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  • CONVERSATION AVEC LUCILE/1

     

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    Les deux billets de Lucile à propos de la rue du Pressoir et de ses environs nous ont donné envie de la solliciter de nouveau. Lucile nous raconte les commerces qu'elle fréquentait et c'est l'occasion d'une promenade à rebours dans notre quartier tant aimé. Voici le premier volet d'un entretien au long cours.

    Vous habitiez rue des Maronites, un point de vue idéal sur la rue du Pressoir qui comptait de nombreux commerçants. Avez-vous le souvenir de l’épicerie de Madame Gilles ? 

    Lucile : Je n’ai pas fréquenté « l’épicerie de Madame Gilles ». Je la situe très bien, puisqu’elle figure sur votre plan, juste en face de l’impasse, là où la rue du Pressoir amorce l’angle droit qui va la mener vers la rue des Couronnes. Je l’ai même reconnue sur l’une de vos photos, prise à partir du haut de la rue du Pressoir. 

    C’était bien trop loin de mon poste d’observation, et ma grand-mère n’aurait jamais eu l’idée de monter si haut pour y faire ses courses, alors qu’elle disposait du Primistère et de la boîte à oublis que constituait le magasin de Monsieur Terrot où l’on trouvait de tout ! 

    (Une parenthèse, mais qui pour moi a de l’importance : M. et Mme Terrot s’honoreront de n’avoir jamais fait de marché noir durant la guerre.)

    Dans vos billets, vous évoquez de nombreuses enseignes situées rue du Pressoir. En est-il une qui vous a profondément marqué ?

    Lucile : Les courses, on les faisait essentiellement rue de Ménilmontant et boulevard de Belleville, les jours de marché. C’était à la fois une obligation et un plaisir.

    Tous les métiers de bouche étaient réunis entre la place Ménilmontant et la rue Sorbier : boulangers, pâtissiers, bouchers, charcutiers, tripiers, volaillers, poissonniers, marchands de légumes crus et cuits  (mais oui !), épiciers, et même à plusieurs exemplaires. Ce qui offrait un choix considérable. Sans oublier les marchandes de quatre saisons qui occupaient le côté droit en partant du boulevard de Ménilmontant. Je dis bien les « marchandes » de quatre saisons, car ces emplois étaient réservés, et la majorité des voitures étaient tenues par des veuves de guerre (celle de 14) qui avaient obtenu la plaque. Cela gênait peut-être un peu les chauffeurs du 96, mais quelle vie et quel charme elles donnaient au quartier ! Je me souviens, entre autres, dans le bas de la rue, de « la grande Marcelle », jolie femme de belle allure, dont l’étal de fruits et légumes était toujours élégant et les produits de premier choix. Elle avait vite fait de plier un journal pour envelopper votre salade, réservant les sacs de papier aux fruits plus fragiles.

    On y trouvait aussi tous les autres types de commerce : un grainetier, au coin de la rue Delaitre,  un marchand de chaussures, au coin de la rue Victor Letalle, des cafés/bureaux de tabac bien sûr, un grand bazar avant l’épicerie Loiseau-Rousseau, un chemisier et des marchands de vêtements, des marchands de journaux/papeteries, des pharmacies, la mercerie « Au myosotis », juste avant la rue des Amandiers, la grande bijouterie de « La Serpe d’Or » au coin de la même rue, l’Uniprix, des parfumeries, et j’en oublie…, enfin bref tout ce qu’il fallait pour ne pas avoir à descendre dans Paris !  Sans compter les cinémas sur lesquels j’aurais l’occasion de revenir.

    J’appréciais tout particulièrement « l’Italien ». Une grande boutique, à gauche en montant, qui sentait bon jusque dans la rue, et qui vous dépaysait dès l’entrée. La présentation et les produits étaient différents, les salamis et les jambons pendaient au plafond, la mortadelle était énorme, les grands sacs de toile entr’ouverts laissaient apercevoir des farines et graines inconnues et les macarons collés sur de grandes feuilles de papier blanc découpées à la demande ne se trouvaient que chez lui. Le magasin était profond. Un peu mystérieux mais tellement délicieux pour la très petite fille que j’étais à l’aube des années 40 !

    J’ai évoqué le marchand de légumes cuits. Les légumes en question, betteraves, épinards, artichauts, pommes de terre à l’huile, haricots rouges, reposaient en pyramides dans de grands saladiers blancs posés sur un comptoir de marbre. Tout cela donnait directement sur la rue, il n’y avait pas de vitrine fermée. Les pommes de terre grelots étaient vendues, soit crues grattées à la machine, soit frites et déposées bouillantes à l’aide de grandes araignées de métal dans un cornet de papier. 

    Je me suis éloignée de la rue du Pressoir. Tous les commerces m’étaient familiers, même si mes parents ne faisaient qu’y passer. Je les ai déjà évoqués dans un billet précédent Par contre, je ne revois pas l’établissement de Bains-Douches à l’endroit situé sur le plan. Je le croyais plus haut dans la rue. Il faut dire que maman fréquentait plus facilement celui situé boulevard de Belleville, à la hauteur du métro Couronnes, là où le boulevard forme une sorte de petite place.

    Entre chez Terrot, l’épicier, et l‘impasse Célestin, on comptait un « bougnat », café/marchand de charbon auvergnat - qui vendait aussi des ligots pour allumer le feu, (petits fagots de bois taillé en bûchettes et entourés d’un fil de fer ), le comptoir Maggi, et un salon de coiffure.  On m’y a fait couper les cheveux un moment. J’ai gardé le souvenir d’un praticien à la main baladeuse qui avait trouvé le moyen de conserver ma clientèle - ou plutôt celle de mon innocente mère - en me faisant un superbe cran ! Je suis moi-même surprise de constater combien ces menus détails me reviennent.

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     La rue du Pressoir comptait d’étroites perpendiculaires (Passage du Pressoir, Passage Deschamps). Vous arrivait-il de vous y aventurer et quelles images en gardez-vous ?

    Lucile : Je connaissais le passage Deschamps pour une raison très simple. Ma grand-mère donnait son linge à laver à Madame Deschamps qui occupait un petit logement vétuste dans l’une des premières maisons à gauche. Nous allions donc porter le linge sale, avec la liste des pièces confiées, et le récupérer propre la semaine suivante après pointage de la liste et règlement de la somme due. Il y avait chez cette pauvre femme une horloge comtoise qui me faisait oublier le reste. À tort ou à raison, cet endroit me paraissait terriblement sinistre et le débouché du passage sur le boulevard de Belleville non fréquentable!

     

  • CONVERSATION AVEC LUCILE/2

     

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    Où Lucile nous parle de cinéma et de pommes d'amour, de chocolats glacés et de la Rosengart de son père surnommée Trottinette.

    Avez-vous le souvenir d’un spectacle de rue et particulièrement de la fête (scénic railway, stands de jeux) qui s’étalait sur les trottoirs du boulevard de Ménilmontant ?

    Lucile : Hormis le cinéma, les sorties « parisiennes » de mes parents n’étaient pas très nombreuses.

    La Foire à la ferraille et au Pain d’épices  - qui me voyait gratifiée d’un petit cochon portant mon nom en sucre coloré, quelquefois les Puces de Montreuil, la balade sur les grands boulevards au moment des Fêtes lorsque s’y installaient les baraques du Jour de l’An, c’était à peu près tout.

    Même la fête foraine du boulevard de Belleville ne les tentait pas. On la traversait sans s’arrêter en allant rendre visite à mon parrain qui habitait le 19ème, et les pommes d’amour me subjuguaient. Je fus d’ailleurs très déçue lorsque j’en reçus une ! Par contre, on descendait fréquemment jusqu’à la République en empruntant le faubourg du Temple, ou l’on remontait la rue de Belleville jusqu’à la rue des Pyrénées. Mais disons qu’en faisant ces promenades,  on n’avait pas l’impression de sortir du quartier.

    Il faut dire que Papa alliait un fort goût pour la verdure et l’air pur à celui non moins prononcé de la mécanique. Cela tombait bien à cette époque si l’on souhaitait disposer d’un moyen de transport familial personnel. Il commença donc avec un side-car, puis s’équipa d’une vieille Rosengart baptisée Trottinette.  

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    La Trottinette Rosengart

    Quelles étaient vos promenades avec vos parents ?

    Lucile : Dès les premiers beaux jours, nous partions en forêt de Fontainebleau, sur les bords de Marne, ou ailleurs… et l’hiver, Papa désossait complètement Trottinette et bichonnait son moteur afin qu’elle soit fin prête pour la saison prochaine !

    Pendant la guerre, la voiture échappa aux Allemands, dissimulée dans une cour de la rue Julien Lacroix. Elle reprit vaillamment du service aussitôt qu’il fut possible de se procurer de l’essence. Papa n’abandonna en fait sa chère Rosengart que lorsque apparut la 4CV. 

    Plus tard, à l’âge du collège, les sorties « culture » du jeudi vers les monuments et musées parisiens, théâtres ou concerts, c’est au patronage que je les dois. Encore maintenant je rends grâce à la qualité de ces éducateurs dévoués qui surent très tôt éveiller ma curiosité. 

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    Quelles étaient vos distractions dans le quartier ? Fréquentiez-vous les cinémas ? 

    Le cinéma ! Le bon et le mauvais, en vrac, on était tellement émerveillés de l’avoir qu’on absorbait goulûment tous les programmes

    Du bas de la rue de Ménilmontant jusqu’à la rue des Pyrénées, il y avait trois salles, toutes du même côté, à droite en montant : Le Phénix, à côté de l’Uniprix, Le Ménil-Palace en face de la rue Julien Lacroix et le Gaîté-Ménil un peu après la rue Boyer.

    (C’est au Phénix que j’ai vu mon premier film : Blanche-Neige et les Sept nains de Walt Disney. Je devais avoir 5 ou 6 ans.)

    Le choix était grand car on trouvait l’Impérator, rue Oberkampf, l’Excelsior, avenue de la République près du Père Lachaise, le Zénith, rue Malte-Brun et le 20ÈME Siècle boulevard de Ménilmontant, avant la rue des Panoyaux. 

    C’était, dans ma famille, la sortie rituelle du samedi soir. Dès le mercredi on allait repérer les films qui passaient dans le quartier et les parents décidaient. On se dépêchait de dîner - surtout si le choix se portait sur l’Excelsior ou le Zénith qui étaient plus loin – et on allait faire la queue pour être bien placés. Il n’était pas question de manquer l’attraction, les actualités et le documentaire qui précédaient le film. Ni même la publicité Jean Mineur qui nous amusait beaucoup ! Les ouvreuses vendaient leurs « chocolats glacés » à l’entracte, c’était du plaisir à bon compte.

    Les films dont je me souviens surtout sont les films américains d’après-guerre . Tels Mrs Miniver ou Ouragan sur le Caine, Le Bal des Sirènes avec Esther Williams qui enchantait mon papa, Le Troisième homme avec Orson Welles. Et puis les Zorro, les films de cow-boys en général, et les péplums comme Ben Hur. Les grands films français, je les ai vus plus tard, en ciné-club. De même que le Cuirassé Potemkine dont la célèbre séquence de la voiture d’enfant qui dévale les escaliers d’Odessa nous a tous marqués. 

    À l’époque on ne se souciait guère du réalisateur, ce sont les acteurs qui avaient la vedette. Le cinéma n’était pas encore le Septième art, c’était une distraction à la portée de tous, plus facilement accessible que le théâtre. La notion de film d’auteur n’avait pas encore fait son apparition dans l’esprit du public.   

     

  • CONVERSATION AVEC LUCILE/3

     

     

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    Lucile : Je reviens sur le cinéma, tel que - je crois - la plupart des gens l’abordaient dans ces années là.


    C’était « l’histoire » qui retenait d’abord le spectateur. Puis la plastique et le jeu des acteurs. L’intérêt pour l’écriture du scénario, de la photo, du cadrage ou du son n’était pas courant. Il a fallu que le public soit progressivement éduqué pour qu’il puisse apprécier.

    Des personnalités vécurent dans le quartier, parmi lesquelles Maurice Chevalier, Georges Pérec, Clément Lépidis… Les avez-vous croisées ?

    Lucile : Je sais que notre quartier a inspiré des plumes célèbres. Je n’ai malheureusement pas eu la chance de les connaître. À moins que je ne les aie croisées avant qu’elles le soient devenues !

    Mis à part Maurice Chevalier qui était revenu tourner un court-métrage sur sa vie - ou quelque chose de ce genre - dans le fond de la rue du Pressoir, je n’ai pas de souvenirs marquants. Bien sûr la chanson « Les gars de Ménilmontant » était en quelque sorte l’hymne local et je l’avais entendue, comme tout le monde. Je dois dire que je n’apprécie ni l’homme, ni l’acteur. Ce doit être la raison profonde de mon oubli…

    Vous avez connu le photographe Henri Guérard. Pouvez-vous nous en parler ?

    Lucile : J’ai connu Henri Guérard qui faisait partie de l’équipe fondatrice de l’Ami du XXème. Nous étions proches de la paroisse Notre-Dame-de-la-Croix, et c’est tout naturellement que nous lui avons demandé de faire nos photos de mariage. Il habitait alors rue d’Annam et nul ne se doutait encore, à l’époque, qu’il figurerait parmi les grands photographes de sa génération. Les albums de mariés, où il mettait tout son cœur, étaient pour lui une source de revenus.

    L’année dernière, en compagnie d’amis retrouvés, nous avons eu l’occasion de passer un moment avec lui et son épouse qui l’a toujours accompagné dans ses travaux. Nous ignorions qu’il était devenu aveugle et cela nous a beaucoup peinés. Il nous a toutefois laissé l’impression d’un vieux monsieur charmant qui semble avoir conservé le sens de l’humour et la joie de vivre en dépit de son cruel handicap. Je regarderai maintenant nos photos avec encore plus d’émotion.

    Henri Guérard, Willy Ronis, et d’autres, ont laissé du Ménilmontant d’avant le massacre des années 60 des images inoubliables. C’est une grande chance. La mémoire est volage. C’est en participant à votre blog et en essayant de reconstituer dans ma tête les rues de mon enfance que je m’aperçois combien il est difficile d’être fidèle.


    Avez-vous été le témoin de la destruction du quartier et particulièrement de la rue du Pressoir ?

    Lucile : Je n’ai pas vécu les démolitions de masse. Nous avions déjà quitté le quartier quand elles ont commencé, mais nous les avons suivies de près en venant voir nos familles rue Julien Lacroix et rue des Platrières.

    Nos parents ne sont plus, nos amis de jeunesse se sont éparpillés à travers la France, mais c’est toujours avec plaisir que nous retrouvons sur les photos célèbres les personnages que l’on connaissait de vue et dont les silhouettes caractéristiques avaient retenu l’œil du photographe.

     

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    La plume remarquable de Lucile, la précision de ses témoignages, nous ont incité à lui poser quelques questions sur son histoire personnelle. Elle a bien voulu nous livrer certains renseignements au sujet de ses parents et de son parcours professionnel et nous l'en remercions.

    "Quand on a perdu ses parents, on se sent en première ligne. Les années passant, il arrive même que l’on tente de se retrouver en eux. À moins que ce ne soit le contraire : on cherche à les retrouver en soi.

    Mon papa était ajusteur de formation.

    Je sais qu’il avait fréquenté l’école de la rue Henri Chevreau, mais j’ignore où et comment il avait appris son métier. Toujours est-il qu’il a terminé sa carrière professionnelle comme chef-monteur au département essoreuses industrielles des Pompes Guinard.

    Ce qui l’entraînait à circuler à travers toute la France, l’Europe, et même le monde. Il n’était jamais à la maison en semaine et ne rentrait le week-end que si ses déplacements n’étaient pas trop éloignés de Paris.

    À partir des années 60 jusqu’à sa retraite, il a promené successivement sa chère caisse à outils, qui pesait des tonnes, en Espagne, en Italie, en Allemagne, au Moyen-Orient et même au Brésil où il mettait en route des installations de dessalement d’eau de mer. Au Moyen-Orient il utilisait deux passeports :  à ce moment là – déjà -  il valait mieux ne pas faire figurer sur un même document les cachets d’Israël et ceux du Liban…

    Il nous rapportait de ses voyages des informations inédites car il était en général chaleureusement accueilli par les ingénieurs locaux. Cela dit, il en fallait beaucoup pour étonner Papa, et il partait à Bahia comme s’il allait à Saint-Ouen.  L’important pour lui était de trouver sur place les compétences nécessaires à la résolution de ses problèmes techniques !

    Maman jouait les Pénélope.

    Elle tenait un poste de secrétaire-comptable dans une petite entreprise de la rue Boyer, juste en face de la Bellevilloise et de la Maroquinerie. Ce qui lui a permis, jusqu’à ce que nous quittions Ménilmontant, de profiter de son petit fils en fin de journée alors que je n’étais pas encore rentrée du bureau.

    Car à mon tour j’étais entrée dans la vie active après l’E.S.D. de la rue Soufflot (Ecole des Secrétaires de Direction). Après une dizaine d’années d’arbitrage/titres (bourse), j’ai suivi mon mari muté à Lyon par sa banque et, une fois rentrée à Paris, me suis consacrée à la vie associative : animation de club d’investissement féminin et organisation de consommateurs essentiellement.

    Comme nous vivons le plus souvent à la campagne depuis la retraite de mon mari, mes activités ont changé mais n’en sont pas moins passionnantes. Je me suis impliquée dans la rédaction du bulletin communal : histoire du village depuis son origine, de ses monuments, de sa sainte patronne et surtout, d’un personnage historique qui a marqué le 18ème siècle de son empreinte, Madame Roland, l’égérie des Girondins, dont le mari, éphémère ministre de l’Intérieur de Louis XVI, a eu le bon goût de venir se suicider sur nos terres !

    De plus, j’ai participé pendant deux ans au travail de la commission Culture de la Communauté de Communes à laquelle nous sommes rattachés. Il me revenait, après les avoir présentés et mis en valeur pour allécher nos concitoyens, de faire les comptes-rendus des divertissements divers que nous proposions : théâtre, cirque, concerts de rock, et spectacles de rue. 

    Inutile de préciser que, comme hier encore, j’ai aussi bien souvent, servi d’écrivain public."

     

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    B I O G R A P H I E DE HENRI GUERARD

    Henri Guérard naît le 19 mai 1921 au 10 rue Sorbier à Ménilmontant. Il commence à travailler très tôt comme employé de bureau. Ce travail ne lui convient pas et c’est grâce à un collègue qu’il rentre aux Éclaireurs de France et s’initie à la randonnée et au canoë. C’est lors d’une de ces sorties qu’Henri réalisera ses premières prises de vues. Il rencontre Simone qui deviendra son épouse en 1942. Le jeune couple «entre» en résistance en passant des messages ou en distribuant des tracts. Ils aident aussi, avec leurs camarades, les personnes âgées particulièrement démunies. En 1944, Henri réalise des photos de la Libération de Paris et de la bataille de Ménilmontant. Il entre cette même année au service photographique et cinématographique des armées. L’année suivante, il quitte l’armée et s’installe avec Simone comme artisan photographe. Photos de mariages, de communions, reportages industriels… sont le lot des photographes d’alors. Il travaille pour le journal «L’Ami du 20e» et commence à photographier l’arrondissement sous toutes ses coutures. Henri est le témoin des grandes mutations que subit le 20e dans les années 60. Il s’intéresse au sort des habitants et capte mieux que personne, l’atmosphère, le charme particulier de Belleville et de Ménilmontant. À partir de 1963, Henri et Simone travaillent pour les Petits Frères des Pauvres pour lesquels ils réaliseront de nombreux reportages tant en France qu’à l’étranger, tout en organisant des sorties et des animations culturelles pour de jeunes couples. Infatigable, généreux, heureux de partager son savoir, Henri Guérard animera un club photo de 1970 à 1985. 

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    PHOTOGRAPHIES D'HENRI GUERARD

    PORTRAIT D'HENRI GUERARD SUR AGORAVOX

     

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  • GERALD BLONCOURT PHOTOGRAPHE FRANC-TIREUR

     

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    Gérald Bloncourt sur grand écran à la Mairie du 11e arrondissement
    par Bienvenu Merino

     

    Né le 4 novembre 1926, à Haïti, Gérald Bloncourt est à 20 ans, artiste et leader des journées révolutionnaires qui secouent Haïti, début 1946. Il doit s’exiler en France pour échapper à une condamnation à mort par la junte militaire qui a pris le pouvoir. Devenu photographe, membre du P.C.F. et responsable photo du service politique du journal l’Humanité, il décide de faire de son objectif une arme au service de son combat humaniste.

    « JE NE SUIS PAS UN MARCHAND DE PHOTOGRAPHIE, JE SUIS UN FRANC-TIREUR DE L’IMAGE ».

    Ici, dans les salons de la Mairie, 50 ans de photographies résumés en moins de cent  images époustouflantes de vérité, de sensibilité, témoignages d’un monde tourmenté, de tueries dans le cher Haïti de son enfance, d’émigrés venus du monde entier s’entassant dans les bidonvilles de la région parisienne, dans les années 1960, de travailleurs hors du temps, de mineurs du nord de la France aux visage de saints terrorisés par le destin,  de femmes, d'enfants et d'hommes anonymes acculés par la souffrance et la lutte quotidienne. Bienvenu Merino

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    Belleville par Gérald Bloncourt

     

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    Photo: Gérald Bloncourt.
    Angela Grimau, femme de Julian Grimau, au moment de l'annonce de l'exécution de son mari, militant communiste espagnol. Cela se passe à la Bourse du travail de Paris, au cours de la manifestation réclamant l'arrêt de la sentence. On lui apprend avec des fleurs que son mari vient d'être fusillé. Son regard montre l'immense douleur qui l'envahit.

     

     

    EXPOSITION DU 23 AU 31 JANVIER

    Film/entretien sur grand écran avec Gérald Bloncourt

    Salle des fêtes de la mairie du 11e arrondissement deParis

    Place Léon Blum Paris 75011

    Métro Voltaire

     

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    Poème de Gérald  Bloncourt

    Paris quelque part

    Le ciel blafard et l’ombre muette

    jettent leur valise au regard du monde

    la faim gèle sa cadence

    au pluvieux nuage que mord l’étain

     

    Le vent céleste et la molle cerise

    appellent la tendresse et le rire bruyant

    Je vois mourir l’ombre des grands toits

    Et se tordre le gris des ardoises tristes

     

    Je vois miauler

    la couche d’asphalte

    j’entends grincer pleurer la radio

    et la joie.

     

    Et je dis au courant qui gratte

    l’espace

    voici venir l’ombre vaste

    des cyclones hargneux.

     

    Je boucle ma valise pour un port

    plus doux

    et je nage dans l’équilibre de la sueur

    moite.

    LE BLOG DE GERALD BLONCOURT

  • LUCILE SE SOUVIENT DE LA RUE DU PRESSOIR

     

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    Cinquième à gauche, arborant fièrement sa croix d'honneur sur son tablier noir d'écolière, la maman de Lucile. Cette photo prise devant le magasin de Monsieur et Madame Tabak, 24 rue des Maronites, date de 1922 ou 1923. Lucile a bien connu ces commerçants avant qu'ils ne disparaissent dans la tourmente de la guerre de 40
    Comme je l'ai précédemment indiqué, mes grands-parents maternels habitaient, dès avant la guerre de 14, 24 rue des Maronites, juste en face de la rue du Pressoir. L'immeuble existe encore aujourd'hui bien que j'aie toujours entendu dire qu'il allait être abattu !(Comme la rue du Pressoir a été percée en 1937 - ai-je lu sur votre blog - je suppose que l'intention était de rejoindre ainsi la rue Etienne Dolet dont presque tous les immeubles correspondaient à ceux de la rue des Maronites par une suite de cours intérieures.)
    Leur logement était celui, sur rue, du troisième étage. C'est là que ma grand-mère, devenue veuve de guerre, a élevé seule ses deux enfants, nés, mon oncle en 1912, et maman en 1915.
    Mes parents, jeunes mariés (Papa venait, lui, de la rue des Couronnes) s'installèrent en 1934 au premier étage du  même immeuble. Et c'est, lorsqu'en 1938 à la naissance de mon frère, ils déménagèrent pour un appartement plus confortable rue Julien Lacroix, que ma grand-mère "descendit" occuper le premier étage car les escaliers commençaient à lui peser.
    Crise du logement oblige, moi, née en 1935, je suis restée auprès d'elle. Et c'est là que le film commence...
    Dès ma toute petite enfance j'ai aimé le mouvement de la rue et j'ai gardé un souvenir précis des gens et des bruits qui l'animaient. Du haut de mon observatoire - trois fenêtres ce n'est pas rien! - j'étais aux premières loges et je ne perdais rien du spectacle.
    Je me souviens, comme si c'était hier, du troupeau de chèvres et du marchand à qui sa boite de bois peinte en bleu servait de boutique pour le lait et les fromages. Il prévenait de son arrivée avec une trompette et il fallait se dépêcher de descendre car les chèvres s'impatientaient !
    Le vitrier équipé de son harnais soutenant les carreaux qu'il ne demandait qu'à poser s'annonçait en criant, de même    que le rémouleur qui aiguisait sur place les couteaux et ciseaux.
    Moins fréquemment venaient également les matelassières, convoquées pour retaper les matelas de laine. Elles s'installaient de préférence dans les cours, mais également sans problème dans la rue. Le travail durait la journée car il fallait aérer la laine et reconstituer le matelas si la toile était encore bonne.
    J'entends encore le piétinement de l'attelage à deux énormes chevaux dont l'écurie se trouvait dans une cour à large porche, rue du Pressoir, un peu avant le passage Deschamps. Je crois me souvenir avoir entendu mon père parler de brasserie.
    Il y a avait aussi la visite du "Caïffa" qui venait régulièrement en espérant qu'on lui passerait commande une fois pour l'autre. Il laissait en toute confiance son triporteur dans le couloir de l'immeuble et montait avec sa toilette pleine de trésors. Il l'installait sur la table de la salle à manger et il était bien rare qu'on ne soit pas tenté par quelque produit d'épicerie fine. Les bouchées de chocolat à la crème et les bonbons fondants de Noël m'ont laissé des souvenirs inoubliables!
    (Je précise pour les plus jeunes, que "Le Caïffa" était une grande épicerie orange, dont l'une des succursales se trouvait presque au coin de la place Ménilmontant, boulevard de Belleville).
    Et puis il y avait bien sûr les chanteurs à qui l'on jetait du haut des fenêtres des sous soigneusement enveloppés dans du papier journal.
    Je grandissais et mon intérêt quitta naturellement le coeur de la maison pour s'étendre à ce qui l'entourait. Arriva la guerre et l'entrée à l'école. J'allais au Sacré-Coeur, rue des Panoyaux, là où Maman elle-même était allée. C'était une "grande" qui m'y accompagnait : Ginette, la fille de Monsieur et Madame Terrot, qui tenaient l'épicerie/crémerie/fruits et légumes du début de la rue du Pressoir, située juste après le café-hôtel du coin "Chez Gaston".
    Une parenthèse : celui-ci est appelé "chez Terro" sur votre plan, parce qu'en fait, la fille de Madame Gaston, la bistrote, épousa un jour le frère de Monsieur Terrot, l'épicier ! et c'est le jeune couple qui prit la suite. Mais ceci est une autre histoire !
    Toujours est-il que dans les années 40, avant, pendant et après l'Occupation, c'était pour tout le monde "Chez Gaston". Du haut de mon premier étage, j'avais évidemment une vue à 180° sur tout ce qui s'y passait !
    De l'autre côté de la rue du Pressoir et ouvrant sur la rue des Maronites, se trouvait le Primistère, encore une épicerie. Et si l'on remontait la rue côté pair, on trouvait vite le bougnat dont la patronne, "l'Auvergnate" bien sûr, tricotait continuellement des chaussettes, à quatre aiguilles s'il vous plaît !, tout en faisant sa petite promenade.
    J'étais très admirative...
    Toujours du même côté un peu plus haut, il y avait le dépôt Maggi (laiterie/crémerie à succursales). Tout blanc, le magasin frisquet à l'odeur légèrement surette, offrait ses yoghourts, coeurs à la crème et "Fontainebleau" mousseux dans des grands bacs de zinc. Il ne fallait surtout pas oublier sa boîte car on y versait directement le lait puisé dans le grand réservoir à couvercle avec les mesures de métal. J'entends encore le bruit des pots de verre que l'on rapportait et déposait sur le marbre du comptoir, le frottement contre les bacs... c'était déjà du bling-bling ...
    Cela ne dura d'ailleurs pas bien longtemps pour moi, car c'était la guerre et les tickets de rationnement changèrent la donne. Dans l'esprit d'un enfant, la guerre c'est flou. Je garde cependant très vif le sentiment de malaise, informulé à l'époque, des questions qui se posaient à propos de mes petites voisines en allées on ne savait où. Cécile, Lisette, savais-je seulement qu'elles étaient juives ?
    Certes, presque toutes les familles avaient un "prisonnier" en Allemagne (chez nous c'était mon oncle) ou un réquisitionné du S.T.O., mais les enfants n'avaient pas vraiment conscience des drames qui se jouaient. Les problèmes évidents étaient la course à l'alimentation, les rues plongées dans l'obscurité le soir venu, les bandes de papier collées en croix sur les vitres pour éviter la casse en cas de bombardement (!), l'obligation de tenir bien fermés les double-rideaux pour qu'aucune lumière ne soit visible de la rue, et les coups de sifflet des chefs d'îlots rappelant à l'ordre les récalcitrants. Et puis, à partir de 1943, je crois, les alertes, et les sirènes qui  en annonçaient le début et la fin. En principe il fallait descendre aux abris : en ce qui me concerne, ma grand-mère accueillait des voisins de l'immeuble et nous jouions en attendant que cela se passe !
    Le plus pénible souvenir de cette époque demeure pour moi - surtout lorsque j'y repense maintenant - le matin où je vis, rue du Pressoir, les familles juives regroupées au pied de leurs immeubles par des agents en pèlerines, leurs petites valises à la main et l'air complètement perdu. Ce devait être un jeudi, puisque je n'étais pas à l'école. On sait ce qu'il en est advenu.
    La Libération arriva enfin en 1944 et la vie reprit son cours. Je me souviens avec émotion du bal du premier 14 juillet qui suivit, organisé par un café du "fond" de la rue du Pressoir, bal où je n'avais pas le droit d'aller - j'avais neuf ans - mais dont les flons-flons arrivaient jusqu'à moi. C'était la fête.De même lorsque le Tour de France repartit et que l'on suivait au jour le jour, sur la carte de France dessinée à la peinture à l'eau sur la vitre de chez Gaston, le parcours et les résultats d'étapes. Cela attirait un monde fou et chacun y allait de ses commentaires. Moi, j'observais et n'aurais cédé ma place pour rien au monde ! Lucile
  • LUCILE SE SOUVIENT DE LA RUE DU PRESSOIR/2

     

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    24 et 26 rue des Maronites

     

    En fait, les jours passant, chacun prit vite conscience qu'il y eut "avant" et "après" la guerre.

    Mais, comme la nature après un trop long hiver, la vie reprit son cours en essayant de rattraper le temps perdu. On avait toujours aussi froid puisqu'il n'y avait pas assez de charbon pour alimenter les salamandres, mais le peu de circulation automobile permettait aux enfants de se réchauffer en jouant dans la rue. Ce ne sont pas les véhicules à gazogène qui encombraient la chaussée. Si les filles se réservaient le saut à la corde ou la marelle, les garçons avaient le monopole des jeux de billes ou d'osselets, et dévalaient la rue du Pressoir à bord des traîneaux de leur fabrication.

    Certes maman était sévère, il n'était pas question que je descende "jouer sur le trottoir".
    Bah ! ce n'était pas grave! Seul un petit étage me séparait des autres.
    J'étais aux premières loges pour apprécier les concours de gymnastique qui s'organisaient spontanément au carrefour Maronites/Pressoir. Une certaine Denise dominait la bande de la tête et des épaules, spécialiste qu'elle était de la grande roue et du poirier ! Les jeux de saute-mouton n'étaient pas mal non plus, d'autant que là tout le monde participait. De même à la navigation des bateaux de papier dans les caniveaux quand les employés de la ville les mettaient en eau et bouchaient l'entrée des égouts avec des sacs de sable.

    Bref, aux adultes les soucis, la queue à la porte des magasins approvisionnés, la course aux rumeurs quant aux arrivages prévus - qui n'arrivaient pas - et, bien sûr, toujours les cartes d'alimentation. (Je crois qu'elles ont bien dû persister jusqu'en 1947).

    Le dimanche matin, on oubliait tout ça. La fanfare défilait dans le quartier, remontait la rue du Pressoir et les musiciens récupéraient de leurs efforts dans les bistrots du "haut". Les vendeurs de L'Humanité tenaient leurs permanences. À l'heure du déjeuner arrivaient les chanteurs de rue. L'un d'entre eux, en élégant costume noir, saluait à la ronde avec son chapeau melon, en guise de remerciement. L'homme-orchestre passait aussi, mais moins régulièrement ; il en était d'autant plus apprécié.

    L'été, pour se procurer de la glace, il suffisait de héler au passage le camion qui approvisionnait les nombreux cafés.
    À l'aide de son crochet de fer, le livreur débitait un morceau dans les grands pains dégoulinants, l'entourait d'un papier blanc, on le payait, et on se dépêchait de le déposer dans une bassine pour rafraîchir les boissons.
    Il se trouvait toujours au cul du camion un ou deux galopins prêts à sucer les glaçons éclatés !
    En soirée, si la chaleur était trop pesante dans les petits logements, les grand-mères descendaient leur chaise pour bavarder au frais sur le pas des portes.

    De temps en temps, il y avait bien quelques bagarres chez Gaston, mais d'une façon générale la vie était plutôt paisible.

    En 1945, j'allais sur mes dix ans. J'étais en troisième année de catéchisme, le temps était venu de faire ma communion solennelle. Mais... il y avait un "mais" !
    Pas question de faire la fête si mon oncle et parrain n'était pas rentré de captivité.
    La cérémonie était prévue pour le 31 mai : Parrain nous arriva sans prévenir au début du mois !
    De plus, il rapportait des rations américaines et du chocolat !

    La joie fut grande à la maison et il fallut mettre les bouchées doubles pour s'organiser. On profita de l'occasion pour célébrer le baptême de mon petit frère qui avait été repoussé en raison des événements. Ma grand-mère paternelle sortit de ses cartons la tenue de communiante de ma tante (robe, voile et aumônière), qui datait bien de trente ans, mais qui, mise à ma taille, amoureusement lavée, amidonnée et repassée fit son effet le moment venu.

    Le déjeuner familial posa, lui, beaucoup plus de problèmes et réclama une grande dose d'ingéniosité.
    Heureusement, Papa avait ses habitudes en vallée de Chevreuse où il allait régulièrement à vélo échanger ses tickets de tabac contre un peu de ravitaillement. Il rapportait le plus souvent des haricots secs et du blé en grains. Concassés dans le moulin à café, mêlés à de l'eau et cuits à la poêle dans trois gouttes d'huile, on se régalait d'une "galette", que je n'ai pas oubliée. Surtout lorsqu'elle était un peu brûlée !
    Pour le repas de communion, il fallait absolument trouver autre chose. Je ne saurais dire comment les opérations se déroulèrent, mais nous eûmes une pièce montée confectionnée en famille grâce à la générosité de chacun.

    La cérémonie en elle-même perpétuait les fastes "d'avant". Les garçons d'un côté, les filles de l'autre, un cierge à la main, formaient la procession à partir de la rue Étienne-Dolet et pénétraient dans l'église en empruntant les superbes volées de marches qui, pour moi, font de Notre-Dame-de-la-Croix le plus bel édifice XIXème de Paris. La foule était nombreuse, les cloches carillonnaient, croyants et incroyants se rassemblaient autour de la tradition.

    Après, ce fut l'examen d'entrée en 6ème, le collège Sophie-Germain ... la fin de l'enfance.
    En 1947, un téléviseur apparut dans la vitrine de l'électricien de la rue des Couronnes et les badauds purent se regrouper pour assister au mariage de la princesse Elizabeth, future reine d'Angleterre.
    Le monde avait changé, sinon le quartier.

    L'année 1953 fut celle de mon premier vrai chagrin. Ma grand-mère chérie nous quitta brusquement et je laissai ma maison pour retrouver le domicile de mes parents, rue Julien-Lacroix. Heureusement, je connaissais déjà celui qui quitterait sa rue des Plâtrières pour devenir mon époux. Papa et Maman avaient eu la bonne idée de conserver la jouissance de l'appartement. Il nous fut précieux lorsqu'en 1957 nous avons enfin pu nous marier, les obligations militaires du sursitaire étant considérées comme accomplies après un maintien de 27 mois en Tunisie ! C'est donc ensemble que nous retrouvâmes le 24 rue des Maronites.

    Notre mariage eût lieu naturellement à Notre-Dame-de-la-Croix et nous descendîmes les marches entourés de nos amis, précédés par le Suisse en grande tenue avec bicorne et hallebarde, ainsi que cela se faisait à l'époque. Cela sous l'oeil bienveillant de la foule rassemblée comme d'habitude, sur la petite place en bas de l'église, lorsqu'il y avait des cérémonies. Les marchandes de quatre-saisons de la rue de Ménilmontant pouvaient bien attendre un peu les clients, on prenait son temps le samedi matin !

    C'est Henri Guérard, qui n'était pas encore le célèbre photographe qu'il est devenu, qui immortalisa pour nous ces moments de bonheur.

    Toutefois, la rue du Pressoir n'en avait pas fini avec moi ! Un jour de 1958, la guerre d'Algérie faisant rage, deux factions rivales avaient choisi les cafés arabes du côté impair pour s'affronter. C'est en vitesse que nous avons dû déplacer le berceau de notre fils de crainte qu'une balle perdue n'arrive jusqu'à lui !

    Les années 1960 se profilaient à l'horizon et l'on parlait déjà d'échanges d'appartements en vue de la démolition des immeubles, vétustes ou non : un relogement en banlieue contre un abandon du quartier. Si c'était un crève-coeur pour les vieux Parisiens de souche, il faut bien avouer que l'espoir d'une installation plus confortable faisait envie aux jeunes. Je crois que nul ne se rendait compte des dégâts esthétiques qui se perpétraient. À ma connaissance, il ne fut malheureusement jamais question de réhabilitation.

    Par chance pour nous la question ne se posa pas. Nous avons cédé la place à mon frère et ma jeune belle-soeur, de sorte que l'appartement du 24 rue des Maronites resta "dans la famille" quelques années encore. Finalement l'immeuble fut épargné, ainsi que le 26. Ils sont toujours debout aujourd'hui, plus fringants que jamais !

    Depuis des décennies nous ne vivons plus à Ménilmontant, mais nous y avons laissé une grande partie de notre coeur.
    Et même de sérieuses attaches, puisque notre fils a choisi d'habiter Belleville. Question de gènes probablement ...

    Il ne faut pas oublier que Ménilmontant n'a été de tout temps qu'un quartier du village de Belleville ! Lucile

  • EPIPHANIE

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    La Befana

    Bonjour à tous, c'est aujourd'hui l'Epiphanie, en France et en Italie. Cela s'appelle l'Epiphania, et aussi la "Befana". C'est à la fois le nom de la fête, et le nom de la sorcière de mon enfance, celle dont ma maman me parlait. J''écoutais avec attention, les yeux écarquillés. Cette sorcière, autrefois appelée "Stria",  apportait aux enfants sages bonbons et friandises. Les enfants désobéissants recevaient du charbon....Cette tradition fut aussi récupérée par la religion chrétienne. Dans cette version, la  sorcière enfilait sur une cordelette, pommes, châtaignes, oranges. Ces fruits étaient groupés par dix, ils représentaient les "Ave Maria" et les autres fruits, le "Padre Nostro". La terminaison du rosaire était représentée par une orange. Quoi qu'il en soit, pour beaucoup d'italiens, et de franco-italiens,la "Befana" est une tradition, un joli conte, plus ou moins édulcoré à travers les âges. Cela marque la fin des festivités. Pour la petite histoire, l'on peut toujours apercevoir dans le ciel nocturne, du 5 au 6 janvier, la "Befana" sur son balai. Mon intention était de vous faire rêver, afin que vous puissiez revêtir, quelques instants, le manteau de votre enfance, et que les "petites filles" et les "petits garçons" qui sommeillent en nous se réveillent. Au revoir, et à bientôt... Nicole Bourg