Sofa (Le Mot et le Reste, septembre 2008), Guy Darol rencontrera ses lecteurs à la Librairie Dialogues de Brest, le vendredi 31 octobre à 18h.

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