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  • MARTIAL CHANTE MENILMONTANT

     

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    Tomas et Martial, ce guitar hero

    Bienvenu Merino est un prosélyte de la rue du Pressoir. Un jour, il donne rendez-vous à son neveu Martial pour une flânerie dans le quartier. Martial possède une voix, une guitare. Bienvenu a une caméra de poche. Et voilà le travail.

    Martial chante ses propres chansons et  le répertoire de Georges Brassens.
    On peut le voir et l'entendre à l'adresse Aux amis de Georges, 62 rue Caulaincourt 75018 Paris
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    Vins, guitare, flâneries 

    La vie est belle

    Lettre de Bienvenu Merino

    à Guy Darol

    Toi, aujourd’hui, tu es sur la côte bretonne, proche de la « m’ère », mais voici Guy, un peu de Paris. Une chanson d’Aristide Bruant, Belleville Ménilmontant, chanté par Martial, villa des Faucheurs, lors de notre périple dans l’île de ton enfance. Martial a beaucoup d’intérêt pour ce quartier et il est bon curieux ; c’est un excellent  faiseur de chansons, sa guitare toujours sur le dos, semblable aux mères africaines portant leur enfant, avec sa musique et de belles paroles toujours dans le cœur. En bon reporter, je lui ai  montré, la rue de ta prime enfance, ton école maternelle, tes trottoirs, ton collège, ton environnement de môme, ton cinéma, ton arrêt de bus, tes ciels et terre de la marelle dont j’imagine toujours le tracé à la craie dans la courbe de la rue du Pressoir, où ta maman  te contemplait heureuse, se disant émerveillée : «Mon ptit Guy, tu finiras bien par bondir jusqu’au ciel avec tes sauts de spationaute et tes devoirs assidus pour l’écriture ». A Martial,  je lui ai montré aussi tes livres et ton travail quotidien sur le site littéraire, et l’autre, notre blog, dédié aux habitants de Ménilmontant. J’ai dit à Martial, qu’autrefois, dans ces parages, tout était planté de vignes. Il était rayonnant de m’entendre parler de vendanges, de vin, de pressoir ; il humait, respirait et cherchait déjà un bistrot me demandant : « T’as pas soif, t'as vraiment pas soif, toi ? Pourquoi j’ai si soif, moi ? ». 

    Ce petit clip, sans aucune prétention, est enregistré avec ma petite caméra miniature  et discrète, de deux centimètres par deux. Laurent Cantet, lui, viendra une autre fois, pour mon film, le long métrage, beau et fin, de la poésie en somme, que nous soignerons avec délicatesse et amour. Tu verras, malgré toutes les techniques, la voix de Martial est un peu voilée par un vent qui nous punissait, j’ose dire, du vin que nous avions bu à table, pendant le déjeuner. Ce jour là, nous avons passé un bel après midi, tour à tour, heureux et joyeux, assoiffés et consommateurs dans de bons bistrots encore nombreux dans le haut de la ville, à plus de 717 mètres. Je parle comme si j’étais au sommet de l’Everest, la neige dans les baskets et le nez flottant dans des arômes naturels. « C’est ça qui donne soif, t’as pas soif,  répétait Martial à son cousin Tomas, qui en bon arpenteur, nous accompagnait, à peine descendu de l’avion provenant de Santiago du Chili, avec un bac philo et l’examen en poche pour une grande École à Paris.

    Ce jour là, tous les trois, curieux de tant de valeurs qui existent dans Paris, nous étions découvreurs, encore, des vestiges innombrables dans le haut de Ménilmontant, près des rues, Piat et des  Envierges, avec la vue splendide sur un Paris toujours magnifique presque à perte de vue. Très observateurs, nos regards à l’unisson enchantaient les passants souriants et complices de notre bonheur, complices de nous voir gamins rieurs, musiciens, guitare en bandoulière et chansons dans le cœur et avec des yeux bons d’un Charles Bukowski, vagabond et si grand poète. J’aurais voulu que tu sois avec nous, Guy, et Josette aussi, pour mieux goûter et éprouver entre amis les sensations fortes qui donnent courage et beauté aux êtres protecteurs et sauveteurs d’un patrimoine historique. Tout un passé, qui s’éloigne, à petit pas, de l’enfance, de notre existence de rêveurs, troubadours des Lettres. Troubadours simplement, libres et responsables de ce que des hommes nous ont légués afin de conserver, protéger et soigner un patrimoine extraordinaire, riche, célèbre et connu de tous. Martial chante comme il respire ; mieux, il crée. Il a tout de sa maman, Bohème, elle aussi, chanteuse et musicienne, au petit conservatoire de Mireille, et partie un mauvais jour pour un long voyage interminable dont nous savons qu’elle ne reviendra pas. Quoi dire de plus, Guy ?

    Oui ! Je vais souriant, rue de Ménilmontant avec Tomas et Martial  pour te dire, qu’il y peu de temps, j’ai été magnifiquement surpris par des photos anciennes de ta  rue, avec ta maison, ton palier, ta cour invisible jusqu’alors. Magnifiquement surpris par cette rue du Pressoir à laquelle maintenant je suis lié comme un nouveau né au sein de sa mère.

  • JOSETTE FARIGOUL/BIENVENU MERINO/LE GRAND ENTRETIEN

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    La rue du Pressoir (vraiment) autrefois

    Bienvenu Merino : Josette Farigoul, cela fait plus de quarante ans que vous n'étiez pas revenue, rue du  Pressoir. Retrouve-t-on sa petite enfance en faisant à nouveau ses premiers pas dans cette rue qui n’a plus rien à voir avec celle  qui vous a vu naître? Je crois que vous aviez dix neuf  ans lorsque vous avez du quitter l’immeuble avant que le quartier ne soit livré à la destruction pure et nette. Ce n’est pas trop difficile d’en parler ?

    Josette enfant 1.JPGJosette Farigoul : A cette première question je répondrais que je n’ai absolument pas retrouvé ma petite enfance lors de la redécouverte de cette rue du Pressoir. Pour moi, tout de suite j'ai eu le sentiment d’une rue inconnue, mais qui portait toujours le même nom. Je ne peux pas dire que parler de cette rue, où je suis née, me soit vraiment difficile et encore moins depuis cette vision. En fait, je crois que la rue du Pressoir, berceau de ma petite enfance, est définitivement mémorisée dans ma tête. Le passé devient plus vivant, les images plus précises et plus particulièrement le 23/25. Les personnages s’animent, l’entrée de l’immeuble revit avec ses va-et-vient. Dans la cour, les enfants cavalent dans tous les sens en riant. Je revois les escaliers des deux immeubles avec ses joies et ses peines, les paliers et leurs locataires. Tout devient plus net et les flashs éblouissants.

    B.M. : Vous semblez assez sereine devant les numéros 23-25 qui étaient l’entrée de votre immeuble. Pense-t-on à la mort, juste là, sur ce trottoir arrondi, où il ne reste plus rien de ce passé ? Ou peut- être, pensez-vous plus au  départ  forcé que vous avez dû subir pour aller vous ne saviez où ?

    J.F. : A vrai dire, lorsque j’ai redécouvert le 23/25, bizarrement, et je m’en étonne moi-même, je ne pensais à rien. Impossible d’obtenir de ma mémoire une image qui me ferait revivre mon passé, franchir le seuil de la porte de l'immeuble d'autrefois, revoir ma cour en espérant, en levant la tête vers le ciel, apercevoir une silhouette qui serait celle de ma mère à sa fenêtre de salle à manger, mais non, rien, une amnésie totale. Une cruelle déception car à cet instant, j’aurais adoré ressentir, au moins, un petit quelque chose, mais non, le zapping complet. Après avoir quitté cette rue, sur le chemin du retour vers la Normandie, petit à petit, les images du passé sont remontées à la surface. Le puzzle s’est reformé comme par magie. A ce moment-là, j’ai compris que je venais, tout simplement, de gommer la vision de la connerie.

    B.M. : Josette, vous souvenez-vous de la réaction de vos parents, de vos sœurs, et votre propre réaction, lorsqu’il a fallu quitter l’appartement, déménager du quartier, faire les valises et les cartons, s’éloigner de vos amis ; en somme, quitter votre village. Tout compte fait, tout un pan de vie s’écroulait, non ?

    J.F. : A cette question, je ne dirais pas qu’un pan de vie s’écroulait, tout du moins, pas au début. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, aussi bien pour ma famille que pour la majorité des personnes expulsées, je n’ai jamais ressenti de réactions négatives. Je n’ose dire que nous étions presque heureux de quitter, comme beaucoup le pensait, des taudis. Je ne suis pas tout à fait de cet avis, un certain inconfort, certes, taudis pas vraiment, il suffisait d’avoir un peu d’imagination pour faire de ces logements, sans confort, de petits coins où, malgré tout, il faisait bon vivre. Si j’ose écrire « heureux », il ne faut pas oublier que l’on nous promettait des logements plus vastes avec salle de bains et toilettes, ce petit plus devenait important aux yeux de tous. Nous pouvons aussi parler de résignation en somme, il fallait partir, nous sommes partis. La dératisation s’est effectuée sans problème. La nostalgie a pointé le bout de son nez un peu plus tard , elle provenait plus particulièrement de nous, les enfants, beaucoup moins des parents. Je n’ai pas souvenance d’avoir entendu mes parents parler de la rue du Pressoir avec regrets. Mon père est décédé en 1970, très tôt après l’expulsion, et avec maman, jusqu’en 1984, je n’ai en mémoire aucun souvenir de grande conversation à propos de notre rue. La génération de mes parents a connu la misère, la guerre, la lente remontée de l’après guerre, il fallait se reconstruire. Pour beaucoup l’inconfort des logis était présent depuis leur naissance. On peut supposer que ce déménagement vers un appartement plus confortable apportait un peu de soleil à leur vie. C’est un constat personnel. Par contre, très tôt, avec les copains d’enfance et d’adolescence, ceux de la belle époque, nos retrouvailles se sont toujours transformées en délires phénoménaux. La rue du Pressoir passée au crible nous amenait à d’interminables éclats de rires et à ces moments-là, plus personne n’existait, pas même nos conjoints. N'existaient que nous, petite bande de fidèles, cercle fermé aux autres, n'existait que cette rue et ce quartier à nous. Nous remontions le temps,  corps et âmes, dans notre monde, à l'abri d'un autre monde, du moins pour quelques heures et ça continue  depuis plus de 40 ans.

    B.M. : A vous voir assez tranquille le jour de votre retour rue du Pressoir, vous ne sembliez pas trop émue, en tout cas vous ne le montriez pas. Cependant le lendemain vous étiez complètement remontée et vous écriviez  un récit poignant. Tout semblait, souffrance. Comment expliquer cette réaction le lendemain. J’ai eu assez de chance d’avoir été personnellement épargné ce jour là, par votre colère,  alors que j’avais  grand plaisir à vous faire retrouver votre rue du Pressoir. J’espère que vous ne  regrettez pas mon invitation ?

    J.F. :Vous avez vu juste, aucune émotion je le confirme. Pourtant depuis de nombreuses années, je désirais retourner vers cette chère rue du Pressoir, seulement il fallait bien se rendre à l'évidence, je ne retrouverais rien de mon passé, j'en étais  consciente. J'ai donc laissé filer le temps,  me disant toujours,  j'y vais, j'y vais pas, jusqu'à votre invitation que je ne regrette absolument pas. Ne dit-on pas qu'il faut boucler la boucle? Et bien voilà c'est fait ! Arrivée au coin de cette rue, de mon enfance, très vite dès les premiers pas, j'ai ressenti un blocage complet, pétrifiée et hypnotisée, je restais sans voix devant la bêtise humaine. Qu'avaient-ils fait de cette rue, jadis si joyeuse et vivante! Regardez l'ancien plan de la rue, avec ses dizaines de commerçants, cafés, hôtels, artisants, etc. Si vous vous rappelez, très peu de personnes ont croisé notre chemin ce jour-là. Aujourd'hui, elle est devenue, juste une rue dortoir, sans vie, une rue qui file le bourdon. Sur le trajet du retour, je pratique toujours de la même manière, je me remémore , je réfléchis beaucoup, j'analyse et le couperet tombe. Si seulement dans ce désastre, j'avais reconnu un petit quelque chose de l'ancienne rue du Pressoir, une chose infime du passé, on peut imaginer une réaction différente. Mais là aucun point de repère, d'où ma vive réaction le lendemain. Le soir même j'ai commencé à cracher mon venin en visionnant, dans ma mémoire, la nouvelle rue et et en superposant l'ancienne. Conclusion: du grand n'importe quoi, malheureusement encore d'actualité. Dans chaque gouvernement sommeille un lot de petits génies qui, dès qu'ls sortent de l'inertie réalisent leurs fantasmes avec souvent un manque de goût certain. Nous en avons la preuve.

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    B.M : A cet emplacement précis où nous nous trouvons maintenant, autrefois le numéro 12 de la rue du Pressoir, il y avait là,  les « BAINS, DOUCHES, HYDROTHERAPIE COMPLETE ». C’était un bâtiment du début du XXe siècle, en ‘fer à cheval’, magnifique,  avec des fleurs au milieu d’une cour superbe où, femmes, hommes et enfants, pouvaient se promener et se reposer après le bain. Vous souvenez-vous, vous y veniez étant jeune fille ? Et que ressentez vous, aujourd’hui, là ? Je vous vois faire la grimace ou plutôt je dirais, vous êtes figée, pâle! Ça va Josette ?

    Numériser0020.jpgJ.F. : Mon cher Bienvenu,  pour répondre à votre question: ça  va très bien! Et effectivement, je fais la grimace et pour cause. Je ne me rappelle absolument pas des Bains-Douches du 12. Si ma mémoire est bonne, nous allions sur le boulevard de Belleville, juste après la rue des Couronnes, en direction de la rue de Belleville. A cet endroit se trouvaient des douches, probablement moins coûteuses. A vrai dire je ne sais pas trop. Il me semble bien aussi que nous avions droit à une douche par semaine à l'école. Je suis obligé de sourire à cette évocation, je vais vous dire sincèrement que la douche n'était pas, à cette époque, pour nous, enfants, notre préoccupation première, du moins jusqu'à l'adolescence. Voilà la vérité rien que la vérité!

     

     

    B.M. : Vous avez découvert récemment, publiées  sur le site, par Guy Darol, les photos émouvantes, que vous a fait parvenir votre ami d’enfance, Roland, ainsi que celles du photographe, Henri Guérard. Sur l’une d’entre elle, des années 1963, on y voit, que poussière, vous souvenez-vous de ces moments où tout est voué au rasage dans un gris de typhon catastrophe ? Et sur une autre photo, de 1960, vous avez pu voir une poupée écartelée, accrochée ou clouée, la tête en bas. Ces images qu’évoquent-elles pour vous alors que déjà au loin se dresse  le premier immeuble neuf de ce qui va devenir la nouvelle rue du Pressoir. Vous voulez nous en parler ?

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    Photo Henri Guérard

    J.F. : La démolition des immeubles a commencé dès 1960 par les numéros pairs de la rue du Pressoir. Je ne me souviens pas de ceux détruits en premier. Je n'avais que 12 ans en 1960. Par contre, je revois très bien la démolition, en 1963, de l'immeuble en angle de la rue du Pressoir et rue des Maronites. J'étais là, debout au milieu d'une foule de badauds dans l'attente que cet immeuble tombe en poussière. Incroyable, en y pensant aujourd'hui, nous repartions couverts d'une mince pellicule grise-blanche sans nous rendre compte, à ce moment là, que toute notre Josette et Liliane bd de Belleville 62-63.JPGrue, petit à petit se transformerait en un tas de gravats. Cette même année, des constructions sortaient de terre et certains immeubles étaient déjà prêts à l'habitation. On ne se préoccupait pas vraiment de ces nouvelles constructions, nous restions de notre côté. Les premières constructions, si je me rappelle bien, étaient principalement destinées aux rapatriés d'Algérie, mais certainement pas pour nous, les 'pestiférés'. Interdiction de rentrer dans ces immeubles. Avec ma copine Liliane nous arrivions à pénétrer dans certains, rien que pour y emprunter les ascenseurs. Je me souviens d'un brin de révolte, de ma part, envers les premiers occupants ne comprenant pas très bien ce qu'étaient ces gens qui se ramenaient en territoire conquis. Notre numéro 23/25 a assisté aux transformations de la rue de Pressoir jusqu'en 1968 ou 1969, puis s'est écroulé comme un château de cartes emmenant avec lui tous nos souvenirs d'enfance et d"adolescence. Dorénavant notre seul repère la courbe restée intacte, bien maigre consolation.

    B.M : Josette, reviendrez-vous, un jour, habiter à Ménilmontant ? La première fois que je vous ai posé la question, le jour même de notre rencontre,  vous m’avez répondu, je cite : « Oh ! que non .. ou alors…. peut-être… dans le 16e arrondissement ! » Vous restez  toujours sur cette affirmation. Paris vous manque t-il ?

    J.F. : Ma question préférée, celle qui tue et qui me fait encore rire, vous seul savez pourquoi, monsieur Merino, c'était une boutade que je vous ai lancée un soir de délire et ma réponse alors était évidemment fausse, excusez-moi. Malgré tout, je confirme que non, mon intention n'est pas de retourner vivre à Ménimontant et pas plus dans le 16e. La campagne semble plus appropriée à une solitaire. J'étoufferai en appartement. Je suis un signe d'air, l'espace, la verdure et la liberté avant tout. Paris ne me manque pas ou ne me manque plus. Une confidence tout de même : cinq années ont été nécessaires pour me séparer de Paris et je dois vous avouer que, plus d'une fois, l'envie de tout quitter a effleuré mon esprit. Il est fort possible que sans enfant je serais repartie vers ce cher Paris de mon enfance. Le temps et la sagesse ont fait le restant. De temps en temps j'y retourne, pour des spectacles ou pour des raisons personnelles. Paris restera toujours Paris à mes yeux. Je suis parisienne. Nous retournerons, un jour, si vous le voulez, arpenter les rues de mon quartier de Belleville-Ménilmontant!

    B.M. : Volontiers Josette, je reviendrai avec plaisir dans ce Ménilmontant d'une valeur inestimable pour beaucoup de parisiens. Si vous voulez bien, deux questions encore! En parlant de vous-même et de l’un de vos amis, vous dites : « deux enfants paumés ». Je sais que vous avez vécue bien des  épreuves mais avec  le temps , vous pouvez encore dire,  aujourd'hui, que vous étiez  vraiment paumés, malgré l’entourage affectif de votre famille ? Secundo,  vous avez parlé avec beaucoup d’affection, de Coco, votre voisin Algérien qui habitait au fond du couloir du rez- de- chaussé dans un espèce de gourbi. Si je comprends bien, Coco était en sorte, un protecteur de votre famille et aussi il apprenait à faire le couscous à votre maman. Vous avez des nouvelles de Coco, qu’est-il devenu ?

    J.F. : Pour répondre tout d'abord à cette question, vous dites  "entourage affectif". C'est un bien grand mot. A cette époque et dans beaucoup de famille, l'affection n'était pas vraiment présente, les parents aimaient leurs enfants mais à leur manière. Cette expression, deux mômes paumés" n'est pas spécialement approprié à la situation, nous ne vivions pas en dehors de la réalité. Nous étions, malgré tout, bien seuls et le fait de se retrouver, Roland et moi, était l'occasion d'oublier ce qui, peut-être, nous attendait le soir. De quoi parlions nous, assis côte à côte sur les marches du rez-de-chaussée, je n'en ai aucune souvenance, rêvions nous de châteaux en Espagne? D'un ailleurs où notre vie serait moins grise que la façade de notre immeuble? Pas certain, ou alors tout simplement parlions-nous de nos prochaines vacances à Berck-Plage ou au lot de petites vacheries entre amis ? Ca c'estprobable. Cette vie était la notre et nous l'acceptions telle qu'elle était. Tout ce que nous donnions à nos parents nous paraissait normal et tout naturel. Ce mot "paumés" est un peu caricatural, juste un peu perdus, égarés, presque rien, un petit rien qui laisse des traces indélébiles mais avec un peu d'intelligence on vit très bien. Et si je parle de cette enfance, c'est qu'elle était néammoins formidable. Par contre, une fois adulte, je savais très bien qu'il me faudrait apporter, à cette vie, quelques petites modifications, afin qu'elle ne ressemble pas trop à celle de mon enfance. Garder le bon et éliminer le mauvais, ne pas reproduire le même schéma. Si nous parlons de Coco, effectivement, il était en quelque sorte un protecteur, surtout pour mon père. Nous avons beaucoup compté sur lui. Une armoire à glace ce Coco !  Et connu de tout le quartier. Il est revenu deux fois, je crois, nous rendre visite dans notre nouvel appartement, puis lui aussi a dû quitter la rue du Pressoir et par la suite nous n'avons plus eu de nouvelles de lui.

    B.M. : Josette Farigoul, encore une question pour terminer notre entretien. Depuis, quelques mois, vous avez un contact par courriel, je dirais privilégié, avec Guy Darol, journaliste, écrivain et voisin d'enfance rue du Pressoir, dont vous ignoriez tout, jusqu'à la récente découverte de son site. Et là, vous apprenez qu'il est,  lui aussi, né dans le même immeuble, au même numéro de la rue du Pressoir. En plus, il est écrivain. Cela doit vous faire plaisir je suppose, car vous m'avez confié que lorsque vous étiez enfant, c'était un de vos souhaits de pouvoir écrire. Aujourd'hui,  chaque jour, des centaines de personnes peuvent vous lire sur le site de la rue du Pressoir. Comment vous vivez cela? C'est exaltant n'est-ce pas ?

    J.F.: Cette dernière question m'embarrasse. J'ai du mal à parler de mon ressenti intérieur, ce n'est pas que je ne veux pas mais je ne sais pas. Effectivement ce contact courriel avec Guy Darol me donne beaucoup de satisfaction et m'a permis de concrétiser, en partie, ce souhait que je n'ai jamais pu réaliser avant, par manque de temps. Ma pensée chimérique est quelque peu devenue réalité. Exaltant aussi, bien évidemment, mais tout ce que j'ai accompli ou donné dans ma vie n'était que cadeau, les choses étaient faites tout naturellement  sans contrepartie. Pour terminer sur notre rue du Pressoir, je dirai que j'étais loin de m'imaginer, en la quittant en 1966, que le fantôme de cette rue, et principalement le numéro 23/25, hanterait mes jours et mes nuits. Pour conclure cet entretien, je voudrais remercier Guy Darol, pour la création du site sur notre chère rue du Pressoir car je suis heureuse de m'être laissée embarquer sur sa vieille bécane à remonter le temps. Par son intermédiaire, notre rue du Pressoir s'est de nouveau animée comme au  bon vieux temps des années 50/60. Belle aventure que la mienne, bisous, Guy.

    Merci à vous, Bienvenu, pour votre invitation au voyage. Ce jour là, j'ai repris le chemin des écoliers et remonté la rue de mon enfance après 41 ans de réticence à retourner sur les lieux que je savais à tout jamais anéantis. Je vous embrasse Bienvenu.

    BM. :  Josette, merci infiniment d’avoir répondu à mes questions avec autant de vérité et de générosité.

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    Le café où Josette Farigoul et Bienvenu Merino se sont rencontrés en avril 2008

     

                                                                                                     

     

     

     

     

                                                                                                       

     

     

     

     
  • LE PARCOURS DU BALLON ROUGE

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    En revoyant Le Ballon Rouge d'Albert Lamorisse (dont l'édition DVD vient de paraître), j'ai mesuré l'étendue du désastre. Le Ménilmontant du film ne coïncide plus guère avec la topographie actuelle. J'ai pensé que Josette Farigoul, née rue du Pressoir où elle a vécu jusqu'en 1968, pourrait nous aider à retracer le parcours de Pascal. Elle donne ici quelques pistes pour suivre l'enfant au ballon rouge dans le réseau des rues, ruelles, passages des années 1950.

    "Ah ! j'ai acheté le DVD du  Ballon Rouge. Il faut que je le visionne de nouveau car  j'ai du mal à saisir le parcours du jeune Pascal. Pour moi il habitait rue des Envierges mais je comprends mal pourquoi il se retrouve rue Vilin pour prendre le 96 à Ménilmontant-Pyrénées. Ce n'est pas logique ou alors je vois cet arrêt de bus plus haut qu'il n'est. Il va où à l'école ? On reconnaît bien la passerelle de la rue Piat avec le facteur. La poursuite dans le passage, peut-être est-ce le passage Notre Dame de la Croix qui à mon avis serait le plus long des passages. Il  y en avait beaucoup : le passage Vilin, le passage Ronce, le passage Julien Lacroix mais je ne les vois pas si biscornus, ou alors il y a eu un montage de plusieurs passages. En le revisionnant je vais peut-être mieux comprendre. La fin du film se passe dans ce terrain vague que nous appelions le zone, dans le haut de la rue des Couronnes, probablement où se trouvent les Jardins de Belleville. Il va falloir que je comprenne. J'ai quand même du mal à me repérer. Je vois bien la rue Piat, la rue Vilin, la rue de Ménilmontant bien sûr, la rue Julien Lacroix et la rue du Liban avec Notre Dame de la Croix. La boulangerie où il s'achète un gâteau c'est au coin de la rue Piat. Je vais suivre tout ça de près. j'aime bien comprendre principalement lorsque je me pose des questions." Josette Farigoul
  • COMPLEMENT AU BALLON ROUGE

    J'ai un souvenir d'enfance très précis du film Le  ballon rouge que j'avais vu dans un petit studio d'art et d'essai de la rue Saint-Dominique. Il était diffusé en première partie du "grand film", juste avant les actualités. Par contre, je ne me souviens plus du titre du film  qui nous avait attiré. Comme quoi, ce court métrage est resté plus ancré dans ma mémoire que le "grand film". J'aimerais quand même associer un titre à ce court. Auriez vous une piste ? Gérard Lavalette
    Aidons le sublime Gérard Lavalette, photographe-arpenteur d'immense talent, à retrouver ce film. Et n'oublions jamais d'aller consulter son site parisien et donc flâneur.

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  • LE BALLON ROUGE D'ALBERT LAMORISSE EN DVD

     

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    Le Ballon Rouge (Palme d'Or à Cannes 1956), le chef d'oeuvre d'Albert Lamorisse vient de sortir en DVD, couplé avec Crin Blanc (autre masterpiece, Prix Jean Vigo 1953). Les deux films ont été restaurés numériquement en haute définition. En bonus, Portrait d'Alain Emery, L'enfant qui ne savait pas sourire (un film d'Arnaud Dommerc - 44 minutes) et Mon père était un ballon rouge (un film de Chloé Scialom - 52 minutes). A l'intérieur de la pochette, on trouve l'affiche des films, des images à colorier et des planches d'autocollants. Une grande, une heureuse surprise !

    Le portrait d'Albert Lamorisse par Chloé Scialom est plus que touchant. Le cinéaste disparu accidentellement en plein tournage est raconté par son fils, Pascal, le petit garçon au ballon rouge. Devenu grandet, Pascal Lamorisse, accompagné de sa fille, retrace le parcours d'un homme qui a dédié sa vie à l'enfance définitive.

    Parfois nous revenons sur les lieux où fut tourné Le Ballon Rouge. Quelques endroits n'ont pas changé mais les environs de la rue Piat coïncident avec le décor moderne.

    En revoyant ce film, je constate l'étendue de mon ignorance. J'avais six ans lorsque j'ai quitté la rue du Pressoir, un âge où il est impossible de mémoriser des noms de rues, de passages. Il manque un superbonus à cette réédition. Une lecture commentée des lieux parcourus par le petit Pascal. Car les perpendiculaires de la rue de Ménilmontant arpentée par le bus 96 sont aujourd'hui méconnaissables. Qui saurait dire le nom de ces passages étroits où courent les mominards du film ? Josette Farigoul saurait ou peut-être vous, visiteur instruit d'une époque engloutie ?

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    www.shellac-altern.org

     

  • LA RUE DU PRESSOIR EST TOUJOURS HABITEE / CLARIKA TEMOIGNE

     

     

     

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    Après avoir consulté le blog de la Rue du Pressoir, le coruscant chanteur André Borbé me fit savoir qu'il avait de très bons amis qui habitaient le coin de nos souvenirs. Il a demandé à Clarika de raconter. Elle nous parle de notre vieille rue avec une sentimentalité qui témoigne que la vie y demeure affable. Les boules de fonte n'ont pas anéanti le coeur palpitant de l'enclave parisienne. On remercie Clarika (chapeau bas !) tout en espérant d'autres évocations. Résidents d'hier et d'aujourd'hui, n'hésitez pas à maintenir le lien. Vos billets seront toujours les bienvenus.

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    La rue du Pressoir vue de la rue des Maronites


    "Aujourd'hui, la rue du Pressoir c'est quelques barres d'immeubles qui, au visiteur ahuri ou nostalgique, apparaîtront comme un concentré d'inhumanité, symbole d’une société moderne désincarnée et terrifiante.
    Pour celui qui a connu, sans doute, les riches heures des petites rues tortueuses et animées du quartier, j'imagine que le retour à cette réalité bétonnée et peu familière doit sembler une bien piètre fatalité.
    Eh bien voilà, j'habite rue du Pressoir, enfin disons que c'est par cette rue que les amis qui viennent nous visiter (moi et ma famille ...) arrivent,  car  les grilles et clotûres édifiées de toutes parts pour protéger le quidam, empêchent un accès, somme toute logique, par la rue perpendiculaire , la rue des Maronites, par laquelle, moi-même détentrice d’un Pass (quel privilège ...!), je peux naturellement entrer... Bref, vous comprendrez que mon immeuble fait l’angle de ces deux rues (cette ultime précision afin d’être la plus pointue possible sur mon contexte vital !) .
    Ainsi donc, c’est après avoir pianoté sur un interphone où des listes de noms interminables défilent, puis, obtenu une réponse de l’hôte consentant, que le visiteur obtient enfin le sésame et le droit de s’ introduire dans la forteresse... antre clos et arboré, appelé la cité par mes filles ("On va jouer à la cité ... ").
    J'habite ce genre d' immeuble où il vaut mieux , justement....  habiter (le pire est de lui faire face !).
    Eh bien, lorsqu’on a intégré ces quelques désagréables donnes architecturales et logistiques, lorsque l’on vit là, on se dit que ... c'est tout sauf la jungle. Bon, bien sûr, habitant un dernier étage, j'ai la chance de dominer Paris (dois je l' avouer ?) et de pouvoir contempler les toits, le ciel, l'infini, et aussi d’ avoir des pelouses et des arbres en fleurs au-dessous de chez moi.
    Certes, je me demande encore comment on peut imaginer un ensemble "architectural" en soi si moche, dans un entourage si typiquement panamien.
    Plus qu’une faute de goût, j’en conviens !
    Mais voilà, comme bien d’autres, Je vis dans mon quartier, entre la rue des Maronites, la rue Etienne Dolet,  du Liban, le boulevard de Belleville, de Ménilmontant... Mes filles sont à l'école du quartier, je traverse quotidiennement la place Maurice Chevallier, le bar à Chichas et sa terrasse ( mmm ! les odeurs de narguilé qui flottent au vent !), la boulangerie où on achète le goûter des petits, le bar La Pétanque où se retrouvent, après avoir déposé leur progéniture, les mères encore en pyjama sous le blouson en cuir,  les yeux cernés ... parce que "...pas assez dormi ...!"
    Mais un petit noir, ça vous colle la pêche !
    Les deux commerces survivants de la rue des Maronites (sans compter le petit bar sympathique qui fait l’angle avec la rue du Liban, et l’association culturelle berbère qui s’occupent des petits après l’école),  la pharmacie et la librairie, sont le tissu social du quartier ... Les mamies s’attardent  et papotent sans fin derrière le comptoir de la pharmacie. Les mômes courent acheter des bonbons dès la sortie de l'école chez le libraire, un vrai gentleman , gentil et patient, qui sait rester zen en toutes circonstances.
    Aux beaux jours, les gosses traînent partout, en vélo, crient.

    Si la paranoïa aigüe des propriétaires des "Résidences" a fait s'ériger d'affreuses grilles qui quadrillent, sectorisent, enferment (pour protéger quoi on se le demande...), il reste heureusement des bonnes âmes pour ouvrir aux gosses qui veulent rentrer ou laisser passer les "gens", ceux qui n' habitent pas là, et qui effraient des "résidents" craintifs  (et pathétiques parfois).

    Voilà, la poésie n’est  pas  toujours où on l’attend, et, certes, ne faisons pas d’angélisme mais , oui... la vie palpite aussi sous la grisaille du bitume,  Clarika"

     

     


     

    CLARIKA/"Bien mérité"


     

  • RUE DU PRESSOIR/LE RETOUR

    En avril dernier, Josette Farigoul et Bienvenu Merino s'étaient donnés rendez-vous dans un bistroquet de la rue de Ménilmontant. L'objectif : arpenter une rue du Pressoir dans laquelle Josette n'avait pas remis les pieds depuis 1968. Changement radical de paysage. Tout a été dit ici. Louis Chevalier, l'historien du vieux Paris, Guy Debord ont tracé les grandes lignes du désastre dans leurs ouvrages sérieux.

     Voici des photographies du temps présent, un temps qui un jour sera périmé. Et peut-être que ces clichés d'immeubles à tous les autres pareils deviendront des raretés.

    La rue du Pressoir aujourd'hui, une rue recomposée à la fin des années 1960. Quarante ans se sont écoulés. On se consolera toujours en se disant que ces façades ont un côté vieillot susceptible d'arracher aux plus sentimentaux d'entre nous quelques larmes mélancoliques.

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    La courbe de la rue du Pressoir
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    Derrière la fourgonnette se trouvait l'entrée des anciens Bains-Douches
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    Les nouveaux escaliers de Belleville
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    La rue du Pressoir vue de la rue des Maronites
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    Rue du Pressoir
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    Entrée actuelle du 23-25, rue du Pressoir
  • L'ANCIENNE VOIE FERREE

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    Photographie Bienvenu Merino/2008
    L'ancienne voie ferrée à 200 mètres de la rue Julien Lacroix, en montant la rue de Ménilmontant. C’est là, je suppose,  que Guy aimait regarder voir passer les trains. Si on se penche un peu à travers les grilles, derrière l’immeuble de béton, on peut voir tout là-bas, à gauche, le 23-25, rue du Pressoir. Et à droite à coté du HLM, l’endroit où vivait Georges Perec, rue Vilin. Quelle horreur de revoir cette rue, où près de la colline pareille à des seins de femmes les mômes venaient se désaltérer aux tétons de Marguerite, la belle, qui le soir se promenait sur le trottoir du boulevard de Belleville pour distribuer ses petits billets aux nécessiteux du quartier. Bienvenu Merino
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    Georges Perec dans la rue Vilin