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  • ENFANTS JUIFS DEPORTES

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    Sur le net, je suis tombé par hasard sur un site (Comité "Ecole de la rue Tlemcen"), une association pour la mémoire des enfants juifs déportés du XXe arrondissement de Paris. Je regarde et je découvre une liste alphabétique des enfants déportés : 28 pour la seule rue Ramponeau !  Des noms me reviennent aussitôt en mémoire et je cherche …

     

    Au 16 rue Ramponeau, je trouve deux noms : Jacqueline et Maurice. Elle avait 13 ans, lui 16. Ils venaient souvent à la maison et restaient longtemps avec nous. Quand je pense que ma sœur empruntait à Jacqueline  une veste où était cousue une étoile jaune et  qu'elle sortait se promener dans la rue, ce n'était pas de la bravade mais de l'innocence. Moi j'allais parfois chez eux déguster du pain azyme recouvert d'un peu de confiture. Ils disparurent un jour. On racontait qu'ils étaient repartis dans leur pays d'origine …

     

    Je ne vais pas vous raconter la suite, vous la connaissez. Mais j'avais toujours espéré que mes amis : Jacqueline et Maurice avaient échappé au massacre, je m'en trouvais tranquillisé et puis le temps a passé, jusqu'à la lecture de cette liste sur laquelle j'ai lu leurs noms… Il s'est passé quelque chose que j'ai du mal à expliquer. J'ai compris alors que j'avais vécu tout ce temps dans une sorte de confort de mémoire. L'envie de les savoir vivants quelque part me rassurait. Tout à coup, je me retrouvais devant l'affreuse réalité : ils n'y avaient pas échappé. Ainsi qu'Anna 10 ans, du 9 de la rue où il y avait un bijoutier. Et puis bien d'autres dont je ne me rappelle  plus les noms.  J'ai été envahi tout à coup d'une grande et profonde tristesse. Ma jeunesse était blessée. Ils étaient mes camarades de jeux.  Robert Gostanian

     

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  • LAVER SON LINGE SALE EN FAMILLE

     

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    Une fois n’est pas coutume, je vais vous proposer, à vous, anciens « Bellevillois-Ménilmontagnards », de laver notre linge sale en famille. Laver son linge est depuis la nuit des temps quelque chose de convivial,  un temps de rencontre où l’on tue la corvée à grands coups de papotages et de petites histoires. Parce que, bien sûr, laver le linge n’est pas une partie de plaisir et c’était jadis un travail de force à grands coups de brosse et de battoir.

    Nos anciens avaient bien plus de philosophie que nous et transformaient un tâche ingrate en partie de plaisir. Les lavandières, qu’elles soient du Portugal ou d’ailleurs, l’ont bien exprimé à leur manière et … en chansons.

    A la ville, les choses étaient un peu différentes, mais cependant gardaient cet esprit convivial. Je propose aux anciens de la rue des Couronnes et de la rue du Pressoir un petit détour au lavoir de la rue des Couronnes.  Ce qui suit est un extrait de mes mémoires : Une jeunesse bien ordinaire à Belleville , chapitre 3  « Oh ... pays »,  sous-chapitre « Ou au lavoir ». Il fait suite à un petit développement chez le coiffeur avec ses larges conférences  « au sommet ».

    On y va ?


     

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    «  … Si j’utilise l’expression « conférence au sommet », c’est pour bien faire prendre conscience qu’il ne s’agissait pas de discussions à deux ou trois, mais plutôt à huit ou dix. Il est même arrivé que tout le lavoir s’enflamme sur des thèmes d’actualité ! Attention, il ne s’agissait pas du lavoir de campagne, qui reçoit une poignée de ménagères, non là on est à Paris, dans une quasi usine !

    En ce temps-là, bien sûr, les machines à laver étaient inexistantes dans les foyers bellevillois ( tout comme les réfrigérateurs). Non que les produits n’existaient pas, mais hors de portée financière des budgets familiaux dans les quartiers populaires !

    Une partie de la lessive était souvent faite à la maison, avec une grosse marmite à bouillir. Cependant, ceci n’était pas toujours facile, et puis comment faire face à la quantité ?

    Alors, régulièrement, ma grand-mère (Mamy) allait au lavoir de la rue des Couronnes.

    Celui-ci se trouvait sur le trottoir de droite en montant, bien après la rue du Pressoir, après le maroquinier FERTZ et avant la boulangerie AMY (on me pardonnera l’orthographe de ces noms). Un point assez central dans le quartier. Je n’ai jamais connu le statut exact de ce lieu, privé, municipal… ? Par contre, je puis dire qu’il était pleinement utilisé !

    Comme Mamy n’était pas des plus causantes, le lavoir c’était bien pour laver et rien d’autre !  Revue de détail… 

    Ah ! le lavoir… un roman à lui tout seul !  On aurait pu se croire à l’époque de Zola, et pour qui a vu le film « Gervaise » avec Maria Schell et François Périer, il n’y avait aucune différence malgré le petit siècle de distance.

    C’était un local immense, avec au rez-de-chaussée la partie lavage et à l’étage le séchage.

    Le rez-de-chaussée avait une hauteur de plafond très importante, peut être 5 à 7m. On entrait par un grand porche, et tout de suite à gauche se tenait la caisse où l’on achetait le prix des  différentes prestations   :

     

          - Place de lavage main (utilisation d’un emplacement avec  plusieurs bacs, battoirs…)

    - Linge à bouillir. On recevait ainsi une grosse épingle de nourrice numéroté et destinée à marquer le paquet de linge qui sera mis à bouillir (dans une toile de jute ou filet grossier)

    - Produits lessiviels (savon, eau de javel…)

    - Essorage. Là encore on recevait un numéro en métal destiné à être attaché au paquet de linge à essorer

    - Séchage (droit d’usage d’une place en étage pour étaler son linge à sécher).

     

    Après la caisse on entrait dans le ventre du monstre enfumé !

    A droite, dans la hauteur, à la verticale, et presque jusqu’au plafond (5m à 6m environ) la machine à bouillir. Une immense « marmite » tournant dans le sens des aiguilles d’une montre pendant près d’une heure avec de l’eau bouillante à l’intérieur. A chaque mise en route, elle était chargée jusqu’à la gueule de tous les baluchons de dizaines de ménagères … et en route pour la « bouillissoire » communautaire !

    Ces baluchons étaient tous constitués d’une grosse toile maillée carrée, contenant le linge à bouillir. Les quatre coins étaient noués solidement pour ne pas s’ouvrir pendant l’opération « bouilloir ». Ils étaient identifiés par la fameuse grosse « épingle de nourrice » numérotée, afin que chacun puisse retrouver son bien. On rend à César le linge de César !

    A gauche, à l’horizontale, l’essoreuse. Chargée à bloc de ballots de linge lavé … et en route pour un grand tour de manège communautaire !

    Marmite et essoreuse étaient entraînées mécaniquement par des moteurs assez éloignés et un ensemble de poulies qui tournaient à grande vitesse et entraînaient des courroies. Il fallait garder ses distances car c’était assez dangereux. Il était déjà arrivé qu’une femme soit happée par les cheveux. Un beau carnage… et le linge à relaver !

    Bien entendu, on ne passait pas impunément du « bouilloir » à l’essoreuse, il fallait tout de même user d’un peu d’huile de coude pour laver le linge entre ces deux opérations majeures.

    La plus grande partie du local était donc  constituée de multiples emplacements de plans de bois inclinés disposés tête-bêche. Ainsi chaque ménagère avait ses compagnes de droite et gauche avec son vis-à-vis à proximité. Soit une potentialité d’échanges de six personnes !

    La Suzanne Rihard, ma grand-mère, n’était pas de caractère à raconter sa vie, encore moins celle de ses voisins. Les potins, les ragots ce n’était pas son pain quotidien, elle avait assez à faire avec ses propres problèmes, son dévouement à sa famille étant total, chaque minute comptait. Et elle s’activait donc à s’acquitter de sa tâche dans les meilleurs délais, d’autres tâches l’attendant à la maison.

     Entre ces plans inclinés de bois, plusieurs bacs en bois de différentes dimensions, chacun pour un usage spécifique. A chacune son organisation : un bac avec de l’eau savonneuse, un autre avec de l’eau javellisée, un bac pour le premier rinçage et un autre pour le second… Sans oublier pour le blanc, le bleu !

    Je m’explique, comme nous étions en ville, pas de possibilité de faire sécher le linge au soleil et donc de la blanchir. Pour donner de l’éclat après la javellisation, l’astuce consistait à faire tremper le linge dans un bac d’eau contenant une solution de bleu de méthylène

    Alors, le  voici le méthylène ... magique !  Tel le prestidigitateur, la grand-mère mettait  dans un petit chiffon noué par un élastique ses deux ou trois pincées de cette poudre bleue que l’on pouvait acheter chez le marchand de couleurs (ou droguiste). Ceux qui se souviennent de la rue des Couronnes se rappelleront volontiers l’existence de deux marchands de couleurs à 30 mètres d’intervalle dans le bas de la rue des Couronnes !

    Le tout était mis dans un bac d’eau claire ou le linge blanc serait mis à tremper. Résultat, un linge blanc avec  une très légère nuance bleutée, renforçant ainsi l’aspect de propreté. Plus banc que blanc, cela vous dit quelque chose ?

    Le processus « lavoir »  était immuable. Dès l’arrivée, munie de ses jetons et autres numéros métalliques, ma grand-mère s’empressait de porter son paquet de linge à bouillir. Elle a toujours été très organisée pour économiser autant son temps que son peu d’argent. Donc, dès le départ du 52 boulevard de Belleville, elle avait déjà préparé ses paquets de linge sale et pouvait donc mettre à bouillir de suite, puisque le tri avait déjà été fait.

    D’autres passaient un bon moment à faire le tri sur place. Lorsque c’était fini, la « marmite » tournait déjà et il leur fallait attendre le tour suivant ! Mais peut-être, était-ce là une bonne occasion d’être un peu plus longtemps avec les copines à échanger des nouvelles !

    Pendant que le linge était à bouillir, la grand-mère  était « au charbon » sur le linge qui ne nécessitait pas l’ébullition à 100°C ! Et que j’ te savonne, et que j’ te frappe à coups de battoir, et que j’ te rinçe et rebelote.

    Tout ce travail au milieu d’un bruit infernal, des voix qui s’élevaient pour se faire entendre, l’humidité ambiante, les odeurs plutôt désagréables, sans oublier les autres participants moins bruyants mais assez nombreux qu’étaient les rats installés comme chez eux, gros quasiment comme des chats, à l’affût d’une saleté à ronger et qui bougeaient à peine, même lorsqu’un battoir envoyé avec force leur passait au raz du museau. Z’avez d’jà vu un vrai rat d’égout ? Presque aussi gros qu’un chat !

    Quant tout était terminé, tout ce joli linge passait au trempage final et alors, on pouvait aller chercher celui qui sortait de la « marmite ». Et c’était reparti ! Savon de Marseille, battoir, rinçage … Arrivait l’étape du rinçage final où certains vêtements subissaient le « javellisé »  ou le méthylène. Le rinçage terminé il fallait alors préparer un ou plusieurs balluchon selon le type de linge et porter tout cela à l’essorage. Tout était enfourné dans cette immense machine (environ 3 à 4m de diamètre) positionnée cette fois à l’horizontale contrairement à la « marmite ». Cette opération durait environ 10 mn à l’issue desquelles chacun pouvait ramener son linge à la maison ou le cas échéant le mettre à sécher à l’étage du dessus.

    Cette dernière option était toujours celle retenue par ma grand-mère car nous avions si peu de place à la maison ( 30 mètres carré ) que l’on ne pouvait imaginer y faire sécher du linge pour 6 personnes !

    Au-delà de ces contraintes « spatiales », cette option recevait très largement mon assentiment … et celle de ma copine Yolande. En effet, le coin séchage était un terrain de jeu fabuleux pour nous enfants ! Agréable et intéressant. D’abord, on ne pataugeait plus dans l’eau de lessive, on était au sec, pas de rats, et surtout nous bénéficions d’un immense terrain de cache-cache. Un vrai labyrinthe !

    Ce local à séchage était situé au-dessus du lavoir, occupait toute la surface de ce dernier et n’en était séparé que par un plancher. C’était en quelque sorte les combles, couvertes par un toit, mais ouvertes à tous vents. On y accédait par un escalier de bois quelque peu vermoulu compte tenu de l’immense humidité régnant au rez-de-chaussée.

    Toute cette partie « comble »  était compartimentée non par des parois, mais par des cloisons en grillage, lesquelles pouvaient être fermées avec un cadenas personnel, ceci pour ne pas se faire « faucher » le linge par quelqu’un d’autre. Et propre qui plus est !

    Il y avait là, peut-être, une soixantaine de ces compartiments, certains accessibles, car encore libre, d’autres pas car déjà occupés. Chaque local était équipé de fils métalliques tirés dans toute la longueur et permettant d’étendre le linge. La location était pour un jour ou deux. Pendant que les mamans installaient ce linge nous en profitions pour effectuer de mémorables parties de cache-cache en cavalant à travers les emplacements libres et ceux dans lesquels les mamans étaient à l’œuvre ! Imaginez les scènes au milieu des draps… Certes, en regardant par le dessous on pouvait distinguer les jambes du copain ou de la  copine cachés un peu plus loin, mais en pratique ce n’était pas si simple car la quantité de linge qui pendouillait, cassait la perspective et ce que l’on pensait tout proche était plus lointain et réciproquement. Entre temps, le comparse avait de nouveau changé de place !

    Le tout au milieu d’une étendue de linge tout propre. J’en ai gardé un souvenir olfactif quasiment intact.

    Quant enfin le linge était sec, on venait le récupérer, le plier, le remettre dans le baluchon en grossière toile de jute et c’était le retour à la maison pour le repassage. L’épopée lavoir avait lieu deux fois par mois et entre les deux, les petites pièces étaient traitées à la maison, et bouillies dans une marmite dédiée à cela. Bien sûr, Javel et bleu de méthylène restaient de mise ! Jean-Claude Rihard

     

     

     

  • LE "MAQUIS" DANS LE FAUBOURG DU TEMPLE

     

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    La Traversée de Paris - Claude Autant-Lara


     

    Qui a connu cette petite rue Robert-Houdin qui donne entre le Faubourg-du-Temple et la rue de L'Orillon ? En 1945, elle avait été surnommée "Le Maquis". Peut-être y avait-t-on fait de la résistance, du trafic sûrement. Tout ce qui était le "Marché Noir" Il fallait la voir quand vers les 17-18 heures elle commençait de s'animer. Les "vendeurs" venaient s'installer et prenaient place sur les trottoirs, chacun sortait sa marchandise aussi variée qu'insolite, car on y vendait de tout. Le  quidam, à condition que son portefeuille soit bien garni, qui y entrait à poil d'un coté pouvait s'il le désirait, en ressortir de l'autre côté habillé de pied en cap portant sous le bras sa baguette de pain, dans son cabas toutes sortes de victuailles introuvables chez les commerçants patentés du coin, et même traînant en laisse par la main un chien corniaud ou de pure race.

     

    Quelle époque ! La guerre se terminait. Pendant quelques jours les boulangers avaient vendu du "pain blanc" mais vraiment blanc comme on ne l'avait plus connu depuis quatre années. C'était de la folie, il fallait voir cela. On manquait de tout, les produits proposés étaient de l'ersatz (succédanés), et l'imagination était sans limites : on fumait de la mousse mélangée à un grossier tabac belge, ("Fume, c'est du Belge !"), on lavait le linge avec de la cendre de bois et les pneus de vélo étaient chargés de bouchons de liège. Nous avons affreusement souffert de toutes ces privations.

     

     

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    Carte d'alimentation


     

    Comme le rappelle Jean-Claude Rihard dans l'un de ses billets sur la participation au trafic de cartes de pain, il s'en imprimait un peu partout, de bonne et de moins bonne qualité. Les plus douteuses, il fallait les frotter un peu sur le sol pour leur donner une couleur plus convaincante et on se risquait dans une boulangerie. Là, suivant la bienveillance et l'indulgence de la boulangère, elle acceptait ou refusait nos tickets qui sentaient encore l'imprimerie et la mauvaise encre. Car il faut dire qu'il arrivait que les fonctionnaires du "Contrôle Économique" les refusent et alors il fallait les rembourser. 

      

    Les Ricains

      

    Le débarquement des alliés avait eu lieu et les Américains remplaçaient les "Verts de gris" à l'Hôtel Moderne, Place de la République, à deux stations de métro de Belleville.

     

     

    A cette époque, le trafic battait son plein et chaque soir, vers les 21 heures, nous quittions Belleville avec quelques copains par la rue du Faubourg-du-Temple, direction République. Nous allions faire  "Les Ricains".

    L'opération consistait à attendre que les nombreux G.I.'s entrent ou sortent de leur hôtel, alors nous les interpellions grâce aux quelques mots appris dans le petit dictionnaire "français-anglais", investissement indispensable que j'ai  conservé.   

    - Hello Joe, have you cigarettes to sale, chewing-gum, soap ?

    ( Mon Anglais était du mot à mot, mais cela marchait…)

     

     

     

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    Et souvent, le gars avait quelque chose à vendre. Ils se passaient le mot et étaient nombreux à faire ce commerce. Nous achetions ainsi toutes sortes de produits introuvables à Paris : bas nylon, tabac, savonnettes, pantalons, blousons,  mille choses … Vers 1  à 2 heures du matin, nous remontions avec notre marchandise vers Belleville. On rangeait la cargaison chez soi, à condition que la flicaille, au parfum du manège, ne nous alpague pour passer quelques heures au commissariat du quartier, et que notre marchandise disparaisse dans leurs placards.

    Enfin, si tout se passait bien, nous avions le droit de nous reposer et de dormir.  Le lendemain, on se levait assez tard vu l'heure du coucher.  C'était dans la soirée, vers les 17-18 heures que nous chargions nos produits dans les poches ou la chemise pour aller nous installer sur les trottoirs du "Maquis", rue Robert-Houdin. Alors, doucement, le chaland arrivait, faisant des aller-retours à la recherche de ce qu'il pourrait s'offrir.

     

    Debout, les mains dans le dos, nous répétions en chuchotant : américaines, chocolats, savonnettes, chewing-gum ... Un client s'arrêtait, intéressé, et nous marchandions les prix.  Les paquets de Camel, Lucky Strike, Chesterfield et autres Old Gold sortaient discrètement des poches et s'échangeaient contre argent comptant. La "rousse" en civil rodait. Nous les connaissions, et pourtant ils arrivaient à nous faire aux pattes.  Nous leur donnions des noms, l'un d'entre eux était baptisé Chapeau vert. C'était bête, il en portait toujours un. Il nous arrêtait tout simplement, sans résistance de notre part, et nous emmenait au commissariat le plus proche mais c'était souvent celui de la rue Pradier, dans le 19e. Là, ils vidaient les poches de nos marchandises que les fonctionnaires se partageraient un peu plus tard.

     

     

    Parfois, c'était plus sérieux, ils y mettaient le paquet, il y avait des rafles monstres. Des cars à claire-voie emplis de gardiens se plaçaient au deux accès de la rue (Faubourg-du-Temple et de l'Orillon) empêchant toute échappée. Tout le monde était bloqué : vendeurs, acheteurs, joueurs de "passe anglaise" et de bonneteau.  Les agents descendaient en trombe des cars et investissaient la rue, s'éparpillant partout. Alors c'était la débandade, chacun cherchant à s'évader de la souricière, certains qui portaient sur eux des produits bien plus risqués tentaient de s'échapper par les toits des immeubles, vite rattrapés par les fonctionnaires de police, fouillés, ils étaient parfois porteurs de dollars ou plus grave, d'armes à feu dont ils n'avaient pas eu le temps de se débarrasser.  Ceux-là étaient emmenés à part dans des "paniers à salade".

     

    Les gens étaient alignés sur les trottoirs. On  faisait l'inventaire de  leurs poches, ils étaient alors chargés dans les cars et emmenés "Quai de Gesvres". Les agents se tenaient sur les marchepieds interdisant les évasions.  On payait une  amende et la marchandise était évidemment confisquée.

     

    Je sais, certains diront que c'était du "marché noir", que ce n'était pas bien… Mais que celui ou celle qui n'y a jamais eu recours comme vendeur ou comme acheteur le dise, ils ne seront pas nombreux. Il fallait bien manger, se vêtir, se chauffer. Ce marché parallèle permettait quand même  aux gens du peuple de trouver ce qui n'existait plus dans les commerces. Et de " gagner sa croûte" tout simplement.

    Je suis repassé récemment dans le Faubourg. La rue est vide et abandonnée, toute grise…  comme Belleville.  Robert Gostanian