Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

RETOUR AU PAYS - Page 2

  • LES REGARDS DU VINGTIEME/L'EAU A PARIS

     

    regard.jpg

     

     

    Un des vestiges les plus originaux du réseau ancien d'apprivoisement d'eau de la rive droite de Paris est constitué par les regards, sortes de puits aménagés au-dessus des conduites d'eau, en général à une bifurcation pour faciliter la surveillance et la  réparation du réseau souterrain ou pour établir des robinets de distribution. Ainsi les eaux de Belleville se rassemblaient-elles au regard de la Lanterne (en bordure du square Compans). Outre ce regard, particulièrement spectaculaire, l'aqueduc de Belleville en a conservé deux autres, le regard des Messiers (17, rue des Cascades) et le regard de la Roquette (36-38 rue de la Mare).

    L'aqueduc du Pré-Saint-Gervais comptait treize regards dont quatre subsistent : les regards du Trou-Morin (au Pré-Saint-Gervais, à l'angle de la rue Edouard-Vaillant et de la sente des Cornettes), le regard des Maussins (remonté aujourd'hui boulevard Sérurier), le regard des Bernages (au Pré-Saint-Gervais, rue Alexander-Fleming), le regard central dit Fontaine du Pré-Saint-Gervais (place de la Mairie de cette ville). La source de Savies  à  Belleville avait son propre aqueduc. Il en reste le regard des Petites-Rigoles (47, rue de l'Ermitage), le regard Saint-Martin (42, rue des Cascades).

    Propriétaire des sources de la place des Fêtes actuelle, l'Hôpital Saint-Louis acheminait l'eau par le regard Saint-Louis, dit aussi de la Chambre des Chirugiens, à la hauteur du 169, rue de Belleville, qui a disparu. Bienvenu Merino

  • RECIT DES JOURNEES DU 15 AOÛT AU 18 SEPTEMBRE 1944


    Récit des journées du 15 août au 18 septembre 1944,

    effectué par mon père (1913-2006) qui habitait rue de Picpus 12e

    et ses parents rue des Panoyaux 20e

    Ce récit nous a été communiqué par Gerard Degenne

     

    1925 communion.jpg

    Famille Degenne-Galpin/1925 communion

    La croix rouge désigne le père de Gérard Degenne

     

     

    Mardi 15 août 1944

     

    17 h 30 : nous sommes au square de la rue de Lagny, monsieur M... arrive et nous dit qu'un employé de la Compagnie des eaux vient de lui apprendre que nous allions manquer d'eau par suite de grève. Nous remontons en vitesse faire une provision. Nous redescendons ensuite boire l'apéritif.

    Le débarquement à Marseille nous est connu à 22 h à la même heure un fort orage rafraîchit un peu la température.

     

     

    Mercredi 16 août

     

    Gare de Lyon à pied. Nous sommes une dizaine au bureau. Les trains de banlieue (pas plus que d'autres d'ailleurs) ne viennent pas. Le journal nous apprend l'arrêt complet du gaz pour dimanche prochain au plus tard.

    Ce matin des groupes de résistance en camion ont distribué des cigarettes par paquets, malheureusement je ne me suis pas trouvé sur leur chemin (rue de Picpus - place Daumesnil - Bd Diderot). Paris est un peu surexcité et dans l'attente des évènements, seront-ils graves ou doux ?

    Cette après midi les banlieusards sont arrivés. Le bureau est un peu étoffé et nous allons travailler.

    Nous partons à 18 h 30. Je me couche de bonne heure car j'ai mal à la tête. J'ai bien dormi au point de rien entendre des explosions et les bruits du canon qui paraît-il n'ont pas cessé de la nuit. Ce serait les allemands qui se livreraient à des destructions.

     

     

    Jeudi 17 août


    La fermeture de la poste est officielle. Le courrier n'est plus acheminé.

    La soupe populaire s'organise. Dans les 3 jours il nous faut retirer une carte à la mairie qui donnera droit chaque jour à un plat cuit à prendre chez un commerçant désigné. Maman a été au 20 ème ce matin et a eu ses cartes et la mienne. Espérons que nous n'irons pas longtemps à ce régime.

    Ce matin nous ne sommes encore qu'une dizaine jusqu'à 10 h 30. Quel chahut ! On enferme une petite auxiliaire dans un paravent. Le tout s'écroule et au moment où on déroule le chef de bureau arrive ! Pas d'esclandre, il sourit sans plus.

    À 9 h ton père arrive avec ton vélo et repart aussitôt à la Bastille tenter d'avoir un train. Me revoilà avec mes roulettes, ça va mieux qu'à pied ! Jean a faim ici et veut faire un nouvel essai de départ aujourd'hui ! Je doute qu'il y parvienne si j'étais sur de passer je partirai aussi mais pour d'autres raisons... (prisonnier traqué)

    Nous sommes sans eau depuis ce matin 7 h. Il y avait déjà eu une coupure hier soir mais avait cessé ce matin.

    La gare de Lyon est déserte ! Pas un guichet d'ouvert. Le peu de voyageurs qui se risquent ne doivent pas prendre de billet !

     

     

    Vendredi 18 août

     

    J'ai commencé la journée à 1 h ½ du matin. Il y avait de l'eau je me suis levé renouveler la provision. Je me suis recouché bien sûr jusqu'à 6 h 30.

    Hier, lorsque nous avons quitté le bureau on nous a prévenus qu'il y aurait grève ce matin à 9 h. Je pars à pied ne sachant ce qui va se produire. C'est exact, à 9 h une délégation du syndicat vient nous mettre dehors jusqu'à l'arrivée des américains. Nous viendrons quand même faire un tour lundi.

    Je rentre donc. L'après midi je dors jusqu'à 5 h et je ne sors même pas. Des bruits courent selon lesquels les allemands recherchent les prisonniers je crois que c'est faux mais je prend mes précautions. Depuis 2 jours c'est la grande fuite chez eux. Ils déménagent tout ce qu'ils peuvent. Le soir se sont des explosions et des incendies aux 4 coins de Paris. Ils détruisent et font sauter des dépôts de toute sorte (essence, munitions...) En fin d'après midi c'est Vincennes qui saute paraît-il. De plus, le canon ne cesse de tonner.

     

     

    Samedi 19 août


    Corvée d'eau de 11 h 30 à minuit ! Ce matin au bruit des canons se mêlent des crépitements de mitrailleuses. La libération de Paris est paraît-il pour aujourd'hui. Je vais faire une reconnaissance en vélo Bd Ménilmontant, Père Lachaise, avenue Ph. Auguste, Nation, Bd Voltaire, St Amboise et remonté. J'ai encore vu des chars et camions allemands mais j'ai surtout vu le drapeau français sur la mairie du 11 ème. Il flotte sur toutes les mairies et sur l'hôtel de ville. Les postes de police rouvrent leurs portes et les agents doivent cesser la grève aujourd'hui à 11 h 30. Grande effervescence, les drapeaux sortent, les « résistants » se promènent avec le brassard tricolore.

    11 h 30, Il y a des bagarres. Les coups de feu se succèdent. Les boutiques ferment. Papa qui était chez K..., revient à 15 h. C'est la fin de l'occupation de la capitale, les américains seront sans doute là demain. Maman fabrique un drapeau tout en velours. Il y a 2 drapeaux, un pour chaque fenêtre. J'ai fait les bâtons avec des pointes en haut toutes dorées (j'ai trouvé du zinc et de la dorure chez sac à puces). Il n'y a plus qu'à attendre pour les sortir. Ceux qui flottaient déjà sont rentrés, c'était encore trop tôt tous les allemands ne sont pas partis. Ce sera peut-être pour demain.

    Nous nous sommes quand même risqués à sortir. La place de la mairie du 20 ème est gardée par des « résistants » on a croisé une voiture de la résistance avec un homme armé d'une mitraillette prête à tirer. Les gens sont sur leur garde et on les sent fin prêt... à fiche le camp à la 1ère escarmouche. Je suis de ceux là mais j'ai l'excuse de ne jamais avoir été brave pour ces genres d'opérations alors que beaucoup !...

    Notre promenade a duré une bonne heure malgré notre soif nous n'avons rien trouvé de bien à boire. Nous nous sommes contentés d'un verre d'eau en rentrant.

    Le canon, la mitrailleuse, la grenade,  les explosions, les incendies, la fumée tout çà c'est Paris d'aujourd'hui. Que sera t'il demain ? Les américains seront ils là ? Il est 21 h. Dans 1 h ou 1 h ½ peut être aurons-nous du courant et de la radio. Elle nous apprendra pas grand chose comme à l'habitude. Je me demande ce que vous savez de la situation à Paris. Beaucoup de bobards sans doute et pas pour vous rassurer.

    Les murs sont tapissés d'affiches de toutes sortes « Appels à la population » « Avis », invitation à pavoiser, etc...

     

     

    Dimanche 20 août


    Les américains ne sont toujours pas là ! La dissidence par contre le montre. On ne voit qu'elle en superbes voitures. La grande majorité ce sont des gamins qui ne sont pas même armés et qui pensent surtout à plastronner. Leur principal souci est de mettre en vente les stocks de marchandises qu'ils dénichent chez les commerçants sans se préoccuper de ce que réserve l'avenir pour le ravitaillement de Paris. C'est ainsi que la rue de Ménilmontant est noire de monde avec des queues interminables chez certains commerçants qui veulent du beurre, des pâtes, sans ticket. Avec papa nous descendons pour essayer d'avoir du vin. Il est 10 h ½, la boutique n'ouvrira qu'a 15 h il a déjà 150 personnes ! nous n'insistons pas. Nous n'aurons rien d'autre non plus car nous ne voulons pas nous faire bousculer dans ces cohues. Nous n'avons pas non plus l'intention de passer toute la journée dans la rue pour guetter les occasions. Toute la journée des mitraillages se font entendre. La mairie du 20 ème dans laquelle se tenaient des dissidents est attaquée par les allemands. 4 obus à bout portant dans le 1er étage : 4 morts, 15 blessées. Le 12 ème a particulièrement souffert paraît-il, dans les alentours de la gare de Lyon. Les bobards circulent toujours : les allemands sont désarmés par la dissidence. Les alliés seront là dans quelques heures.

    Nous ne sortons pas de la journée.

    Les affiches se multiplient, ce sont maintenant des avis de trahison avec noms et adresses des intéressés collés à proximité de leurs domiciles. Ils sont imprimés sur cartes de faire part de deuil !

    A 9 h ½, las d'attendre, nous nous couchons.


    Lundi 21 août

     

    Nuit calme. A l'heure habituelle je pars en vélo persuadé de ne plus voir un seul allemand et pensant reprendre le travail. Déception, en arrivant à la gare de Lyon je trouve une barricade gardée par les boches mitraillette au point. La gare est déserte. J'ai compris, je fais demi tour et je rentre. J'ai pu voir sur les immeubles en face de la gare les traces des bagarres de la veille. Je ne sors plus. Je passe une partie de l'après midi à classer mes photos et à numéroter les clichés ce qui en avait besoin. Papa est en congé mais travaille chez K.... Il rentre à 4 h car « paraît-il » les allemands se replient et doivent traverser Paris. A 5 h nous allons faire le tour des 4 rues et ne constatons rien d'anormal. Encore un bobard sans doute !

    Devant les boulangeries se sont des queues interminables. A 6 h du matin les gens y sont déjà à 8 h ils sont tout juste servis. Ce matin je suis allé rue Oberkampf et j 'ai déniché une boulangerie bien pourvue sans queue ou presque. J'ai eu un pain en 10 minutes. Je suis remonté, maman est revenue chez ce boulanger avec moi et nous avons eu 2 autres pains sans plus de temps. Nous voilà tranquilles pour 2 jours.

    Les tickets lettres ne valent que 150 gr la ration diminue donc, il va falloir veiller à notre consommation. (Décision du comité de résistance ? Ça promet !)

    Les gens s'énervent après ces américains qui avancent toujours et qu'on ne voit jamais. Les drapeaux attendent. Des affiches nous prescrivent de pavoiser aux couleurs françaises, anglaises, américaines et soviétiques. Beaucoup, comme nous se contenteront du français. Maman se désole parce qu'il pleut. S'il faut pavoiser de ce temps là, les drapeaux vont déteindre ! Il est vrai que si çà continue le soleil a le temps de se montrer ou la nouvelle lune d'améliorer le ciel.

    Une fois de plus reportons nos espoirs à demain.

    Le canon tonne au loin.

    La corvée d'eau se fait toujours la nuit, soit par moi, soit par maman.

     

     

    Mardi 22 août


    Nuit toujours calme, toujours pas d'américains, toujours des boches, toujours grève des chemins de fer. Autrement dit rien n'a changé.

    Je suis passé à la gare de Lyon puis rue de Picpus et je suis rentré. M et Mme S.... m'ont dit qu'il y avait eu bagarres place Daumesnil et mitraillage d'un garage rue de Picpus. Il ne sont pas trop rassurés. Des locataires d'en face chez nous seraient blessés.

    Cette après midi, avec la collection de photos que j ' ai prise chez nous ce matin, j'ai fait comme hier. Pour passer le temps j'ai aussi entrepris la lecture des Misérables. (c'est de circonstance) Je commence à croire que les américains veulent me laisser le temps de les finir (J'en ai au moins pour 2 mois !)

    Les journaux ont réapparus ce matin mais nouvelle formule c'est à dire l'Humanité, le Populaire, Le soir, et quelques nouveaux de même tendance (on prend les mêmes et on recommence !)

    J'ai oublié de signaler un fait très important. Papa a descendu à la cave samedi dernier une bonne bouteille de vin blanc pour qu 'elle soit bien fraîche le jour où nous arroserons l'entrée des américains. S'ils vont si vite nous serons obligés d'acheter de la glace, son séjour à la cave sera trop court...

    De temps en temps nous entendons encore le canon mais plus rarement.

    Le ciel s'est remis au beau, dommage que nous ne puissions pas sortir les drapeaux. Les armées allemandes en retraite n'ont encore pas traversé Paris.

    Contrairement a ce qui avait été dit, la police est toujours en grève. Les agents, en civil, occupent les postes à titre de dissidents.

    18 h 15 : C'est la bagarre au loin.

     

     

    Mercredi 23 août

     

    La nuit n'a pas été calme. Le canon n'a pas cessé et d'une façon toute particulière contraire à d'habitude. A Chaque départ l'air était littéralement brassé. Les portes, les fenêtres, les volets, tout vibrait, tout dansait. On aurait cru un camion à bandages pleins roulant sur le pavé, les effets auraient été les mêmes. Les gens, fort intrigués, s'interpellaient aux fenêtres et dans la rue. Chacun donnant son avis dont aucun ne fut contrôlé (canons de marine, grosses pièces, V.1, etc...) Rares sont ceux qui n'ont rien entendu mais papa fut de ceux là !

    La grève continue. J'ai encore fait le voyage de la gare de Lyon ce matin mais ce sera la dernière fois ; j 'ai décidé d'attendre l'entrée des américains pour y retourner.

    A Paris les heures sont de plus en plus bruyantes et pathétiques. Les barricades de 1871 reviennent de mode, elles s 'élèvent dans tous les quartiers, à tous les carrefours, dans chaque bout de rue. On utilise tout ce qui tombe sous la main. En premier lieu les sacs de sable de la DP (bon débarras) des arbres coupés (c'est plus triste) les pavés des rues, des vieux véhicules, des lits, des sommiers, etc...

    Bien peu ont servi et fort heureusement d'ailleurs. Cependant toute l'après midi le canon, les mitrailleuses, les fusils se sont fait entendre. Mais c'est le soir à 10 h que c'est le bouquet. L'orage s'en mêle ; le ciel était en feu. Maman et moi nous nous mettons à la fenêtre pour satisfaire notre perpétuelle curiosité mais au même instant 3 balles traceuses de mitrailleuse piquent droit sur nous par-dessus la maison d'en face et nous sifflent aux oreilles. Nous nous empressons de fermer les volets de fer . Le reste de la nuit fut calme.

     

     

    Jeudi 24 août


    Ce matin je ne suis pas allé à la gare. Les américains ne sont toujours pas là. Dans la matinée rien à signaler. L'après midi nous décidons d'aller voit Simone. Papa, maman et moi nous voici partis. Jusqu'à la rue de la Plaine tout va bien. Nous admirons les barricades au passage. Pendant que nous sommes chez Simone la fusillade éclate. C'est paraît-il sur le boulevard, du Père Lachaise à la Nation. Ça donne tant que çà peu aussi nous décidons de partir à 5 h pour trouver le cimetière encore ouvert et le traverser. Ainsi fut fait et nous rentrons sans incident. Au passage rue Sorbier, rue de Ménilmontant nous voyons à la gare de ceinture 2 trains allemands arrêtés et attaqués par les FFI qui ont fait 31 prisonniers (10 avaient été faits à une autre sortie) plus un nombreux butin.

    La soirée ne fut pas gaie. Les allemands tenaient encore la place de la République d'où ils bombardaient et mitraillaient toutes les avenues et rues y aboutissant.

    A 9 h ½ nous voici couché. A 10 h ¼ lumière. Aussitôt je met la radio anglaise qui nous annonce que l 'armée Leclerc est rentrée à Paris. Nous jetons les hauts cris car nous savons que personne n'est encore rentré. Mais à peine avons nous le temps de nous indigner que les cloches sonnent à toute volée. Il est 22 h 30, c'est le signal de l'entrée de l'armée alliée. Alors dans la rue les cris, les bravos, les applaudissements éclatent. Beaucoup sortent des maisons pour aller je ne sais où. C'est un brouhaha indescriptible. Il faut reconnaître que ces cloches ont quelque chose de grandiose qui émeut et qui fait sentir qu'il y a encore du patriotisme dans les cœurs. Malgré cela je m'attendais à du délire mais il n'en fut rien et c'est tout juste si quelque jeunesse a tenté de faire résonner la Marseillaise.

    N'ayant plus rien à faire nous nous couchons.

     

     

    Vendredi 25 août


    Nuit calme. Les américains étant enfin entrés, je vais à la gare de Lyon, mais rien de changé, le travail ne reprend pas. Je vais chez nous et je peux admirer les barricades qui gardaient notre quartier. Toutes les rues ou avenues aboutissant à la place Daumesnil ont la leur mais les arbres en ont souffert car beaucoup ont été abattu pour la circonstance. Je regrette de ne pas avoir mon appareil photos !

    Après déjeuner nous partons cependant faire un tour. Rue Oberkampf nous rencontrons 2 américains qui sont bien entourés, applaudis et que les femmes ne manquent pas d'embrasser (disons en passant que beaucoup de jeunes femmes se sont déjà casées !... mais avec les américains c 'est paraît-il normal !) nous croisons Marcelle qui nous accompagne. On nous dit que les allemands se sont rendus (c'est exact) et que la République est accessible. Nous nous dirigeons de ce côté. Avenue Parmentier au commissariat il y a présentation de « vedettes » 2 femmes tondues. L'une a fait fusiller une famille française (c'est une italienne) l'autre femme de prisonnier, a couché avec les boches. La foule siffle et injurie. Dans tous les quartiers c'est ainsi. Les femmes ayant fréquenté les boches sont tondues, certaines ont la croix gammée peinte sur la figure, et promenées pieds nus. Ce n'est d'ailleurs pas très joli comme spectacle.

    Nous voici place de la République. Un monde fou, beaucoup de voitures des FFI, des ambulances, des camions. Nous voulons faire le tour mais arrivés un peu avant la toile d'avion des coups de feu sont tirés. C'est la ruée vers les maisons. Nous trouvant devant une porte nous rentrons et, poussés par ceux qui suivent et qui veulent aussi se mettre à l'abri, nous montons dans les étages. Çà tiraille un bon moment. Enfin peut être 45 minutes après nous risquons un œil dehors, puis deux et nous tentons une sortie. Elle réussit et par un chemin détourné nous regagnons notre 20 ème tout de même plus tranquille.

    Il ne fait pas bon se mettre dans les foules. Il y a encore beaucoup de fanatiques, miliciens ou autres et même des femmes, qui tirent des fenêtres ou des toits.

    L'électricité nous est donnée de bonne heure pour nous permettre d'écouter la radio et particulièrement le poste français qui émet de Paris. C'est déjà une amélioration.

    Le ravitaillement semble vouloir s'améliorer. Nous avons eu des pâtes, nous aurons 150 gr de viande cette semaine, on nous promet des confitures, des biscuits. Il est même question de 250 gr de viande la semaine prochaine et suppression de la carte de boucherie pour le mois prochain (mais rien d'officiel).

    Cependant nous N'avons pas attendu après tout cela pour fêter la libération maman a fait un bon repas avec les moyens du bord : sardines à l'huile, thon à l'huile, pommes de terre à l'huile (huile lesieur) pâtes (blanche d'avant guerre) confitures, vin, café (du vrai) calvados. Nous n'avions plus faim !

    La soirée est calme. Nous nous couchons à 11 h. 


    Samedi 26 août


    Nuit calme. La gare de Lyon est toujours déserte je me dirige donc rue de Picpus. Mais en passant devant le jardin des plantes ou je vois l'armée Leclerc et quelques chars américains qui stationnent, un américain fait goûter du fromage, des biscuits, du chewing-gum ; ce sont toujours les femmes (naturellement) qui en profitent mais il leur faut payer. Cet américain leur demande les boucles d'oreilles fantaisies qu'elles portent. Elle ne peuvent faire autrement que de s'exécuter. Après avoir garni ses propres oreilles, il met les autres dans sa poche comme souvenir !

    Je reviens par la Nation où j'assiste au défilé des troupes américaines qui se dirigent sur Vincennes. Une colonne emprunte la rue de Picpus du boulevard Diderot à l'avenue St Mandé. Ils ont un matériel superbe. Inutile de dire les acclamations qui les saluent.

    Après déjeuner avec maman et papa je retourne au jardin des plantes. Il y avait défilé des troupes avec De Gaulle en tête sur les Champs Elysées mais nous n'avons pas voulu nous mettre dans cette foule. Nous avons bien fait car il y a encore eu du mitraillage sur tout le parcours.

    Les rues sont constamment sillonnées par les FFI, les américains et la police armée et malgré çà les coups de feu crépitent toujours. Ce sera ainsi pendant quelques jours.

    Les arrestations de collaborateurs se poursuivent mais souvent avec un peu de légèreté c'est ainsi que rue des Panoyaux en face chez nous, ils sont venus chercher 2 hommes accusés d'avoir tiré de leur fenêtre. Ils ont été relâchés aussitôt. Ce sont les FFI qui se chargent de ces opérations, la plupart des gamins se donnant beaucoup d'importance avec le fusil ou le revolver qu'ils ont dans les mains mais n'ayant pas 2 sous de réflexion.

    Il serait temps que l'ordre soit rétabli, ces hommes désarmés ou enrégimentés et que le travail reprenne car tout çà tourne à la pagaille !

     

     

    Dimanche 29 août


    Quelle nuit ! A 23 h les pièces de DCA américaines entrent en action et les bombes tombent avant que l'alerte soit donnée (rien de changé) nous ne sommes pas habitués à ces nouvelles pièces puisque c'est la 1 ère fois que nous les entendons. Tout est secoué dans un vacarme assourdissant. Les avions survolent très bas. Les gens ont peur et descendent aux abris (maman et moi nous nous tenons prêt mais ne bougeons pas) à la fin de l'alerte (0 h 15) la nuit est violemment éclairée par les incendies, particulièrement à la halle au vins (à coté du jardin des plantes) ; à 4 h seconde alerte plus courte mais avec bombardement aussi.

    Points atteints : hôpital Bichat, hôpital Tenon, halle aux vins, quai de Bercy, gare d'Austerlitz (marchandises) Ivry. Beaucoup de dégâts mais pas de victimes.

    Pendant ces alertes des coups de feu claquaient encore un peu partout et çà continue.

    Dans la maison , rue des Panoyaux, les FFI sont venus cette nuit arrêter un milicien. Il n'était pas là (naturellement) ils ont emmené sa femme.

    Le travail reprend demain dans toutes les administrations et usines mais les syndicats demandent la révision des salaires (40%). Pour ce qui concerne les cheminots sans doute allons nous faire moins d'heures car les lois sur le travail depuis 1940 sont abolies.

    La poste reprend aussi. Malheureusement je ne crois pas que le courrier sera acheminé vers la Creuse car il y a encore des éléments allemands entre nous deux ; mais espérons que çà ne durera pas .

    Les journaux nous promettent de bonnes choses que doivent nous apporter les avions américains : de la farine, de la viande, des matières grasses et.. du chocolat !

    Les drapeaux flottent toujours aux fenêtres mais je pense que ce sera le dernier jour tout le monde est content car le temps est resté au beau et ils n'ont pas eu une goutte d'eau.

     

     

    Lundi 28 août

     

    Nuit calme. Seulement quelques coups de feu de l'armée des toits comme sont appelés tous ces miliciens ou autres qui tirent encore.

    J'ai repris le travail ce matin à l'heure habituelle. Nous n'étions que des Parisiens. Les trains de banlieue ne sont pas encore rétablis mais cependant il en est prévu un pour cet après midi ; il ne sera sûrement pas là de bonne heure.

    Toute la matinée s'est passée en conciliabules chacun ayant sa petite histoire à raconter. C'est ainsi que j'ai appris que le château de Vincennes a en partie sauté, que des éléments boches tenaient encore au fort de Champigny ainsi qu'à Fontenay-sous-Bois. Dans la nuit de l'alerte non seulement nous avons subi le bombardement par l'aviation mais aussi par l'artillerie entre 2 h et 5 h du matin il arrivait 3 obus par 3 quarts d'heure ! Il en est tombé à la Nation, rue de Lagny et en banlieue : Créteil, Alforville, Maison Alfort .

    Le quartier de la gare de Lyon a eu de nombreuses victimes. Dans le métro, au coin de chaque rue dans la rue de Lyon et sur l'avenue Daumesnil des écriteaux rappellent qu'ici 2 français ont été assassinés, 4 là, 3 ailleurs, un allemand complètement déchaîné a abattu à lui seul 27 français, tous non combattants.

    « Enfin » nous voilà débarrassés il reste à souhaiter que la paix ne tarde plus. Pour la reprise ferroviaire ce sera assez long car tous les ponts ont sautés. Pourvu que les lettres passent vite ce sera encore le principal.

    Cette semaine 250 gr de viande, 2 tickets sont validés pour 250 gr de pain ainsi qu'un ticket pour 250 gr de biscuits.

     

     

    Mardi 29 août

     

    Alerte d'une bonne heure cette nuit mais pas de bombardement. Rien de nouveau au bureau. Le travail reprend petit à petit mais il n'est encore pas prévu de train en dehors de celui qui circule strictement pour le personnel. Les troupes américaines affluent chaque jour. Je viens de voir un convoi de ravitaillement anglais nous apportant des vivres et surtout de la farine. Ils sont bien venus et acclamés. On nous promet davantage de pain pour septembre, amélioration aussi de la ration de tabac !...

    Ce matin en l'église Saint Antoine, boulevard Ledru-Rollin, a eu lieu un service solennel à la mémoire des nombreux hommes assassinés par les boches dans le 12 ème. J'ai assisté avec presque tous les collègues. Il y avait des couronnes et gerbes superbes qui ont été déposées sur les lieux d'exécution (une dizaine) on compte une centaine de victimes.

    L'armée des toits tire toujours. Il ont été très actifs cette nuit dans le quartier de Ménilmontant aussi la nuit prochaine des FFI viennent prendre la garde dans le logement de sac à puces pour essayer d'en repérer.

    A la SNCF l'épuration se poursuit, tous ceux ayant appartenu à un groupement (PPF - RNP - LVF - Milice etc...) seront renvoyés. Monsieur Pelletier, qui a milité dans l'un de ces partis, s'est fait paraît-il gifler par un collègue. Sans doute va t-il faire l'objet de sanctions.

     

     

    Mercredi 30 août

     

    Nuit calme et sans alerte. Journée sans histoire. Les alliés vont toujours bon train. Il fait un temps épouvantable qui nous a ramené la fraîcheur ce qui me rend plus impatient de vous voir revenir à Paris où nous aurons peut-être moins froid. 

    Au bureau, peu de travail, tous les soirs je quitte à 6 h ½ car la banlieue prend le train à 18 h 36 et habitant loin de la gare de Lyon mon chef m'a assimilé aux banlieusards. Le soir je suis couché de bonne heure, 9 h ½ au plus tard car nous n'avons toujours pas d'électricité et lorsqu'il fait nuit ne sachant quoi faire on est aussi bien au lit.

    Le ravitaillement en eau s'effectue toujours la nuit !

     

     

    Vendredi 1er Septembre

     

    Nuit calme. Journée sans histoire.

    Chaque matin je recherche sur le journal s'il n'est pas question du Centre. Vous n'êtes toujours pas libérés et je deviens terriblement inquiet. Puisqu'on ne cause pas de la région c'est qu'il n'y a pas de combat mais j'ai tellement peur de la sauvagerie boche. Quand donc serez-vous aussi débarrassés et pourrons nous correspondre.

     

     

    Samedi 2 Septembre


    Toujours calme complet dans la nuit. Cependant des V.1 sont tombés dans la banlieue nord sans trop de victimes.

     

     

    Dimanche 3 Septembre


    Bonne nuit. Tous les soirs ici de 9 h à 9 h ½ les canons américains donnent à titre d'essai. Ce n'est rien de grave.

     

     

    Lundi 4 Septembre

     

    Bonne affaire chez nous, l'eau est revenue, quel soulagement. On nous promet 1 h de gaz à partir de jeudi. La situation s'améliore peu à peu. Mais il y toujours des queues interminables aux boulangeries, pas de légumes sur le marché. Nous avons de la viande (250 gr par semaine) mais c'est tout. Toujours pas de nouvelle sur la Creuse. Les alliés sont en Belgique et sur les frontières Allemandes, la paix n'est pas loin (4 à 5 semaines peut être)

     

     

    Dimanche 10 Septembre


    Tous les jours sont semblables et sans évènements aussi je ferai maintenant une petite revue de la semaine chaque lundi sauf s'il se présente quelque chose qui sorte de l'ordinaire. Voici donc pour le semaine écoulée.

     

    Situation militaire - Les alliés marquent un temps d'arrêt avant d'aborder l'Allemagne après avoir traversé la Belgique, pris Bruxelles et Anvers. Toujours pas de nouvelles du Centre. Les informations des journaux et de la radio ne nous permettent pas de nous faire une idée exacte de la position des boches dans le secteur. On nous dit que les îlots de résistances se situent dans un triangle Tours, Orléans, Vierzon, cela veut dire qu'il n'y en a plus au sud ! Je ne le pense pas.

    Pas d'alerte, toutes les nuits calmes. A signaler cependant un V.1 à Maison Alfort vendredi dernier à 11 h ½ le matin (4 morts, 20 blessés)

     

    Ravitaillement - 250 gr de viande se décomposant comme suit : 150 gr de viande de boucherie et 100 gr de conserve de viande (du singe !) Ce singe a d'ailleurs un grand succès parmi la population.

    250 gr de pâtes - 250 gr de confiture - 250 gr de haricots secs - 50 gr de beurre - 1 litre de boisson à base de vin titrant 9°.

    Gaz : 1 h par jour depuis jeudi.

    Electricité : ½ heure par jour de 9 h 45 à 10 h 15, c'est un peu juste surtout que le matin il fait encore nuit lorsqu'on se lève. Pour se raser il faut s'y prendre la veille au soir ou bien attendre le jour le matin à 7 h 30. C'est cette dernière solution que j'ai adoptée car personne ne se presse pour arriver au bureau la banlieue n'étant pas là avant 8 h ½ nous, les parisiens, nous prenons aussi notre temps. Pour la même raison nous quittons le soir à 6 h ½.

     

    Communications - 4 trains de banlieue par jour chez nous. Rien sur la Bastille et ton père fait toujours le trajet à vélo. Le métro reprend demain sur 11 lignes notamment les 1 et 2 (Vincennes, Maillot et Nation, Dauphine). Je continuerai quand même à utiliser le vélo c'est plus rapide.

     

    Poste - Service repris pour la Seine et partiellement avec les grandes villes de provinces libérées ce qui laisse un petit espoir pour nous dès que vous serez libres.

     

    Lundi 18 Septembre

     

    Situation militaire - Les alliés sont en Allemagne, L'assaut semble imminent. Du centre de la France il n'est plus question de sorte qu'on ne sait pas exactement ce qui s'y passe. Sans doute ne reste-t-il que quelques éléments disséminés et je ne pense pas qu'ils soient tellement au sud pour vous mettre en danger. Ici toujours grand calme, il paraît même que les rues vont reprendre leur éclairage normal c'est dire que les alertes ne sont plus guère à craindre.

     

    Ravitaillement - Toujours 250 gr de viande pour la semaine (150 gr de viande fraîche, 100 gr de viande de conserve - ce fut du porc cette semaine et très bon) 100 gr de bonne charcuterie, 50 gr de beurre, des confitures, des pâtes, des pommes de terre (2 fois 2 kg) toujours notable amélioration.

    Gaz : même régime.

    Electricité : A compter de ce soir nous aurons le courant de 22 h à 7 h du matin.

     

    Communications - Pas d'amélioration sauf sur la Bastille où 3 trains par jour permettent à ton père de lâcher le vélo. Mais rien pour les grandes lignes et les journaux ne laissent rien prévoir avant un bon mois.

     

    Poste - Toujours rien pour les départements.

     

     

     

     

  • LA RUE DU PRESSOIR ET SES RUES AVOISINANTES

     

    Guer_17_g.jpg

     Rue des Couronnes Photo Henri Guérard

     

    A Agnès, la maman à Guy qui habita rue du Pressoir

     

    On sait bien que le principal caractère du temps est l'irréversibilité qui fait retentir l'accent funèbre de 'jamais plus' et qui donne aux choses qu'on ne verra jamais deux fois cette extrême acuité de volupté et de douleur, où l'absolu de l'être et l'absolu du néant semblent se rapprocher jusqu'à se confondre. L'irréversibilité témoigne donc d'une vie qui vaut une fois pour toutes.

    Je regarde autour de moi, comme égaré, comme si le temps en un tour de manivelle avait viré à la laideur et m'avait confisqué tous mes repères.

    Qui contemple cette magnifique photographie d'Henri Guérard, majestueuse de beauté, ne peut que regretter ce qu'était ce quartier, autrefois. Aujourd'hui, il va de soi qu'on se sent un peu perdu : de la nostalgie, mais aussi la lassitude des combats que je mène pour un Paris plus humain, me gagne, et semble de plus en plus s'éloigner de mes désirs. Certains élus et hommes politiques, eux, ont comme rêve, le grand Paris à la Défense. Mais par ici, le quartier change, aussi, ne s'arrête pas de changer, de s'enlaidir ; plus de vignes vierges, ni de tonnelles, plus de lopins de terre, plus de luzernes, les collines ressemblent à des toboggans pour voitures  et se grimpent par ascenseurs. Les chemins qui nous  arpentions autrefois pour monter aux Buttes-Chaumont ont totalement disparu. La butte n'est accessible que par des escaliers cimentés ou par voitures et autobus ; la rue Vilin  que j'emprunte, découragé devant le spectacle de pierres tombales des façades des nouveaux immeubles me désoriente en ces jours de Toussaint. La rue est déserte, elle est toujours déserte, nulle vie, pas de vibrations, aucun commerçant, pas de bistrots, ni voitures, pas d'enfants  jouant dans la rue, pas un chat ni un chien, les oiseaux doivent sans aucun doute éviter l'itinéraire par où je passe. Où sont  les pigeons de Paris ?  Déboussolés, eux aussi, sans doute.  Je rêve, malgré tout, devant toute cette mort. En changeant de trottoir pour traverser la rue, là, à l'emplacement de cet immeuble blanc, où habitait mon ami Georges Pérec, je me souviens de ses livres qu'il échafaudait comme un bon maçon monte une maison : terrassement, déblaiement, construction. Il m'a dit, un jour : « Je suis comme Nathalie Sarraute qui a besoin de s'installer aux  Deux Magots pour se mettre au travail, moi,  j'ai besoin de la rue, une terrasse en plein soleil, à raz des voitures ; sinon, ma piaule là-haut, c'est mon laboratoire chirurgical ». Ici, aujourd'hui, tout ce que connaissait Georges, a disparu ; ils ont tout tué. Massacré, enterré.

    Mon imagination n'est plus contrôlable devant la déception qui me secoue. Faire du tourisme n'a jamais été mon truc. Ni au bout du monde où je suis déjà allé plusieurs fois, ni non plus dans mon quartier entre Bastille et Nation. Encore moins ici, patrie de nos aïeux qui ont vu défiler des générations et des générations de manifestants : « C'est la lutte finale... ». Ce n'est pas par discrétion que je m'habille de sombre, ni de peur d'être reconnu  dans la rue. Je n'ai rien à craindre des policiers, mais pour marcher je revêt l'habit du commun des mortels : pantalon gris, col roulé noir, godillots de fossoyeurs ou espadrilles de charpentiers, comme si j'allais escalader le ciel qui toujours ouvre ses bras aux terriens. Ce n'est pas pour cela que je vais triste ; non, pas du tout. Dans ma tête, le rêve a toujours sa place ; là, au moins, il est à l'abri. Je souris aux deux jeunes filles qui me croisent et ne se lassent pas de me sourire ; alors je continue mon parcours, content, je ris en les saluant d'un geste chaleureux de la main. Elles me répondent par un geste semblable et un sourire valant son pesant d'or. Alors, tout à coup, en grimpant la côte qui va là-haut sur la butte, je crois gravir le sommet d'un sein, de deux seins même, ou le creux de jolies courbes tendres qui s'aiguisent en poire, que je monte lentement, lentement, très heureux, sachant que je  vais vers de nouveaux désirs, vers les tétons sensuels pour y laisser  en leur sommet la salive de la reconnaissance.

    Je marche sur la pointe des pieds, comme sur des œufs, je ne sais pas pourquoi je suis si respectueux de mes concitoyens, peut-être, pour ne pas réveiller mes mauvaises habitudes vieillissantes, ou alors, leurs soupçons. Marcher, marcher, respirer, sentir  la pleine campagne  sur les bords d'un chemin de terre, où les paysans, après la moisson, ont fait de petits tas de foin liés, et les ont aligné, semblables à des œuvres d'artistes. Je plane. Je suis certain que je suis au siècle passé sur un chemin menant vers des trésors.  Les jeunes filles qui me croisent se protègent sous leur ombrelle pour s'abriter du soleil téméraire et vont vite retrouver leur amoureux  assis sous un olivier dans l'attente de leurs BELLES,  après la dure journée de travail dans les vignes. Puis, elles reviendront, blotties l'une contre l'autre, marchant jusqu'au vieux pressoir autour duquel sont regroupés les habitants du village buvant le dernier cru, vin de terroir. C'est le vrai Ménil-Montant. Je me crois dans un siècle éloigné, au XIIe. Au loin, Notre-Dame de Paris, le seul haut édifice, vient de s'achever sans doute. Des hommes ont travaillé presque deux cents ans, la ville n'est pas si grande, elle est au loin, comme un petit village entre deux bras de rivière que dominent les collines, par où la laitière, solitaire, passe avec ses bidons, pour livrer le lait en croisant certes les amoureux, bras dessus, bras dessous qui songent  au possible de la soirée qui les attend, appuyés contre un cœur aimant et aimé. Bienvenu Merino

     

    laitière.jpg

     

    053 (2).jpg

    Photo Michel Sfez Vue depuis la rue Levert

     

     

  • BELLEVILLE ET LES ARCHIVES DE L'INA

    Les Archives de l'INA fourmillent de témoignages télévisés montrant ce que fut Belleville dans les années 1950. Souvent le passeur se nomme Clément Lépidis, l'auteur de Des dimanches à Belleville et de de Je me souviens du 20ème arrondissement. Je ne saurais trop recommander d'y aller faire un tour. La visite est le plus souvent gratuite.

     

    Pour commencer, suivez ces pistes :

     

    BELLEVILLE DETRUIT


    BELLEVILLE ET SES HABITANTS


    LA CAMPAGNE A PARIS


    MEMOIRES DE BELLEVILLE


    BELLEVILLE 1956

  • DE LA RUE DU PRESSOIR A BERCK PLAGE


    La famille Idoux arrive à la mer
    par
    Bienvenu Merino

    side car.jpg


    De la voiture au side-car

    Dans les années 1880, les constructeurs d’automobiles hésitèrent longuement entre la vapeur et l’électricité pour actionner leurs moteurs. Finalement, ce furent l’essence et le moteur à explosion qui prévalurent, parce qu’ils étaient plus pratiques pour les longues distances. En 1891, sous licence Daimler naquit la première voiture à essence française, Panhard et Levassor. En 1894 s’effectuait  la première course automobile Paris-Rouen que gagna une De Dion-Bouton à vapeur. Le code de la route naquit en France en 1899.
    Dans le 20e arrondissement de Paris, rue du Pressoir, la famille Idoux habitait aux numéros 23-25 dans un bel immeuble, mais cependant sans grand confort et sans que les propriétaires sous influence de l’état ne veuillent faire le nécessaire pour rénover les appartements. Mais en août, la famille Idoux partait en vacances, à Berck Plage : le side-car, la mer, le soleil, les copains… Pour notre amie Josette, le rêve ! Comme certains parisiens, monsieur Idoux était un féru de motocyclette et plus tard de side-car. Et là alors, adieux les soucis, le travail, bonjour la vie. Partir en vacances avec ses trois filles et son épouse : un régal !
    1905 vit apparaître la première ligne d’autobus à moteur Saint-Germain-des-Prés/Montmartre et le taximètre automobile. Les fiacres, bien que modernisés sur pneumatiques et dotés du dernier confort, même de chaufferettes en hiver, ne survécurent pas à cette concurrence et disparurent un à un. L’électricité vaincue sur la route par le moteur à essence prévalut au contraire pour les chemins de fer souterrains. A la fin du siècle dernier, l’ingénieur breton Fulgence Bienvenüe construisit la première ligne de métropolitain Vincennes-Maillot. Elle fut inaugurée le 19 juillet 1900, pendant l’Exposition Universelle. Avant de triompher, le métro avait rencontré bien des oppositions. Les cochers de fiacre le prétendant insalubre l’avaient baptisé le « nécropolitain ». A la Chambre, un député l’accusa même d’être « antipatriotique et attentatoire à la gloire de Paris ! » Il est vrai que, à l’origine, les projets de métro aérien proposés défiaient parfois l’imagination et l’esthétique. Enfin, la modération l'emporta, les Parisiens apprécièrent leur métro, ses stations de faïence blanche et ses bouches aux grilles évanescentes de pur moderne style.
    Le trafic fluvial sur la Seine allait bon fleuve. Les chalands et les péniches croisaient, les fameux bateaux-mouches, qui font encore la joie des touristes après avoir desservi la ligne régulière Pont-d’Austerlitz/Viaduc d’Auteuil. Ils avaient été créés en 1866, à la veille de l’Exposition Universelle, afin de succéder aux coches d’eau. Passée la floraison fantaisiste des voitures artisanales de tous genres et de tous styles, à deux, trois ou quatre roues, la production automobile se normalise en atteignant le stade industriel après la guerre de 1914. Dans les années 20, le cycle-car livra le dernier assaut des voiturettes, perdu d’avance. Le succès de cette ingénieuse curiosité n’eut qu’un temps. A la recherche de lignes aérodynamiques triomphaient déjà de belles voitures comme les Bugatti, Delahaye, Hispano-Suiza.
    1934 vit l’apparition de la traction avant Citroën, tandis que la loi des quarante heures et les congés payés de 1936 lançaient sur les routes la triplette et le tandem. C’est de cette époque que date l’exode estival des Parisiens. Monsieur Idoux n’attendit pas très longtemps pour se fabriquer ingénieusement, lui-même, son propre side-car en forme de noix, derrière comme devant. Formidable cocon familial, pour réunir sa petite famille au complet et essayer de vivre heureux son amour !

     

    Famille Idoux en Side-car.jpg

    La famille Idoux en voyage

     

  • RUE DU PRESSOIR/LE RETOUR

    En avril dernier, Josette Farigoul et Bienvenu Merino s'étaient donnés rendez-vous dans un bistroquet de la rue de Ménilmontant. L'objectif : arpenter une rue du Pressoir dans laquelle Josette n'avait pas remis les pieds depuis 1968. Changement radical de paysage. Tout a été dit ici. Louis Chevalier, l'historien du vieux Paris, Guy Debord ont tracé les grandes lignes du désastre dans leurs ouvrages sérieux.

     Voici des photographies du temps présent, un temps qui un jour sera périmé. Et peut-être que ces clichés d'immeubles à tous les autres pareils deviendront des raretés.

    La rue du Pressoir aujourd'hui, une rue recomposée à la fin des années 1960. Quarante ans se sont écoulés. On se consolera toujours en se disant que ces façades ont un côté vieillot susceptible d'arracher aux plus sentimentaux d'entre nous quelques larmes mélancoliques.

    1525124790.JPG
    La courbe de la rue du Pressoir
    456925954.JPG
    Derrière la fourgonnette se trouvait l'entrée des anciens Bains-Douches
    837724116.JPG
    Les nouveaux escaliers de Belleville
    1105877563.JPG
    La rue du Pressoir vue de la rue des Maronites
    468013118.JPG
    Rue du Pressoir
    1422514610.JPG
    Entrée actuelle du 23-25, rue du Pressoir
  • L'ANCIENNE VOIE FERREE

    175775253.JPG
    Photographie Bienvenu Merino/2008
    L'ancienne voie ferrée à 200 mètres de la rue Julien Lacroix, en montant la rue de Ménilmontant. C’est là, je suppose,  que Guy aimait regarder voir passer les trains. Si on se penche un peu à travers les grilles, derrière l’immeuble de béton, on peut voir tout là-bas, à gauche, le 23-25, rue du Pressoir. Et à droite à coté du HLM, l’endroit où vivait Georges Perec, rue Vilin. Quelle horreur de revoir cette rue, où près de la colline pareille à des seins de femmes les mômes venaient se désaltérer aux tétons de Marguerite, la belle, qui le soir se promenait sur le trottoir du boulevard de Belleville pour distribuer ses petits billets aux nécessiteux du quartier. Bienvenu Merino
    georgeperec.jpg
    Georges Perec dans la rue Vilin

     

  • IMPASSE DES CHEVALIERS

    par Bienvenu Merino 

    1503259702.JPG

    photographie Bienvenu Merino

    Le réflexe est héréditaire. En 1875, Arthur Omerod, âgé de sept semaines, prenait l'expression de son grand-père, le jour même de sa mort.

    Auguste Lumière mentionne le cas d’un bébé qui, peu de temps après sa naissance, avait le même tic qu’une de ses grand-mères décédée depuis de longues années.

    Casanova, le séducteur (1725-1798) entre dans une chambre d’une jeune femme, une odeur récente frappe son odorat, tout désir amoureux l’abandonne.

    Descartes, enfant, éprouva un sentiment amoureux pour une fille qui louchait et qui au lieu de l’éloigner, l’attirait.

    Je vais vous faire un aveu. Enfant, la première fois que je vis une  fille se dénuder devant moi, c’était dans une maison abandonnée, elle enleva tout, de haut en bas, et nue,  blanche au milieu de la pierraille et du chant des cigales, s’accroupie et se délivra d’un gros besoin,  en me  chuchotant : «  C’est un présent pour toi! »

    Je ne vais pas vous dire que cet acte puéril qui me marqua est un réflexe héréditaire. Mais cependant ce simple geste d’une fillette de mon âge me laissa des empreintes toute ma vie.

    L’enseignement, sous forme d’instruction ou d’éducation, est une tentative pour faire de l’homme réflexe, un homme raison. De plus, on a l’habitude de considérer l’acte rationnel comme normal, et l’acte réflexe comme anormal. Les livres d’histoire, de psychologie, les articles de journaux et revues, lois et règlements parlent invariablement de ce point de vue. On voudrait que l’idée soit la cause de l’acte. Quant au réflexe, connu sous le nom d’instinct, on voudrait qu’il n’ait  joué aucun rôle dans l’évolution de l’homme, et que le mieux qu’on puisse faire à son sujet, c’est de le maîtriser.

    Pour finir, j’en viens à ce qui donne le titre à ce texte. Lors de mes périples, dans la ville, plus  particulièrement dans le haut de Ménilmontant et de Belleville, en arpentant les rues, près de la rue Pixérécourt, tout à coup je lus : Impasse des Chevaliers. C’est fou ! Alors qu’à l’instant même je pensais, que l’auteur du livre L’Assassinat de Paris, Louis Chevalier, méritait bien, en hommage, de se  voir attribuer une rue à son nom à Paris. Voilà,  mon vœu était exaucé.  Peu importe vraiment si le nom de cette impasse ne lui a pas été attribué officiellement, mais pour moi à la seconde même, c’était à lui, en reconnaissance de son œuvre importante  sur Paris que ce petit bout du haut de Ménilmontant lui avait été décerné. Quand à l’acte héréditaire, peu importe sa signification, héréditaire ou non.

    histoires-nuit.jpg

     

     

  • LES DEUX MUSICIENS

    68651249.JPG
     

    Ils apparaissent  une fois ou deux,

     l’An

    Quelquefois plus, comme la neige rare sur Paris

    Leurs habits élégants sont beaux, blancs et noirs

    Semblables aux images, belles, des rues d’autrefois.

    Ils portent, tendus à leurs cous par des bretelles de cuirs,

    Leurs instruments vieux de plus de trois cents ans.

    Ils sont héritiers du jongleur médiéval

    Du marchand de chansons ou crieur de chansons

    Des joueurs d’accordéons, saltimbanques, joueurs d’orgues, chanteurs de rue.

    Les enfants quand ils les voient s’écrient,

    "Regarde maman… les musiciens avec leurs drôles d’instruments!"

    Et tirant la main de leur maman ils courent s’asseoir

     En ronde

    Les deux musiciens alors se regardent souriants

    Égrènent les premiers flocons, des ritournelles d’antan,

    comme lorsqu’ils étaient rois de Paname.

    L’un à l’accordéon, l’autre à l’organette à rouleaux

     Les enfants et leurs mamans chantent avec eux

    La petite orgue fait son effet

    quatre fois plus grande qu’un vieux moulin à café

    La manivelle entraîne le papier perforé, qui lui entraîne le soufflet,

    l’air pur passe droit du soufflet dans le sommier

    Et ça joue et ça chante

    Les enfants les accompagnent et les mamans aussi

    Puis ils crient ensemble 

    Revenez, ne partez pas, revenez

    Les musiciens ! Revenez !

    Bienvenu Merino

    Paris le 10avril 2008

  • JOSETTE FARIGOUL ET BIENVENU MERINO EN VISITE RUE DU PRESSOIR

    750134777.JPG
    Nous étions, Bienvenu Merino et moi, au rendez-vous fixé à 11H30 au café Le Ménilmontant.
    Donc, aujourd'hui 9 avril, nous avons, avant de nous diriger vers la rue du Pressoir, déjeuné ensemble dans ce café, lieu de rendez-vous.
    Après plus de 41 ans, j'allais retourner sur les traces de mon enfance et de mon adolescence, là, où j'ai vécu jusqu'à notre expulsion. Je ne veux pourtant pas revoir ce jour du 2 décembre 1966, jour de notre déménagement où mes parents, mes soeurs et moi sommes partis pour un lieu inconnu.
    1587510337.JPGAccompagnée de Bienvenu et de mon fils David, je suis partie pour ce périple en remontant, tout d'abord, la rue de Ménilmontant jusqu'à la rue Julien Lacroix, sur la gauche. Nous descendons cette rue, Église notre Dame de la Croix, sur notre droite, dressée là, toujours aussi belle, avec son escalier monumental où tous les ans j'aimais à regarder le cortège de communions descendant les marches revêtues pour cette occasion d'un tapis rouge déroulé.
    Sur la gauche, l'ancienne place du Liban, renommée aujourd'hui Place Maurice Chevalier où se dresse l'arbre de mon enfance. Je n'en voyais qu'un, erreur, il y en a plusieurs mais celui-ci est le plus gros.
    Nous faisons une escale rue Etienne Dolet, mon école est toujours à la même place, cette école que j'ai fréquentée de 1954 à 1962. Bienvenu prend une photo de moi devant cette grande porte en bois. La porte est entrouverte et je peux apercevoir cette escalier qui montait aux classes.
    Nous revenons sur nos pas afin de rattraper la rue des Maronites, nous passons devant l'école maternelle, celle de votre jeune enfance, mon cher Guy.
    Puis, bientôt sur notre droite, la rue du Pressoir. Alors là, je crois rêver, c'est plutôt l'horreur. Je n'ai aucune émotion puisque je ne reconnais rien, mais alors rien de rien. Pour sûr ils ont tout rasé. Je pense même avoir déçu Bienvenu par mon manque d'émotion. Je n'ai rien à dire si ce n'est que cette rue est d'une laideur à faire pâlir Des blocs de béton plantés là, c'est plutôt de la rage intérieure que éprouve.  Il est honteux d'avoir fait de cette rue si vivante jadis, un ghetto. Elle est entourée de grilles hautes... des bâtiments dans tous les sens. Aucun intérêt, je ne suis pas certaine d'y retourner un jour.
    Envolés la boutique de Madame Gilles, le grand garage, le coiffeur chez Vincent, le café de la mère Andrée, ce même café où le 5 juillet 1965 j'ai croisé, pour la première fois, le regard d'un jeune homme qui plus tard allait devenir mon mari, lui qui arrivait de Pelleport. Difficile pour les copains, ce type-là n'était pas de chez nous. Toi, Daniel qui commençait dans le métier d'ascensoriste, parachuté rue du Pressoir pour monter les ascenseurs des immeubles qui, déjà, commençaient à défigurer notre rue.
    Nous continuons à remonter la rue du Pressoir, nous sommes maintenant devant le 23/25, je ne dirai pas devant notre immeuble, tellement c'est laid. Il reste malgré tout une chose, la courbure. A cet endroit, je comprends que nous sommes bien là où nous avons vécu.
    Bienvenu et mon fils David tentent de retracer l'emplacement de notre immeuble et de la boutique de Madame Gilles. J'ai en mains les 2 photos de l'époque, nous ne sommes pas d'accord sur les emplacements. Moi je revois très bien les endroits, c'était juste une mauvaise prise de vue. Voilà ! la photo de l'épicerie a été prise d'ici, je me plante là, j'insiste. Bon, nous sommes d'accord, heureusement qu'il nous reste cette courbe comme point de repère. Devant le 23/25, mon fils prend une photo de Bienvenu et de moi. Bienvenu me prend en photo devant cette grille à code digital, il pense déceler une émotion de ma part, c'est raté, je ne comprends même pas ce que je fais là, mais je ne laisse rien paraître.
    Inutile de vous dire que je n'ai pas retrouvé ma mère à sa fenêtre du 3ème étage, dans la cour, me lançant une pièce pour acheter des bonbons sur le chemin de l'école. Pas de vision de ma cour, de mon escalier ni de moi assise sur les premières marches de votre escalier.
    Mon dieu que tout est froid dans cette rue, les anges ne risquent pas de s'y aventurer.
    Les mots qui conviennent à cette nouvelle rue du Pressoir sont horreur, laideur, froideur, ghetto.
    Que les personnes habitant actuellement cette rue et qui pourraient lire mon billet ne s'offusquent pas, que toutes ces personnes me pardonnent et tant mieux pour eux si ces habitants se plaisent à cet endroit. Cette rue n'est plus la mienne, tout au moins cette nouvelle rue du Pressoir.
    1422514610.JPGDans tous les cas, c'est mon coup de gueule, c'est mon choix et c'est mon droit. Je suis pour la liberté d'expression. Moi je préfère garder en mémoire l'ancienne rue du Pressoir où nous pouvions, Guy, moi et tous les autres, vivre en toute liberté et comme le dit si bien Guy Darol, les uns avec les autres, les uns chez les autres.
    La belle vie en somme. Ceux qui pourraient en douter, à mon avis, se trompent. Ces mots n'engagent que moi.
    Juste un conseil, Monsieur Darol, s'il vous prenait l'envie de venir sur Paris, allez plutôt rendre visite à Bienvenu Merino, détournez votre route de la rue du Pressoir. Il n'y a rien à voir et ça vous évitera de perdre votre temps.
    Un peu dur ce récit sur la rue de notre enfance, cher Guy, mais j'en prends la responsabilité et je ne remercie pas tous ceux qui ont contribué à la destruction de notre rue. Mon Général et Monsieur Malraux, avec tout le respect que je vous dois, vous qui dormez dorénavant auprès des anges, je me permets tout de même de dire que cette destruction totale à coups de boules d'acier et de bulldozers, était une monumentale erreur. L'erreur est humaine dit-on, celle-ci est énorme. Il n'est pas toujours nécessaire de démolir, il est parfois possible de rénover. Ce beau café Les Lauriers Roses à l'angle de la rue des Couronnes et du boulevard de Belleville, avec ses grosses colonnes en pierre, lui aussi, disparu.
    Ensuite, je préfère passer à la suite, nous avons remonté la rue des Couronnes, la rue Bison est toujours là, la rue Vilin n'a plus rien à voir avec la rue que nous avons connus, au bout de cette rue, les Jardins de Belleville, les escaliers ont été conservés, c'est malgré tout joli mais à quel prix. Combien d'expulsions et combien d'immeubles détruits pour cette réalisation.
    Où est le Belleville et Ménilmontant de mon enfance. Les bals du 14 juillet où tout le monde se retrouvait, dans les rues, pour danser, au son de l'accordéon, jusqu'à tard dans la nuit. Eh oui ! même rue du Pressoir nous dansions, c'était la fête, la rue était joyeuse. A 4 ans je me revois devant notre immeuble, je chantais et je dansais " Le bal à Doudou" de Jacques Hélian. A tous ceux qui pourraient penser que je suis ringarde et bien pas du tout, je peux écouter du Jacques Hélian mais aussi Raphaël ou suivre la Star'Ac. Je suis très large d'esprit.
    Jo Privat avait raison, effectivement : "Ils ont cassé le berceau de notre enfance".
    Je vais faire en sorte d'oublier ce que je viens de voir. Mille excuses Monsieur Bienvenu Merino si je vous ai un peu déçu, mais faire semblant, ça, je ne sais pas le faire. Je vous remercie pour cet agréable après-midi passé en votre compagnie. Je vous assure que nous nous reverrons prochainement.
    Après avoir pris congé de Bienvenu, en repartant je me suis arrêtée sur le pont du chemin de fer, rue des Couronnes, sur l'autre pont, rue de la Mare. L'école de garçons rue Henri Chevreau existe encore, l'escalier de l'impasse Piat aussi.
    344671175.JPG
    Je retourne dans mes rêves, je retourne dans la rue de mon enfance. Eh ! les copains, on se voit samedi, je vous attends, nous n'allons pas refaire le monde mais seulement notre vraie rue du Pressoir, cette rue où toute notre bande se retrouvait. Nous allons remonter le temps. Retracer notre rue comme elle était avant. Danielle, Liliane, Christian, Claude et vos conjoints, préparez-vous pour samedi et nos délires, comme toujours.
    D'autres vont nous manquer, Jacky, Nancy le retient, Bernard, 10 ans que je ne t'ai pas vu et toi Yves, plus de nouvelles ; Roland, tu manques à ma vie, même si tu étais mon pot de colle lorsque nous étions petits ; toi le p'tit Bernard, bientôt 43 ans que tu nous as quitté, tragiquement, un jour d'été 1965 ; toi Michel, tu es le jumeau manquant depuis 1997. A toi Daniel, je dédie ce récit, toi qui durant 26 ans de vie commune commençais les phrases que moi je  terminais.Tes fous rires me manquent mais je me débrouille sans toi, tu ne comprendrais pas qu'il en soit autrement.
    Donc, mon cher Guy, je termine ce récit en attendant samedi où nous allons faire un bond dans le passé, replonger dans nos souvenirs. Reste à savoir ce qu'il sortira de notre boîte à malices. A suivre ... Josette Farigoul

  • AUJOURD'HUI, LA RUE DU PRESSOIR

    724000843.JPG
    Hier, la rue du Pressoir
    1525124790.JPG
    Aujourd'hui, la rue du Pressoir
    Photographie Bienvenu Merino
     

    Ce n'est pas un paysage en ruine mais la conséquence du plan de rénovation urbaine, tel que Louis Chevalier dans L'Assassinat de Paris en a étudié les prémisses. A la manière d'un palimpseste, des constructions se sont substituées aux immeubles érigés au milieu du XIXème siècle où logeaient en parfaite harmonie parisiens de souche et migrants ainsi qu'en témoignent les récits bellevillois de Clément Lépidis. En prévision du retour de Josette Farigoul sur les lieux de son enfance abandonnés par la contrainte de l'expulsion en 1966, Bienvenu Merino a imaginé ce texte d'anticipation où se mêlent l'effroi et la résignation. Le mercredi 9 avril 2008, Josette Farigoul accompagnée de son fils et de Bienvenu Merino ont effectué le voyage. Un pélérinage diront certains mais peut-on parler de catharsis, de guérison lorsque l'on vient contempler l'effacement de sa propre histoire, la rectification pure et simple d'un passé inconfortable mais heureux. A propos de ces transformations brutales menées à coups de boules de fonte et de bulldozers, il convient de consulter Courrier International (www.courrierinternational.com) qui dans son numéro 906 (Dossier Paris épinglé par la presse étrangère) revient, sous la plume d'Andrew Hussey sur la destruction du vieux Paris au motif qu'il regorgeait de vagabonds, de voyous, d'alcooliques, de déviants et d'anarchistes, "tous les exclus de la société qui n'avaient rien à perdre et s'accommodaient très bien du chaos le plus total."  Refuge des "classes dangereuses" (locution inventée et définie par Louis Chevalier, le meilleur spécialiste de l'histoire de Paris), Belleville-Ménilmontant devait disparaître, comme on éradique le risque de peste, la menace du complot révolutionnaire toujours vif. Guy Darol


    Le retour à la maison  

    Le soleil  la neige  la pluie

    Multitudes des rues grisées

    Le retour triomphal en secret

    Le parfum du marronnier

    Elle est revenue au berceau de sa reine enfance

    Elle  se tait de ne rien pouvoir dire

    Elle va de par les rues des souvenirs

    Etoufée d’émotion

    Et fragile

     Dans  sa robe pâle elle est plus belle que tout au monde

    Elle s’arrête un pas, devant Notre Dame de la Croix

    Et continue encore des pas et des pas

    Et

    «  Voilà je suis arrivée »

    Elle veut dire mais elle ne dit pas

    « La maison est là ! » Elle dit 

    Mais elle se reprend  

    « Était là ! »

    Elle montre du doigt

    Elle regarde, s’approche

     Regarde ou était sa maison

    Debout   en   silence,   elle   se   rappelle

    ‘La maison abrite la rêverie et protège le rêveur, elle permet de rêver en paix.

    Il n’y a pas que les pensées et les expériences qui sanctionnent les valeurs humaines. A la rêverie appartiennent des valeurs qui marquent l’homme et la femme en sa profondeur. La rêverie a même un privilège d’autovalorisation. Elle jouie directement de son être. Alors, les lieux où l’on a vécu la rêverie se restituent eux-mêmes dans une nouvelle rêverie. C’est parce que les souvenirs des anciennes demeures sont revécus comme des rêveries que les demeures du passé sont en nous impérissables’

    Josette Farigoul  est venue

     Emue

     Elle repart émue

    Sans que personne ne sache rien.

    Ménilmontant le 9 avril 2008

       Bienvenu Merino

     

     

  • LE CARRE MAGIQUE

    281571675.jpg
    Belleville

    Je reviens de week-end, de Ménilmontant. J’ai fait l’aller-retour à pied depuis la rue des Boulets. Ma destination, le carré magique. Avant d’arriver place Léon Blum, j’ai  marché tout droit boulevard Voltaire en passant devant Japy, mon gymnase où, tout jeune sportif, j’appris  à allonger ma droite et préciser ma gauche, mais surtout, à éviter les coups. J’ai remonté la rue de la Roquette , emprunté le boulevard de Charonne et celui de Ménilmontant puis le boulevard de Belleville, laissant sur ma gauche l’avenue de la République. Là, à peine à quelques centaines de mètres me séparaient du Lycée Voltaire où mon ami Guy fit ses études secondaires, puis tout juste un peu plus  loin je m’attardais sous les fenêtres d’un immeuble, où habite Bévinda, la chanteuse de Fado « Pessoa em Pessoa » . « Je n’évolue pas, je voyage », écrivait le poète portugais Fernando Pessoa. Et assez vite, continuant le boulevard de Belleville, je  suis arrivé au métro qui porte le même nom. Belleville, enfin ! Belle la ville, tant attendue, chaleureuse, animée, cosmopolite, endimanchée. Femmes, hommes, jeunes et plus anciens, enfants, tous affables et très souriants attablés aux terrasses des cafés devant une limonade ou un diabolo menthe. Je n’ai fait que passer, j’ai marché encore plus haut, puis gravis de vieilles marches comme jadis, et descendu à nouveau des passages et des venelles,  poursuivant des ruelles escarpées, parallèles, et des passages tortueux d’autrefois semblant  me mener au  bout d’un champ ou d’un précipice ou d’un trou, pas de terrier de lièvre, plutôt d’éléphant, c'est-à-dire de pelleteuses énormes, cousines de celles qui ont retourné, labouré et anéanti la rue du Pressoir. En flânant sur la côte,  rue  de Belleville, j’ai fais du lèche-vitrines de bistrots. Deux filles chinoises, aux yeux aventureux, tantôt très noirs et tantôt verts émeraudes colombien, assises à une table, derrière la vitre, m’offrirent leurs plus beaux regards de jeunes filles innocentes. Ces nouvelles parisiennes par leurs origines lointaines ont changé le visage des habitants du quartier depuis quelques années.Et si on dispose très peu de données fiables sur l’aspect physique des Parisiens et sa variation au cours des siècles, il est difficile d’accorder du crédit aux notations des voyageurs ou d’écrivains. Les seules observations faites par des anthropologues sur de vastes échantillons de la population permettraient de se faire une idée à peu près exacte de l’apparence des Parisiens à diverses époques. Ce n’est pas le cas, l’anthropologie physique  ayant toujours été une discipline assez négligée en France. En 1970, dans la revue Population, Jacques Houdaille a présenté les résultats de quatre enquêtes sur la couleur des yeux et des cheveux sur des échantillons assez réduits de la population parisienne. Il semble que le pourcentage des yeux bleus ne se soit pas sensiblement modifié entre 1810 et 1951, oscillant autour du quart, les yeux bruns et noirs représentent à peu de chose près la même proportion ; la moitié des yeux se situant dans les nuances de gris et de vert. Une enquête établie sur des militaires, dénombre six cents soldats nés avant 1785 comptant 29 % d’yeux bleus, ce qui tendrait a indiquer qu’avant la Révolution , plus de Parisiens étaient issus des régions du Nord que dans les générations suivantes. Ces dernières cinquante années l’émigration a contribué à faire ce qu’est aujourd’hui la population de Ménilmontant depuis l’arrivée de très  nouveaux émigrants venus peupler et enrichir ces villages d’autrefois, entourés de coteaux plantés de vignobles et traversés de part en part de sentiers et de chemins par où cheminaient les travailleurs viticoles.

    En haut de Belleville

    Bien avant le boulevard Mortier, j’ai pris une traverse, la  rue des Pyrénées. Avec un peu d’imagination, j’avais  la sensation d’être au Pic du Midi. Et  au loin, tout là-bas,  un rideau gris clair percé de gouttelettes comme de la neige malade, grise et même grise foncée ; le soleil timide était trop timide, comme s’il avait peur de ce qui tombait discrètement du ciel, lui, pourtant si haut, inattaquable. Je voyais des pics flous et des chaînes de coton d’hôpitaux : la pollution sur toute la ville et,  un peu plus loin à droite, je me suis mis à l’abri, tel un montagnard,et j’ai tourné avec précaution dans la rue de Ménilmontant. J’ai descendu toute la rue ;  pas à pas, lentement, freiné par un cyclone de voitures et de vélibs ainsi qu’une procession de sans papiers en observant tout, tout, tout : les portes des immeubles avec leurs  sonnettes d’appels modernes, les fenêtres anciennes à l’oblique, les volets gris fermés, les portes cochères, les façades des immeubles, avec parfois, des poutrelles métalliques  qui retiennent  des pans de mur entiers pour éviter qu’ils ne s’écroulent. Je franchissais parfois les porches sombres et à l’intérieur clair me retrouvant dans des courettes pavées ou des lopins de terre encore existants par endroits, les églises, la mosquée, j’ai tout mémorisé, rien sur papier, rien  non plus sur appareil photographique. J’avais les mains libres semblables à celles des habitants du quartier qui allaient et venaient, ce dimanche, se promenant en  ce  jour de fêtes pascales. J’ai rencontré des chinois, japonais, des titi parisiens, des bretons, corréziens, algériens, égyptiens, marocains, des espagnols réfugiés de 1936… Avec eux nous avons parlé de Lény Escudero, mon ami, lui aussi, autrefois du quartier, et tout ça,  du voyage sans passeport. Je ne dis pas sans papiers ! J’étais  très heureux d’être là au milieu de mes semblables, mes compatriotes, ça au moins ça vous vous réconforte, de se retrouver à Paris et de se croire si loin au bout du monde ! Il y avait même un singe, un vrai,  à une fenêtre d’un premier étage, entre deux oursons jouets, dans les bras de deux petites filles débordant de tendresse. A la hauteur de l’église Notre-Dame-de-la-Croix,  des familles sortaient en chapelet d’une cérémonie religieuse. Deux garçons se chipotaient une image de la vierge ou d’une sainte, je ne sais pas, sous la grimace du père. Les enfants comprirent immédiatement le langage du papa. Le plus grand des garçons plia immédiatement en deux la belle image de la vierge ou de la sainte, cassant les jambes de l’immaculée, et il la rentra comme un couteau dans sa poche de veste. Un jeune couple rayonnant tout sourire, bras dessus, bras dessous, derrière le dos, marchait sans souci, heureux, amoureux certes. Des musiques se mélangeaient aux bruits des moteurs de voitures et des scooters pétaradants. Chacun  vivait sa vie au milieu d’autres vies, parfois si différentes les unes des autres par leurs pratiques religieuses et leurs éducation.

    Avec la quinzaine de Pâques, du dimanche des Rameaux à celui de Quasimodo  prenaient fin les fêtes de l’église chrétienne, destinées à rappeler le souvenir de la résurrection de Jésus-Christ. L’établissement de la fête de Pâques remonte à l’origine même du christianisme. Depuis le quantième concile de Latran en 1215, il est  ordonné à tous les fidèles ayant l’âge de discrétion de communier au moins une fois chaque année au temps de Pâques. Libre à eux de leur pratiques.  Mais comme chaque chose à une fin,  demain lundi, les Pâques seront closes. Alors que prend naissance depuis quelques semaines, dans le bas de Ménilmontant, ce que je nomme le carré magique, à l’intérieur d’un quadrilatère allant du boulevard de Belleville à la rue des Couronnes, de la rue Julien Lacroix à la rue de Ménilmontant, situé dans autre carré  plus petit, sorte d’îlot cimenté  en bordure de la rue des Maronites, et là, en son cœur, comme une blessure terrible, longue à guérir, pansée et bandée d’un linceul de ciment blanc, la rue du Pressoir décapitée il y a plus de quarante ans mais encore habitée,oui habitée si j’ose dire cela ainsi !

    Car la rue du Pressoir existe,  elle est toujours là, bien sûr. Elle n’a plus d’âme. De la fleur d’origine et de ses graines vivantes qui pouvaient lui donner vie durant trois siècles, et  perpétuer des générations, et nous donner à tirer des enseignements de la variété et des richesses d’autrefois. Elle est là, aujourd’hui la rue, telle un cimetière, où est inhumé tout le passé. La vraie rue du Pressoir est morte !Guy Darol est né rue du Pressoir. Il se rappelle encore, il veut se rappeler, surtout il ne veut pas oublier ; surtout pas, au contraire il veut « revivre » la rue du Pressoir, retrouver son enfance passée ici, l’offrir à ceux qui ne l’on pas connu et surtout à ceux qui y ont vécu presque toute leur vie, et qui, obligés de fuir, ne sont jamais revenus, n’ont jamais pu refaire le voyage, enlevés à leur pays et déracinés à jamais.

    La rue du Pressoir, aujourd’hui, est notre carré magique. De bouches à oreilles le cercle d’amis, pardon, le carré s’agrandit, les amies se parlent et reviennent voir, retrouvent leurs traces, se l’imaginent, recréent leurs appartements, là la cuisine, le petit salon, la chambre, l’alcôve, comme avant, lorsqu’ils jouaient ensemble à la poupée, aux billes, au gendarme et au voleur ; oui au voleur… et aux échecs. Ils n’oublieront jamais.

    Josette Farigoul a été pour Guy, UNE APPARITION.  Aujourd’hui, dans  son appartement de l’Eure, près de Rouen, elle dessine dans sa mémoire les plans qu’elle envoie par mail à son voisin de  petite enfance, pour comprendre et nous faire comprendre comment c’était avant, dans les années 1950 quand elle était petite, elle qui se souvient si bien  de sa jeunesse au 23 et 25 de « sa » rue, avec ses sœurs et ses parents, ses amies, sa maîtresse d’école, son mari, connu au café et qui pour la première fois monta l’escalier, à son bras, pour être présenté à ses parents. Bienvenu Merino

  • LA RUE DU PRESSOIR PAR LE HAUT DE MENILMONTANT

     

    1313588515.jpg
    Rue de Ménilmontant

    J'ai marché ce matin. J'ai marché comme les gens le faisaient autrefois pour descendre la rue; à pas lents, mais saccadés, des pas de villageois. Je revenais du château, disons ce qu'était le domaine du château de Ménilmontant; et si j'aime monter cette rue de Ménilmontant, j'aime plus la descendre. La ville est sous mes yeux, entière, fragile, abondante, petite là-bas, au loin. Elle scintille, elle murmure, je l'écoute, je parle avec elle, elle me répond et me dit des choses d'autrefois, elle résonne.

    Ni San Francisco, ni Salvador de Bahia de tous les Saints, pas même Lisbonne, ces villes où je vécus dans les années 70, non ! aucune de ces villes  ne peut être comparée à ce qui est sous mes yeux. Je descends toujours et marche sur le trottoir de droite, revenant du domaine du château de Ménilmontant qui serait limité de nos jours par les rues de Romainville, Pelleport, du Surmelin et, approximativement, par les rues des Glaïls et des Fougères, parallèles au boulevard Mortier, à l'est de celui-ci. C'était donc un domaine considérable ; sa superficie était supérieure à celle qu'a actuellement le cimetière de Père-Lachaise. Il comprenait le vieux château, le grand château (emplacement des réservoirs de Ménilmontant), un beau jardin à la française, terrasses, grand parc boisé, le tout clos de murs qui barraient les rues de Belleville et de Ménilmontant. Ce domaine appartenait  depuis 1695 à la famille des Le Peletier. Il était nommé Saint- Fargeau en mémoire de la seigneurie de ce nom que les Le Peletier avaient dans l'Yonne.

    Les Le Peletier utilisaient comme villégiature d'agrément  ce domaine  dont ils tiraient un bon revenu par la vente de leur bois, de leurs fruits et de leurs légumes.C'est  Louis Le Peletier de Saint Fargeau qui était propriétaire du domaine le jour où, en octobre 1776, Jean-Jacques Rousseau fut renversé dans la descente de Ménilmontant, à la Haute Borne, vis-à-vis du Galant jardinier, par un des chiens danois du châtelain. Il rentrait à Paris après avoir herborisé sur la colline lorsqu'il fut heurté violemment par ce chien qui gambadait devant le carrosse de son maître. Jean-Jacques Rousseau a raconté lui-même cette aventure et décrit comme suit la région: " Le jeudi 24 octobre 1776, je suivis après dîner les boulevards jusqu'à la rue du Chemin Vert, par laquelle je gagnais les hauteurs de Ménilmontant, et, de là, prenant les sentiers à travers les vignes et les prairies, je traversois jusqu'à Charonne le riant paysage qui sépare ces deux villages; puis je fis un détour pour revenir par les mêmes prairies en prenant un autre chemin...". C'est alors qu'il rencontra le chien...

    Je reviens à l'actualité. Je suis arrivé en bas de la rue de Ménilmontant, j'ai pris à droite le boulevard de Belleville, la continuité du boulevard de Ménilmontant, puis laissé la rue Etienne Dolet, pris sur le même trottoir, la rue des Maronites, mais cette fois-ci, j’ai rasé les murs de crainte de voir trop tôt le désastre découvert hier. Je suis arrivé exactement au même endroit, en faisant le chemin à l'envers. Et là, toujours là, devant moi, la gueule béante de la rue où sont nés mes amis. La rue du Pressoir, muette et d'une froideur à vous glacer de la tête aux pieds, j’avance dans le blanc des murs de ciment, dans le noir de ma tête et de mes idées, si lucide pourtant. Je pense à mes amis, Josette et  Guy, à leurs parents, leurs frères et soeurs. Qui a vécu ici autrefois, ne peut plus reconnaître. Il n'existe rien du charme qu'était cette rue, joyeuse jadis et si familiale. Mais ils ont tout détruit de la vie. Mais bon dieu de bon dieu où étaient l'épicerie, le coiffeur, la maison, la chambre des jumeaux, le garage...les écoliers, les farandoles. Bienvenu Merino