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aventure

  • QUI ETES-VOUS BIENVENU MERINO ?

     

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    Le Moulin, en Dordogne. Sous la maison de mon enfance coule une rivière.

     

     

    Guy Darol : Ton histoire personnelle est liée à celle de la Guerre d'Espagne. De quelle façon s'effectue le parcours de ta nombreuse famille depuis l'Espagne jusqu'en France ?

    Bienvenu Merino : Après  les années 1936-1939, dates de la guerre civile, ma mère, et mes frères aînés arrivèrent en France à travers les Pyrénées dans des conditions difficiles, avec des  milliers d'autres réfugiés. Moi, je n'étais pas encore né. Deux de mes frères et une de mes sœurs nés en Andalousie périrent avant de pouvoir passer la frontière. Mon père était resté au front, à Barcelone. Il n'arriva en France qu'un an après, à la défaite de la République. Il fut interné comme des milliers d'autres Espagnols dans un camp de réfugiés politiques, où il passa plusieurs mois, presque un an, tandis que ma mère et les enfants se trouvaient dans un autre camp de réfugiés pour femmes et enfants, dans la région de Limoges.  Mon père ne put revoir ma mère et les enfants que plusieurs mois plus tard, lors d'une visite arrangée, car tout était contrôlé, et par la police française et par les autorités du camp.  Personnellement, je connus L'Espagne qu'en juin 1968. Il était alors déconseillé aux opposants au régime de retourner en Espagne, tant que Franco était au pouvoir. On encourait alors des risques de représailles. Franco mourut à 83 ans,  le 20 novembre1975, après un mois d'une interminable agonie et quarante ans de pouvoir sans partage en Espagne.

    Je ne sais si les malheurs vécus par mes parents et mes frères ont été des catalyseurs qui contribuèrent à mon goût du voyage. Peut-être ! En tous cas la vie nomade, durant des années, contribua et facilita notre intégration en France. De région en région, je suivis forcément le mouvement familial. Le clan ayant appris à se mouvoir, à connaître les flux migratoires, la vague houleuse familiale continua de se déplacer de département en département à la recherche de travail et du rassemblement des autres membres  de la famille éparpillée dans le sud de la France. Mes frères et sœurs, et moi-même, nés en France, fûmes préservés d'un cataclysme annoncé. Les aînés étaient morts, il fallait se reconstruire, rebâtir la famille. Que de luttes et combats de chaque instant pour des parents, heureusement unis dans « l'élevage » difficile des enfants qui vinrent au monde pendant et après la guerre 1939-1945.

     

    G.D : Cette migration est-elle le point central qui déterminera par la suite un certain goût du voyage et de l'aventure humaine fraternelle ?

    B.M : Oui je pense. J'ai puisé son essence dans le quotidien d'amour que nous ont donné mes parents. Ma sensibilité à fleur de peau est sans doute due aux drames de la vie que vécut ma famille, aux déchirements issus des guerres fauchant debout les combattants qu'ils étaient devenus pour défendre leur honneur et leurs convictions. Se relever après cela était plus que difficile. Il fallait avoir un père et une mère forts contre les épreuves. C'est sans doute là où s'est forgé un rempart contre les injustices. Sans se barricader, ils ont pu, au contraire, s'ouvrir à la vie, avoir de nouveaux enfants, élevés dans la dignité et l'espérance, nous rendre à l'émerveillement.

     

    G.D : Tes itinéraires te conduisent sur le continent Américain et dans d'autres régions du Monde. Sont-ce tes activités d'écrivain qui te meuvent ainsi ?

    B.M : Non, ce ne sont pas mes activités d'écrivain qui me font bouger. Souvent, ce sont mes voyages qui m'incitent à l'écriture.  Ce qui me fait mouvoir, c'est l'intérêt que je porte aux individus, je vais vers eux, je tiens cela de mon enfance, c'est irrésistiblement naturel, tu comprends ! Je dirais même que c'est mon école d'apprentissage libre et sans obligations. C'est le besoin de s'assouvir, de vivre vrai. Quand j'étais en Amérique, j'étais plus « chemineau » qu'écrivain, dans le sens de suivre son chemin et être observateur. C'était presque un luxe. Le plaisir que j'éprouve dans la marche est immense. Je suis « On the road » en quête initiatique, en réflexion existentielle. Point de frontières, pas de douanes, tous les jours de nouvelles rencontres, des fiancées, des épouses, des amis. C'est une force  de vouloir et de pouvoir être itinérant. Sans doute que les « obligations » de la vie qu'ont eu mes parents et ma famille ont contribué au goût fantastique d'user mes souliers pour aller quelque part. Là où j'ai de l'intérêt.

    Je suis un troubadour. Je préfère les  plaisirs simples, marcher, entrer dans un bar, m'installer sur un haut tabouret et regarder les gens tout en lisant sur les  journaux les nouvelles du monde.

    Mon existence est là, toujours dans la rue. C'est mon œuvre principale. Chaque pays où je suis allé était mon chef-d'œuvre : découverte à pied,  marchant et souriant au monde ; exercice du corps, de l'esprit. Souvent j'étais rempli de bonheur quand je marchais sur le macadam, de l'Alaska à la Terre de Feu. J'ai connu tous les stratagèmes pour éviter des pièges et pour être heureux, apprendre à vivre pénard, parfois tout en aidant les plus défavorisés qui en échange m'offraient l'hospitalité, un hamac, une litière.

    Alors écrire tout cela, tout ce j'ai pu emmagasiner, c'est  de la discipline pour composer, mot à mot, un bouquin de plus. Le secret est là, dans la banque de mon  cerveau, dans mes yeux lorsque parfois j'en parle et que quelqu'un, quelqu'une, veuille bien entendre mon chant. Le conte, je le tiens de mon père Don José et de Amalia, ma mère, ainsi que de mes frères aînés Joseph et Fernando et de deux de mes oncles. J'ai appris, avec ces êtres chers, à capter l'attention et à savourer l'instant où il faut dire les choses, la seconde où il vaut mieux se taire, garder le silence et écouter. Chez nous, cela se faisait par la parole. Essayer de comprendre, réagir, répondre verbalement, car les livres il y en avait peu.

    J'ai grandi dans les champs, avec mes frères et sœurs, près de  petites maisons,  dans le Périgord Noir. "L'Oustal Nèbe"  d'abord,  "le Roc de la Rode", dans  l'ancien presbytère de mon village natal,  puis  "Le Moulin",  assis  sur un sol d'argile recouvert de mousse, les fenêtres s'ouvrant sur une rivière d'argent où nageaient les carpes et les truites, mes premiers pas croisant les biches, les cerfs, les hérissons, le tracé des escargots. Durant une période, nous étions en zone de combats contre l'envahisseur allemand, mon père était dans les forces F.F.I. et continua  à donner avec bravoure tout  ce qu'il avait de générosité.  Ma maman qui avait donné naissance à plus de dix enfants, sans compter les fausses couches, connaissait ce qu'était le chemin qui va droit au cœur. Le soir, à tour de rôle, à plat ventre sur ses genoux, elle nous instruisait à la manière des philosophes espagnols du 18e siècle, qu'elle chantait d'une beauté inégalable, digne des divas du 17e siècle. Ce fut mon meilleur professeur. Il n'y eut rien de pareil. Fille de sage femme Andalouse, toute sa vie elle honora les gens pauvres, ceux qui avaient besoin de tout,  à qui elle offrait et partageait ce qu'elle possédait. Mon père vécut presque soixante-dix ans de mariage, avec elle, jusqu'au bout, à près de 97 ans, avant de s'éteindre doucement dans mes bras et tirer sa révérence de géant qu'il a été. Il complimentait chaque jours ma mère pour l'œuvre qui était aussi la sienne, ses enfants, grande famille admirée de tous, tout au long des petites routes du Lot où nous allions en chapelet serré,  vêtus de blanc et de satin par maman, marchant heureux pour nous rendre aux fêtes votives. Quand, à la sonnerie du manège, commençaient à tourner les chevaux de bois et les voiturettes, mon père, très vite, asseyait les plus petits sur les sièges tandis que mes grands frères s'envolaient seuls vers les chevaux de bois et la grosse Mercédès chromée dont on entendait le klaxon faisant la fête aux parents, ce qui faisaient parfois soulever les paupières et lever les yeux au ciel de Grégoire, l'aveugle de Castelfranc que l'on retrouvait dans toutes fêtes. A Cahors et dans toute la vallée du Lot, région de vignobles, nous allions, parcourant en sabot de bois et chaussettes russes, les sentiers  millénaires le long du fleuve, au bord duquel poussaient les pêchers et les abricotiers, les fraisiers et  les melons dans les champs à pertes de vue.

    Déjà à six ans, le jeudi, jour sans école, sur les coteaux des vignes nous mettions la « main à la patte » : vendanger, cueillir les abricots et les pêches, ramasser les fraises. Et le soir venu,  frères et sœurs, on se retrouvait dans la vaste salle à manger de la "Villa du Paradis", notre belle maison qui dominait le Lot et sa petite plage. Mon père se mettait à chanter des cantes jondos, chants profonds, émouvants, les plus émouvants jamais entendus de toute mon existence, pendant que ma mère tambourinait des mains et des coudes, et, d'un bond, se levait de sa chaise et se mettait à  exécuter des zapatéados almachareños de sa région natale,  invitant les enfants à venir à table où ma sœur aînée, Aurora, avait aligné des floraisons de gâteaux, ronds et carrés, fait de farine de blé, d'huile d'olive et de raisins  secs parfumés de Malaga. Ainsi s'ouvrait la ronde merveilleuse qui créait ce lien "inséparable"  qui nous unissait et nous portait aux anges de la création, amoureux, hérités de l'affection qui nous avait été donnée, sans aucun autre échange : cadeau immense d'un père et d'une mère. Notre respect envers eux était sans compter. Non seulement pour le Noël, en échange du mensonge historique où les pères et mères ne sont là que pour une nuit. Pour nous, c'était chaque jour et chaque nuit Noël ou plutôt l'affection renouvelée toute la vie. Mon père était mon Zappa. Sans trop avoir de livres il connaissait par la pratique, les bonnes manières éducatives qu'il fallait donner à ses fils et à ses filles. Il tenait, beaucoup aussi, de Buenaventura Durutti, dans l'effort et la méthode de nous former à nous défendre. Sa vie, bien que pas facile, fut heureuse du don qu'il nous offrit à tous,  même si  un peu fragilisée par un manque d'instruction qu'il ne put nous offrir totalement, dû aux difficultés qu'il traversa. Il nous sortit de l'ornière des bas chemins où les guerres nous avaient enfoncé pour nous hisser au faîte de la liberté qui  manquait si cruellement à tant de nos concitoyens.  

    (A suivre... demain !)

     

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    Villa du Paradis. Notre maison dans le Lot.

     

     

     

     

  • QUI ETES-VOUS BIENVENU MERINO ?

     

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    Bienvenu Merino. Premier voyage en Espagne. Juin 1968
    "J'aurais voulu travailler avec mon père et Bartabas dont les chevaux étaient une passion"


    Guy Darol : Nous nous sommes rencontrés dans les années 1970, rue du Montparnasse, à l'époque où j'animais la revue Dérive avec Christian Gattinoni et Philippe Lahaye. Le lien qui nous unissait était Daniel Delort qui avait lancé L'Atelier du Gué, première maison d'édition orientée vers la nouvelle et le texte bref. Quels sont les souvenirs de cette période ?

     

    Bienvenu Merino : C'est au printemps-été 1976 que nous sommes rencontrés, à Villelongue d'Aude, chez Martine et Daniel Delort.  Ils étaient au début de leur aventure éditoriale avec L'Atelier du Gué et  la revue Le Gué et ils venaient de publier l'une de mes nouvelles puis d'autres publications de mes textes suivirent. C'est peu de temps après que nous nous sommes retrouvés chez toi, à Paris, rue Henri-Pape. Ce soir là, tu fis un exposé sur la revue Dérive, qui en était au deuxième ou troisième numéro, je crois. Je me rappelle de tes explications de textes, comme si, en fin d'étude universitaire, tu soutenais une thèse d'Etat. Je n'exagère pas. Ce qui me surprenait le plus, c'était ton aisance à parler de philosophie, éclaircissant point par point chacun des sujets développés.  Moi qui avais l'habitude d'être sur le terrain, je t'écoutais, mais par prudence, j'avais "mon fusil invisible" chargé, appuyé le long de ma jambe,  prêt à dégainer, comme un chasseur attentif au gibier qui va sortir du bois.

    Quelques semaines plus tard, en effet, nous nous retrouvions chez moi, rue du Montparnasse.  Cette soirée fut plus calme intellectuellement. Un  repas et du bon vin calmèrent nos énergies et nos ardeurs ; en tout cas ce furent des échanges de  fêtards, comme nous apprécions de le faire, en bons vivants. Cependant, là où il y avait désaccords  politiques, je te tenais tête, de crainte de rentrer dans un de tes discours fleuves et de te stopper net en te disant : « Basta camarade, je ne suis pas d'accord ! » Ce qui n'arriva pas.

    Tout à coup, me vient à l'idée, ce souvenir à Villelongue, chez Daniel Delort, et de la table qu'avait dressée Martine, pour honorer ma présence lors de la parution d'un de mes textes sélectionné pour le Festival de la nouvelle de Nice. Jamais dans l'édition, je n'avais eu pareil honneur. La table devait mesurer 12 mètres de long  sur 2,5 de large, recouverte d'une nappe de soie blanche immaculée de mots littéraires joliment écrits à la plume en bout de table. Pendant l'apéro, chacun pouvait se cultiver en lisant sur les nappes des phrases poétiques tout en croquant de minuscules tomates bien mûres qui provenaient de leur potager ou bien de celui du voisin. Daniel, en bon  « Relation Presse », avait invité trois journalistes des quotidiens régionaux de Carcassonne, plus une dizaine de convives, amis et potentiels écrivains à publier. Des centaines de  revues toutes fraîchement imprimées garnissaient les tables, sous-tables, étagères et dessus d'armoires au rez-de-chaussée, dans les sous-sols, les couloirs et greniers, partout, la revue Le Gué (aujourd'hui revue Brèves), les manuscrits qui attendaient d'être  ouverts, et les livres, ceux dans les cartons prêts à voyager en train pour Paris, partout en France et même à l'étranger. Je me demandais comment deux individus à eux seuls pouvaient abattre autant de travail, et surtout, comment ils arrivaient à lire sérieusement tous les manuscrits qui leur parvenaient ; c'était un travail de titan.  Classement du courrier reçu, réponses, lectures, choix des textes à publier et à envoyer à l'imprimerie où Daniel, seul, mettait tout en branle, impression, pliage, coupage, notes, corrections et préfaces, c'étaient des dizaines et des dizaines de lettres et paquets provenant du monde entier qui s'entassaient et fleurissaient, maison, jardins, escaliers, terrasse, toutes ces 'graines de mots' qui allaient germer étaient d'une beauté printanière, ici dans cette région, inconnu ailleurs au monde !  Mais surtout, Daniel et Martine, à eux deux, faisaient cela avec une décontraction déconcertante, sans soulever le moindre soupir, entourés de leurs enfants qui arrivaient à la vie en même temps que naissait la maison d'édition et que venaient à la lumière des écrivains débutants, en herbe, et parfois déjà connus ou célèbres. Personnellement, un ange entourait mon front et enserrait ma tête, la réchauffant  d'un certain bonheur, comme si tout à coup le monde entier allait me lire. Etonnante sensation. L'éditeur vous écoute, mais vraiment, il écoute ! Il parle de contrat à signer, de droits d'auteurs, de futurs contacts avec les journalistes du Monde, de Libé, du Nouvel Observateur, et alors, souriant, l'œil pétillant, il vous remet le premier exemplaire, tout chaud comme un bif qui sent bon l'encre cuite et quand vous l'ouvrez, il craquette comme si vous aviez un billet de 2000 euros amidonné au bout des doigts et que vous le dépliiez plein de désir. Là, à ce moment, on se dit : « Ce n'est pas vrai, je rêve ou quoi, en écrivant mes petites historiettes, ils sont là devant moi comme si j'étais intéressant et le plus grand des auteurs». En fait, il y eut un peu de reconnaissance de part de la presse, Le Monde des Livres nous ayant consacré un article annonçant la sortie de ma nouvelle ainsi que celle de Buzzati, l'auteur du Désert des tartares. Autre sensation, je regardais dans la pile de mes livres bien rangés avec cette surprenante surprise de croire voir s'échapper des lignes fluides de mes textes qui  s'écoulaient toutes seules semblables à de petits lézards ou serpents de couleur vert-gris venant au monde. Alors, vous vous  tapez la tempe, et une peur vous serre la tête qui vous descend à la hauteur de l'estomac. Beau et horrible à la fois ce sentiment de 'bien-être' qui ne vous torture, heureusement, que quelques secondes. Dans la pile à côté, c'étaient les ouvrages de Betty Duhamel qui sortaient de presse, brûlants comme d'un gril. Rien ne bougeait de la pile qu'avait soigneusement entassée Martine. Si les lignes semblaient  s'échapper de mon livre, voltigeant déjà dans l'air, ceux de Betty Duhamel, plus classiques, restaient sages dans le tas. Cependant, j'ai ce souvenir du récit de Betty, d'une littérature étudiée, très bien écrite, soignée, cependant que mes mots espiègles s'échappaient des pages, comme des feuilles d'orties venant piquer les jambes et cuisses de mes lecteurs et lectrices. J'avais ce sentiment  mais sans doute je me trompe.  Dans cet émerveillement de paperasse et de vagues de livres, L'Atelier du Gué ressemblait déjà à une imposante Maison d'édition dans ce joli presbytère de curé transformé en maison du livre littéraire.  Le lieu était superbe, petite cathédrale de papier fragile construite au fur et à mesure et au hasard du courrier qui arrivait, dans l'enceinte de la bâtisse. Murs de pierres vieilles de quatre cents ans et protégés par un crucifix incrusté sous la charpente ancienne dont personne jusqu'à ce jour n'a dû mettre la main dessus. L'ayant décroché pour la nuit, j'avais oublié de le remettre en place. J'y pense seulement aujourd'hui et qu'on veuille bien me pardonner, que mes amis sachent, jamais je n'ai pu dormir dans une maison où veillait un tel ornement religieux.

    Ici dans l'ancien presbytère, maison de curé, les livres avaient leur place. Et cela fait presque quarante ans qu'ils veillent reconnaissants aux créateurs et que moi, en tant que l'un des  premiers lecteurs je me dois et j'ai honneur de féliciter.

     

    G.D : Diarrhée au Mexique publié à L'Atelier du Gué est un récit de voyage qui atteste ton goût pour les explorations intercontinentales. Je crois d'ailleurs que ce texte est extrait d'un volumineux Journal. À quel moment et dans quelles circonstances as-tu éprouvé le désir de focaliser et sur la diarrhée et sur le Mexique ?

     

    B.M : Guy, le titre de mon livre en couverture de cette troisième édition, a été abrégé. Le titre complet était  Extrait d'un voyage dans les excréments ou Diarrhée au Mexique. Je trouve qu'il y a plus de douceur dans cette longueur du titre, les mots absents de la couverture font voyager, nous emportent dans le rêve de ce qui va advenir lors de cette aventure, il classe la nouvelle dans l'exploration. Le titre complet adoucit ce voyage. J'ai entendu dire que 'des bombes' étaient à la place des mots. C'est du domaine de la fabulation ces dires ; mais scientifiquement, oui ce livre contient de petits explosifs. Mais c'est dans la maladie qu'ils s'y trouvent, dans le vécu. Il y a un de mes amis, J. Gaillard, pour ne point le citer, que j'ai revu au Salon du Livre,  qui avait dit à son éditeur, pourquoi il fallait publier ce livre à qui il promettait un bon avenir ; il m'en parla, comme s'il avait la conviction que mon livre pouvait devenir un best-seller et avoir un beau succès. Mon éditeur de l'époque fut assez timide pour lancer cette nouvelle, qui en fait est très médicale et refusa la publication. Le récit de mon livre est une anecdote vraie, alliant troubles de la santé, en l'occurrence diarrhée et constipation, et fête de la sublimation. Parler de diarrhée n'a rien de choquant. Le mot cancer, à moi, me fait plus trembler. M'émeut plus d'apprendre que tel ou telle  ami(e)s souffre de ce mal. La colique c'est moins lourd. Mais attention, ce symptôme est fréquent et il peut être grave. Les diarrhées par altérations de la muqueuse sont provoquées par des lésions qui peuvent aller de la destruction isolée de la bordure en brosse de la cellule intestinales avec inflammation, ulcération  (entérite nécrosante et colites), en passant par l'atrophie villositaire complète, maladie coeliaque.

    Il ne faut pas rire de ce mal,  même si, à la lecture de mon texte, l'écriture semble danser et faire  danser les personnages du récit. Au cours des diarrhées avec colites (recto-colites hémorragiques, Crohn, colites ischémique, parasitaire ou bactérienne), les selles sont nombreuses mais peu abondantes avec glaires et pus. Les causes et les facteurs du risque sont en général des diarrhées hydro-électrolytes, le plus souvent d'origine sécrétoire, parfois motrice. Le grand risque est la déshydratation d'autant plus grave qu'elle touche les enfants, les vieillards et les sujets malades.

    Lors de sa première publication, en 1976, j'avais envoyé mon livre au Docteur Escoffier-Lambiotte, responsable de la rubrique Médecine au quotidien Le Monde. Par retour du courrier, elle m'envoya une lettre de reconnaissance qui me remerciait de lui avoir fait parvenir mon livre, récit qui avait surpris certains de mes lecteurs. Quelques jours après, elle publia tout une page sur le sujet, dans la page Médecine. C'était assez navrant d'écouter certains commentaires sur mon livre. En fait, c'est plus la matière qui les gênait, oui, l'excrément, la merde, celle que chaque être humain, hommes, femmes et enfants, évacue quotidiennement, ou au contraire celle qui  ne peut s'évacuer pour cause de freinage et blocage, de constipation quoi ! Et pourtant,  la plupart des parents de bambins son habitués à soigner leurs enfants de ces maux et les torcher.  Ce n'est pas mes quelques propos politiques ou antireligieux qui les dérangent, non, c'est la merde naturelle, qui explose dans le corps et hors du corps. Oui, là, ce n'est plus naturel, il y a mal, douleurs intenses, maladie. Alors, mon récit, pour atténuer les douleurs, je l'ai voulu artistique. L'écrivain que je suis à ces moments là,  jongle avec les pires douleurs. Il magnifie le spectacle, il sublime le mal, il renforce les liens entre deux amoureux qui souffrent dans leur chair. C'est terrible de vouloir aller à la selle et ne pas pouvoir,  vouloir stopper une diarrhée et constater qu'il nous ait difficile d'arrêter le flux endiablé d'une colique. Le spectacle est hallucinant, nous ne sommes pas au théâtre, même si l'ont peut s'y croire : deux artistes fous d'amour l'un pour l'autre sont renversés par le terrible mal, blessés, jetés à terre  et tordus de douleur par les terribles occlusions. A ce moment, il n'y a pas dieu, personne pour soulager, rien qui puisse atténuer ces douleurs, ni la prière, non rien ne peut faire croire que cela va s'arrêter. Un homme et une femme en transe dans leur caca, s'accrochant l'un à l'autre avec espoir, dans le but que tout s'arrête et qu'ils reprennent enfin le cycle de la vie normale. Ils s'entraident, mains dans les mains besognant une  flopée de médicaments. Et c'est pour oublier le mal qu'ils s'inventent une autre façon de contrôler l'événement et d'enfin pouvoir guérir.  L'amour, heureusement, est là ! Deux êtres unis dans la douleur, en fêtant et  réussissant à s'apaiser de la terrible 'chose sans nom' qui s'accroche à l'intérieur du corps et qu'ils réussissent enfin à se délivrer.

    Pour revenir à ta question, sur mes voyages intercontinentaux, c'est très simple : après mai 68, j'ai pris un billet aller-retour, Paris-New York, valable un mois, avec l'intention de revenir après ce temps. Mais la providence, je dirais plutôt l'évidence, a joué en ma faveur et en a voulu autrement. J'étais bien à New York, alors j'ai décidé d'y rester  et de poursuivre le voyage dans d'autres Etats du pays, en travaillant lorsque ce serait nécessaire. A cette époque trouver du travail n'était pas un problème. Je possédais un métier, mais de toute façon, j'étais prêt à changer d'emploi, aller de l'avant, faire autre chose, découvrir et continuer ma route de la félicité. J'ai quitté les Etats-Unis pour le Mexique, après un court séjour en Alaska de deux semaines, pour une période de pêche. Mon visa étant terminé après huit mois, je devais sortir du pays, si je voulais revenir vivre plus longtemps aux Etats-Unis. La guerre des Américains au Viêt-Nam ne facilitait pas la situation aux U.S.A, tout était contrôlé de près, les étrangers ne pouvaient renouveler leur visas que difficilement et c'est là que j'ai décidé d'aller au Mexique. Comme je vivais en Californie, région frontalière, je partis avec une amie, danseuse au Ballet de Danse Moderne de New York, qui voulait venir avec moi. C'est elle qui deviendra l'héroïne du livre dont on a beaucoup parlé.

    L'écriture d'un livre sur un voyage qui dure plusieurs années est plus difficile à maitriser, même avec les notes que j'avais écrites. C'est à partir de cahiers,  mes journaux de route, que je tenais jour après jour, et notant toutes mes activités que j'ai commencé à rédiger à mon retour en France.  A Paris, j'ai fréquenté la bibliothèque de l'Ecole des Hautes Etudes d'Amérique Latine. Là, j'ai pu lire les auteurs spécialisés de l'Amérique Latine.  Et après bien des lectures, voulant  améliorer, ou croyant améliorer l'écriture de mon récit de voyage qui comprenait des centaines pages, j'écrivis trois versions : un journal, un récit et une troisième version un peu romancée. Ce travail a duré des années, quatre, et plus même, en parallèle à des études d'Economie Politique à Paris VIII et à un travail au Muséum d'Histoire Naturelle, dans le Laboratoire d'ethnobotanique où j'avais la possibilité de choisir mes horaires afin d'assister à mes cours à la fac. Je travaillais aussi une partie de la nuit comme photographe à bord des bateaux mouches sur la Seine. Trop pris par mes activités, peu à peu, j'ai laissé mon manuscrit de voyage, que je reprenais de temps à autre. Mais plus je laissais 'dormir la bête', plus le temps passait, moins j'avais le cœur à l'ouvrage et plus je sentais que ' la bête' s'éloignait de moi. Bien des années plus tard m'est venue l'idée de développer des situations intéressantes de mon voyage. Par exemple : mon escalade des volcans d'Amérique Centrale, ou les crises politiques au Pérou et en Bolivie ainsi que sur les dictatures au Brésil et  en Argentine. Et puis cette idée d'écrire sur la diarrhée a surgi à un moment où j'étais trop occupé par des travaux manuels en travaillant dans un théâtre ce qui m'obligeaient à des jongleries d'horaires pour faire face à la situation et l'idée me vint de cesser tous mes projets d'écriture en cours, ce qui me semblait pourtant impensable.

    Je partis à la campagne, en Seine-et-Marne, dans une maison isolée, revenant tous les quinze jours à Paris car je faisais alors partie du comité de rédaction d'une revue de poésie underground. A la campagne, j'avais du temps devant moi. Entre le matin, aller chercher mon lait à la ferme et le repas du soir, je commençais à réfléchir sur mon nouveau projet : rédiger ce petit 'bijou explosif', Diarrhée au Mexique. Sur les 800 pages que comprenait mon récit de voyage, où j'avais résumé en quelques chapitres tous les événements de mon long périple en Amérique (Nord, Centrale et Sud), je décidais d'extraire cet épisode rocambolesque, qui était d'une quarantaine de lignes, et d'en  faire un petit livre d'une centaine de pages, certain que cela m'aiderait à mieux cerner le sujet traité .Voilà  comment apparût le bébé emmailloté de langes mexicains.

    Certaines lectures de Georges Bataille, comme 'Le Petit' ou de Samuel Beckett 'Premier amour'  publié aux Editions de Minuit contribuèrent à faire court. Ces deux livres furent des modèles, non pour l'écriture, mais pour format du livre et ses longueurs. Je me mis au 'travail', qui n'en fut vraiment pas un, et pris un plaisir de tous les instants. Jamais mon écriture ne fut aussi vertigineuse, tête baissée dans les pages, mon stylo bille serré entre les doigts repris par ma petite machine à écrire Olivetti, je terminais en peu de temps cet étrange ouvrage qui allait en déranger plus d'un. Mais bien avant l'écriture  de Diarrhée au Mexique, la publication de certaines de mes nouvelles courtes furent publiées, dans lesquelles je m'étais exercé à la réduction de textes.  J'avais la conviction qu'en écrivant court, je pouvais mieux décrire un événement, développer même une vie. 

    (A suivre... demain !)

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