Cher Guy,
Lorsque mon amie la solitude vient me rendre visite, je reprends le petit train de ma jeunesse, le passé remonte à la surface, je revois des visages, des endroits, des situations et tout ce qui a fait de moi ce que je suis. Ce petit train va bien évidemment me déposer rue du Pressoir, la rue de mon enfance et de la vôtre, cette rue que j’ai adorée et si vivante dans les années 50/60.
J’ai aimé vivre mon enfance et mon adolescence dans ce quartier populaire de Ménilmontant, faire le tour du Boulevard comme nous disions avec Liliane, s’asseoir sur la pierre en face du garage et regarder les gens passer. Nous pouvions passer des heures sur cette pierre en attendant les copains.
A cet endroit, souvent, il nous arrivait de taper la discute avec le champion de boxe des années 60, Félix Brami, qui habitait notre quartier. Je le revois très bien, il passait dans la rue du Pressoir au volant de sa décapotable et s’arrêtait à notre hauteur et nous parlions un moment. Tout le monde dans le quartier connaissait Félix Brami, il faut dire qu’il ne passait pas inaperçu. Très sympa ce Félix mais qu’est-il devenu notre champion ?
Lorsque nous serons tous réunis, nous quitterons cette pierre pour redescendre notre rue et il est fort possible que nous ferons un arrêt, vers le bas de la rue du Pressoir, chez Apollinaire, notre copain, qui devait avoir une dizaine d’années de plus que nous. Apo, comme nous l’appelions, avec ses cheveux d’ébène et son sourire d’ivoire, arrivé seul dans notre pays en pensant y trouver une vie meilleure. Il vivait dans une pièce sans fenêtre dont la superficie devait atteindre les 10m², une niche au fin fond d’un couloir lugubre et très sombre. Chez lui nous écoutions de la musique ou parlions de sa culture différente de la notre. Je pense que sa vie était moins triste et qu’il se sentait moins seul avec nous. Cette amitié a duré dans le temps. Jusqu’au jour où je me suis aperçue que, pour moi, il aurait décroché la lune. A partir de ce moment là, je me suis éloignée, sur la pointe des pieds, surtout ne pas faire de dégâts, mais je ne suis pas certaine qu’à 17 ans on ait le cœur assez grand pour ça. Malgré tout, je persiste à croire que pour aimer il faut être deux. Nous reparlons souvent de lui et de ces bons moments passés ensemble, qu’est-il devenu ? Au moment de la retraite est-il reparti dans ce grand et beau pays qui l’a vu naître ? Nul ne sait. Le revoir ? Pourquoi pas ? Ça fait bien longtemps mon vieux copain.
Lentement je lève le voile sur l’histoire de la rue du Pressoir mais c’est, aussi, sur moi que je lève le voile car cette histoire est également mon histoire. Dans ma mémoire j’ai classé et archivé tous ces petits moments alors, croyez bien, cher Guy, que ma réserve est remplie de documents plus ou moins croustillants.
Avec toute mon amitié,
Josette