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  • ANGLE DES RUES DENOYEZ ET RAMPONNEAU

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    Photographie Maurice Tarlo

     

    Ce commerce d'angle en déshérence m'évoque le cabaretier Desnoyez qui tenait guinguette autrefois rue de Belleville, une guinguette pouvant accueillir deux mille convives mais aussi les porte-voix de l'insurrection bellevilloise. Desnoyez, Ramponneau sont les deux noms de la révolte dont Belleville a toujours été le haut lieu tout au long du dix-neuvième siècle. Souvenons-nous que le 26 mars 1871, les conseillers municipaux de Belleville sont Charles Delescluze, Auguste Blanqui et Gustave Flourens. Flourens, condamné à mort par contumace déclarait ceci : "J'ai appris par une longue expérience des choses humaines que la liberté se fortifiait par le sang des martyrs. Si le mien peut servir à laver la France de ses souillures et à cimenter l'union de la Patrie et de la liberté, je l'offre volontiers aux assassins du pays."

    Gustave Flourens venu de l'aristocratie était aimé de tous les bellevillois tant il donna tout ce qu'il possédait, jusqu'à sa propre vie enlevée d'un coup de sabre le 23 avril 1871. L'insurgé avait trente-deux ans.

     

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    Gustave Flourens

     

  • AUX FOLIES / BELLEVILLE A LA FOLIE

    jacomin.jpgEn tournant les pages du volumineux Belleville de Clément Lépidis et Emmanuel Jacomin (Editions Henri Veyrier, 1975 ; réédition, 1980), on ne peut que s'arrêter longtemps devant les nombreuses photographies du Belleville au temps qu'il était un village. Au passage, je signale aux lecteurs de l'édition 1980 que notre rue du Pressoir y est présente en page 108. On peut voir l'immeuble dans lequel je vécus, tout au fond, au quatrième étage. La beauté qui résulte de ces images en noir et blanc confirme la thèse de Clément Lépidis selon laquelle il s'agissait de détruire, comme un règlement de compte, ce qui était marqué par la lutte contre l'oppresseur et le mélange des peuples, en un mot l'harmonie. Il fallait en finir avec cette utopie en actes, ce fouriérisme réalisé, trop d'entente nuit à la nécessaire domination des forts sur les faibles. Détruire échoua. Le quartier demeure une terre d'exil et un espace où le pêle-mêle perdure. Seulement, rien n'est aussi beau que ces passages et cours, villas et escaliers, jardins et bistroquets tels que l'ouvrage de Lépidis & Jacomin le rappele. Belleville était la montagne qui se comparait à Montmartre. Il aurait fallu casser ce qui ne tenait plus et sauver les témoignages d'un urbanisme sans plan où l'Homme est le maître des lieux, celui qui organise dans le désordre s'il le faut. Pourvu que les distances ne soient jamais trop grandes. Pourvu que Babel puisse vivre.

    Chaque dimanche, nous revenons avec des photographies de notre vingtième arrondissement. Ce sera le vingtième d'aujourd'hui, un témoignage de ce qui parle du passé au présent. En comptant sur vos yeux, vos images, votre envie de partager avec nous la construction de ce nouvel album. Montrons ensemble que l'âme de Belleville bouge encore. 

    Commençons avec un cliché de Maurice Tarlo.

     

     

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  • TIMBRO RELIEF

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    Pascal voudrait bien savoir si quelqu'un garde le souvenir d'un magasin, situé rue de Belleville, à l'enseigne Timbro-Relief. Ce commerce existait dans les années 1900-1920 et proposait des étiquettes gommées. Pascal possède un catalogue attestant de l'existence de cette boutique mais il est avide d'informations. Si cela vous dit, merci de laisser des commentaires sur ce sujet.

  • RENOVATION D'UN QUARTIER : BELLEVILLE / MICHEL VEROT

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    Photographie  Michel Sfez

     

     

    Dans le cadre du film documentaire à la BNF, en partenariat avec le SCEREN-CNDP, sera projeté le jeudi 25 novembre (18h30 - 20h), dans le petit auditorium du site BNF ❘ François Mitterrand, le film de Michel Vérot (en la présence du réalisateur) sur la destruction de Belleville dans les années 1960, film resté inédit depuis sa première diffusion.

     

    TOUTES LES INFORMATIONS CONCERNANT CETTE SEANCE

  • UNE NOSTALGIE TRES SELECTIVE

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    Rue du Pressoir aujourd'hui

     

     

    Il pleut et vente ce lundi sur ma campagne. Coincée à la maison, j’ai tout loisir de me confier à mon ordinateur.

    Il ne se passe pas de jour où je ne vais faire un tour sur notre site, et j’ai souvent envie de réagir. Avec véhémence quelquefois.

    Au risque de choquer quelques-uns, mais avec le souci, croyez-le bien, de ne peiner personne, je décide aujourd’hui de préciser ma pensée.

    La « rue du Pressoir » et son environnement, avant les destructions massives qui les ont défigurés, ce n’était pas le Paradis. Il y régnait certes un esprit de quartier encore marqué du sceau des faubourgs du XIXème siècle, et nous y avons tous des souvenirs d’enfance, d’adolescence, directs ou transmis par des êtres chers, qui nous ont marqués à vie. Il nous arrive de nous les remémorer avec un tendre sentiment d’attachement en oubliant tous les désagréments du quotidien. 

    Et pourtant ! L’eau sur le palier, les wc à l’étage, le charbon qu’il fallait aller chercher à la cave l’hiver pour alimenter la cuisinière, la vie de famille concentrée dans 30m2, les dissertations rédigées sur un coin de table quand était venu le temps du lycée, expliquent la réaction de soulagement de nombreux habitants du secteur lorsque leur fut proposé un relogement dans des locaux plus spacieux et surtout plus confortables.

    Sans parler de l’état de délabrement de certains immeubles que les propriétaires ne pouvaient plus entretenir depuis des décennies en raison de la modicité des loyers encaissés. (La fameuse loi, dite de 48 je crois, n’a pas eu que de bons côtés.)

    La lassitude était grande de vivre dans un quartier qui dépérissait progressivement et le fait de devoir abandonner le vieux Paris et s’exiler en banlieue n’a pas pesé lourd en face de « la salle de bains » annoncée. Fut occulté pour un grand nombre de ceux qui n’avaient pas encore trouvé mieux où se loger le dépaysement sentimental pourtant à prévoir. Les jeunes gens qui n’avaient pas encore eu l’occasion de connaître autre chose, attristés de voir se décomposer leurs groupes d’amis, et les très âgés prêts à tout pour conserver le logement où ils avaient passé la plus grande partie de leur vie l’ont bien ressenti, mais une grande majorité d’adultes y a vu, au contraire, un changement de mode de vie bienvenu.

    Il est vrai qu’une réhabilitation, telle qu’on la conçoit maintenant, eût été mille fois préférable à la brutale démolition entreprise. Cinquante ans plus tard, on ne peut que le regretter. Je ne saurais pas dire si, à l’époque, il y avait vraiment le choix, compte tenu de l’urgence et de l’ampleur  du problème à régler. Ce n’était pas un ou deux immeubles qu’il fallait remettre en état l’un après l’autre, mais complètement reconsidérer un quartier tout entier, qui plus est, de forte densité d’occupation.  

    Voilà, c’est dit : j’ai une nostalgie très sélective !

    C’est pourquoi cela me chagrine un peu de voir percer au travers de différents récits un certain et nuisible esthétisme, au détriment de la réalité des faits et du vécu des ménilmontagnards ou bellevillois de souche.

    Je l’ai déjà noté : pour retourner souvent sur place puisque mes enfants ont choisi d’y demeurer, je sais qu’il  règne encore dans ces quartiers de l’est parisien, une atmosphère de convivialité, différente de celle que nous avons connue, mais tout aussi précieuse aux yeux de ceux qui la vivent.

    Amicalement à tous, Lucile.

     

    Un point de vue que partage entièrement la chanteuse Clarika qui habite dans la rue du Pressoir des jours actuels. Elle avait témoigné, sur notre site, il y a quelques-années, de la continuité des équilibres dans l'immeuble où elle vit, du fait que la mixité des âges et des cultures est toujours aussi nourrissante. Une occasion de recommander l'écoute de son cinquième album, Moi en mieux (Mercury, 2009) et en particulier du titre Bien Mérité, lequel pourrait être l'hymne mappemondial de la rue du Pressoir. Guy Darol

     

     

     

  • QUE RESTE-T-IL DE LA RUE VILIN ?

     

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    RIEN DE RIEN

     

    Ni un brin de son architecture, ni une seule planche de ses volets de noyer, ni une clef de serrure forgée par le maître artisan du quartier du Pressoir. Pas même ses cendres ! Où ont-ils abandonné les restes et les souvenirs de la maison du typographe de la bande à Bonnot ?  Où se trouve la tombe, la sépulture de notre illustre rue ?  Restent les photos de dizaines de photographes du tout Paris, venus inhumer  le beau assassiné. Faut-il hurler aux citadins de Paris que c’est notre ville qu’on assassine, que c’est notre patrimoine que l’ont abat lequel appartient à nous autres Parisiens. Nous ne pouvons nous taire, nous ne pouvons fermer notre gueule et nous laisser mettre des muselières. Pour le respect de ceux qui ont lutté  afin de soutenir le patrimoine des Parisiens à qui appartient la ville. Pour l’équilibre et la précieuse beauté de Paris.

     

    Déjà, furent crevées les Halles Baltard et le cœur historique de Paris, le quartier de Montparnasse livré au préfet de Paris et aux hommes au pouvoir en ces temps, si peu scrupuleux. Le 13e arrondissement et une partie du 15e juché sur des assises tremblantes,  la Défense, silhouette vulgaire, offerte aux travailleurs, aux bureaucrates, aux baladins croyant que c’est ça le Paris illustre. Sans compter les frappes chirurgicales un peu partout dans notre ville. Regardez un tout petit peu, dans vos promenades ce qu’ils font de la ville, comment ils la maltraitent, comment ils n’ont point de scrupules pour les Parisiens qui méritent plus que ce que leur réservent certaines personnalités au pouvoir depuis des lustres.

     

    RAPPEL SUR LA RUE VILIN

     

    C’était  une petite rue de Ménilmontant. Une rue classée en 1863, puis déclarée îlot insalubre cent ans plus tard, une rue aujourd’hui entièrement démolie. Une rue où Georges Pérec, l’auteur de La vie mode d’emploi, vécut enfant et dans laquelle il retourna, une fois par an, de 1969 à 1975, pour un livre qu’il écrivait. De cette rue Vilin, il ne reste que les quelques cinq cents photos prises par toutes sortes de photographes et les textes consignés par Pérec dans les années 1970. Le réalisateur reconstitue immeuble par immeuble le puzzle du lieu, réalisant tout à la fois un film sur la rue, un film sur la photographie et un film sur Georges Pérec et l’obsession de la mémoire.

     

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    « EN REMONTANT LA RUE VILIN »

     

    Un film de Robert Bober, né le 17 novembre 1931 à Berlin. En 1933, il fuit avec ses parents l’Allemagne nazie. Ils se réfugient en France. Il quitte l’école à quinze ans pour devenir successivement tailleur, potier, éducateur. Il sera l’assistant de François Truffaut sur Les 400 coups, Tirez sur le pianiste, Jules et Jim.

    Réalisateur depuis 1967, il obtint en 1991 le Grand Prix SCAM pour l’ensemble de son œuvre. Il publie Récits d’Ellis Island en collaboration avec Georges Pérec et Quoi de neuf sur la guerre ? Bienvenu Merino

     

     


     

     

     

  • PARFOIS, JEAN-CLAUDE RIHARD SE SENT COMME UN VIEUX CHIEN

     

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    Habitant en province depuis maintenant quarante-et-un ans, je n'ai pas oublié le quartier de mes vingt-cinq premières années. A chaque fois que j'ai l'occasion de monter à Paris, je ne puis m'empêcher d'aller faire mon tour dans ces lieux si riches en souvenir : rue des Couronnes, rue Vilin, rue des Maronites, rue du Pressoir, boulevard de Belleville, rue de Ménilmontant. Je me sens comme un vieux chien qui rechercherait ses anciennes pissettes pour y refaire quelques gouttes !
    Le propos est trivial, j'en conviens ... et pourtant ... n'est-ce pas un peu la vérité ? Jean-Claude Rihard

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  • MA RENCONTRE AVEC JANE CHACUN

     

     

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    Jane Chacun

     

    Avant 1966, je n’avais jamais entendu parler de la chanteuse Jane Chacun, née à Ambert en 1908, qui fit presque toute sa carrière à Paris. A cette date, peu de gens se souvenaient de cette grande figure de la chanson française qui fit l’admiration d’un très nombreux public entre 1930 et 1955. Aujourd’hui, Jane Chacun est tout simplement oubliée du grand public, et cela depuis bien longtemps.

    A la fin de ces années 60, comme beaucoup de jeunes, j’étais alors bien plus intéressé par les chansons de Bill Haley et sa musique rock, ainsi que par Frankie Jordan, Billy Bridge, Moustique, les Chaussettes Noires, Vince Taylor que j’ai rencontrais en pleine gloire. Puis ma fascination pour le jazz que j’écoutais la nuit à la radio devint capitale dans ma culture, disons simplement, dans mon parcours où je découvrais les diverses formes de musique. Et ce n’est que bien peu plus tard, que je me suis intéressé aux guitaristes, Wes Montgomery, Joe Pass, Benny Carter, Charlie Byrd, Paco de Lucia, Django, Christian Escoudé, Claude Barthélémy, Woody Guthrie, ce chanteur et guitariste folk américain qui s’était engagé très jeune dans l’action politique. Parti pour la Californie, comme des milliers de ces Okies chassés par la misère de l’Oklahoma, il s’installa au cœur des luttes sociales, s’opposant avec sa guitare et ses chansons aux milices des entreprises fruitières ou à la complaisance des policiers de l’Etat californien. Sa réputation de redoutable agitateur lui valut de nombreux démêlés avec la police et la justice.

    Aussi, je ne veux pas oublier un ami, Raymond Boni, un grand lui aussi, qui apporte, encore aujourd’hui, énormément à la musique moderne, au free jazz, uniquement avec son instrument, sa guitare, et son phrasé unique, qu’il sait travailler comme s’il était, à lui tout seul, un orchestre. Dans son disque Wanted  Mr. $ dollar for Good, ça commence et ça se termine  par une salve contre les habitudes guitaristiques, une batterie d’instruments : saxo, cornet, orgues monastiques, campanas sevillanas de procession, tocsin. Et pourtant Boni est seul avec sa guitare pour quitter la guitare. A une époque, l’orchestre d’Ellington a été exemplaire, parce que chacun de ses solistes était lui-même capable d’être chef d’orchestre. Là, Raymond Boni, est « orchestre » à lui tout seul. Si Charlie Christian s’était inspiré de Lester Young et devait créer ce qu’on appelle le « red style » le style saxophone ; il sut parfaitement exploiter son instrument et tirer de l’amplificateur électrique une sonorité très belle. Raymond Boni, dans Wanted Mr. $ dollar for Good,  tire de son instrument ce qui paraît impossible d’extirper d’une guitare. Son CD rouge est un moment rare dans la guitare de ces dix dernières années. Chirurgie événementielle. Réussite époustouflante pour Boni, qui à vingt ans voulait quitter la guitare trouvant qu’avec cet instrument, il n’avait pas assez la possibilité de s’exprimer. Alors qu’il était, dès 1971, classé par Jazz Magazine, parmi les plus grands guitaristes de la spécialité.

     

    FRANK ZAPPA - JOAN BAEZ

     

    Au début des années 70, je me familiarisais avec le travail musical de Frank Zappa dont je traduisais les textes afin de mieux comprendre ses chansons. Ceci dit, c’est son œuvre,  en partie, qui contribua à mieux me politiser et donna un certain sens à ce que je vivais, et à mieux voir ce qui se passait sur la planète, si je puis ainsi dire. Evénements aux Etats-Unis et dans toute l’Amérique, ainsi qu’ailleurs dans le monde, sans oublier la guerre au Viêt-Nam, dont beaucoup furent victimes. Avec Frank Zappa, Joan Baez, et bien d’autres, je complétais  ma formation, non simplement musicale, mais d’une certaine culture politique.

     

     EDITH PIAF - LUCIENNE DELYLE - YVONNE PRINTEMPS - LA CALLAS

     

    En France, parmi les chanteurs et chanteuses, je connaissais les chansons que chantaient Edith Piaf. Mais vraiment, à cette époque là, cette chanson je l’écoutais peu et n’y prêtais pas beaucoup d’importance. Durant mon enfance, j’avais passé des années à écouter le Cante Flamenco et à m’intéresser à la danse andalouse pure. Piaf ne me touchait pas trop. Je dirais plus honnêtement que je passais à côté de son expression. Cependant, elle m’émouvait, et je la voyais comme une petite femme fébrile qui tombait sur scène lors de ses concerts. Dans un sens, j’avais peur pour ce petit bout de femme vêtu de noir, d’apparence fragile, me faisant trembler. Sans doute, je ne devais pas très bien écouter ses paroles, ni trop la musique qui l’accompagnait. Ou alors, je comprenais trop bien les mots, moi, que touchaient les faibles et la pauvreté du monde. J’avais été bercé depuis l’enfance par la musique  espagnole, de la région d’où étaient originaires mes parents, quand surgit  Rock around the clock, de Bill Haley and The Comets, qui bouleversa certains clichés et me fit m’intéresser à une autre trajectoire, celle des chanteurs de folk song que Bill nous rappelle quelquefois. Mais Bill était différent, et je ne crois pas qu’il se soit même senti à l’aise comme stéréotype de rock and roll. Et cela bien avant que je connaisse le folklore sud-américain des divers pays du continent où je vécus. Et puis il y a  la musique dite classique et ses dérivés qui m’accompagnent presque chaque jour, aujourd’hui encore.

    Cependant je dois dire, qu’il y eu un moment très fort parmi tous les temps forts, qui révélèrent  la GRANDE PIAF dans sa carrière, le jour où elle chanta au premier étage de la Tour Eiffel, avec, à ses pieds autour du Trocadéro, une foule énorme, noire de centaines de milliers de spectateurs. Peut-être est-ce cette image du peuple de Paris, au chevet de la GRANDE de la chanson, qui me fit réfléchir à la personnalité, de ce petit bout de femme, immense de talent, dont il m’avait fallu un certain temps pour comprendre qui elle était, et ce qu’elle valait.

    Il y eut parmi mes favorites de la chanson française, Yvonne Printemps, dont les chansons me vinrent aux oreilles que très tard. Elle prodiguait ses exceptionnels dons vocaux au seul domaine de l’opérette, à un niveau que personne d’autre n’avait atteint. Si, techniquement, on cherche une de ses qualités essentielles, on peut penser tout naturellement à son sens du ‘legato’, si rare chez les chanteuses. Ce ‘legato’ qu’on ne peut maintenir qu’avec un souffle impeccable, donnait à tout ce qu’elle interprétait une valeur humaine inestimable. Yvonne Printemps  transfigurait tout ce qu’elle touchait. En effet le charme vocal d’Yvonne Printemps défiait l’analyse.

     

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    Lucienne Delyle

     

    Je découvris aussi sur le tard l’œuvre de Lucienne Delyle me rendant vite compte que j’étais passé à côté d’immenses talents qu’avaient frôlé mon adolescence, pour enfin vouloir découvrir ces riches interprètes qui existaient dans la chanson française et dont j’ignorais tout.

    Je me tairai ou plutôt je serai rapide en parlant des grandes chanteuses  d’Opéra dont la passion me vint vers la trentaine, un trouble qui me fit me poser des questions en écoutant La Callas,  diva parmi les divas. Pour ceux qui ont eu la joie et le privilège de l’approcher durant ses préparatifs d’enregistrement, que ce soit en chair et en os ou dans une émission de télé, quelle leçon de modestie devant la Musique ! Travaillant surtout les problèmes d’accentuation, lisant et relisant la musique choisie, seule sur un canapé ou sur un lit, gardant à portée de main ses partitions, chantant au besoin à mi-voix tel passage difficile d’une cadence, c’est à un véritable phénomène d’osmose que Maria Callas se livrait  durant  des jours. Lorsque la phrase musicale, la prosodie et la couleur de la musique l’avaient imprégné, c’est alors qu’elle s’occupa à proprement parler de la voix. Par un phrasé que ne coupe jamais à tort la respiration, par des vocalises d’une fantastique égalité parce que coulées dans un même souffle, Maria Callas, née grecque en territoire américain et habitant longtemps en France, donna à la musique française de nouvelles lettres de noblesse. N’est-ce pas une gageure, en effet, que de parcourir les registres les plus éloignés de la voix humaine et de changer d’atmosphère musicale et psychologique tout au long d’un disque ? C’est pourtant l’exploit accompli par Maria Callas dans son premier disque d’opéras français. Eclatant !

     

    MADAME JANE CHACUN

     

    Oui, j’ai un peu tardé avant d’aborder le souvenir de ma rencontre avec Jane Chacun ! Une parenthèse de temps due à un peu d’émotion en évoquant ces moments avec cette femme reconnue puis oubliée. J’ai toujours eu du respect pour Jane Chacun, même si notre rencontre fut brève et que je connaissais assez mal son œuvre. Dans ces années-là, ma connaissance musicale à l’égard de ses chansons m’était assez limitée, pauvre même. J’ai rencontré Madame Jane Chacun, sur le tard, alors qu’elle ne chantait presque plus, pour ne pas dire plus du tout, et que ses disques n’étaient plus mis en vente. En 1966, Jane Chacun avait 58 ans,  jeune encore, et belle femme. J’ai connu Jane, chez elle, à Saint- Maur-des-Fossés (Val-de-Marne), la ville où elle habitait. Je travaillais alors pour une importante société dont-elle était cliente. Elle avait fait une commande pour améliorer le confort de son pavillon proche des bords de Marne. Je vins donc de bon matin travailler chez elle. Elle m’attendait. J’étais jeune, mais je connaissais déjà les rouages de mon métier et savais ce que j’avais à faire pour me mettre au travail sans perdre trop de temps avec les clients. Très chaleureuse dès le premier instant de mon arrivée, Jane m’invita à prendre le café. Après cette courte pause je lui demandai où se trouvaient les paquets qui avaient été livrés par ma société pour que je puisse constater que tout soit bien là avant que les ouvriers se mettent au travail. Jane m’indiqua l’escalier pour rejoindre le sous-sol de sa maison. Je descendis les quelques marches. Arrivé en bas, je fus  surpris de voir parmi les paquets qui me concernaient, d’autres paquets remplis de disques 78 et 33 tours dont  j’apercevais les pochettes  débordant des cartons et qui laissaient apparaître des disques noirs brillants, rangés soigneusement, où je lisais sur les étiquettes :   JANE CHACUN - PATHE MARCONI, JANE CHACUN - DISQUES POLYDOR ... Il devait y avoir deux mètres cube de chansons. Pardonnez-ce langage, en vérité je suis très respectueux. Les écrivains savent de quoi je parle, car les éditeurs ne font pas mieux lorsqu’ils veulent se débarrasser d’un surplus de livres invendus. A cet instant même, dans le sous-sol de la maison, je sentis dans mon corps comme un petit ‘vertige’, oh ! presque  rien. Et dans mon esprit siffla une atmosphère rayonnante de bonheur, en apprenant chez qui j’étais. Donc,  je vérifiais  rapidement les paquets concernant  la livraison, pour voir si tout était là, et montait ensuite à l’étage retrouver Jane Chacun et lui dis : « Eh bien ! Vous en avez des disques Madame ? » Elle me répondit: « Oh ! Cela fait belle lurette que je ne chante plus ! Ce sont mes réserves de chansons pour l’éternité. » Et elle continua : «  J’étais la rivale d’Edith Piaf… mais c’est fini maintenant. » Elle parlait, j’écoutais. Je fus bouleversé déjà en découvrant au sous-sol sa tonne de disques et en quelques secondes d’apprendre son identité célèbre, ce qui me laissa dans un état d’homme en vol. Mes chaussures avaient décollé. J’avais la sensation de marcher à cinq centimètres du sol. Oh ! Elle ne s’épancha pas longtemps sur sa vie ! C’était si simple la façon dont elle en parlait. Mais cela avait suffit pour m’atteindre euphoriquement. En fait, c’était une des raisons parmi d’autres qui m’avait un peu troublé ; c’était, qu’en fin de carrière ou plutôt, après un itinéraire  rempli de succès, tout était en voie d’extinction, tout s’était arrêté ou était en voie de s’arrêter, pour la Reine du musette, comme un couperet qui tombe tout doucement, puis net. Elle se leva de sa chaise et sans perdre de temps, sachant bien que je devais travailler, elle voulut me faire plaisir, et s’empressa de tirer d’un de ses rayonnages, derrière le buffet, un de ses disques, qu’elle me  tendit, en me disant : «  C’est pour vous ! » Je regardais ses yeux, en serrant dans mes mains, avec attention, le présent qu’elle venait de m’offrir. La bonté de cette femme se lisait dans son regard, au même moment où elle découvrait le bonheur que j’éprouvais d’être à ses côtés. Mais je lus aussi à la lisière de ses prunelles et dans la profondeur de ses yeux noirs, qu’elle avait un peu perdu de l’enthousiasme qu’elle avait montré au départ. Cela donnait à son visage un brin de lassitude dans de grands yeux ouverts sur un avenir incertain. Son large front pâle contrastait avec sa belle chevelure noire de vedette de la chanson. Je fixai la pochette du disque. La photo de son visage me fit penser à une icône. Comment ne pouvais-je  avoir une éternelle reconnaissance pour Jane Chacun, moi qui avait passé mes premiers bals à danser en province, bercé par la musique  des grands accordéonistes des années 60 : Aimable, Verchuren, Jo Privat, Louis Corchia, Emile Prud’homme, sans vraiment avoir pu les approcher, sinon dans l’enceinte d’une salle de bal. Jamais en vrai. Comment s’y prendre pour devenir familier de ces grands joueurs de piano à bretelles ? Comment  faire pour leur parler, pour les connaître ? Même si, avec leur accordéon, ils m’avaient donné du plaisir et de la joie en une seule soirée ou même toute une nuit, je restais dans la foule, anonyme, toujours anonyme parmi les milliers de danseurs dans la ronde.

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    Un disque de Jane Chacun

     

    Avec Jane tout avait commencé comme avec une maman. Tout continua comme l’amour d’un fils pour sa mère. Tout continuait, jamais ce ne fus fini. Jamais. Ça continue ! Elle est ma souveraine pour toujours.

    En vérité, si je pris goût, dès mon adolescence, à la danse dans les bals de province et si j’avais de l’intérêt pour la musique et les musiciens,  c’est plutôt à cause de l’ambiance et des tourbillons avec les filles. C’est cela  qui me faisait m’appliquer pour apprendre à mieux les tenir dans mes bras, à les serrer pour une soirée, une nuit, jusqu’au prochain bal et je ne sais quoi de plus encore !

    Avec Jane, j’étais ému et reconnaissant, sans doute parce que je parlais  pour la première fois à quelqu’un d’important, à une femme célèbre qui parlait tout simplement à unjeune homme de rien, cherchant son itinéraire dans la vie. Je me retrouvais face à une gloire, une artiste vraie, une femme que déjà le monde du spectacle oubliait.

     

     DEBUT DE JANE CHACUN  

     

    Lorsque les bals-musette se développèrent dans Paris au début du 20e siècle, atteignant leur apogée entre les deux guerres, ils se regroupèrent dans les quartiers où les Auvergnats s’étaient installés en grand nombre. On pourrait presque parler d’instinct grégaire. Deux pôles principaux sont à distinguer : La Bastille avec la rue de Lappe et le passage Thiéré, le quartier des Arts-et-Métiers dans les rues Au Maire et des Vertus. Ils étaient moins nombreux que dans les secteurs précités ; il faut néanmoins mentionner les abords de la Place Clichy (Abbaye Petit Jardin, Grande Roue) ainsi que Belleville et Ménilmontant (Ça Gaze et Le Boléro).

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    Le Tourbillon

     

    A l’adresse du 8 rue de Tanger, Paris 19e, très près du boulevard de la Villette, se trouvait un petit bal appelé Le Café Olivia. Ce bal fonctionnait en fin de semaine. En 1926, Albert Carrara (le fils aîné de Vincent Carrara) acheta ce café-bal, le transforma et l’agrandit de façon notable et ajouta le confort nécessaire. Il pouvait y contenir deux cents personnes au bar et autant dans la salle et quatre-vingts danseurs sur la piste. Ce café-bal  prit comme enseigne Le Tourbillon. Albert était un excellent accordéoniste qui dirigeait un orchestre réputé. Avec ses  musiciens, il fit danser jusqu’en 1931, date à laquelle il céda l’affaire à Monsieur Bernard. Celui-ci donna une impulsion nouvelle au bal qui connut un grand succès jusqu’à la guerre de 1939, même s’il continua à fonctionner encore presque plus de trente ans, en changeant plusieurs fois de direction. Son premier orchestre fut celui de Robert Carnero, accordéoniste aveugle, dont Bernard devait dire bien plus tard que c’était un as. Propos bien flatteurs confirmés par Jo Privat qui affirmait que Carnero jouait aussi bien qu’Emile Vacher. Ensuite il y eut Jean Vaissade, auteur de l’inoubliable Sombreros et mantilles, et qui amena Rina Ketty au rang de vedette du tour de chant. Elle vint d’ailleurs quelquefois chanter au Tourbillon. Après Vaissade, ce fut Emile Prud’homme qui s’installa dans le bal. Prud’homme resta près de trois ans au Tourb’ comme on disait familièrement. A cette époque, une inconnue, qu’on appelait la Môme Piaf, vint au bal et chanta, accompagné par Mimile. La première fois où elle demanda à chanter au Tourbillon, Mimile dit en douce à ses musiciens : « Laissons-là venir, on va bien se marrer. » Il est vrai qu’elle ne payait pas de mine. Mais tous furent subjugués par la voix de celle qui allait devenir la grande vedette que l’on sait.

    Jane Chacun, surnommée  La Reine du musette  s’y produisit aussi et eut bien sûr ses jours de gloire. Aux heures apéritives du Batifol, lieu de rendez-vous désigné d’un petit monde régi par la musique, la chanson et le spectacle des années 50, étonnante bourse humaine, Vincent Scotto, l’homme aux quatre mille chansons, venait en premier. Derrière la vitrine, sans aucune ostentation, mais tout de même il faut bien se montrer, il tenait table ouverte à une assemblée fidèle où brillaient les chanteuses Benoîte Lab, Germaine Lix, Roberte Marna, Lina Margy et Jane Chacun, reine du musette.

    Le Tourbillon, ouvert dès 1926, ferma ses portes qu’en 1968. Si Edith Piaf et Jane Chacun, à leurs débuts, y firent les beaux jours, la très belle Simone Réal, qui travaillait en usine, y venait se distraire le samedi et dimanche. Elle aussi obtint la célébrité. Les qualités de cette jeune fille, sa beauté sublime et son impact sur les danseurs n’échappèrent pas aux dirigeants du bal qui l’embauchèrent pour chanter avec l’orchestre en fin de semaine. Elle y resta dix- sept ans, jusqu’à la fermeture du bal en 1968.

    Jane Chacun avait commencé  à percer en même temps qu’Edith Piaf, à la veille de la guerre, en 1939. Piaf, démarre à L’ABC, Jane, devint vedette au célèbre Mimi Pinson, où sa robe noire (tout comme celle de Piaf)  et son foulard rouge en firent la reine du musette. Quelle reine ! 

    Mais bien avant ses débuts fracassants, au Mimi Pinson, Jane avait été reconnue dans tous bals célèbres de Paris et banlieues. Au Boléro, à La Java, La Boule Noire, Au Balajo, au Bal des Gravilliers, au Ça Gaze et au Boléro, célèbres bals de  Belleville et Ménilmontant, au Tourbillon, bien sûr, chez Gégène à Nogent-sur-Marne.

     

    FIN D’UNE ROMANCE

     

    Jane Chacun est partie en janvier 1974 pour l’hôpital de Créteil  d’où elle rejoignit les étoiles. C’était le 29 janvier. Triste janvier auquel je pense sans oublier ces grands yeux attendrissants, cette voix qui m’était familière et cette émouvante  simplicité qui m’avait tant ému un jour de l’année 1966.

    Trois ou quatre fois, j’étais revenu la saluer chez elle, et à mes rares apparitions Jane me disait toujours : « Revenez vous avez un si joli prénom ! » Des années plus tard, de retour à Saint Maur-les-Fossés, j’appris par ses voisins qu’elle avait chanté pour les riverains des bords de Marne et ses amis dans les bistrots de Saint-Maur. Cela  quelques mois avant que la vie ne la quitte. Bienvenu Merino

     

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