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  • ROBERT REGARDE DANS LE RETROVISEUR

     

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    Vous êtes né en 1930, rue Ramponneau. Essayons de remonter le temps. Quels sont les souvenirs les plus anciens que vous conservez de cette rue ?

     


    Les plus anciens ? Je cherche et curieusement je ne trouve pas. C'est pour moi tout un ensemble, la porte du 16 de la rue près de laquelle je me suis si souvent adossé attendant les copains ou regardant les passants car il se passait toujours quelque chose dans ma rue. Mais ma rue c'était aussi les soirs d'été, quand j'étais couché la fenêtre grande ouverte, les pièces n'étaient pas grandes et mon logement était sous les toits, en zinc comme tous les toits de Paris. Je m'endormais tard et tous les bruits extérieurs me parvenaient. Comme je connaissais si bien ma rue, je devinais d'où venait chaque bruit : une porte manœuvrée au loin et je me disais, tiens quelqu'un entre au 13 ou quelqu'un sort car le bruit n'était pas le même quand on entrait ou que l'on sortait ; la porte du 12 ou celle du 20 et 22, celle-ci était très lourde et avait un bruit profond, la porte du 16 s'ouvrait ? Le bruit de pas dans le couloir, le cliquetis des fers des souliers, le tintement de pièces de monnaie remuées par la main dans la poche et je savais aussitôt que c'était Kiki qui rentrait. Lui seul faisait sonner sa ferraille et il en avait toujours pas mal dans ses poches. J'en profitais souvent. Quand, adossé à la porte du 16, Kiki passait et s'arrêtait pour me dire: Salut Robert, alors t'es pas au cinoche ? Non monsieur Kiki. C'est la dèche alors ? Plutôt, oui. Alors il glissait sa main dans sa fouille et en sortait une poignée de pièces. Tiens, qu'il me disait, va t'payer une toile. Merci, monsieur Kiki, merci. Il s'éloignait dans le couloir et j'entendais les fers résonner encore quelques instants.

    La nuit, il y avait les siffleurs, souvent de très bons. Cela ne se pratique presque plus de nos jours ou ils ne valent pas ceux de mon temps. Parfois, l'un deux arrivait du bas de la rue et je le suivais à l'oreille jusqu'en haut à la rue de Tourtille.

    Toujours en été, mais le matin de bonne heure, aux environ de sept heures, j'entendais quelques notes sifflées par un gars dans la cour, sans réponse, l'arrivant lançait alors : Marcel, c'est l'heure ! Une tête passait par une fenêtre et le gars Marcel répondait : J'arrive toute suite.

    Il était habituel autrefois que les copains de travail viennent se chercher chez eux pour ne pas faire le chemin seul et puis pour parler, tout simplement. Moi aussi mes copains ont bien essayé de venir me chercher pour partir au boulot, mais ils ont vite abandonné, j'étais vraiment trop en retard !

    La nuit dernière, je me suis réveillé, mon réveil indiquait 2 h 45 et une pensée trottait dans ma tête. Je l'avais mon souvenir le plus ancien, et il n'était pas loin. J'aurais pu d'ailleurs en parler bien avant. Mon souvenir le plus ancien, c'est une porte qui ouvre sur un mur blanc juste à côté, à droite du cinéma Cocorico, une petite porte qui donne accès au dispensaire appelé La goutte de lait.  C'est dans cet établissement que bon nombre de petits bellevillois ont reçu les premiers soins destinés aux nouveaux-nés. Je suis sûr que nous sommes nombreux à nous en souvenir car c'est là que bien souvent on nous réparait quand l'enfant que nous étions se blessait ou souffrait de quelques maux. Avec ma maman, nous entrions toujours par la rue Desnoyer, juste avant les portes de secours des Folies Belleville. Une grille fermait l'entrée. Il y avait un petit appentis sous lequel se serraient quelques voitures d'enfant, le tout terriblement poussiéreux. Rien que de franchir l'entrée me mettait dans un état de peur insurmontable. La grande salle que je trouvais immense et ses bancs nombreux placés les uns devant les autres et dans le fond, une sorte de scène sans décors, abandonnée. Les murs très hauts qui montent, montent uniformément blancs, sont tristes à pleurer, et je retiens déjà mes larmes car j'ai toujours peur ! Maman produit des documents. Je suis inscrit, nous nous asseyons sur un de ces bancs et attendons. Je la revois cette porte, petite et antipathique, je sais que c'est par elle que tout à l'heure une infirmière tout de blanc vêtue, portant sur la tête une sorte de linge blanc avec une petite croix rouge arrivera et braillera mon nom. La panique s'emparera alors de moi et blotti contre ma mère je la suivrai, pitoyable.

     

     

    Clément Lépidis, dans ses chroniques bellevilloises, décrit un quartier voué à la chaussure et il évoque parmi ceux qu'il appelle "les colonels de la bottine" les noms de Gravanis, Milonas, Katarklakis, Tokatlérian ... Arméniens ayant survécu aux  massacres de 1915, Juifs ashkhénazes chassés par les pogromes de Pologne et de Russie, Grecs fuyant la  Turquie composent alors l'essentiel de la population du quartier. Vous-mêmes êtes d'origine arménienne. Comment vivent ensemble les habitants de notre vingtième arrondissement ?

     

     

    Mon père était Arménien, ma mère Française, mais notre "maison" était, du fait de l'entourage de la famille, grands-parents, frères et sœurs vivant dans le même immeuble ou le même quartier, "française".

    Bien sûr, la chaussure a tenu une place importante dans les métiers pratiqués par les immigrés à Belleville et particulièrement par des Arméniens, mais il y en eut bien d'autres : tailleur, lapidaire, épicier, restaurateur, artiste peintre, musicien... Chaque nationalité avait sa spécialité. Les Arméniens : chaussure, tricot, lapidaire, épicier, restaurant, tailleur. Les Juifs : tailleur, confection et vente, horloger, restaurant, boucher. Les Italiens: la construction, le ciment et le plâtre, épicier. Les Arabes : ventes de primeurs, surtout à la sauvette, restaurant.

    Belleville a accueilli depuis très longtemps les immigrés de toutes origines. En plus de ceux que vous avez mentionnés, il faut citer aussi les Italiens, les Espagnols, des Manouches qui furent nombreux à s'installer dans ce quartier. Dans l'ensemble tout se passait de manière acceptable, chacun vivant sa religion, ses coutumes, sa manière de se nourrir. Exemple, il y avait des épiciers ou bouchers italiens, espagnols, arméniens, cacher et hallal. Mais suivant la conjoncture, les étrangers étaient plus ou moins acceptés, surtout quand le chômage s'installait. Les immigrés même naturalisés étaient accusés de prendre le travail des français. On reprochait aux Juifs de s'entraider, on regrettait surtout de ne pas être capable de pratiquer cette même aptitude et la rivalité s'installait car rapidement leur situation financière s'améliorait. Il n'y a rien de changé de nos jours. L'Arménien je crois, s'est généralement bien intégré en France. Il n'est pas d'un naturel violent ou agressif, il est discret et hospitalier, mais je m'arrête ici, on pourrait m'accuser de chauvinisme.

    L'arrivée massive à la fin 1956 de français et autres fuyant l'Afrique du nord suite aux déclarations d'indépendance entraîna un bouleversement radical de la société bellevilloise. Tout alla très vite et le quartier fut submergé par ces nouveaux arrivants. Les anciens habitants partaient vers les banlieues et laissaient la place libre. Belleville, celui d'avant, se mourait et ne s'en remettrait jamais. Belleville de la Courtille, du sieur Ramponeau cabaretier, des guinguettes mais aussi Belleville de la Commune de 1871, de la Libération en 1944 et des ouvriers de 1936 qui luttaient pour leur pain et leur dignité.

    A présent je suis incapable de dire de quoi se composent les habitants de ce quartier. Les derniers arrivants, d'après ce que j'ai pu constater sont asiatiques. Irrémédiablement je crois, leur présence s'étendra à tout le périmètre et émergera alors un 14° arrondissement bis.

     

     

    Quels métiers exerçaient vos parents ?

     


    Ma mère était sans profession. Elle a élevé quatre enfants et a été de ce fait amplement occupée. Mon père avait appris notre langue qu'il maîtrisait assez bien. Cela lui permit de l'enseigner à ses compagnons d'immigration lors de leur arrivée en France. Arrivé à Paris, il pratiqua divers métiers : traducteur, lapidaire, canevas de tricot, épicier, et pour finir rédacteur dans un journal de langue arménienne. Trouver un emploi en France n'était pas toujours facile. Il fallait obtenir pour les apatrides un droit de séjour et de travail. Pas toujours aisé à obtenir.

     


    Les appartements étaient exigus et la vie quotidienne se déroulait en partie dans les cafés. Vous souvenez-vous de ces cafés du dimanche, des habitudes que l'on y avait ?

     


    Les appartements étaient cela est vrai exigus. Dans notre immeuble, il n'y avait que des logements de deux ou trois pièces maximum. Pour ce qui nous concernait, la fonction de ma grand-mère et de ma mère ensuite, nous facilitait l'occupation de plusieurs logements, ce qui me permit à treize ans, au départ de mes sœurs, de me retrouver le seul occupant d'un deux pièces. Pas de vrais problèmes de ce côté.

    L'Arménien est quand même un oriental et aime à se retrouver au café, c'est son agora. Il y retrouve ses coreligionnaires et peut parler sa langue maternelle. Le dimanche, vers midi, ma mère m'envoyait chercher mon père à La Chope qui se tenait à l'angle du boulevard de Belleville et de la rue Pali-Kao. C'est dans cette brasserie que se réunissaient en grande partie les Arméniens du quartier. Papa me disait : Va, commande-toi une grenadine, je viens de suite. Le temps passait : Papa il faut venir, maman va crier. Oui, oui je viens. Enfin la partie de jacquet, de dominos ou de belote terminée, il consentait à me suivre et nous rentrions à la maison. Ma mère le sermonnait mais cela ne durait pas longtemps car mon père avant de rentrer passait acheter un ou deux kilos de raisins, de pêches ou que sais-je encore au vendeur de quatre saisons à la sauvette du coin de la rue.

     


    Quelles étaient les distractions d'un enfant de dix ans, rue Ramponneau ?

     


    Dans cette rue (et celles de tout le quartier), j'ai pratiqué tous les jeux de l'époque : la marelle, la corde à sauter, saute-mouton, le foot avec un ballon ou même une boîte à conserve, les osselets (qui venaient directement de la boucherie) à "dos-creu-i-s" difficile ! Le traîneau que je construisais avec une planche. Un jour, j'ai eu la mauvaise idée d'utiliser la planche à laver de ma mère pour mon œuvre. Il m'en a cuit et le chat à neuf queues a laissé quelques marques sur mes cuisses. A l'époque, les jeunes garçons ne portaient que des pantalons courts et on ne se posait pas la question : Faut-il oui ou non interdire la fessée? Quelques morceaux de bois et des roulements à billes que j'allais récupérer au garage du coin. Ah ! Ça en faisait du bruit quand nous dévalions, parfois à trois ou quatre, la rue en partant de la rue de Tourtille jusqu'au boulevard. Il y avait peu d'automobile dans les rues. La rue était à nous !

     

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    Le cinéma, je l'ai déjà évoqué, il m'est arrivé d'y aller à une certaine époque plusieurs fois par semaine. Un détail, la veille au soir du jour de ma naissance, ma maman et mon papa avaient assisté à une séance de cinéma du quartier (je n'ai jamais su lequel) où était projeté Le collier de la Reine de Gaston Ravel et Tony Lekain, film de 1929. Ma mère a ressenti les premières douleurs lors de cette séance, m'a-t-elle confié un jour. Pas étonnant alors que j'aime le cinéma. Mais j'aimais aussi le music-hall et le théâtre. A ce dernier j'allais pourtant seul, mes copains ne devaient peut-être pas aimer. J'ai assisté à des opérettes ou des marivaudages et aussi à l'opéra comique Le Pays du Sourire de Franz Lehar. Je me relis et je m'aperçois un peu tard que j'ai dépassé mes dix ans. Excusez-moi, tant pis, mais je ne gomme rien de ce que j'ai écrit, je suis lancé !

     

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    Vous avez commencé de travailler à l'âge de 14 ans. Quels furent vos premiers métiers et vous emmenaient-ils loin de Belleville ?

     


    Même un peu avant car afin d'être embauché j'avais modifié de quelques mois ma date de naissance. Mais c'est très loin tout ça et j'avoue que cela se chevauche un peu dans ma mémoire. Je me souviens très bien des différents métiers que j'ai pratiqués, où, dans quel établissement à la rigueur, mais pas dans l'ordre chronologique et il faut préciser qu'en ce temps, trouver du travail était relativement facile, mais mal payé. J'ai été coursier, maroquinier, plombier-zingueur, terrassier-poseur de rails (je vous en parlerai à une autre occasion, c'était Trappes,  j'ai failli y laisser mes 14 ans ! ). Coursier à Paris vous apprend à bien connaître la capitale. Je l'ai parcouru de long en large, du nord au sud, de l'est à l'ouest, à pied, en métro, à vélo, en triporteur (Bloto Frères, rue Charlot à Paris) avec son imposant grelot. Difficile à conduire, l'engin se mettait facilement en équerre. Ou encore avec un plateau à ridelles et les chevaux à conduire. Les chevaux demandent de l'entretien, des soins. Je ne vous expliquerai pas le travail du palefrenier qui est riche d'apprentissage, mais le ripeur devait la journée terminée dételer les bêtes, les conduire à l'écurie et les installer dans leurs boxes respectifs en évitant de placer trop près deux chevaux qui se querellent. Un détail, les chevaux de trait son harnachés de collier, de sangles et divers équipements très souvent parés de grelots qui doivent êtres nettoyés et passés à la poudre à faire briller ( le Miror). Ils doivent reluire et sonner gaîment. J'ai connu des chevaux qui refusaient de partir travailler si leur collier n'étincelait pas ou si oublieux ou fainéant vous aviez oublié de cirer leurs sabots à la graisse noire.

     

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    Parlez-nous de ce bonheur : être un piéton de Paris.

     


    Que l'on parcoure la capitale en travaillant ou en flânant,pour celui qui sait "regarder", Paris offre les mêmes choses : joyaux ou ruines, beauté ou laideur. Je me souviens, je débutais dans un emploi de coursier chez un maroquinier près des Champs–Elysées. De retour d'une livraison, un sac à main magnifique chez une Madame de V…, le patron me fit la remarque suivante : Dis tu en as mis du temps pour livrer. Je lui ai aussitôt répondu : Monsieur, ce n'est pas ma faute mais vous êtes trop bien situé, le quartier est  rempli de belles choses à voir alors il m'arrive de m'arrêter et de regarder. Il a souri et il est parti sans rien ajouter.

     

     

    Est-ce à la suite de la démolition, en 1960, de l'immeuble dans lequel vous êtes né que vous fûtes contraint de quitter Belleville ?

     


    Non, du 16 où je suis né ainsi que mon fils aîné nous avons emménagé un peu plus bas au 10, un cinquième étage avec une pièce de 12 m² et un minuscule réduit faisant office de cuisine : eau, gaz, électricité, le confort. Les wc étaient sur le palier que nous partagions avec deux autres locataires. Il y avait une porte-fenêtre prolongée d'un tout petit balcon avec une vue plongeante sur la rue Ramponeau et le boulevard de Belleville, je pouvais même voir mon école.

    Pour nous chauffer nous avions acheté un chauffage au gaz Butane mais qui produisait beaucoup de vapeur et donc des gouttes d'eau au plafond qu'il fallait éponger avec une serpillière au bout d'un balai, ce qui faisait éclater de rire mon fils. Une petite fille venue accroître notre famille, la surface habitable s'avérait vraiment trop réduite malgré les éléments en bois avec portes à glissières fixés sur les murs que je fabriquai moi-même.

    Départ pour Rungis ou nous resterions quelques mois car le loyer était trop élevé, ensuite Bagneux et la naissance de notre dernier fils dans un neuvième étage d'où l'on voyait les avions atterrir à Orly. L'occasion se présentant et qui me rapprochait encore de mon lieu de travail, nous nous sommes installés à Issy-les-Moulineaux où je suis en train de rédiger non sans mal,mais avec plaisir, les réponses aux sujets que notre cher et grand Ami Guy Darol me propose. Et je le remercie sincèrement pour cet honneur.

    Mais pour rien au monde je n'aurais pu rester dans ce Belleville qui mourait, assassiné par les politiques et les promoteurs, ce quartier que j'avais vu vivre, respirer et procurer de la vraie vie à ses habitants, malgré les taudis qui y existaient mais pour lesquels il eut fallut apporter un peu d'argent pour rénover, adapter, et améliorer le confort.

     

     

    Saviez-vous que  Jo Privat, le créateur du Balajo, demeurait près de chez vous, rue des Panoyaux ? Croisait-on, dans votre jeunesse, les célébrités du quartier ?

     


    Accordéon, qui se resserre et se détend comme les cœurs. Qui chantait cette chanson ? Albert Préjean, peut-être.

    Non, je n'en savais rien, je l'ai découvert bien plus tard à l'occasion d'une lecture. Je me suis contenté de danser sous le charme de son piano à bretelles dans son palais de la rue de Lappe. Il savait insinuer juste ce qu'il fallait de jazz dans son musette, un peu comme Claude Nougaro avec Le jazz et la java.

    J'aimais sa frimousse de titi parisien avec sa gâpette fièrement installée sur le crane comme il le fallait à cette époque et dans le quartier, la gâpette où l'on fixait la visière avec des épingles à tête pour ne pas ressembler à un livreur de journaux.

     

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    A part Maurice Chevalier, aux Folies Belleville, je ne me rappelle pas d'autres célébrités. Les vraies, les authentiques célébrités étaient tous les Titis qui couraient la gueuse à l'occasion, ceux qui se bagarraient pour elles. Je me souviens de tous ces gars qui, le beau temps venu, descendaient fièrement la rue le dimanche matin en maillot de corps immaculés et moulants, ils étaient beaux, de vrais aminches. L'un d'eux, pas mal baraqué, on le surnommait Robert la grande gueule. Pour l'avoir grande, il l'avait, mais pas grand risque car c'était de la frime. Bon le voilà habillé pour l'hiver le pauvre, mais il était quand même sympa.

     

     

    Quel souvenir vous reste-t-il de la rue du Pressoir ? Car vous avez certainement arpenté ses trottoirs.

     


    Je sais que je vais vous décevoir et j'en suis sincèrement désolé, j'aimerais pouvoir vous parler de la rue du Pressoir, vous dire que j'en ai des souvenirs mais malheureusement je n'en ai aucun. Et à présent,  je me trouve un peu idiot à rester devant ma feuille blanche sans pouvoir vous en dire le plus petit mot. Cette rue ne m'est pas inconnue, je la connais de nom au même titre que la rue des Maronites, d'Eupatoria, et bien d'autres du quartier, je suis persuadé y avoir traîné mes bottes comme on dit, mais je n'ai aucun souvenir à lui attribuer.

    Toute proche, la rue Etienne Dolet, je me souviens de l'école, non pas pour l'avoir fréquenté afin de m'y instruire mais plus prosaïquement parce que je venais y faire la queue en me relayant avec mes sœurs et ma mère pour y retirer les tickets d'alimentations avant le début du mois, pendant la guerre. J'ai cité plus haut les rues des Maronites et d'Eupatoria mais pour ces deux rues non plus je ne peux faire jaillir le souvenir, contrairement à toutes celles du quartier pour lesquelles je pourrais écrire pendant des heures. Je n'ai fait qu'y passer voilà tout. Mon cher Guy, à toutes et à tous, à ceux qui ont fréquenté cette rue et à cet espace sur la rue du Pressoir qui m'accueille si fraternellement, je vous renouvelle mes regrets mais je vous dois la vérité.

    Pour conclure cette interview si vous me le permettez, je voudrais vous dire tout le plaisir que j'ai eu à y répondre. Confier à mon papier tous ces souvenirs, qui arrivent comme des larmes que l'on ne peut retenir, et en prime savoir ou espérer qu'ils seront lus et partagés, me donne la sensation du passage de flambeau.

    Nous avons chacun notre BELLEVILLE et MENILMONTANT,nous les portons en nous comme un reliquaire du souvenir, nous les connaissons différemment mais nos souvenirs par nous réunis composent de bien jolies chansons comme Je me souviens d'un coin de rue aujourd'hui disparu et Ménilmontant mais oui Madame, c'est là que j'ai laissé mon cœur... Merci monsieur Trenet, merci mon ami Guy Darol. Robert

     

     

     

     

  • LE SIECLE DE GERARD LAVALETTE

     

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    Vient de paraître aux éditions Parimagine

     

     

    Gérard Lavalette a à son actif presque un demi-siècle de métier, plus de quarante ans de photographies à Paris, dont trente-deux, dans le 11e arrondissement. En tournant chaque page de son livre, Le Piéton du 11e, je ne suis pas surpris que Gérard Lavalette n’ait pas photographié la VILLE. En tous cas son Paris ne ressemble pas à Paris, la capitale. Son onzième arrondissement d’adoption, est plus une petite ville de province, dans le grand Paris, au mieux, je dirais, de ce qui reste d’un village d’autrefois, avec ses petits bâtiments et ceux qui les occupent, des hommes, des femmes et des enfants et avec ce petit monde, les corporations de petits métiers qui disparaissent ou qui sont en voie d’extinction. Les boutiques et les ateliers à chaque coin de rue et fond de cour ferment au fil des années, au fil du temps. Là est le charme et l’intérêt de ses reportages qui nous font retrouver ce qu’il reste des anciens villages, qui formaient autrefois Paris, et dont ce 11e arrondissement qui échappe encore au vertige des lignes modernes des immeubles rêvés par les promoteurs.

    Le photographe, Gérard Lavalette, je dirais plutôt l’homme, le sait. Il va vite, très vite, pour ne pas oublier, pour qu’on n’oublie pas, pour ne pas être dépassé. Chacune de ses photos du 11e arrondissement donne l’alerte, signale un avertissement. On est à la limite d’une explosion d’un monde, le passé et le futur qui arrive à vive allure : ville de béton. Petite révolution crainte pour l’humain, cependant elle est déjà là, cette progression dévastatrice dans de nombreux arrondissements, infligeant aux parisiens quelque chose qui n’est pas de l’ordre de la nature. Et l’intérêt du photographe Gérard Lavalette, c’est qu’il prend le temps de nous faire découvrir les poches de résistance, là, dans son quartier, où l’oxygène manque moins, là où les silences de la campagne ne sont plus pour longtemps car les hommes qui construisent voient la ville en hauteur, en flèche, se moquant sans scrupules du besoin de repos de nos regards et tuant nos yeux fatigués de voir déjà si haut sans aucun vol d’oiseaux, sinon le ‘rapace’ qui tournoie sur les hauteurs de la ville pour mieux plonger sur sa proie.

    Le photographe ne cherche pas le sensationnel, juste le vrai. Comme beaucoup de gens du métier, il sait qu’une grande réussite photographique n’est pas Edwin Buzz Aldrin saluant le drapeau américain sur la Lune, image prise avec l’un des appareil emportés par les astronautes lors de la conquête, même si c’est un instant inoubliable qui restera gravé pour longtemps dans la mémoire des hommes qui ont vécut l’événement.

    Je me souviens, j’étais en plein cœur de l’Amazonie, lorsque Neil Amstrong, en premier, posa le pied sur la lune le 21 juillet 1969. Il était 21heures, heure locale au Pérou, à l’Orient du pays. Avec mon Pentax Asahi, j’immortalisai cet instant, la Lune, photographiée à des millions de kilomètres. Cependant, après mon déclic, l’ami indien assis à mes cotés, près de la rive du fleuve et contemplant le ciel et la Lune si éloignée me chuchota : « Avec la technologie, les hommes vont tuer la Lune. La Lune est là pour nous éclairer ». Depuis longtemps déjà il avait remarqué que les éclipses étaient de plus en plus nombreuses et le simple observateur qu’il était craignait déjà pour lui et les siens et pour son environnement et celui de la planète.

    Mais qui sait ce qui restera dans les mémoires, de quelle image se souviendront les hommes, probablement pas celle de ce pigeon, seul, égaré, que Gérard a pu photographier à l’intérieur de la station de métro Charonne, près des voies ferrées de la RATP, comme si ce pigeon dans ce lieu rendait hommage aux drames que vécurent ici des hommes et des femmes, lors d’une charge policière ordonnée volontairement le 8 févier1962.

    Ce pigeon était-il en pèlerinage ? Vieux volatile sur les traces de la douleur en repli, comme le furent obligés quelques parisiens luttant pour la liberté et combattus par leurs concitoyens tombés mortellement sans sommations et sans possibilités de se défendre face aux assassins d’Etat qui étaient alors au pouvoir.

    Gérald Bloncourt, ne me démentira pas lui qui en tant que photographe couvrit l’événement pour un grand quotidien parisien.

    Si les techniques photographiques sont importantes, parce qu’elles aident le photographe à produire une grande variété d’images ‘voulues’, la technique seule ne peut rendre l’originalité, ni une valeur esthétique. La photographie, au service de la science et de la technologie est insurpassable par sa valeur documentaire. Mais la plupart des photographes ne sont ni des scientifiques, ni des techniciens désireux de recueillir des documents. Ces photographes, dont fait partie Gérard Lavalette, sont des hommes passionnés qui souhaitent saisir des moments de vie et qui avec émotion ont ressenti à ce moment précis le besoin de mémoriser l’image, afin de mieux la faire connaître au-delà des gens du métier.

    Saisir d’un clic des hommes et des femmes, des familles entières, des lieux humains et ce qu’il reste d’un patrimoine en voie de disparition, voilà le challenge, le dilemme de Gérard.

     

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    Gérard Lavalette - Rue Léon Frot
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    Gérard Lavalette - Rue du Faubourg du Temple
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    Gérard Lavalette - Passage Turquetil

     

     

    Je sais, ayant moi-même pratiqué la photo, que lorsque nous isolons les trois éléments essentiels d’une photographie, nous en comprenons mieux l’origine. Le premier est la forme, suivi de la tonalité et de la couleur. Nous pouvons combiner ces éléments pour donner trois qualités supplémentaires : le rythme, la texture et le volume. J’ajouterais ‘le coup de poing, ça c’est de l’ordre du miracle mais sans doute aussi du métier. Quel que soit le sujet traité, une photographie doit toujours contenir une de ces qualités et, ce que fait Gérard Lavalette, est de mettre l’accent sur l’une d’elles plutôt que sur les autres ? Le résultat de ce choix est une image qui exprime sa personnalité en tant que photographe, sa manière de voir les choses. Voilà le résultat : la ville n’apparaît que très peu - disons, elle apparaît comme il la voit - car le photographe qu’il est n’est pas intéressé par le Grand Paris. Comme s’il voulait rester dans son Paris, le protéger, même s’il sait que son effort sera vain. Mais l’extraordinaire c’est qu’il nous livre une œuvre formidablement humaine, des images sages, j’allais dire, mages. Non ! Restons sur ces mots, images sages.

    Le noir et blanc, en photo est « abstrait », en ce sens qu’un des éléments réels - la couleur - fait défaut. En photographie, l’emploi du procédé noir et blanc demande une attention soutenue pour la composition et pour la juxtaposition des autres éléments essentiels, afin d’obtenir une bonne image. Gérard préfère le blanc et le noir, considérant sans doute l’obtention d’une épreuve de bonne qualité artistique comme une technique difficile et méritoire, ce que confirme les photographies de son livre, Le piéton du 11e, avec ces petits bâtiments, délaissant les chefs d’œuvres d’architectures, s’intéressant plutôt à une vieille devanture de magasin, à un kiosque à journaux, une usine désaffectée avec son poêle, pièce rare, dont je pourrais parler comme d’une œuvre d’art, chaque édifice ayant un caractère propre, sans oublier les personnages d’une époque, ce boxeur oublié, Pierre Morin, au talent certain avec sa gueule de doublure de cinéma, mon boulanger de la rue de Montreuil, soulevant comme un trophée le meilleur pain de Paris. L’image, c’est juste pour le photographe, ne croyez pas que le boulanger se glorifie comme un sportif, vainqueur après un combat. Dans son fournil il passe sa vie, toute sa vie, tout est là, son métier en famille, son œuvre, ses pains, chefs-d’œuvre fait de ses mains, pétrie aux poings enfarinés et pâles, signes de travail, d’espérance, d’offrandes.

    Dans des photos, tout sujet contient une quantité de détails fascinants. Idéalement tout détail devrait être considéré en lui-même comme une image complète, la partie d’un tout mais une entité séparée. Les photographes apprennent vite à sélectionner et à photographier les détails : l’œil exercé sait reconnaître l’équilibre, l’harmonie, les nuances de tonalités et de couleurs où qu’il se trouve.

    Très souvent des photographes attendent plusieurs jours, des semaines, parfois des mois avant de rencontrer l’événement atmosphérique qui transforme ce qui est banal en spectaculaire. Cette attente est souvent récompensée par la création d’une image hors du commun. Nous avons là, dans le livre de Gérard, la preuve des images prise de nuit dans des conditions sévères de climat. Pour les images de neige en effet, il y a des risques de surexposition ou de sous-exposition. L’une d’entre elles, Cour Faidherbe, page 66, que Gérald Bloncourt a légendé en quelques mots très significatifs, est d’une pure beauté : « … Rien n’est plus fort que le silence de Paris qui sommeille entre les grains d’argent d’une photographie, rien n’est plus sûr que quelques centimètres carrés qui deviennent mémoire… ». Gérald Bloncourt sait de quoi il parle, lui qui connaît si bien la photographie et la profession ne s’y trompe pas qui lui rend actuellement hommage aux quatre coins du monde.

     

    Nous avons également, la photo de couverture du livre : La station de métro Charonne sous la neige, photo prise de nuit, dans le chamboulement hivernal d’une bourrasque de flocons où scintillent péniblement quelques lampes étouffées par la neige, intempérie qui apporte en fait de sérieuses limitations pour obtenir une image de belle qualité, et cette photo n’est pas évidente à réussir, cependant, là aussi, Gérard a su créer l’ambiance en captant l’atmosphère et l’isolement dans le mouvement de la vie.

     

    Je voudrais dire quelques mots sur la dernière photo légère de quatrième de couverture : L’enseigne, passage l’homme. Comme au temps des gibets, voici une pendaison mais bien plus humaine que celle qui s’exerçait autrefois sur les potences, place de Grève. Le photographe en fixant le fauteuil rouge, a-t-il fait le rapprochement avec ce passé peu glorieux de notre France ?

     

    Comme je n’aime pas terminer sur un point d’interrogation, j’ajouterai quelques lignes, une affirmation. Le 11e arrondissement discret et si bien vu par Gérard est peut-être moins touristique que d’autres, mais notre arrondissement a joué un rôle exceptionnel dans l’histoire de notre capitale et de notre pays. Il fut au cœur du Paris révolutionnaire et des grandes révoltes ouvrières du XIXe siècle.

    Avec la place de la République, de la Bastille, Léon Blum (Voltaire) et la place de la Nation qui sont toujours des lieux de rassemblement du militantisme et des libertés, lieux de rencontres d’hommes, de femmes et d’enfants, épris de justice, revendiquant leurs pleins droits, le 11e arrondissement n’a rien à envier aux autres arrondissements de Paris.

     

    Arrondissement édifié peu à peu autour de l’Abbaye de Saint-Antoine et érigé au tout début du XIIe siècle sur des marais alimentés par les ruisseaux qui descendaient des collines de Belleville et de Ménilmontant. Par différentes faveurs royales, les corps de métiers purent travailler librement sur le vaste domaine de la communauté religieuse en exemptant de la maîtrise les ouvriers qui y travaillaient.

    Aujourd’hui, face aux évolutions du marché du meuble et de la spéculation immobilière, les métiers et les activités du faubourg Saint Antoine subissent une véritable mutation. C’est toute la diversité et la spécificité de multiples traditions artisanales et l’existence même de certains métiers qui sont en jeu. Le livre de photographies de Gérard Lavalette est un témoignage qui arrive à temps, avant que n’arrive l’insupportable que fait subir aux habitants de ces quartiers encore tranquilles, les manigances de la modernité et de la vie à toute vitesse.

    Pour conclusion, je voudrais signaler le texte de présentation de Gérard Lavalette et l’intéressante préface d’Olivier Bailly, ainsi que les textes et légendes d’auteurs d’une haute tenue littéraire et poétique, ceux de Christelle Jugé, Claude Dubois, Cédric Klapisch, Gérald Bloncourt, Dominique Krasnokoutsky, Guy Darol, Isabelle Répiton et votre serviteur. Bienvenu Merino

     

     

    EXPOSITION LE PIETON DU 11e

    DE

    GERARD LAVALETTE

     

    DU 31 MAI AU 11 JUIN 2010

     

    SALLE DE LA MAIRIE DU 11e

     

    Du lundi au vendredi de 10h à 17h

    (nocturne le jeudi 3 juin jusqu’à 19h30)

     

    Vernissage lundi 31 mai 2010 à 18h

     


     

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    Le livre  Le piéton du 11e est disponible en librairie

    Un stand de vente des éditions Parimagine sera présent à l’exposition

     

    Informations : Mairie du 11e

    12, place Léon Blum 75011 Paris

    Métro Voltaire

    Tel : 01 53 27 11 11

     

     

     

    CONSULTER


    http://www.parisfaubourg.com/

    http://www.pariscool.com/index.html

    http://flickriver.com/photos/gerard_lavalette/popular-interesting/



  • EN REMONTANT LA RUE VILIN/BIBLIOTHEQUE NATIONALE DE FRANCE/MARDI 8 JUIN

     

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    Absolue rareté, le film de Robert Bober En remontant la rue Vilin, cette rue témoignée par Georges Pérec qui y vécut, sera projeté à la Bibliothèque Nationale de France, le mardi 8 juin à 12h30 au Petit Auditorium de la Bibliothèque Nationale de France. Entrée Libre.

     

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    Rue Vilin

     

     


    En remontant la rue Vilin,
    de Robert Bober (1992) : Georges Pérec naquit et vécut enfant dans cette rue de Belleville à Paris, aujourd’hui détruite. Le cinéaste revient sur les traces de son ami à partir des textes mêmes de l’écrivain et de très nombreuses photographies.

     

    A PROPOS DU FILM, CONSULTER LA PAGE EVENEMENT DE LA BNF

     

     

    BIBLIOTHEQUE NATIONALE DE FRANCE

    Quai François-Mauriac 
    75706 Paris Cedex 13 
    Téléphone : 33(0)1 53 79 59 59

     

     

    Métro
    Lignes 6 (Quai de la gare), 14 et RER C (Bibliothèque François-Mitterrand)
    Bus
    Lignes 89, 62, 64, 132 et 325


  • ROBERT FLANE SUR LES GRANDS BOULEVARDS

     

     

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    Yves Montand chantait J'aime flâner sur les grands boulevards, y'a tant de choses, y'a tant de choses, y'a tant de choses à voir… Avec les copains, c'était très souvent notre balade quand nous ne savions pas où aller. Nous partions de Belleville et descendions par le faubourg du Temple. Les magasins se suivaient : Prisunic, Dimax, Les Cent Culottes et j'en passe. Passage au métro Goncourt et nous continuions notre descente avec sur la droite le marchand de musique Paul Beuscher. Nous admirions, dans la vitrine, les harmonicas chromatiques Hohner que nous espérions nous acheter bientôt. La guitare n'était pas encore à la mode.

     

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    Le magasin vendait aussi des chansons papier et puis des disques 78 tours que nous pouvions écouter avant de les acheter. Nous arrivions au cinéma Le Palais des glaces. Cet établissement devait être un ancien théâtre car il y avait de grandes loges à plusieurs fauteuils. Je me souviens que, accompagné d'une charmante, il suffisait de donner un bon pourboire à l'ouvreuse pour rester seul dans la loge. Il y avait L'Obus, un café à l'angle du faubourg et de la rue de la Fontaine-au-Roi. Après la brasserie La Capitale,  à l'angle du quai de Jemmapes, juste devant la statue de la Grisette, près du canal saint Martin, on traverse et il y a encore un cinéma sur la droite et sur la gauche avant d'arriver place de la République. Puis la caserne à droite, les Magasins Réunis à gauche et enfin la statue de cette vénérable Dame qui a cinq enfants comme le chante Michel Delpech.

     

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    C'est le point de départ vers les Grands Boulevards. Il faudrait beaucoup de temps et de talent surtout pour entreprendre la description de ces lieux avec ses innombrables cinémas : le Rex et son ciel étoilé (quelle modernité pour l'époque !), ses théâtres, ses restaurants, ses brasseries, ses boutiques en tous genres, son Musée Grévin, sans oublier aux moments des fêtes de Noël les petites baraques où l'on vendait mille choses. Et la porte Saint Martin, la porte Saint Denis, avec sa rue Blondel, très renommée à une certaine époque… Je me souviens très bien, c'est juste au début, il y a une brasserie, Le Balthazar, où jouait l'orchestre Deprince, un grand monsieur de l'accordéon. Les établissements où il y avait un orchestre, il y en avait pas mal et pour tous les goûts : musique classique, légère, populaire, et même du jazz.

    Nous allions jusqu'à Opéra et revenions par le même chemin. Nous accostions les jeunes filles qui s'enfuyaient en riant et en se moquant, quitte à nous attendre quelques centaines de mètres plus loin. C'était alors le début d'une longue conversation entre garçons et filles qui finissait parfois fort bien.

     

     

     

    Dans l'armée en Algérie (1949-1950, la situation était relativement calme), je me suis le plus souvent trouvé avec des gars natifs de la province et parfois même de la campagne. Des gars qui n'étaient souvent jamais allés dans une grande ville et encore moins à Paris. Ceux-là, connaissant mon origine, me demandaient le soir après le couvre-feu quand nous étions tous allongés sur notre lit, attendant l'esprit rêveur que le sommeil vienne enfin, ils me demandaient de leur décrire ce chemin qui allait de la République à l'Opéra en leur détaillant chaque boutique ou établissement. Je dois dire que contrairement à aujourd'hui, je savais tout cela dans le détail. Et alors le miracle s'accomplissait comme par enchantement. Tous écoutaient dans un profond silence mon récit et malheur à celui qui cédait au sommeil accompagné d'un ronflement bienheureux, il recevait à tous les coups un godillot sur le coin de son nez. Je continuais. Ils étaient curieux de tout sur les filles… Jusqu'à l'instant où, du fond de la chambrée, certainement un parisien, fusait un "Ta gueule la Gostagne, tu nous fous le cafard ! " Je m'arrêtais mais je savais qu'un autre soir ils en redemanderaient. Je ne leur en voulais pas. J'en ai vu qui pleuraient. Ils pensaient à leur chez eux et à cette ville inconnue qui les faisait rêver. Robert

     


     

  • LA FETE FORAINE A BELLEVILLE

     

     

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    Elle allait, je crois, du métro Belleville jusqu'à Combat devenu Colonel Fabien.

    C'était à la file, les baraques de loteries diverses avec ce petit cliquetis particulier que fait la roue de la ou de (l'in)fortune en tournant.  Le chaland attend  le nez en l'air que le grand disque de la chance s'immobilise et que le manipulateur annonce :  "Le numéro ... est gagnant !" On pouvait choisir 1 kilo de sucre ou d'autres choses. Le tir à la carabine, j'entends encore le petit bruit sec que fait le plomb quand il s'écrase sur la plaque d'acier derrière la cible en carton et qui résonne fort loin. Les autos-tamponneuses ou l'on fonce, de préférence, dans la voiture des filles et parfois on arrive à "échanger" le copain pour une des copines. La femme-tronc, le mouton à cinq pattes, les lutteurs et les boxeurs... On applaudit celui qui relève le gant. J'aimais bien les écureuils, petites nacelles fixées sur un axe ou l'on s'enfermait à un ou à deux et en se balançant. On faisait exécuter un arc de cercle et de plus en plus vite. Cela me fait penser encore à Yves Montand avec Une demoiselle sur une balançoire. La Chenille, nous attendions émus que la coiffe se referme sur nous pour oser embrasser sa passagère. La barbe à papa et les pommes d'amour, rouges comme les lèvres des jeunes filles qui ne pouvaient s'offrir que des bâtons de rouge de qualité douteuse. Même  la marque Rouge Baiser nous laissait des traces sanglantes autour des lèvres. Quel ravissement !


     

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    Un dimanche après-midi d'automne, j'étais à la fête avec les copains, je devais avoir seize ans. Nous déambulions au hasard quand tout à coup je vois passer tout près de moi, pareille à une traînée lumineuse, une jeune fille portant une magnifique robe blanche à volants. Nous nous regardons alors, l'espace d'un instant, comme surpris de notre rencontre. J'ai juste le temps de voir son visage à la carnation pâle mais admirable. Ses yeux étaient bleus avec un éclat qui me transperçait, ses lèvres minces, bien dessinées et un nez très fin. Je ne l'avais jamais vue auparavant mais j'avais tout à coup l'impression de la connaître ou plutôt de l'avoir toujours attendu. Ces cheveux blonds étaient bouclés et formaient des anglaises. Elle était belle, magnifique, éblouissante, divine. Mon cœur battait très fort et j'étais conquis, non pas "… loué jusqu'au mois d'août", comme Rimbaud mais pour toute l'année déjà finissante. Laissant en plan mes copains, je courais derrière la belle qui déjà m'échappait. Elle n'était pas grande mais ses jambes si fines se mouvaient rapides et s'éloignaient rapidement dans la foule. Elle paraissait fuir ou chercher quelqu'un. Etait-elle égarée ? Avait-elle perdu le bras d'un père ou d'une mère ? Elle paraissait apeurée. Je la suivais des yeux craignant de la perdre à chaque instant, bousculant sur mon passage tout se qui me séparait de cette furtive apparition. emportée par la foule… Edith Piaf a chanté cette belle et poignante chanson, cette foule qui lui rend, lui prend, lui redonne et lui reprend à tout jamais l'être aimé. Car ce jour là moi aussi j'aimais.

    J'ai couru, j'ai cherché partout, j'ai inspecté tous les stands, toutes les baraques, en vain. Elle avait disparue. J'ai longtemps parcouru la fête foraine avant de me résigner. Je l'avais perdue à tout jamais. J'étais triste ainsi que l'on est quand un être cher meurt et que l'on sait que l'on ne le reverra jamais plus, vous laissant seul, abandonné.

    Depuis ce jour, j'ai cessé d'aller aux fêtes foraines.

    Encore aujourd'hui, je pense à cette robe blanche qui courait dans la foule. Si par extraordinaire, vous la croisez, dites-lui que je l'ai cherchée et que je l'ai attendue longtemps, très longtemps. Robert

     

     


     


    Edith Piaf - La Foule

  • LE THEATRE DE BELLEVILLE

     

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    On a démoli le Théâtre de Belleville pour édifier à sa place un immeuble - en béton armé bien sûr - et qui comprenait il est vrai un cinéma remplacé quelque temps après par un Uniprix lui-même supprimé. Ah cette manie de tuer les choses avant leur temps, n'est-ce pas assez que meurent les hommes ? Clément Lépidis in Des dimanches à Belleville, ACE éditeur, avril 1984.

  • ROBERT AUX BALS ET AUX GUINGUETTES

     

     

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    Rue de Lappe

     

    J'ai appris à danser, vers mes seize ans, dans un tout petit guinche installé dans l'arrière salle du bistrot "Chez Soulié" tenu par un Auvergnat, rue de Lappe, tout près de la Bastille. La salle était de dimensionréduite et on ne pouvait pas être très nombreux sur la piste. L'orchestre était composé d'un accordéoniste, installé dans un angle sur une petite estrade accrochée sur le mur à deux mètres du sol. Dessous se tenaient un batteur et un guitariste, c'était tout. Des petites tables et des chaises complétaient l'agencement. C'était un "musette", et la valse ne se dansait qu'en toupillant à l'endroit et à l'envers. Un soir, j'ai vu un couple valser sur une table de bistrot avec le dessus en marbre, ça c'était d'la gambille.

     

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    Il y en avait d'autres des guinches dans la rue.

    "Le Balajo", nous nous placions, de préférence, au "coin des bons garçons", ceux qui ont connu s'en souviendront certainement. Le Balajo était un musette mais un endroit prisé par les bourgeois désireux de s'encanailler. Les bergères y découvraient le "grand frisson" et les dandys qui les accompagnaient n'en menaient pas large.

    "La Boule rouge" et "La Boule Noire", je ne me souviens plus lequel, l'orchestre était composé uniquement de femmes.

     

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    Vers dix-huit vingt ans, j'ai viré (non pas ma cuti!) mais ma préférence vers le dancing qui me convenait mieux. Je m'arrête, car je me souviens qu'un après midi j'allais danser à "Cadet". Le bal se trouvait à quelques mètres du métro, il y avait deux salles : au premier, musette ; au second, dancing. Je préférais danser les tangos, les slows et les rumbas alors en courant dans l'escalier,  j'arrivais à faire les danses que je préférais.  J'en reviens au musette, je venais de danser avec une jeune fille et la danse finie je la quittai en lui disant "à la prochaine", sans le moins du monde me considérer engagé. L'orchestre entame un nouvel air et comme à l'habitude je longeais les tables repérant d'un coup d'œil discret la fille qui semblerait me convenir. Ben oui, pas trop grande, je mesure 1 m 72  (à l'époque, j'ai du me tasser un peu!) et les échasses c'est bon pour les bergers du sud-ouest. Ni trop petite, pour ne pas mâcher ses cheveux, suffisamment jolie à mon goût et puis il fallait deviner la bonne danseuse. Ça parait pas comme ça, mais c'est pas simple de danser, y'a d'la préparation !  Un tour, deux tours, celles qui m'auraient convenu étaient "en main" si j'ose dire, enfin plutôt "en bras".  J'attends regardant les couples s'agiter. Je repère tout à coup ma précédente cavalière qui se trouvait au bord de la piste et qui semblait me regarder. Je m'approche et lui dis : "Vous ne dansez pas, on ne vous a pas encore invitée ?"  Elle me répond : "Ben si, mais j'ai refusé car vous m'aviez retenue la prochaine tout à l'heure."

    Je ne veux pas dire que les musettes étaient plus mal fréquentés que les dancings, mais quand même dans les musettes il existait certaines règles que les demoiselles se devaient de respecter. Un exemple : une fille retenue n'avait pas intérêt à aller danser avec un autre, c'était risquer la gifle et la bagarre qui s'en suivait... Les mœurs, fortes heureusement, ont bien changé et les femmes ont gagné leur liberté.

    Il y en avait d'autres, cela ne manquait pas. Celui-ci, pas loin de la Bastille. "Le Massif-Central", avec sa piste circulaire, l'orchestre se trouvait au centre. Il l'était aussi "central" comme le massif... Rue de Belleville, il y eut  le "Ca gaze", musette parmi les musettes. J'étais trop jeune à l'époque pour pouvoir y danser mais je me faufilais et entrais discrètement. Je me souviens qu'il y avait des colonnes, l'éclairage très discret et lors des "frotteuses" j'ai vu des couples effectuer toute la danse sans se déplacer d'un centimètre... L'atmosphère était chaude! Sans oublier "La Java" dans le Faubourg du Temple, mais ce n'était pas mon truc.

     

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    Je ne vais pas me balader comme ça dans Paris, cela prendrait des heures parce que des bals, il y en avait et pour tous les goûts. Mais mon préféré à Paris, c'était un dancing,  "Le Moulin de la Galette", en haut de la rue Lepic. La salle était grande, la scène vaste et deux orchestres se  succédaient, l'un était disons classique et l'autre plutôt rythmique. Bien fréquenté, il y avait de la bonne humeur et les serveurs étaient sympas, sauf qu'ils étaient parfois étonnés de nous retrouver un peu pompette après nous avoir servi uniquement de l'orangeade ou de la menthe...Car ils nous arrivaient, avec les copains, d'emporter un flacon plat remplit de cognac que nous dégustions discrètement.  Au sujet des serveurs, quinze années après ces joyeuses heures de jeunesse, un après-midi, nous étions allés quelques collègues et moi, en mission d'information au "Salon des Composants Electroniques" au Parc des Expositions à la Porte de Versailles. Aucun n'était passionné par cette visite et je proposai que l'un d'entre nous entre au salon et, en un rapide petit tour,  ramasse une liasse de documentations diverses.

    J'avais eu l'idée, c'est moi qui suis entré. Un quart d'heure après, je ressortais avec un grand sac rempli de doc. Ils comptaient sur moi, seul vrai parisien, pour trouver le moyen de finir agréablement l'après-midi. Je proposais de faire un tour à "La Coupole", à Montparnasse. Nous nous y rendons, je m'adresse au maître d'hôtel et lui demande une table. Il se tourne vers moi, me regarde, me sourit et me dit : "Je vais très bien vous installer" puis il  et me glisse à l'oreille : "Comme au Moulin de la Galette!" Je le regarde à mon tour, surpris, et je reconnais la personne qui nous accueillait et qui nous plaçait, autrefois,  au Moulin. Il m'avait reconnu, je n'en revenais pas surtout si longtemps après.

     

    "Le Mikado", près de la Place Clichy, dont Serge Gainsbourg a si bien traduit l'ambiance. Il fallait descendre un petit escalier pour parvenir à cette salle. On y dansait très bien mais la moyenne d'âge des dames frôlait les cinquante balais et plus. Moi j'en avais à peine dix-neuf ! On racontait qu'il y avait des danseurs professionnels qui se faisaient payer chaque danse, cela se pratiquait souvent. Je partais lorsque le joue à joue devenait par trop pressant et que l'épaule de ma veste se colorait de poudre de riz. Pourtant cela était tentant car certaines dames étaient, parait-il, généreuses. Mais, malgré la tentation, je n'ai jamais franchi le pas.  J'ai fréquenté quelques fois "Le Bal de la Marine", près de Javel, mais pour moi c'était de l'autre côté de Paris. Je me tenais sur une banquette le dos aux grandes glaces dans le fond et je regardais surtout les couples danser.

     

     

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    Les Guinguettes. J'aimais celles des bords de Marne, à Nogent, à Charentonneau, "Le Moulin Brû" au bord du canal qui fut comblé de gravats  pour y tracer le début de l'autoroute A 4. Ou alors "Chez Gégène", le seul je crois qui existe encore. Il y avait en plus du bal une piste avec des vélocipèdes fantaisistes. Un bicycle, un autre avec l'axe de roue désaxé, un modèle tout petit ou il fallait pédaler en canard, c'était très drôle. "Convert" en face, sur l'autre rive, ces établissements accueillaient beaucoup de monde, jeune et moins jeune, on y allait souvent  à bicyclette. Je me souviens aussi avoir emprunté le train avec des wagons à étages, gare de la Bastille, qui nous emmenait au Perreux-sur-Marne. Nous dansions, nous naviguions sur des barques ou en canot et ensuite, baignade pour nous rafraîchir. Tout ça dans une atmosphère champêtre avec l'odeur des pommes frites comme dans la chanson "Venez-y donc, Ici l'on pêche". Après il arrivait de pouvoir emmener sa conquête pour s'embrasser sur un tapis de verdure, cachés derrière les buissons. Les bords de Marne en ont connu des ébats amoureux.

     

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    "Chez Max", j'aimais bien ce dancing. Je m'y sentais bien, ça dansait pas mal et les filles étaient sympas. L'été j'y allais tous les dimanches. Et pour conclure, un petit tour par "Robinson", sous les lampions "Au Vrai Arbre".  Il y en avait tant et chacun se réclamait de l'authenticité !

    Finies les guinguettes et le petit vin blanc qui faisait tourner les têtes. Il n'y a pas qu'à Saint Germain des Prés, qu'il n'y a plus d'après ...


     

  • DES BALS AUX BUTTES

     

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    Rue Ramponeau, j'ai connu jusqu'a trois bals. Un se situait au bas de la rue vers le tabac, un autre au bistrot qui avait pour nom "Le bar des amis" et en haut, au coin de la rue de Tourtille, un dernier. L'orchestre était assez réduit : un accordéon, une guitare et  une batterie faisaient l'affaire. Le tout monté sur une estrade mais cela tournait bien quand même. Nous parcourions les trois au fil des danses exécutées par l'orchestre. Pas question qu'un particulier ne s'avise alors de venir troubler la danse avec sa voiture. Comme à un passage à niveau, il devait attendre que la musique ait cessé et encore se faisait-il baptiser de jolis noms d'oiseaux. Seuls les pompiers avaient tous les droits naturellement et eux se faisaient applaudir. Des réclames étaient distribuées sous forme de chapeaux de papier, d'éventails qui se repliaient comme ceux des Andalouses. Des pétards claquaient dans tous les coins et certains n'appréciaient pas du tout, enfin c'était la fête ! Une séquence du film "Hôtel du Nord" de Marcel Carné retrace très fidèlement l'ambiance de ces bals sous des lampions multicolores et le coup de pistolet qui claque se confond dans le bruit des pétards tirés par les enfants. Les parents emmenaient leurs gamins et buvaient un rafraîchissement sur les tables placées sur la chaussée. Les enfants couraient en tous sens, les parents étaient moins sévères ce soir-là, sauf pour les jeunes filles, on veillait au grain ! Les mères disaient : "Rentrez vos poules, je lâche mon coq !"  Si le 14 coïncidait avec un samedi ou un dimanche, alors les bals duraient plusieurs jours et la France était en liesse.

     

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    J'ai une anecdote à vous raconter, une aventure qui m'est arrivée un soir et qui aurait pu mal tourner. J'ai toujours été d'un naturel noctambule et j'aimais entre autre me balader le soir ou même la nuit aux Buttes. Malgré leur fermeture, il était aisé d'y entrer par la route qui les traversait. Un soir d'automne, il était environ onze heures,  je marchais sur un chemin et me dirigeais vers la sortie, quand j'entendis au loin le bruit d'un véhicule qui arrivait rapidement sur moi. Je me retourne et je vois une voiture de police qui s'arrête à ma hauteur. Trois flics en sautent et m'entourent. Ça y est, que je me dis, je vais me faire reconduire à la sortie plus vite que je ne l'avais prévu. Ils m'empoignent vigoureusement sans un mot et m'installent entre eux sur la banquette arrière. Je balbutie quelques mots d'excuse pour m'être trouvé dans le parc après sa fermeture, que je cherchais à prendre le frais avant d'aller me coucher. Pas de réponse, mais j'entends alors celui placé à côté du chauffeur parler dans un micro. " Ça y est, on l'a ! On l'ramène ! ".   Imaginez ma surprise, la peur m'envahissait. Je questionne encore. Pas de réponse. Enfin nous sortons des Buttes et arrivons place A. Carel. A la mairie, il y avait un attroupement d'une quinzaine de personnes avec des agents. A notre arrivée, tout ce monde se précipite vers la voiture, ils me descendent et je me retrouve au beau milieu de ce monde qui apparemment en voulait à ma personne. J'entendais des invectives fuser à mon intention. Les agents écartant les badauds me placèrent face à un couple de gens âgés et leur posèrent la question suivante : "Le reconnaissez-vous ?" Hésitation de leur part mais pas de réponse négative ! J'essaie de m'exprimer, poser des questions. On me fait taire. Le monsieur dit enfin : "Il avait un pardessus." Ouf ! Je me sentis sauvé. De la foule, un bonhomme crie : "Un pardessus ça se jette !" Et tout le monde d'approuver cet idiot, de quoi j'me mêle ? Enfin, après de multiples confrontations du même genre, je suis disculpé car fort heureusement ma silhouette ne devait pas, mais vraiment pas, correspondre à celui qui, enfin je l'apprenais, venait quelques instants auparavant d'attaquer ce couple afin de dérober le sac à main de la dame et s'était enfui dans les Buttes.  Déception de cette foule qui réclamait déjà ma tête...  Discrètement, je sortais de ce rassemblement revanchard et m'éloignait sur la pointe des pieds, inquiet qu'ils ne se ravisent et veulent à tout prix lyncher un gueux.

     

     

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    Heureusement, j'ai de meilleurs souvenirs des Buttes. Un soir d'hiver, j'avais réussi à décider, malgré ses réticences, la jeune fille que j'allais épouser plus tard, à faire un tour dans mon royaume. Elle hésitait quand même un peu, me déclarant que mon royaume n'était pas chauffé et que ses petites chaussures ne la protégeaient guère du froid. Alors, ayant toujours eu le sens pratique et soucieux qu'elle ne prît froid, j'emportais un journal, et devant un de ces fameux bancs à la Brassens, à genoux, je lui enveloppai ses petits pieds dans les " nouvelles du jour ". C'est gentil, non ? Robert

     


  • LES BUTTES CHAUMONT

     

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    C'est là que j'ai fait mes premières promenades dans mon landau. Les parents emmenaient leurs enfants dès leur tout jeune âge pour gambader et faire des pâtés dans le carré de sable. C'était notre campagne à nous, gens du quartier. Plus tard, nous y allions seuls ou en bande pour nous amuser. J'aimais, quand j'avais de quoi me la payer, faire la traversée dans la barque du passeur. Celui-ci actionnait un gros volant qui entraînait l'esquif jusqu'à la rive opposée. Le voyage ne durait que quelques minutes mais c'était charmant. Nous montions au belvédère, gravissant un chemin dans des grottes artificielles mais bien réussies et, du haut, nous découvrions la capitale qui s'étalait au loin.

     

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    De là, nous passions sur le pont dit des suicidés. Parait qu'il portait bien son nom car plusieurs malheureux s'étaient, cela se disait, jetés. Le pont suspendu enjambait le bassin et un écriteau mentionnait qu'il était interdit d'y courir par risque de le  faire entrer en oscillation !

     

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    Il y avait aussi les chevaux de bois qui tournaient. Il fallait, à l'aide d'une tige de fer, saisir au passage des anneaux métalliques. Le petit âne qui traînait une petite carriole où étaient assis des petits enfants, guignol aussi avait ses clients qui regardaient bouche ouverte et légèrement effrayés le gendarme recevoir des coups de gourdin... Le kiosque à musique ou l'on pouvait écouter l'harmonie ou la fanfare du coin jouer de la musique légère, comme on disait : Sambre et Meuse, Poètes et Paysans, La charge de la Brigade légère, etc.

     

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    Et pour finir la fameuse marchande de gaufres qui se faisait deviner de loin grâce à l'odeur des rectangles blonds recouverts de sucre glacé. Rien que d'y penser, j'en ai le goût dans la bouche.  Les buttes, à l'adolescence, servaient de cadre à nos premiers émois amoureux, les bancs nous ont connus enlacés, nous les préférions aux chaises en fer qui étaient payantes. La dame passait et ramassait la monnaie, je possède encore un de ces tickets qu'elle nous remettait comme reçu de paiement, lors de la première promenade de mon fils aîné lui aussi dans son landau, en 1954.

     

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    Et puis le 14 juillet, quand toute la populace se pressait dès dix-neuf heures afin d'occuper une bonne place et d'assister au feu d'artifice, c'était la seule fois de l'année ou il était permis de marcher sur le gazon, car en dehors de ce jour, un seul pied sur l'herbe et le sifflet du garde, à qui bien souvent manquait un bras, vous rappelait à l'ordre et l'on s'exécutait rapidement. Alors tous, assis par petits groupes, nous attendions, devisant allègrement, que la première fusée griffe la nuit naissante d'une trace blanche ou colorée.  De toutes les poitrines, à l'unisson, s'échappait un cri d'émerveillement et des bravos éclataient de toutes les mains. Et quand toutes les fusées et autres sortes d'illuminations, après que le bouquet eut disparu du ciel, les gens restaient encore espérant qu'une dernière "belle bleue ou rouge" partirait de nouveau. Puis, tout le monde se levait et repartait calmement dans un chuchotement de commentaires sur le spectacle offert. Parfois, on allumait la bougie d'un lampion emporté et l'on revenait portant fièrement à bout de bras son flambeau multicolore jusqu'à sa rue. Les festivités n'étaient pas terminées pour autant car comme Edith Piaf le chantait à l'époque Ce soir il y a bal dans ma rue... Robert

     



  • LES PISCINES

     

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    J'en fréquentais une régulièrement, la piscine Edouard-Pailleron près des Buttes Chaumont, c'est là que j'ai appris à nager. Elle était grande et puis, tout près, il y avait les Buttes pour finir la journée. Une autre, bien plus petite, se trouvait rue Oberkampf au fond d'une cour. Elle était particulière car son bassin formait une équerre. Elle était sombre et pas très propre mais elle avait l'avantage d'être plus près de chez moi. Elle a certainement disparu depuis longtemps. Il y avait la grande piscine de la Buttes-aux-Cailles mais elle était assez loin. L'intérêt d'aller à la piscine était double car cela nous permettait de se doucher par la même occasion et pour le même prix !

    Les douches parlons-en. Il y en avait plusieurs à Belleville. Rue Bisson, la plus proche, une autre en face du métro Couronnes. A coté se tenait une salle de jeux que nous appelions" La Kermesse" où il y avait différentes distractions: billards, ping-pong, baby-foot et puis aussi des tourne-disques dans une grosse boite en bois avec une glace épaisse sur le dessus d'où l'on voyait le 78 tours en mouvement. Deux écouteurs au bout d'un tuyau de caoutchouc sortaient de la boite et permettaient d'écouter la chanson à la mode. Devant était un présentoir où figurait la chanson papier ; ainsi l'on pouvait lire et chanter. Revenons à nos douches, nous y allions le samedi ou le dimanche. La salle d'attente était souvent pleine et il fallait parfois attendre longtemps dans une atmosphère saturée de vapeur d'eau avant de passer à son tour. On emmenait son savon et sa serviette, les plus riches la consignaient  et s'offrait en plus un berlingot de shampooing DOP. Je me souviens de l'écriteau sur la porte à l'intérieur de la cabine, il y était inscrit : "20 minutes déshabillage et habillage compris".  Il ne fallait pas s'endormir et dans certains cas on nous ouvrait la porte et nous finissions de nous habiller au vu de tout le monde. L'endroit était très bruyant, certain chantaient (j'en étais), d'autres sifflaient et le garçon de service les engueulait afin qu'ils se taisent. Robert

     

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  • LES REGARDS DU VINGTIEME/L'EAU A PARIS

     

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    Un des vestiges les plus originaux du réseau ancien d'apprivoisement d'eau de la rive droite de Paris est constitué par les regards, sortes de puits aménagés au-dessus des conduites d'eau, en général à une bifurcation pour faciliter la surveillance et la  réparation du réseau souterrain ou pour établir des robinets de distribution. Ainsi les eaux de Belleville se rassemblaient-elles au regard de la Lanterne (en bordure du square Compans). Outre ce regard, particulièrement spectaculaire, l'aqueduc de Belleville en a conservé deux autres, le regard des Messiers (17, rue des Cascades) et le regard de la Roquette (36-38 rue de la Mare).

    L'aqueduc du Pré-Saint-Gervais comptait treize regards dont quatre subsistent : les regards du Trou-Morin (au Pré-Saint-Gervais, à l'angle de la rue Edouard-Vaillant et de la sente des Cornettes), le regard des Maussins (remonté aujourd'hui boulevard Sérurier), le regard des Bernages (au Pré-Saint-Gervais, rue Alexander-Fleming), le regard central dit Fontaine du Pré-Saint-Gervais (place de la Mairie de cette ville). La source de Savies  à  Belleville avait son propre aqueduc. Il en reste le regard des Petites-Rigoles (47, rue de l'Ermitage), le regard Saint-Martin (42, rue des Cascades).

    Propriétaire des sources de la place des Fêtes actuelle, l'Hôpital Saint-Louis acheminait l'eau par le regard Saint-Louis, dit aussi de la Chambre des Chirugiens, à la hauteur du 169, rue de Belleville, qui a disparu. Bienvenu Merino