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  • QUI ETES-VOUS BIENVENU MERINO ?

     

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    Le Moulin, en Dordogne. Sous la maison de mon enfance coule une rivière.

     

     

    Guy Darol : Ton histoire personnelle est liée à celle de la Guerre d'Espagne. De quelle façon s'effectue le parcours de ta nombreuse famille depuis l'Espagne jusqu'en France ?

    Bienvenu Merino : Après  les années 1936-1939, dates de la guerre civile, ma mère, et mes frères aînés arrivèrent en France à travers les Pyrénées dans des conditions difficiles, avec des  milliers d'autres réfugiés. Moi, je n'étais pas encore né. Deux de mes frères et une de mes sœurs nés en Andalousie périrent avant de pouvoir passer la frontière. Mon père était resté au front, à Barcelone. Il n'arriva en France qu'un an après, à la défaite de la République. Il fut interné comme des milliers d'autres Espagnols dans un camp de réfugiés politiques, où il passa plusieurs mois, presque un an, tandis que ma mère et les enfants se trouvaient dans un autre camp de réfugiés pour femmes et enfants, dans la région de Limoges.  Mon père ne put revoir ma mère et les enfants que plusieurs mois plus tard, lors d'une visite arrangée, car tout était contrôlé, et par la police française et par les autorités du camp.  Personnellement, je connus L'Espagne qu'en juin 1968. Il était alors déconseillé aux opposants au régime de retourner en Espagne, tant que Franco était au pouvoir. On encourait alors des risques de représailles. Franco mourut à 83 ans,  le 20 novembre1975, après un mois d'une interminable agonie et quarante ans de pouvoir sans partage en Espagne.

    Je ne sais si les malheurs vécus par mes parents et mes frères ont été des catalyseurs qui contribuèrent à mon goût du voyage. Peut-être ! En tous cas la vie nomade, durant des années, contribua et facilita notre intégration en France. De région en région, je suivis forcément le mouvement familial. Le clan ayant appris à se mouvoir, à connaître les flux migratoires, la vague houleuse familiale continua de se déplacer de département en département à la recherche de travail et du rassemblement des autres membres  de la famille éparpillée dans le sud de la France. Mes frères et sœurs, et moi-même, nés en France, fûmes préservés d'un cataclysme annoncé. Les aînés étaient morts, il fallait se reconstruire, rebâtir la famille. Que de luttes et combats de chaque instant pour des parents, heureusement unis dans « l'élevage » difficile des enfants qui vinrent au monde pendant et après la guerre 1939-1945.

     

    G.D : Cette migration est-elle le point central qui déterminera par la suite un certain goût du voyage et de l'aventure humaine fraternelle ?

    B.M : Oui je pense. J'ai puisé son essence dans le quotidien d'amour que nous ont donné mes parents. Ma sensibilité à fleur de peau est sans doute due aux drames de la vie que vécut ma famille, aux déchirements issus des guerres fauchant debout les combattants qu'ils étaient devenus pour défendre leur honneur et leurs convictions. Se relever après cela était plus que difficile. Il fallait avoir un père et une mère forts contre les épreuves. C'est sans doute là où s'est forgé un rempart contre les injustices. Sans se barricader, ils ont pu, au contraire, s'ouvrir à la vie, avoir de nouveaux enfants, élevés dans la dignité et l'espérance, nous rendre à l'émerveillement.

     

    G.D : Tes itinéraires te conduisent sur le continent Américain et dans d'autres régions du Monde. Sont-ce tes activités d'écrivain qui te meuvent ainsi ?

    B.M : Non, ce ne sont pas mes activités d'écrivain qui me font bouger. Souvent, ce sont mes voyages qui m'incitent à l'écriture.  Ce qui me fait mouvoir, c'est l'intérêt que je porte aux individus, je vais vers eux, je tiens cela de mon enfance, c'est irrésistiblement naturel, tu comprends ! Je dirais même que c'est mon école d'apprentissage libre et sans obligations. C'est le besoin de s'assouvir, de vivre vrai. Quand j'étais en Amérique, j'étais plus « chemineau » qu'écrivain, dans le sens de suivre son chemin et être observateur. C'était presque un luxe. Le plaisir que j'éprouve dans la marche est immense. Je suis « On the road » en quête initiatique, en réflexion existentielle. Point de frontières, pas de douanes, tous les jours de nouvelles rencontres, des fiancées, des épouses, des amis. C'est une force  de vouloir et de pouvoir être itinérant. Sans doute que les « obligations » de la vie qu'ont eu mes parents et ma famille ont contribué au goût fantastique d'user mes souliers pour aller quelque part. Là où j'ai de l'intérêt.

    Je suis un troubadour. Je préfère les  plaisirs simples, marcher, entrer dans un bar, m'installer sur un haut tabouret et regarder les gens tout en lisant sur les  journaux les nouvelles du monde.

    Mon existence est là, toujours dans la rue. C'est mon œuvre principale. Chaque pays où je suis allé était mon chef-d'œuvre : découverte à pied,  marchant et souriant au monde ; exercice du corps, de l'esprit. Souvent j'étais rempli de bonheur quand je marchais sur le macadam, de l'Alaska à la Terre de Feu. J'ai connu tous les stratagèmes pour éviter des pièges et pour être heureux, apprendre à vivre pénard, parfois tout en aidant les plus défavorisés qui en échange m'offraient l'hospitalité, un hamac, une litière.

    Alors écrire tout cela, tout ce j'ai pu emmagasiner, c'est  de la discipline pour composer, mot à mot, un bouquin de plus. Le secret est là, dans la banque de mon  cerveau, dans mes yeux lorsque parfois j'en parle et que quelqu'un, quelqu'une, veuille bien entendre mon chant. Le conte, je le tiens de mon père Don José et de Amalia, ma mère, ainsi que de mes frères aînés Joseph et Fernando et de deux de mes oncles. J'ai appris, avec ces êtres chers, à capter l'attention et à savourer l'instant où il faut dire les choses, la seconde où il vaut mieux se taire, garder le silence et écouter. Chez nous, cela se faisait par la parole. Essayer de comprendre, réagir, répondre verbalement, car les livres il y en avait peu.

    J'ai grandi dans les champs, avec mes frères et sœurs, près de  petites maisons,  dans le Périgord Noir. "L'Oustal Nèbe"  d'abord,  "le Roc de la Rode", dans  l'ancien presbytère de mon village natal,  puis  "Le Moulin",  assis  sur un sol d'argile recouvert de mousse, les fenêtres s'ouvrant sur une rivière d'argent où nageaient les carpes et les truites, mes premiers pas croisant les biches, les cerfs, les hérissons, le tracé des escargots. Durant une période, nous étions en zone de combats contre l'envahisseur allemand, mon père était dans les forces F.F.I. et continua  à donner avec bravoure tout  ce qu'il avait de générosité.  Ma maman qui avait donné naissance à plus de dix enfants, sans compter les fausses couches, connaissait ce qu'était le chemin qui va droit au cœur. Le soir, à tour de rôle, à plat ventre sur ses genoux, elle nous instruisait à la manière des philosophes espagnols du 18e siècle, qu'elle chantait d'une beauté inégalable, digne des divas du 17e siècle. Ce fut mon meilleur professeur. Il n'y eut rien de pareil. Fille de sage femme Andalouse, toute sa vie elle honora les gens pauvres, ceux qui avaient besoin de tout,  à qui elle offrait et partageait ce qu'elle possédait. Mon père vécut presque soixante-dix ans de mariage, avec elle, jusqu'au bout, à près de 97 ans, avant de s'éteindre doucement dans mes bras et tirer sa révérence de géant qu'il a été. Il complimentait chaque jours ma mère pour l'œuvre qui était aussi la sienne, ses enfants, grande famille admirée de tous, tout au long des petites routes du Lot où nous allions en chapelet serré,  vêtus de blanc et de satin par maman, marchant heureux pour nous rendre aux fêtes votives. Quand, à la sonnerie du manège, commençaient à tourner les chevaux de bois et les voiturettes, mon père, très vite, asseyait les plus petits sur les sièges tandis que mes grands frères s'envolaient seuls vers les chevaux de bois et la grosse Mercédès chromée dont on entendait le klaxon faisant la fête aux parents, ce qui faisaient parfois soulever les paupières et lever les yeux au ciel de Grégoire, l'aveugle de Castelfranc que l'on retrouvait dans toutes fêtes. A Cahors et dans toute la vallée du Lot, région de vignobles, nous allions, parcourant en sabot de bois et chaussettes russes, les sentiers  millénaires le long du fleuve, au bord duquel poussaient les pêchers et les abricotiers, les fraisiers et  les melons dans les champs à pertes de vue.

    Déjà à six ans, le jeudi, jour sans école, sur les coteaux des vignes nous mettions la « main à la patte » : vendanger, cueillir les abricots et les pêches, ramasser les fraises. Et le soir venu,  frères et sœurs, on se retrouvait dans la vaste salle à manger de la "Villa du Paradis", notre belle maison qui dominait le Lot et sa petite plage. Mon père se mettait à chanter des cantes jondos, chants profonds, émouvants, les plus émouvants jamais entendus de toute mon existence, pendant que ma mère tambourinait des mains et des coudes, et, d'un bond, se levait de sa chaise et se mettait à  exécuter des zapatéados almachareños de sa région natale,  invitant les enfants à venir à table où ma sœur aînée, Aurora, avait aligné des floraisons de gâteaux, ronds et carrés, fait de farine de blé, d'huile d'olive et de raisins  secs parfumés de Malaga. Ainsi s'ouvrait la ronde merveilleuse qui créait ce lien "inséparable"  qui nous unissait et nous portait aux anges de la création, amoureux, hérités de l'affection qui nous avait été donnée, sans aucun autre échange : cadeau immense d'un père et d'une mère. Notre respect envers eux était sans compter. Non seulement pour le Noël, en échange du mensonge historique où les pères et mères ne sont là que pour une nuit. Pour nous, c'était chaque jour et chaque nuit Noël ou plutôt l'affection renouvelée toute la vie. Mon père était mon Zappa. Sans trop avoir de livres il connaissait par la pratique, les bonnes manières éducatives qu'il fallait donner à ses fils et à ses filles. Il tenait, beaucoup aussi, de Buenaventura Durutti, dans l'effort et la méthode de nous former à nous défendre. Sa vie, bien que pas facile, fut heureuse du don qu'il nous offrit à tous,  même si  un peu fragilisée par un manque d'instruction qu'il ne put nous offrir totalement, dû aux difficultés qu'il traversa. Il nous sortit de l'ornière des bas chemins où les guerres nous avaient enfoncé pour nous hisser au faîte de la liberté qui  manquait si cruellement à tant de nos concitoyens.  

    (A suivre... demain !)

     

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    Villa du Paradis. Notre maison dans le Lot.