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PARIS, RUE DU PRESSOIR - Page 9

  • NOEL RUE DU PRESSOIR/NOEL DANS LE MONDE

     

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    Fallait-il prendre au sérieux les propos d’un précédent billet où j’affirmais me foutre des Noëls et de ses illuminations, depuis plusieurs années ? Eh bien non ! Tous les ans, inlassablement, je répète la même chose, Noël n’aurait, pour moi, plus aucun intérêt. Mes propos n’ont plus la même résonance lorsque le mois de décembre pointe le bout de son nez. Je prépare les commandes de jouets pour mes petits enfants et les cadeaux pour les grands. Malgré mes 60 ans, c’est toujours avec un immense plaisir que je chine, jamais de lassitude lorsqu’il s’agit de donner du bonheur. Cette année, encore, la hotte du Père Noël sera bien remplie et il est fort possible, qu’en cette douce nuit de Noël, il perle le long de mes joues une larme en voyant les yeux écarquillés de mes petits enfants de 3 ans.

    Comme tous les ans, je repasserai, en boucle, les beaux Noëls de mes enfants mais aussi, ressortira de ma mémoire, en noir et blanc, le vieux film des années 50, celui de mon enfance rue du Pressoir. J’attendais, avec impatience, ce réveillon de Noël, ce repas festif préparé entièrement par mon père, de son premier métier boulanger, pâtissier, cuisinier, médaillé de bronze, médaille que je conserve précieusement dans son écrin. Je sais aussi que le Père Noël déposera, à minuit, le cadeau tant espéré. Il le déposera sous le sapin, haut de plus de 2m, qui trône comme un roi dans la salle à manger. J’ai pris soin, avant de me coucher, de mettre en évidence, près du sapin, mes pantoufles qui devraient se remplir de friandises en chocolat. Mais pour découvrir tout ça, il me faudra attendre le lendemain matin. Un seul jouet par enfant acheté avec des bons de la Semeuse.

    Je me souviens encore mais, là, mon film est comme monté à l’envers car ce souvenir se passe avant Noël. Mes parents, mes 3 sœurs et moi, occupions un deux pièces cuisine au 3ème et dernier étage de l’immeuble 25 rue du Pressoir, peu avant le grand jour, mon père grimpait sur le toit de l’immeuble en passant par une trappe située sur le palier et, de la haut, par le conduit de la cheminée, envoyait des oranges. Les yeux pétillants de joie, je suivais le parcours de ces oranges tombant du ciel, traversant la salle à manger pour terminer leurs courses dans la cuisine. Je me précipitais pour les ramasser, mais quel dommage que mon père n’ait pas assisté à cette magie. Où était-il ? Je ne me posais pas la question, je lui raconterai cette aventure lorsqu’il sera de retour. Maman disait que le Père Noël passait au- dessus de l’immeuble. Je n’avais pas 6 ans.

    Il était aussi de coutume, quelques jours avant le 24, de mettre ses chaussons au pied du sapin et si le Père Noël jugeait que, dans cette maison, les enfants avaient été bien sages, il pourrait déposer, en général, une guimauve enrobée de chocolat. 

    Je ne sais si cette tradition était propre à ma mère ou due à ses origines Ardennaises, à la frontière Belge, qui dans ce cas pourrait faire penser à Saint Nicolas, d’autant plus que Maman parlait souvent du Père Fouettard, les deux sont indissociables. Quoi qu’il en soit, j’ai perpétué la tradition avec mes enfants sans toutefois être comparable.

    Voilà, encore une petite scène de la vie, chez moi, au 23-25 rue du Pressoir. Maintenant, je vais faire comme les enfants, attendre que le Père Noël descende du ciel,  bien installé sur son traîneau tiré par ses rênes et accompagné de ses fidèles lutins. Bien que je préfère offrir que recevoir, je sais que sa hotte contiendra moult cadeaux pour moi de la part de ma famille, je sais aussi, qu’entre autres cadeaux, je découvrirai le bouquin de Guy Darol, Héros de papier.

    Je désire terminer ce récit en souhaitant à tous les visiteurs du site rue du Pressoir ainsi qu’à Guy Darol, sa maman et sa famille, sans oublier mon ami Bienvenu Merino, un joyeux Noël et que vos projets se réalisent. Puisque nous arrivons en période de vœux, une France moins bordélique et la paix dans le monde. Mais ça c'est peut-être trop demander. Josette Farigoul

  • LA FOIRE A LA FERRAILLE

     

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    Photographie Gérard Lavalette

    Au tournant des années 1960, nous quittâmes la rue du Pressoir, promise à la démolition, et nous installâmes rue des Minimes, troisième arrondissement. Les dimanches n'étaient jamais tristes. 

     

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    Mon rez-de-chaussée de la rue des Minimes

    Ils débutaient sur des arômes de petit déjeuner et d'encre fraîche (France-Dimanche) avec les trilles du poste de radio qui célébrait l'accordéon et le musette.

    Le matin, avec le daron, nous allions remplir le filet sur les trottoirs de la rue Saint-Antoine où les marchandes de quatre-saisons alignaient leurs provendes.

    Avant de regagner notre rez-de-chaussée, nous faisions une halte devant la vitrine à jouets et petits formats de la rue de Birague. Mon attention allait alors aux illustrés nommés Akim, Tartine, Mandrake ou encore Blek le Roc.

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    L'après-midi était dédiée à la flânerie dans les rues circonvoisines du Marais, de la Bastille ou du Temple.

    A la saison (dans mon souvenir, elle était toujours frisquette) de la Foire à la Ferraille, nous allions humer les étals. On touchait des yeux sans acheter. L'ambiance suffisait à nous contenter.

    Puis les pas de mon père nous menaient au cinéma. Joseph avait détaillé le programme dès le matin. Les salles étaient toujours les mêmes : Le Saint-Paul, le Studio Rivoli, le Lux-Bastille, le Cinévox du Faubourg Saint-Antoine, le Liberté de la gare de Lyon, le Dejazet du boulevard du Crime. Quelquefois, mais c'était alors une expédition, nous fréquentions les ors de La Scala et son escalier de château de fées. Là, je vis les westerns de John Ford et La Guerre des Boutons d'Yves Robert.

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    Le Dejazet

    Les yeux piquaient à la sortie et une petite tristesse venait assombrir le dimanche. C'était fini. J'en avais la gorge serrée.

  • LE FAKIR DU BOULEVARD EDGARD-QUINET

     

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    Photographie de Francis Beddok

    Vers la fin des années 1960, j’avais un peu délaissé Saint-Germain-des-Prés et je fréquentais assidûment Montparnasse. La vieille gare était toujours là et je n’imaginais même pas quelle serait un jour remplacée par l’immonde gratte-ciel. Nous naviguions du Rosebud au bar américain de la Coupole, du Falstaff à Bobino pour nous retrouver le soir à la Bohême. Boîte américaine bien planquée dans l’impasse du Départ qui n’existe plus aujourd’hui. Manu Dibango y faisait ses débuts et nous découvrions Otis Redding et Wilson Pickett.

    Le croisement du boulevard et des rues de la Gaité, du Montparnasse et d’Odessa forme une place sans nom juste à la sortie du métro Edgar Quinet.

    Invariablement, le fakir était là. C’était sa scène et il y retrouvait son public. Epées, sabres et dagues de toutes les longueurs voisinaient avec la planche à clous sur une grande toile noire.  Deux masses et des extenseurs complétaient l’équipement ainsi que des parpaings.

    Le bonhomme ressemblait à l’image qu’on a de Raspoutine. Grand et mince, il était doté d’une musculature fine et bien dessinée. Lui aussi exhibait des tatouages de mauvais garçons. Serpent entrelacé autour d’un poignard, le Saint des voyous et les fameux points bleus entre le pouce et l’index. Autant de codes pour les initiés. Ces tatouages-là n’étaient pas la création d’un artiste à la mode et ils délivraient des messages qu’à l’époque nous connaissions tous. 

    Le type haranguait la foule en tournant à l’intérieur du cercle formé et faisait tâter le fil de ses lames aux badauds. Il s’arrêtait puis coupait des journaux  en les sabrant d’un seul mouvement. La quête pouvait commencer. Contrairement aux musiciens qui passent le chapeau après leur récital, j’ai remarqué une tradition toujours présente chez les hercules et les fakirs c’est qu’il faut payer pour voir. Si la manche n’est pas assez importante, le spectacle ne débute pas. Et si jamais il arrivait un accident…

    Le fakir se concentrait après avoir réclamé le plus grand silence et se figeait les bras en croix,

    la garde de deux sabres dans ses mains, et leurs pointes contre chaque aisselle.

    Des spectateurs pas choisis par hasard, nous avions repérés les barons, se mettaient à deux pour tendre les extenseurs et caler leurs poignées dans les mains de « l’artiste ».

    Les muscles saillaient sous l’effort et notre homme crucifié  devait maintenir les tendeurs  le plus longtemps possible sous peine de se voir transpercer les flancs.

    Tous les spectateurs attendaient avec impatience la planche à clous sur laquelle il s’allongeait,

    Puis les compères déposaient sur son ventre les parpaings et invitaient quelques badauds à démontrer leur force en les cassant à grands coups de masse.

    C’était il y a fort longtemps mais en fait, le spectacle continue comme le démontre les photos offertes par Francis Beddok pour illustrer ce billet que je dédie à Josette Farigoul qui nous conte si bien la rue du Pressoir. Gérard Lavalette, photographe

     

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    Photographie de Francis Beddok

    Nos remerciements vont à Gérard Lavalette et à Francis Beddok pour ses photographies.

    VOIR LE BLOG DE FRANCIS BEDDOK

     

  • FETE FORAINE ET HOMME ORCHESTRE

     

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    Impossible de me rappeler de ces Hercules et Fakirs qui devaient déambuler sur les trottoirs du quartier. J'ai beau me creuser la tête, je ne vois pas,  ça ne resurgit pas. Sur le boulevard de Belleville nous pouvions, souvent, regarder de belles scènes de rue exécutées par des artistes. Je sais que tous les ans, s'installait entre le métro Couronnes et celui de Ménilmontant, une fête foraine qui attiraient les gens du quartier et d'ailleurs et qui durait, je crois, plusieurs semaines. Peut-être qu'au moment de cette fête, il y avait des exhibitions de ces charmants personnages.
    Je revois la roue, en face du bar La Mascotte, à l'angle de la rue des Couronnes et du boulevard de Belleville. Nous pouvions gagner du café ou des kilos de sucre et bien d'autres choses. Je revois le tir à la carabine, les manèges sur la place de Ménilmontant, la chenille et le Mont Blanc ainsi que les auto-tamponneuses. Tous les ans, nous allions à cette fête foraine avec mes parents. Plus tard, à l'adolescence, je m'y rendais avec Liliane. Les jeunes se retrouvaient devant les manèges sur la place de Ménilmontant. Grisés par la vitesse de la chenille ou du Mont Blanc, qui était couvert si je me rappelle bien, nous pouvions entendre les cris de tous les jeunes dont notre bande faisait partie.
    Si je ne me souviens pas des Hercules et Fakirs, j'étais impressionnée et admirative des hommes orchestre. Très souvent, je rencontrais l'un de ces hommes dans notre quartier. Comme hypnotisée, je restais plantée devant lui, à le regarder. Il était appareillé de la tête aux pieds. Sa démarche au son des cymbales et de tous ses instruments de musique en mouvement le faisait ressembler à un pantin. Il arpentait le trottoir du boulevard de Belleville, entre la rue des Maronites et la rue de Ménilmontant. Je me rappelle aussi les mimes, ces automates vivants, que nous pouvions apercevoir principalement sur le boulevard. Du beau spectacle de rue que je regrette et que j'aimerais retrouver.
    Notre époque, c'était vraiment le bon temps même si elle était parfois difficile. On ne se posait pas trop de questions, la vie était comme elle était et cette chienne de vie était la nôtre. Nous l'aimions. Il fallait juste bosser pour s'en sortir, c'est tout ce que nous avions à faire.
    J'ai comme l'impression de ne pas vous être d'un grand secours dans l'histoire de votre Hercule de foire. Espérons que d'autres visiteurs pourront vous apporter des témoignages bien plus intéressants. Josette Farigoul

     

  • HERCULE DE FOIRE/GERARD LAVALETTE

     

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    Je dois mon héritage de badaud en grande partie à mon père. Curieux et amateur des petites scènes de la vie parisienne, il appréciait particulièrement les camelots. Il se faisait refourguer toutes sortes d’ustensiles qui entre leurs mains habiles découpaient les patates en fleurs et qui arrivés dans la cuisine se retrouvaient dans un placard, inutiles, au grand dam de ma mère.

    Il m’emmenait le long des boulevards, de l'Opéra à République, et bien sûr à la Foire à la ferraille lorsqu’elle faisait son déballage le long du boulevard Richard-Lenoir.

    Tout ça pour vous dire que j’ai le souvenir de quelques bateleurs, hercules et autres mangeurs de mégots allumés qui officiaient là où se trouvait le promeneur.

    Je me souviens particulièrement de deux hercules. Le premier, accompagné d’un compère, crachait le feu sur le terre-plein central du Richard-Lenoir, presque à la place de la Bastille, pour attirer la galerie. Des poids, des haltères et des chaînes s’entassaient au milieu du cercle des curieux.

    J’étais très impressionné par cet homme à l’air encore jeune et aux cheveux longs déjà gris. Court et trapu, il exhibait son torse tatoué, ses bras musculeux et une forte bedaine maintenue par une très large ceinture de cuir.

    Il buvait à la bouteille de grandes goulées d’alcool ou d’essence, je ne sais pas très bien, qu’il recrachait en pluie sur ses torches pour faire apparaître les flammes que tout le monde guettait. Le compère commençait la manche en gueulant que le spectacle commencerait vraiment quand le chapeau serait rempli de pièces. Ensuite, il distribuait parmi l’assistance quelques barres de fer en demandant aux hommes les plus costauds d’essayer de les tordre.

    Devant l’échec de tous, il les portait à l’hercule qui, les calant sous un bras, les tordait en U à l’aide de l’autre main. Après venaient les autres démonstrations de force pure pendant lesquelles il soulevait des poids de toutes formes et de toutes grosseurs.

    Le spectacle se terminait toujours de la même façon. L’athlète se faisait enchaîner par son comparse qui faisait de multiples tours autour de son corps avant de boucler les derniers maillons par un gros cadenas.

    Le visage de l’artiste se convulsait de grimaces étudiées, les muscles se bandaient et le corps rougissait sous l’effort. Il se démenait quelques minutes sous les encouragements des badauds et les quolibets des habitués. Puis, comme par miracle, les chaînes tombaient  pour laisser apparaître la peau meurtrie, marquée par le métal comme par de nouveaux tatouages.

    Je devais avoir dix ou onze ans, ce qui daterait cette scène au début des années 1960.

    Si ce témoignage vous convient, je vous parlerais une autre fois du fakir du boulevard Edgar-Quinet. Gérard Lavalette, photographe

    Pour mieux connaître Gérard Lavalette :

    http://www.parisfaubourg.com/

    http://www.pariscool.com/index.html

    http://www.flickr.com/photos/gerard_lavalette/sets/

     

  • HERCULE DE FOIRE

     

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    Dans les années 1960, il était courant d'assister sur les trottoirs de Paris à des démonstrations d'Hercule de foire ou de fakirs allongés sur de redoutables tessons. En avez-vous le souvenir ? Nous serions heureux de lire vos commentaires et témoignages afin de nourrir cette entrée. Les Hercules de foire sont incontestablement les pionniers de l'art dans la rue. Rendons hommage à ce passé qui vit dans notre mémoire mais que l'histoire urbaine semble oublier un peu.

    Nous écrire ici

  • LUCILE DE LA RUE DES MARONITES

     

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    Je suis tombée par hasard, il y a quelques jours sur votre site et depuis je ne fais qu'y penser. Mes souvenirs, et ceux qui m'ont été transmis par mes parents, me reviennent en mémoire, sans souci réel de chronologie, mais de façon très vivace. En effet, je suis née en 1935 et ai habité pratiquement, jusqu'en 1959, dans l'immeuble situé 24 rue des Maronites, juste en face de la rue du Pressoir. Mes grands-parents maternels y avaient "émigré" dès avant la guerre de 14, quittant la rue Saint-Blaise et St-Germain de Charonne pour N.D. de la Croix de Ménilmontant. Depuis les trois fenêtres de l'appartement, la rue du Pressoir fut durant toute mon enfance un lieu d'observation privilégié. Mes souvenirs sont à votre disposition si vous le souhaitez pour, notamment, ajouter des commentaires antérieurs aux années 50 à l'excellent plan que vous avez dressé. Lucile Flèche

    Nos rues sont voisines et sans doute avons-nous quelques souvenirs en commun. Merci, Lucile, de nous adresser votre témoignage. Et peut-être possédez-vous des images du quartier avant sa démolition ? Nous sommes très intéressés, très émus, et d'avance nous vous remercions. Ecrivez ici

  • LE PERE NOEL/RUE ETIENNE DOLET

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    Je réponds aux commentaires que Nicole a si gentiment laissés sur le site. Nous avons bien eu, toutes les deux, la même institutrice en classe de fin d'études. Je comprends sa déception, s'entendre dire qu'elle est reçue et ne pas voir son nom sur la liste, c'est traumatisant. Pour moi les choses se sont passées différemment puisqu'on m'a fait comprendre que je ne suivrais pas en 6ème. J'ai accepté, mes parents aussi. Le passage au collège coûtait cher, bien trop cher pour mes parents. Effectivement le passage d'office après le CM2, laisse une chance, non négligeable, à tous les enfants et surtout plus de distinction de classe. Nous pouvions remarquer, à notre époque, cette fâcheuse tendance à diriger les enfants des familles, dites, défavorisées, sauf à être très bons, vers le certificat d'études puis le CAP. Il est vrai, aussi, que les parents ne contestaient pas les décisions. Mes résultats scolaires étaient moyens, je n'ai jamais redoublé mais certainement que ce niveau était insuffisant pour une scolarité au collège. Nullement traumatisant pour moi, je n'aimais pas l'école et n'ai jamais rien regretté. Je regrette, toutefois, un manque d'aisance dans la communication, ma foi je ne peux m'en prendre qu'à moi-même.
    Nicole me demande si je me souviens des fêtes de Noël dans notre école de la rue Etienne Dolet, bien évidemment que je me souviens. L'année 1954 était l'année de mon entrée en CP, j'ai su très vite qu'une "grande" faisait le Père Noël et voilà que 54 ans plus tard, j'apprends le nom de ce Père Noël que les petites attendaient ce jour de décembre 1954. Les élèves se regroupaient dans le préau, impatientes. Il me semble bien que l'immense sapin trônait sur l'estrade. Un coup de sonnette, tous les yeux sont rivés en direction de la grande porte du préau, les battants s'ouvrent et le Père Noël apparaît. Un grand moment de bonheur.
    Cette même année j'appris que le Père Noël n'existait pas, je ne saurai dire si c'était avant ou après cette fête d'école. Je me revois m'approcher de ma mère et lui demander si ce qu'on venait de me dire était vrai. Une scène pourtant insignifiante mais probablement importante, pour l'enfant de 6 ans que j'étais, à m'en rappeler dans les moindres détails. Maman est assise sur une chaise tout près de la fenêtre de la salle à manger, elle reprise les chaussettes de mon père avec comme support une boule de billard, elle entrelace les fils pour faire une belle reprise bien serrée et là, elle me répond, elle avoue la vérité. C'est la fin d'un rêve.  Elle me fait promettre de ne rien en  dire à mes deux petites sœurs, le secret sera gardé jusqu'au bout.
    Même si, par la suite, les lumières scintillantes du sapin se reflétaient moins dans le bleu de mes yeux, la magie opérait toujours et a opéré longtemps. Les lumières se sont quelque peu éteintes en 1984, ma mère était orpheline, moi je le suis devenue le jour de sa mort, ça je l'ai ressenti comme si on m'enfonçait une épine dans le cœur. Des Noëls suivants, il me reste un goût amer, plus rien n'était pareil. Maintenant, je me fous des noëls, je me fous des lumières et je me fous des flonflons. Malgré tout, je continue pour mes petits enfants, tout du moins, ceux que je connais. Encore un goût amer devant la bêtise humaine. Maman si tu voyais ça !
    Je termine ce récit avec des larmes dans les yeux. Ces larmes sont, bien sûr, pour mes parents, j'aimerai bien qu'ils soient là, près de moi, Papa, Maman.
    Ce récit est écrit grâce ou à cause de Nicole, que dois-je dire ? Aucune importance, j'ai passé un bon moment à l'écrire malgré qu'il ne soit pas facile d'exprimer certains souvenirs. Josette Farigoul

  • LA VIELLEUSE AVANT DESTRUCTION

     

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    La Vielleuse existe toujours si l'on en croit l'enseigne figurant au bas de la rue de Belleville. Ce café n'est plus ce qu'il était. Le voici avant démolition :

    LE PLUS VIEUX CAFE DE BELLEVILLE

  • CLEMENT LEPIDIS EVOQUE BELLEVILLE

     

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    Clément Lépidis est un écrivain bellevillois qu'il convient de lire pour ranimer les images du quartier. Il est encore possible de le voir et de l'entendre grâce aux inestimables archives de l'INA.

    Cliquer ici CLEMENT LEPIDIS EVOQUE BELLEVILLE

    Cliquer ici CLEMENT LEPIDIS ET JO PRIVAT 

  • BELLEVILLE A L'INA

     

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    Albert Simonin

    Il ne fait aucun doute que la mémoire audio-visuelle du vieux Paris (celui d'avant la démolition) est blottie au sein des archives de l'INA.

    Voyez ce bouleversant document :

    BELLEVILLE - L'ALBUM DE FAMILLE DES FRANCAIS

    Ce document dresse un portrait de Belleville au travers des témoignages de ses habitants, commençant par les souvenirs des anciens puis donnant la parole aux nouveaux arrivants qui racontent leur vie dans le Belleville d'aujourd'hui. 

    Les rues de Belleville démolies. Interview de Madame PICARD une des plus vieilles habitantes de Belleville. Elle parle du Belleville d'autrefois qu'elle regrette. Interview d'Albert SIMONIN, auteur de livres de la Série Noire, qui regrette aussi le Belleville de son enfance. Interview d'une vieille mercière, "la cousine Jeannette". 
    Claude Jean PHILIPPE suit "la cousine Jeannette" qui lui montre des jardins fleuris derrière les maisons de Belleville. 
    Alternativement Marie PICARD et Henri ROUSSEAU racontent leur enfance et leur jeunesse à Belleville : Son passage en pensionnat religieux, les souvenirs du Théâtre de Belleville, de Casque d'Or, son travail de comédienne, les mentalités de l'époque qui voyaient mal quand une jeune femme se maquillait ou quand elle fréquentait un garçon, son premier amour pour Marie PICARD. Henri ROUSSEAU lui fut élève à la communale. Tous les deux se souviennent que leurs pères qui étaient de gauche.
    La rue de Belleville actuelle. Interview de passants et d'Henri ROUSSEAU qui regrettent le folklore d'antan et se plaignent de la présence des immigrés. La rue de Belleville de nuit illuminée. Les taudis de Belleville. Interview de Simone BERTEAU qui accompagnait dans ces rues Edith PIAF. Elle se souvient d'Edith PIAF qui même connue éprouvait le besoin de revenir "faire une rue". Les vieilles maisons de Belleville.
    Interview de MOULOUDJI qui se souvient de son enfance fugueuse et bagareuse à Belleville, de son père communiste et de sa mère catholique. Enfants jouant dans le parc des Buttes-Chaumont 
    Le bas Belleville servant toujours de refuge aux exilés d'Afrique du Nord. Deux passants et Henri ROUSSEAU disent leur mécontentement de voir des immigrés à Belleville. 
    Interview d'émigrés d'Afrique du Nord (Algériens) : Ils racontent leur vie en France et le racisme dont ils sont victimes.
    Interview d'un israélite (terme adopté dans le document) expliquant pourquoi ils ont choisi Belleville, le quartier de Belleville très animé le soir, n'est pas plus dangereux qu'un autre quartier, il est même plus calme que beaucoup d'autres quartiers. Il parle des rapports entre israélites et arabes qui se passent dans le respect.


    Ce document est illustré de photos personnelles des différents interviewés, de gravures et photos d'époque du vieux Belleville (de la fin du XIX ème siècle, certaines illustrant la Commune de Paris, photo de l'ancien théâtre de Belleville, photos des Buttes Chaumont). Il comporte également un extrait de "Casque d'Or" de Jacques Becker et de "Sous les toits de Paris" de René Clair.

     

  • RUE ETIENNE DOLET

     

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    Pour répondre à Nicole, si nous parlons de la même madame Buissière, institutrice des deux années de fin d'études rue Etienne Dolet, j'ai déposé, sur le site Copains d'avant, une photo de 1960 où nous pouvons retrouver madame Buissière ainsi que notre Directrice, décédée, je crois, en 2000, à plus de 90 ans. Effectivement, nous pouvons rendre hommage à Madame Buissière. Je citerais aussi mademoiselle Gaborey-Sisson, institutrice des CM², petite bonne femme aux cheveux courts et gris, d'une grande sévérité mais tellement efficace. Merci Nicole de nous faire partager vos merveilleux souvenirs. Josette

  • RUE DES MARONITES/UN TEMOIGNAGE

    En cueillant des souvenirs du passé, Nicole Bourg a traversé les images de notre Rue du Pressoir. Elle y a laissé un émouvant témoignage.

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    Je viens de parcourir une partie de votre entretien avec Mr Bienvenu Mérino et je m'aperçois que vous êtes resté assez peu de temps rue du Pressoir. Moi aussi j'étais "protégée", avec une éducation stricte ! Il fallait avoir de bons résultats scolaires. En fait, j'adorais l'école, mais toujours avec cette petite appréhension de ne pas réussir. Je voudrais rendre hommage ici à mes institutrices, Mesdames Buissière, Bertin et Florès. Si elles sont encore de ce monde, elles sont très âgées. Peut-être ont elles des descendants... C'est grâce à elles que j'aimais tant l'école. Moi aussi, je suis une idéaliste et j'ai un profond mépris pour l'injustice. Je veux toujours refaire le monde. C'est peine perdue, me direz vous, mais en ce qui concerne "Notre quartier" j'ai encore beaucoup de souvenirs. Aussi des récits de mes parents sur ce quartier qui a tant souffert. Pendant la guerre, ils étaient très jeunes! Je suis née le 3 Février 1942 à Paris, vingtième arrondissement. 

    J'habitais au 31, rue des Maronites. Nous avions une concierge. Pour rentrer il fallait sonner puis elle ouvrait depuis sa "Loge". D'abord,  il y avait une première grande cour avec des petits ateliers, dont l'un était tenu par une amie de Maman. Elles étaient couturières. Cette amie de Maman  s'appelait Giovanna Vespetti. Son nom d'épouse était  madame Mignon. C'était comme une tante pour moi. Il y avait aussi ses parents assez âgés. D'autres encore dont nous étions très proches. Les grandes personnes étaient solidaires. Dans la petite cour, il y avait une petite imprimerie avec deux employés. Dans le bâtiment voisin habitaient mes grands-parents. A l'étage en dessous, mon oncle Giuseppe. Dans le bâtiment en face,ma tante Elisa. Au 34,rue des Maronites, le frère de maman vivait dans un petit appartement (plus grand que le nôtre) avec son épouse et ses enfants.C'était une grande famille! Nicole

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  • GUY DAROL REPOND A BIENVENU MERINO

    Au moment où paraît son dernier livre 

    FRANK ZAPPA/ONE SIZE FITS ALL/COSMOGONIE DU SOFA

    aux Éditions Le Mot et le Reste

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    Guy Darol, enfance à Paris et en Bretagne.

    Dès ses six ans, passionné de lecture, comment en arrive-t-il à l’écriture ?

    Ses livres, dont son récit Héros de papier (Le Castor Astral éditeur), ses premières années vécues rue du Pressoir dans le 20e arrondissement de Paris puis, rue des Minimes, à deux pas de la place des Vosges, enfin en banlieue, à Vincennes, sur les traces d'André Hardellet (d’où résultera son magnifique essai André Hardellet, Une halte dans la durée, Le Castor Astral éditeur).

    Le retour en Bretagne, près de Morlaix.

    Questions/Réponses.

    BM : Bonjour Guy, comment va l’Indien d’Armorique ? Je suis content de savoir que tu te sentes « Indien ». Te reste-t-il, toi qui est très parigo, un peu d’accent de cette langue bretonne qui doit t’être très chère et qui est celle de ta mère qui monta à Paris avant de retourner au pays. Elle conserve toujours cette couleur chantonnée du terroir, je crois. Parles-tu breton?

    GD : L'indien d'Armorique affûte ses flèches. Il voit le ciel bleu, la mer calme. Du soleil d'octobre chaud caresse son front tanné. Mais son cœur entend le verdict des cœurs. Il sait qu'il est urgent d'amplifier le combat. Ami, je ne parle pas le breton, du moins celui que l'université enseigne, surnommé KLT, une combinaison des mille langues qui bruissaient autrefois. Mes parents, natifs du Cambout (Côtes-du-Nord) et de Ménéac (Morbihan) parlaient quelque chose que d'un commun accord, sans barguigner ni se mordre les lèvres, on appelait le patois. Ils patoisaient comme je déballe le jars. Joseph et Agnès patoisaient un parler mélangeant roman, breton et mots orfèvrés par l'instinct poète qui est aussi celui de la survie. Ils découvrirent, avec un étonnement que je partageai avec eux, qu'ils parlaient le gallo. Sans le savoir, ils maniaient un patois qu'à présent l'Université ratifie. Ce gallo (qui de fait est une langue de coursier ; mon grand-père Jean-Baptiste posséda plusieurs juments ; l'une se nommait Voltige) me manque. Et ce que j'en lis, ce que j'en entends est bien éloigné des métaphores filées par Génie, Mathurin, Augustine, Béderi, Victor, Léontine ou Constance. Ceux et celles de mon village, un village aujourd'hui asséché et qui, il y a 35 ans, ruisselait de mille accents, joies, coquecigrues plus ou moins aigues. Car chaque jour était une fête autour de l'abreuvoir, de la bolée, du feu de cheminée. Joseph, mon père et maître regretté, a replié ses gaules, il y a trois ans, emportant avec lui une bonne humeur (inégalée), des chemins secrets dans la broussaille, des images et des formules que j'entretiens (pieusement) comme le bon feu qui un jour s'éteindra. Si le soir fait chanter les rainettes (mais les nitrates, les phosphates, l'agriculture et ses poudres à canon les ont presque toutes dégommées) alors je me souviens de Baptiste, sur le seuil de sa carrée, revissant sa viscope et portant sur l'horizon ce jugement dernier : « Les ernettes chantent é saille i va faire bao demain. » Signe qu'après la nuit, le beau temps régnerait. Quant à ma mère, pauvre petite mère qui vécut son enfance à l'abri des talus, dans le nid des fossés, dehors était sa chambre, à la cloche des champs, ma petite mère n'a plus d'accent. Car étouffé par les mouchoirs du dégoût qu'elle appuya elle-même sur ses lèvres, sur son coeur, partout où transpiraient ses origines de va-nu-pieds. Ce qu'elle fut. Ce qu'elle n'est plus. Mais il lui reste la sauvagerie dont mes flèches sont amidonnées. Ma petite mère entame sa huitième décennie à Josselin.

    BM : Qu’évoquent pour toi Hôtel-Dieu ?

    GD : L'Hôtel-Dieu est mon lieu insulaire de naissance, un berceau au milieu de l'eau, mes commencements de marin terrestre. Là je suis né et chaque fois que le piéton (mon père m'exerça à cette fonction en lui ajoutant le côté flâneur) m'en rapproche, mon coeur s'humidifie, mes yeux s'humectent. Je sens une odeur de muguet et le parfum de révolution. Cela eut lieu un premier mai. D'où le nez et l'esprit de rebiffe. Subversif un jour, subversif toujours.

    BM : La Bretagne, Paris, rue du Pressoir, retour au pays breton. Court itinéraire, mais vie bien remplie, n’est-ce pas, Guy ? Quels sont les souvenirs que tu conserves de cette rue du 20e arrondissement, presque légendaire aujourd’hui, où tu vécus cinq ans.  Ne plane-t-il pas, là, au-dessus de cet îlot, le képi du général De Gaulle et la maltraitance d’un gouvernement (De Gaulle, Pompidou, Malraux) à l’égard d’une classe travailleuse et laborieuse, bien que les habitants, installés aujourd’hui dans une rue du Pressoir nouvelle, ne semblent pas du tout s'en plaindre. Veux-tu nous en parler ?

    GD : Ami, ces années-là sont celles du bonheur. Rue du Pressoir, dans un étroit deux pièces privé de ce que nous nommons aujourd'hui le confort, je vécus sans savoir, sans même deviner, que le meilleur avait une fin. Là tout se déroulait à l'infini, sans obstacles, sans heurts. Ça roulait. Et j'étais loin d'imaginer que mes pieds reposaient sur un sol menacé par les machines à pelles et à boules de fonte. Un jour, ma main serrée dans  celle de mon père, je compris. Nos yeux assistaient à l'éboulement de nos fiestas : cendres, fumée retombant sur un tas de gravats. Je venais de constater ce qu'était la fin des rêves et il s'en suivit, logiquement, un malaise tantôt fait d'anxiété, tantôt fait de révolte. Rue du Pressoir est un film qui se déroule chaque jour dans ma tête. Le film d'un immeuble gris, écaillé, au tournant d'une rue au pavé luisant.

    BM : Tu dis : « Je viens du peuple combattu, humilié, mais ne conçois aucune solution dans le sang .» Guy, parfois nous n’avons pas le choix, disons-le clairement, il faut faire ce choix, prendre les armes, malheureusement, si l’ennemi est là, à notre porte, si l’agresseur occupe notre territoire. Non, qu’en penses-tu ? Pendant la dernière grande guerre, hommes et femmes ont pris les armes et s’en sont servis. Il fallait mettre hors de France nos agresseurs ! Tu peux nous parler de tes réflexions à ce propos ?

    GD : J'admets qu'il faille aller au feu sous la menace – et sans doute devons-nous la vie à ceux qui ont donné la leur – mais je ne peux acquiescer au credo qui voudrait que l'émancipation résulterait d'un combat armé. Je ne crois pas en ces meilleurs jours que promettent les révolutions. Cette tentation au contraire m'inspire le dégoût. Elle est la faiblesse des idéalistes. J'appartiens quant à moi à l'espèce des rêveurs. J'ai foi, même si le temps semble long, dans le dialogue des contraires. Je crois en la dialectique qui annule les conflits. Pacifiste obstinément, tout en moi rejette l'idée d'une salvation par le sang. Toute guerre est un drame. Toute destruction est atteinte à mon amour de la vie.

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    BM : Guy, dans l'un de  tes livres bouleversants, Héros de papier, tu dis : « Je fus élevé dans une tanière de luxe, empêché de voir au dehors, obligé de contempler dedans. » La liberté te manquait-elle ? Des privations t’étaient-elles imposées et étaient-elles vécues comme un enfermement qui te mettaient en position de séquestré ou d’animal traqué, interdit.  Tu écris : « Mon esprit passait les murailles ». Te sentais-tu prisonnier ? Et prisonnier de qui ? de quoi ?

    GD. : Unique enfant né de parents venus à Paris pour échapper à la vie dure, je fus entouré de tant de soins que la liberté me manqua. Placé en pension chez les soeurs des écoles chrétiennes à l'âge de quatre ans, je connus la haute solitude des murs que l'on ne peut franchir. Lorsque Joseph et Agnès, mes parents, purent enfin me garder près d'eux, d'abord rue du Pressoir, ensuite rue des Minimes, je n'avais ni le droit de sortir ni celui d'accueillir mes camarades de jeu. Sauf à sentir ma main tenue par des adultes craintifs. On redoutait que la rue me soit un danger. Je fus ainsi enfermé dans de petits appartements qu'aéraient la lecture, la musique et la conversation de mes parents ou des membres de la famille. Il me fallut souvent ruser et même fuguer pour aller vers le dehors et découvrir que le danger ne s'y trouvait pas. La plupart de mes livres racontent cet influx de vie et les circonstances qui me permirent d'échapper à l'emprise de parents qui n'étaient pas calculateurs de tyrannie. Je ressens souvent cette mise à l'écart forcée comme un manque, une carence, puisque mes dix-neuf premières années, à quelques exceptions près, se résument à l'environnement familier. Je constate chez moi une variété d'émotions qui ne doit rien à la diversité des événements. L'école était pour moi le lieu où l'on respire. J'eus des maîtres talentueux et des compagnons de classe vertueux. Ils m'ouvraient la porte du monde.

    BM : Si tu avais pu quitter ce terroir breton et partir loin, dans des  contrées où tu aurais ignoré la langue, la géographie, le paysage, peut-être alors l’aventure t’aurait donné la clé, pour échapper aux griffes qui te retenaient, non ?  Probablement que la compagnie des livres t’a aidé à créer ton propre univers mais peut-être te sentirais-tu plus libre. Tu écris : « On m’a donné le livre pour m’occuper l’esprit. Combattre l’ennui, tuer le temps (...) échapper à la solitude désœuvrée que je peuple d’apparitions ».

    GD. : Des échappées s'ouvraient à moi lorsqu'aux vacances nous revenions en Bretagne. Car alors l'étreinte se relâchait et je pouvais m'imprégner d'images, de sensations. Ma solitude s'en peuplait à délices. Adolescent, mais au prétexte de meilleures performances scolaires, je fus autorisé à franchir les frontières. J'étais envoyé en Angleterre puis en Allemagne. Là, je connus d'autres émois et cette liberté dense qui forge une personnalité. Le goût de la lecture, plus tard l'amour de la littérature, ont toujours volé à mon secours lorsque le manque se faisait trop cruel. Un tel équipement vous permet, sinon de franchir les obstacles, du moins de tenir tête à la détresse. J'eus cette chance : que de bons livres viennent à ma rencontre, qu'ils épaulent ma solitude, qu'ils prennent en main l'enfant désemparé. Mes grands amis se trouvent sur les rayons des bibliothèques. Ils se nomment Charles Dickens, Jean-Jacques Rousseau, Léon-Paul Fargue, Jorge-Luis Borges. Une foule qu'il serait fastidieux d'énumérer. Un écrivain se tient toujours à mes côtés selon le lieu où vont mes pas. Il est certain que je serais autre, ou différemment complété, si j'avais envisagé de partir. Mais je n'y ai jamais songé. Le livre est plus vaste que le monde. Le livre est ma demeure, une demeure au milieu des arbres. 

    BM : Guy, quel genre d’enfant, étais-tu ? Si je comprends bien, tu n’étais pas hors-la-loi, ni intrépide, tête brûlée, casse cou, mais, tu l'écris : « Voleur à l’escapade, peut-être, et très habile ». « Jamais une effraction, pas une branche brisée. J’allais à pas de loup, par sentes et buissons ». A te lire, tu étais un gosse bon, gentil, cependant, prudemment, ne faisais-tu pas les coups en douce ? Devenu adulte, et aidé de l’écriture, prends-tu une revanche avec les mots ? Devant la page blanche, tu t’exécutes, tu exécutes librement, avec des mots, carnavalesques ou francs, très francs, comme si tu foutais une patate en pleine gueule à un mec qui t’emmerde. En fait, t’étais un môme bien, et c’est par la lecture et l’écriture que tu t’en sors ! Tu peux donner des coups sans faire trop mal. Tout compte fait, le petit Guy Darol était un enfant sage. Tu étais moins enclin à la bricole explosive, comme l’était l'un de tes potes, toi, tu « mijotais lentement, imbibé de phrases onctueuses, doucement mariné de vocables...» Tu es passé par des envies de nuire, de révolutions, mais jamais d’armes à la main, sauf en plastique. Tu dis bien cela ? Un poète calme mais cependant en ébullition ?

    GD : Joyeux, cher Bienvenu. L'enfant était joyeux, une joie sans rides. En dépit du mauvais temps que le capitalisme en crise (ce qui est le propre du capitalisme) offre à notre décor. Calme par la force des choses, agité au fond, voire agitateur. Ce qui me valut, en 1968, pour avoir professé l'oisiveté, une certaine turbulence (jamais la mise à sac de mon quartier), de connaître l'âpreté d'un conseil de discipline qui décida de mon renvoi du lycée Charlemagne. J'évoquai tout à l'heure mes fugues. Elles étaient nocturnes. Et mon père découvrit alors que son fils savait passer à travers les murs. Une technique souvent employée pour aller humer l'air des rues parisiennes. Je fus une fois pincé, rue Soufflot, et je sus ce qu'était la maison Poulaga et ses volières grillagées. Joseph vint m'en sortir et je crus qu'il me ferait connaître le cuir de ses mains paysannes. Après avoir mené la charrue et les chevaux de la ferme, il fut forgeron puis marin dans la Marchande. L'homme était robuste et leste de ses bras musclés. Je connais le sens exact du mot torlogne. Cette fois, éberlué par l'audace qu'il ne soupçonnait pas, il fut incroyablement paisible. Ce qui m'invita à renouer avec l'aventure. Anguille, agile, il est peu facile de me maintenir longtemps en état d'apnée. Je m'échappe à la manière de ces Hercules de foire qui faisaient autrefois démonstration de leur don, place de la Bastille. J'admirais le spectacle de leurs évasions. Plusieurs fois enchaînés, harnachés de cadenas inviolables, ils parvenaient toujours à retrouver la liberté. Ainsi je vécus, innocent enfant mis aux fers, habile à esquiver toute tentative de me tenir en laisse, soumis et silencieux. Ami, nos chemins se sont croisés car nous possédons l'art de la fugue. Qui pourrait nous soustraire au désir de grand air ?

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    BM : Guy, tu as connu, par le plus grand des hasards, dis-tu, les poètes du feu, ceux que la société méprise et que l’école de l’ignorance ne peut évidemment connaître. Quel est ce hasard ? Et que t-ont apporté ces     poètes ? En fait, te sentais-tu proche d'eux, de leur rébellion ? Je pense cela à force de t'entendre dire, enfant : « Si tu ne veux pas apprendre tu garderas les vaches » ou alors certains mômes et  professeurs, au lycée : «  D’où tu viens il te faudra faire tes preuves. » Tu as dû te battre contre cet acharnement, n’est-ce pas ?

    GD : La poésie est le seul guide mais j'ajouterais la philosophie, celle d'un certain Diogène ou du grand Nietzsche. Il me faut ici honorer les noms de Serge Koster et de Roland Brunet, deux Maîtres du service public, qui m'enseignèrent l'exercice de la pensée au temps que j'étais l'élève du lycée Voltaire. D'autres suivirent mais ces deux sémaphores chançardement placés sur mon chemin adolescent, ont été déterminants. Ils me firent découvrir Antonin Artaud, Georges Bataille, Karl Marx, Proudhon et Max Stirner. Inimaginable de nos jours ! Ces lueurs de la pensée en liberté éclairèrent ma jeunesse. Elles me furent données au début des années 1970. Si l'on observe la déliquescence programmée de l'enseignement des Lettres et de la Philosophie, il est utile de souligner que les potaches actuels, et ceux qui les suivront, sont dépourvus de tout espoir quant à la possibilité de penser par soi-même. Pour être complet, il me faut rendre hommage à mon père sévère, mon Joseph (décédé en 2004 et je ne m'en remets pas), attentif à mes professeurs, les vénérant sans l'ombre d'un cillement, et qui fit de moi, d'une façon discutable sur le fond, un lecteur et un lecteur intense. Il ne possédait pas le certificat d'études (se souvient-on de ce brevet indispensable au début des années 1940 ?) mais il avait deviné que les livres étaient un passeport. Je ne connus Noël, fêtes et anniversaires, qu'habillés de cadeaux qui étaient le Livre. Dès que j'eus 14 ans, je lui soumettais chaque semaine une liste d'ouvrages qu'il honorait sans rechigner. Je dois beaucoup à ces professeurs et à ce père qui m'initièrent à la lecture articulée sur le réel. Très tôt, je lus Antonin Artaud, Benjamin Péret et les auteurs publiés par Jean-Jacques Pauvert et Eric Losfeld. J'eus la chance d'avoir pour ami, au lycée Charlemagne, Romain Sarnel, l'un des meilleurs exégètes actuels de Nietzsche, qui m'incita à lire Baudelaire et Rimbaud. Le hasard a toujours posé sur mon épaule une main amie. Je ne l'avais pas cherché. Il se présenta, comme un luxe, à mes soifs qui restent encore à étancher.

    BM : A propos d’un de nos grands poètes, tu écris : « Je pense à Antonin Artaud, pour qui la réalité, souillée de mensonges, n’était qu’une abomination. Il déployait le Merveilleux contre les forces d’envoûtements et lançait des dés de magie. Etendre l’être à une dimension cosmique, s’élargir, exige une énergie constante. C’est une bataille continue. Faut-il se satisfaire des limites tracées du corps dans lequel on jette un voile en damier ? Car aujourd’hui l’homme s’insurge, ce n’est pas qu’il réclame plus d’être, mais l’amélioration de son confort dans une réalité d’images. Et non pour celles qu’il se fabrique, analogies, correspondances, enjambées dans l’imaginaire, mais le catalogue des clichés où il est invité sans cesse à se fournir, à se doper, pour s’élever au-dessus de la boue ». Artaud a souffert, lui qui a traversé les flammes et le feu, mais Guy, actuellement, nous sommes dans une situation critique, tout bouge, ça tangue, l’économie mondiale chute, les « petits », je parle des classes défavorisées souffrent. On veut fermer la gueule aux poètes, aux  écrivains. On vire des gens bien qui se trouvaient, il y a peu, à certains poste clés de la culture. Es-tu inquiet, toi, journaliste et écrivain ?  Je viens de lire, en première page d’un hebdomadaire, Siné Hebdo, ce titre signé Jules Lafargue. Je cite : « Qu’on les pende par les couilles en or ! » Il va plus loin : « Fusiller les riches de but en blanc serait de la folie : Il faut d’abord les mettre en prison et les affamer jusqu’à ce qu’ils aient fait revenir de l’étranger l’argent qu’ils ont caché(…) C’est seulement quand ils n’auront plus rien que nous les fusillerons ». Réponse de journaliste en colère ? Un éclat de mots dans la presse, à la gueule d’une certaine société ? Qu'en dis-tu ?

    GD : Fidèle à Antonin Artaud, j'expédie au néant ceux dont les mots ne sont pas un brise-lames. Fidèle à Antonin Artaud (comme je le suis à Stanislas Rodanski, Jean-Pierre Duprey, Jean-Daniel Fabre, André Laude), je biffe d'un grand trait houilleux toute écriture qui ne jaillit pas des abîmes. Je pourrais ainsi citer d'autres figures qui nous seraient des vigies essentielles, mais le temps agit contre les voyants. Le temps accélère une descente vers des gouffres sans fond ni nerfs. Antonin Artaud fut l'écho de mes vertiges nullement esthétiques. Je ne viens pas de la jeunesse dorée ni d'une histoire acquise à la victoire. J'appartiens au peuple des petits et des faibles. Je suis un petit et un faible et n'ai jamais cherché à rejoindre le courant ascendant. L'ascension, selon moi, est de croître à l'intérieur de notre propre histoire, d'assumer les pentes et d'en revendiquer les splendeurs. Je viens des serfs et des artisans de la Commune. Je suis voisin des anarchistes espagnols et me revendique libertaire. Libertaire et pacifiste. Furieusement libertaire et bravement pacifiste. Ceci dans une époque trouble qui porte en elle les germinations d'un retour au fascisme. Notre époque est fasciste et je ne manque jamais une occasion de le souligner. Peut-être est-il déjà trop tard ? L'école laïque, publique et obligatoire vacille sur ses assises républicaines. L'enseignement de la philosophie est menacé et l'on questionne aujourd'hui la possibilité de supprimer l'Histoire des programmes. Les maîtres des écoles primaires (j'insiste sur la formule) sont soumis à l'obligation d'indiquer certains auteurs, suivant une liste définie. L'exercice de la pensée, qui ne peut agir sans une connaissance exacte de notre histoire mondiale, est menacé. Le capitalisme s'effondre, entraînant dans sa déconfiture (prévisible de longue date) un système voué à l'échec, car inégalitaire. Toutes ces indications, désormais parfaitement lisibles, augurent d'une catastrophe qui nous reconduit aux temps féodaux. Nous marchons à l'envers et il y aura des morts. Je le dis en toute conscience. Le baromètre ambiant ne démentira pas. Le citoyen lambda que je suis est avisé et il avise au sein des structures qui lui sont fournies. Je passe le message là où il m'est (encore !) permis de le passer. Sur le front des luttes je me tiens, là où le combat est possible. Quant à l'écrivain : indignation totale. Que me viennent les noms de Benjamin Péret, d'André Laude ou de Guy Debord (d'autres me sont présents mais trop obscurs à nos lecteurs car ils appartiennent à mon rang) et la colère me montent aux joues. Qu'est-ce que la littérature aujourd'hui ? Serait-ce un bizness ? Rien ne me fait signe qu'il en soit autrement. Une réverbération des tares de notre temps : individualisme, égo, carrière perso. Rien qui ne colle aux étriers de mon enfance. La littérature était alors un combat, une mise en péril des puissants et des convenances. J'y suis venu avec le souci d'alerter. Ne possède pas la surface pour donner de l'ampleur à ma révolte. Jamais ne la posséderait. Je fais partie des zigues à plume et à clavier sans surface publique. Hormis la parole que tu me donnes, occasion de saisir le taureau par les cornes, nul ne se soucie de ce que j'en pense. Faible intérêt pour les insurgés du verbe. Tel est le temps, notre temps. Une époque sans souvenir. J'osais dire, avant hier, que le meilleur est à venir mais un bémol s'impose. Peu enclin à la prise d'armes, je souhaiterais lire et entendre plus de colères. Et c'est ainsi que je lis Siné Hebdo et Le Nouvel Attila avec une ferveur impossible à dissimuler.

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    A l'occasion de la publication de Frank Zappa/One Size Fits All/Cosmogonie du Sofa (Le Mot et le Reste, septembre 2008), Guy Darol rencontrera ses lecteurs à la Librairie Dialogues de Brest, le vendredi 31 octobre à 18h.

    LIBRAIRIE DIALOGUES

    Forum Roull

    Rue de Siam

    Brest 29

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    GUY DAROL A LA LIBRAIRIE DIALOGUES

    www.librairiedialogues.fr

     

     

     

     

     

  • CINEMAS DE BELLEVILLE

     

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    Le Ménil Palace

     

    Cher Guy,

    Je cherche toujours à comprendre pourquoi, depuis tant et tant d’années, la rue du Pressoir est si présente dans ma mémoire. Probablement que sommeillent, au fond de moi, l’enfant et l’adolescente que j’étais. Ce temps-là ne me semble pas si loin et pourtant …

    Avec mon amie Liliane nous en avons fait des pas dans cette rue et dans tout le quartier. Sans vraiment d’argent, nos sorties s’en trouvaient limitées mais Liliane se débrouillait toujours pour obtenir, de ses parents, un peu d’argent de poche.

    Nous pourrons, peut-être, nous offrir une toile au Ménil-Palace ou encore au Phénix de la rue de Ménilmontant, ou bien au Cocorico sur le Boulevard de Belleville proche de la rue de Belleville, nos trois cinémas préférés.

    Le Phénix se trouvait dans le bas de la rue de Ménilmontant sur le trottoir de droite en remontant. Le Ménil-Palace se situait plus haut, à côté du Prisunic, sur le même trottoir de droite, pratiquement en face de la rue Julien Lacroix. Nous avons tendance à l’oublier mais il y avait un autre cinéma sur le Boulevard de Ménilmontant, en direction du Père Lachaise, et dont le nom m’échappe. D’après un écrit d’Edgar Morin (qui a vécu dans notre quartier) rédigé en espagnol, que j’ai tenté de traduire, mal traduit, mais malgré tout je comprends les grandes lignes, Edgar Morin parle du Ménil-Palace, du Phénix et de ce troisième cinéma situé sur le Boulevard de Ménilmontant. Son nom serait le XXe Siècle.

    Si je me reporte au temps des années 1963/64, une place de cinéma coûtait un peu plus d'1 franc, l’esquimau à l’entracte dans les 20 centimes. Je ne pense pas être très loin de la vérité.

    A cette époque, on peut dire que le cinéma, c’était du vrai spectacle. Je nous revois toutes les deux, côte à côte, confortablement assises dans nos fauteuils, attendant que les lumières baissent tout doucement, que le spectacle commence. Il fuse des «Taisez-vous ! chut !» pour les petits malins qui n’auraient pas compris. Plus un bruit dans la salle, nous pouvons maintenant assister, avec une grande élégance, à l’ouverture des rideaux qui dissimulent un gigantesque écran. Il nous est, tout d’abord, présenté un documentaire quelque peu ennuyeux, par la suite la réclame avec ce très fameux Balzac 00 01 Jean Mineur Publicité 79 Champs Elysées Paris, phrase et petit bonhomme inoubliables. Après diverses réclames les rideaux se referment, l'un reste fermé sur l’écran pendant que l’autre s’ouvre de nouveau pour laisser apparaître un artiste en herbe, peut-être un magicien. 

    Maintenant, le film ! Il est fort possible que notre choix se soit porté, une fois de plus, sur un Josélito et une fois de plus nous verserons des larmes. Il nous aura fait pleurer, ce Josélito. Je crois bien que nous avons vu la majorité de ses films. Ou alors, non Liliane, pas un Hercule, je suis à saturation, La Vengeance d’Hercule, Le Triomphe d’Hercule, Les Amours d’Hercule, Hercule Se Déchaîne, pour n’en citer que quelques-uns. Depuis, je déteste les péplums tout autant que les westerns que nous avons consommés sans modération. 

    Nous n’avons pas vu que ça ! Impossible de rater le film avec l’idole des jeunes de l’époque (D’où Viens-tu Johnny ?) et bien évidemment ceux avec Elvis Presley, bien meilleur chanteur que comédien. Mais oui, mais oui, nous avons aimé certains navets dont Elvis était la vedette. Il faut bien que jeunesse se passe. Et bien sûr, j’en oublie.

    Ah ! nos sorties au ciné ! Que de bons souvenirs et malgré les difficultés de la vie, cette vie, nous l’avons croquée à pleines dents, en toute insouciance. 

    Voilà, c’était la dernière séance et le film est terminé pour reprendre quelques mots d’une chanson d’Eddy Mitchell qui a vécu à Belleville lui aussi. Je referme le couvercle sur ce récit afin qu’il retrouve sa place dans les archives de ma mémoire.

    Avec toute mon amitié,

    Josette

  • GERARD LAVALETTE PHOTOGRAPHE

     

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    Gérard Lavalette suspend le temps. Ses images conjuguent le Paris des années 1960 et la ville d'aujourd'hui. Sans doute sait-il capter l'éternité des visages, l'invariable des émotions, toujours refusant de se plier aux ordres de jamais plus ? Les photographies de Gérard Lavalette sont une affirmation du piéton, le flâneur des rues au parfum d'asphalte.

    Bibliothèque Faidherbe

    18, rue de Faidherbe 75011 Paris

    jusqu'au 30 octobre.

    Quelques liens pour partager le butin de Gérard Lavalette :

    http://www.parisfaubourg.com/galerie/picture.php?cat=1&image_id=407&expand=12,1

    http://www.parisfaubourg.com/

    http://www.pariscool.com/index.html

    http://www.flickr.com/photos/gerard_lavalette/sets/

    LA  STATION DE MÉTRO CHARONNE SOUS LA NEIGE

    par

    Bienvenu Merino

    La chaussée, tapie d’un blanc somptueux, incrustée

    de pépites de nacre,  éveille en nous nos jeux de neige

    joyeux et nos rêves de Noël. Cette photographie a

    la beauté et la rareté d’un carat, provenant des mines

    à ciel ouvert, d’un pays à l’image de notre village

    d’enfance  unique et inoubliable.  Sous un ciel

    tourmenté d’étincelles de flocons, le piéton hésite

    de ses pas, dans ce paysage, non d’une Russie

    dont chacun de nous se souvient  sa tragédie,

    mais d’un Paris, qui ne peut nous faire perdre,

    un seul instant, sa couleur  grise éternelle, où

    nous demeurons depuis quatre mille ans.

    Le visage blanc et triste d’un clown, réfugié

    sous la lampe d’un réverbère pour avoir moins

    froid éclaire les yeux des enfants. Il ne rit plus,

    il ne fait plus rire. La neige silence et apaise,

    mais son blanc de paix,  réveille tout à coup

    en nous, le souvenir du linceul de la station

    Charonne, du huit février mille neuf cent

    soixante deux : la  « bombe » explosive partit

    des fusils, que l’histoire, fit éclater dans les poches

    des victimes et les cœurs des Français,  dont la

    mince pellicule de neige, même éternelle, ne peut

    faire oublier la tragédie, que vécurent les parisiens,

    dont  nous fûmes.

     

     

     

     

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                

  • FELIX BRAMI, APO /AMIS, QU'ETES-VOUS DEVENUS ?

     

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    Félix Brami

     

     

    Cher Guy,

    Lorsque mon amie la solitude vient me rendre visite, je reprends le petit train de ma jeunesse, le passé remonte à la surface, je revois des visages, des endroits, des situations et tout ce qui a fait de moi ce que je suis. Ce petit train va bien évidemment me déposer rue du Pressoir, la rue de mon enfance et de la vôtre, cette rue que j’ai adorée et si vivante dans les années 50/60.

    J’ai aimé vivre mon enfance et mon adolescence dans ce quartier populaire de Ménilmontant, faire le tour du Boulevard comme nous disions avec Liliane, s’asseoir sur la pierre en face du garage et regarder les gens passer. Nous pouvions passer des heures sur cette pierre en attendant les copains.

    A cet endroit, souvent, il nous arrivait de taper la discute avec le champion de boxe des années 60, Félix Brami, qui habitait notre quartier. Je le revois très bien, il passait dans la rue du Pressoir au volant de sa décapotable et s’arrêtait à notre hauteur et nous parlions un moment. Tout le monde dans le quartier connaissait Félix Brami, il faut dire qu’il ne passait pas inaperçu. Très sympa ce Félix mais qu’est-il devenu notre champion ?

    Lorsque nous serons tous réunis, nous quitterons cette pierre pour redescendre notre rue et il est fort possible que nous ferons un arrêt, vers le bas de la rue du Pressoir, chez Apollinaire, notre copain, qui devait avoir une dizaine d’années de plus que nous. Apo, comme nous l’appelions, avec ses cheveux d’ébène et son sourire d’ivoire, arrivé seul dans notre pays en  pensant y trouver une vie meilleure. Il vivait dans une pièce sans fenêtre dont la superficie devait atteindre les 10m², une niche au fin fond d’un couloir lugubre et très sombre. Chez lui nous écoutions de la musique ou parlions de sa culture différente de la notre. Je pense que sa vie était moins triste et qu’il se sentait moins seul avec nous. Cette amitié a duré dans le temps. Jusqu’au jour où je me suis aperçue que, pour moi, il aurait décroché la lune. A partir de ce moment là, je me suis éloignée, sur la pointe des pieds, surtout ne pas faire de dégâts, mais je ne suis pas certaine qu’à 17 ans on ait le cœur assez grand pour ça. Malgré tout, je persiste à croire que pour aimer il faut être deux. Nous reparlons souvent de lui et de ces bons moments passés ensemble, qu’est-il devenu ? Au moment de la retraite est-il reparti dans ce grand et beau pays qui l’a vu naître ? Nul ne sait. Le revoir ? Pourquoi pas ? Ça fait bien longtemps mon vieux copain.

    Lentement je lève le voile sur l’histoire de la rue du Pressoir mais c’est, aussi, sur moi que je lève le voile car cette histoire est également mon histoire. Dans ma mémoire j’ai classé et archivé tous ces petits moments alors, croyez bien, cher Guy, que ma réserve est remplie de documents plus ou moins croustillants.

    Avec toute mon amitié,

    Josette

     

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  • DE LA RUE DU PRESSOIR A BERCK PLAGE


    La famille Idoux arrive à la mer
    par
    Bienvenu Merino

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    De la voiture au side-car

    Dans les années 1880, les constructeurs d’automobiles hésitèrent longuement entre la vapeur et l’électricité pour actionner leurs moteurs. Finalement, ce furent l’essence et le moteur à explosion qui prévalurent, parce qu’ils étaient plus pratiques pour les longues distances. En 1891, sous licence Daimler naquit la première voiture à essence française, Panhard et Levassor. En 1894 s’effectuait  la première course automobile Paris-Rouen que gagna une De Dion-Bouton à vapeur. Le code de la route naquit en France en 1899.
    Dans le 20e arrondissement de Paris, rue du Pressoir, la famille Idoux habitait aux numéros 23-25 dans un bel immeuble, mais cependant sans grand confort et sans que les propriétaires sous influence de l’état ne veuillent faire le nécessaire pour rénover les appartements. Mais en août, la famille Idoux partait en vacances, à Berck Plage : le side-car, la mer, le soleil, les copains… Pour notre amie Josette, le rêve ! Comme certains parisiens, monsieur Idoux était un féru de motocyclette et plus tard de side-car. Et là alors, adieux les soucis, le travail, bonjour la vie. Partir en vacances avec ses trois filles et son épouse : un régal !
    1905 vit apparaître la première ligne d’autobus à moteur Saint-Germain-des-Prés/Montmartre et le taximètre automobile. Les fiacres, bien que modernisés sur pneumatiques et dotés du dernier confort, même de chaufferettes en hiver, ne survécurent pas à cette concurrence et disparurent un à un. L’électricité vaincue sur la route par le moteur à essence prévalut au contraire pour les chemins de fer souterrains. A la fin du siècle dernier, l’ingénieur breton Fulgence Bienvenüe construisit la première ligne de métropolitain Vincennes-Maillot. Elle fut inaugurée le 19 juillet 1900, pendant l’Exposition Universelle. Avant de triompher, le métro avait rencontré bien des oppositions. Les cochers de fiacre le prétendant insalubre l’avaient baptisé le « nécropolitain ». A la Chambre, un député l’accusa même d’être « antipatriotique et attentatoire à la gloire de Paris ! » Il est vrai que, à l’origine, les projets de métro aérien proposés défiaient parfois l’imagination et l’esthétique. Enfin, la modération l'emporta, les Parisiens apprécièrent leur métro, ses stations de faïence blanche et ses bouches aux grilles évanescentes de pur moderne style.
    Le trafic fluvial sur la Seine allait bon fleuve. Les chalands et les péniches croisaient, les fameux bateaux-mouches, qui font encore la joie des touristes après avoir desservi la ligne régulière Pont-d’Austerlitz/Viaduc d’Auteuil. Ils avaient été créés en 1866, à la veille de l’Exposition Universelle, afin de succéder aux coches d’eau. Passée la floraison fantaisiste des voitures artisanales de tous genres et de tous styles, à deux, trois ou quatre roues, la production automobile se normalise en atteignant le stade industriel après la guerre de 1914. Dans les années 20, le cycle-car livra le dernier assaut des voiturettes, perdu d’avance. Le succès de cette ingénieuse curiosité n’eut qu’un temps. A la recherche de lignes aérodynamiques triomphaient déjà de belles voitures comme les Bugatti, Delahaye, Hispano-Suiza.
    1934 vit l’apparition de la traction avant Citroën, tandis que la loi des quarante heures et les congés payés de 1936 lançaient sur les routes la triplette et le tandem. C’est de cette époque que date l’exode estival des Parisiens. Monsieur Idoux n’attendit pas très longtemps pour se fabriquer ingénieusement, lui-même, son propre side-car en forme de noix, derrière comme devant. Formidable cocon familial, pour réunir sa petite famille au complet et essayer de vivre heureux son amour !

     

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    La famille Idoux en voyage

     

  • LILIANE ET JOSETTE

     
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    Josette et Liliane, deux copines de la rue du Pressoir
    Cher Guy,
    Je vais maintenant parler de mon amie d'enfance Liliane. Notre amitié a débuté en 1961 sur le trottoir de la rue du Pressoir et nous sommes très vite devenues inséparables. Notre relation n'était pas du goût de tout le monde, certains locataires du 23 comme du 25 l'ont, d'ailleurs, fait savoir. Ma foi, cette amitié dure depuis 47 ans.
    La photo de nous deux date de 1963 ou 1964, nous n'avons pas en mémoire l'année exacte. Elle a été prise sur le Boulevard de Belleville, par un photographe qui se tenait sous un porche à côté d'un petit cinéma où, très souvent, il était programmé des westerns. Ce cinéma se situait pratiquement à la hauteur de la rue Ramponneau.
    Peu après notre rencontre notre bande de copains s'est formée : six garçons pour deux filles  en majorité de la rue du Pressoir sauf deux du Passage Deschamps. A cette bande de garçons s'ajoutaient les frères de Liliane, les jumeaux.
    Toute notre bande se retrouvait, toujours chez Liliane où nous pouvions, en toute liberté, profiter pendant des heures de franches rigolades, danser et chanter. Comment résister à la déferlante des groupes anglos-saxons, des Rockeurs comme Elvis et bien d'autres puis des Yé-yés  qui nous arrivaient, à commencer par Johnny, les Chaussettes Noires et les Chats Sauvages ? Quelle révolution pour notre jeunesse !
    Nos ballades dans tout  le quartier et principalement sur le Boulevard de Belleville, les diabolos fraises, les glaces à l'Italienne, le Ménil Palace, le Cocorico sans oublier les garçons que nous rencontrions sur notre parcours... Dans ce domaine, jamais l'une n'a empiété sur le territoire de l'autre et pour cause, pour une fois, nous n'avions pas les mêmes goûts. Liliane préférait les bruns et moi les blonds aux yeux bleus et de préférence aux cheveux longs. Evidemment Liliane possédait un sérieux avantage sur moi, mon idéal ne se trouvant pas à tous les coins de rues.
    Nous nous retrouvions, aussi, très souvent au café de la rue du Pressoir chez Mme Andrée. Le soir nous écoutions Salut les Copains, nous étions souvent assises en face du garage sur la pierre.
    En 1964 j'ai fait embaucher Liliane dans l'entreprise où je travaillais, place Martin Nadaud en face du Père Lachaise, elle y travaille toujours sauf que l'entreprise a déménagé. Après 45 ans de bons et loyaux services elle prendra sa retraite en 2009.
    Pour ma part, à cette époque, cette vie ne me convenait pas. A 16 ans j'avais décidé de partir au Canada mais j'avais simplement oublié qu'il m'était impossible de laisser ma mère seule. Je me suis sacrifiée et j'ai, alors, abandonné mon projet.
    Voilà la petite histoire de Liliane et de Josette, deux copines de la rue du Pressoir.
    A bientôt, cher Guy,
    Josette

  • L'ESCALIER OU S'ELEVE L'ENFANCE

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    23-25, rue du Pressoir

    Au 23-25 de la rue du Pressoir, je n'ai vécu que les six premières années de ma vie (des années capitales) et il m'arrive souvent de refaire dans ma tête le chemin qui des trottoirs de la rue menait à la porte du deux pièces que nous occupions au quatrième étage.

    Ce chemin est désormais éclairé par les lumières de Josette Farigoul à qui j'ai demandé de me conter l'escalier, un escalier bien sombre, grinçant et qui, selon elle, foutait la trouille.

    "Cher Guy,
    A votre question, si je me souviens de l'escalier qui grimpait à votre étage, je répondrais qu'il me reste, bien sûr, quelques souvenirs. J'étais très souvent de votre côté et il est évident que je vous ai croisé, à un moment ou à un autre, ainsi que vos parents.
    Je revois très bien l'entrée carrelée du 23-25 de la rue du Pressoir, juste en entrant, sur la gauche, la porte de Madame Dilouya, la Tunisienne comme nous l'appelions, sa fenêtre blanche donnait sur la rue. En prolongement de sa porte, votre escalier. Je dirais, trois marches droites face à l'entrée de l'immeuble puis l'escalier tourne sur la gauche, il monte droit jusqu'au 1er étage. Les marches en bois grincent sous l'effet de notre passage. Les murs sont écaillés et de couleur marron foncé. Au palier du 1er nous tournons sur la droite pour monter aux étages supérieurs. L'escalier ainsi que les couloirs sont très sombres, je vois quatre  appartements par palier, une porte de chaque côté des paliers au fond à droite et à gauche et deux autres portes sur la gauche en arrivant à chaque étage. Les fenêtres des appartements de gauche donnent sur la rue et celles des appartements de droite sur la cour de mon côté, face à mon immeuble, du moins face aux fenêtres des chambres du 25, côté matelassier pour mieux se repérer. A chaque palier des WC à la turque et un robinet.
    Au regret de vous dire, cher Guy, que je n'étais pas très à l'aise de votre côté. Les couloirs bien trop sombres et sans fenêtres, le cliquetis de la minuterie, cette minuterie qui, bien évidemment, se coupait au moment où je me trouvais entre deux étages, le grincement des marches de l'escalier, un cocktail détonant pour foutre la trouille à un enfant. Les voisins m'attendaient pour leurs courses alors je prenais mon courage à deux mains, je grimpais très vite les étages.
    Il me semble bien que les locataires du 23 étaient  plus calmes que ceux du 25 et mis à part les habitants du 4ème, et oui vos voisins Guy, je n'ai pas souvenance de réels problèmes dans cet immeuble.
    Voilà encore un bond dans le temps où j'ai pu un instant me retrouver chez nous au 23/25 de notre chère rue du Pressoir.
    Avec toute l'amitié de votre voisine,
    Josette"
  • FORMULAIRE POUR UN URBANISME NOUVEAU

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    Nous nous ennuyons dans la ville. Il n'y a plus de temple du soleil. Entre les jambes des passantes les dadaïstes auraient voulu trouver une clé à la molette, et les surréalistes une coupe de cristal, c'est perdu. Nous savons lire sur les visages toutes les promesses, dernier état de la morphologie. La poésie des affiches a duré vingt ans. Nous nous ennuyons dans la ville, il faut se fatiguer salement pour découvrir encore des mystères sur les pancartes de la voie publique, dernier état de l'humour et de la poésie :

    Bains-Douches des Patriarches

    Machines à trancher les viandes

    Zoo Notre-Dame

    Pharmacie des Sports

    Béton translucide

    Scierie Main-d'or

    Centre de récupération fonctionnelle

    Ambulance Sainte-Anne

    Cinquième Avenue café

    Rue des Volontaires Prolongée

    Pension de famille dans le jardin

    Hôtel des Etrangers

    Rue Sauvage

    Et lapiscine de la rue des Fillettes. Et le commissariat de police de la rue du Rendez-Vous. La clinique médico-chirurgicale et le bureau de placement gratuit du quai des Orfèvres. Les fleurs artificielles de la rue du Soleil. L'hôtel des Caves du Château, le bar de l'Océan et le café du Va et Vient. L'hôtel de l'Epoque.

    Et l'étrange statue du Docteur Philippe Pinel, bienfaiteur des aliénés, dans les derniers soirs de l'été. Explorer Paris.

    Et toi, oubliée, tes souvenirs ravagés par toutes les consternations de la mappemonde, échouée aux Caves Rouges de Pali-Kao, sans musique et sans géographie, ne partant plus pour l'hacienda où les racines pensent à l'enfant et où le vin s'achève en fables de calendrier. Maintenant c'est joué. L'hacienda, tu ne la verras pas. Elle n'existe pas.

    Il faut construire l'hacienda.

    Toutes les villes sont géologiques et l'on ne peut faire trois pas sans rencontrer des fantômes, armés de tout le prestige de leurs légendes. Nous évoluons dans un paysage fermé dont les points de repères nous tirent sans cesse vers le passé. Gilles Ivain

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    in INTERNATIONALE SITUATIONNISTE

    Numéro 1 - Juin 1958

     

     

  • LE PIETON BLANC

    à Jérôme Mesnager, créateur de ce piéton que je rencontre parfois lors mes promenades salutaires

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    Depuis de longues années je croise le piéton blanc, silencieux. Que se soit, rue du Temple, sur les hauteurs de la Courtille , rue du Soleil, proche des choses simples de la vie, et aussi près des livres. C’est là que nous nous sommes rencontrés, hier, en librairie. Nous avons, lui et moi, la marche en commun. Je me suis demandé s’il arrivait du Père Lachaise, tout proche. Cependant je ne le pense pas ! Là, à l’oreiller de la rue du Repos demeurent ses collègues, eux, ne se déplacent pas ou très peu.

    Je l’ai vu si souvent le piéton blanc que parfois je me dis : « Ce doit être effrayant de savoir que les cimetières de Paris se vident de leur défunts personnages, en période de Toussaint, quand viennent les familles au cimetière avec une jolie fleur à la main».

    C’est un marcheur d’avenir, ne croyez pas le contraire ! Et aussi un coureur de fond comme il existe des mineurs de fond. Mais lui ne serait jamais entré dans l’ossuaire des Catacombes, même pour une courte visite. Il se sent mieux à l’air libre, encore que….

    La promenade est une activité sans équivalent, un art à part entière, à laquelle seule une élite débarrassée des basses contingences matérielles peut goûter pleinement à condition de posséder une certaine « ingénuité de l’âme » et un bagage culturel approprié. Un art de vivre en somme qui est plutôt de l’ordre esthétique qu’intellectuel. Jeu du corps qui met en branle les mécanismes de l’esprit. Mais cependant, je vous certifie qu’il  ne faut pas être intello pour se dire marcheur. J’ai beaucoup vu lors de mes voyages des familles entières marcher dans la pampa Argentine ou tout au long des routes du Brésil, de Puerto Allègre à Fortaleza, de Bahia de tous les Saints à Manaus, tous étaient à la recherche du sauveur,  d’une miette de travail ou simplement parce qu’ils n’avaient pas les moyens de  payer le transport.

    Jean-Jacques Rousseau pratiquait régulièrement la promenade, pour réfléchir et herboriser à loisir. Dans sa jeunesse, il effectua plusieurs longs voyages à pied dont le premier le conduisit à travers les Alpes, depuis Genève jusqu’à Turin.

    Arthur Rimbaud fit la traversée en hiver du Saint Gothard, à pied. Voici quelques lignes de ce qu’il écrivit : « …la route, qui n’a guère que six mètres de largeur, est comblée tout du long, à droite, par une chute de neige de près de deux mètres de hauteur, qui, à chaque instant, allonge sur la chaussée une barre haute d’un mètre qu’il faut fendre sous une atroce tourmente de grésil. Voici…  plus une  ombre dessus, dessous ni autour… plus de route, de précipice, de gorge, ni de ciel : rien que du blanc à songer, à toucher…voici… à fendre plus d’un mètre de haut sur un kilomètre de long. On ne voit plus ses genoux de longtemps… »

    Aujourd’hui, l’homme en difficulté, essentiellement urbain, qui vit dans la rue, s’oppose traditionnellement au chemineau, son homologue des routes et des villages qui avait fait de la nature toute entière son royaume.

    Marcher pour ne pas mourir ou devenir fou ! Avant de sombrer profondément dans la dépression, le narrateur d'Un homme qui dort, mon ami Georges Perec était un homme qui marchait jusqu’à ce qu’il se retire définitivement dans sa mansarde, parfaitement indifférent au monde.

    momotombo.JPGJ’ai rencontré en Alaska des marcheurs rares, des vrais, qui du voyage avait fait un métier et que je retrouvais tout au long des saisons, dans des pays très éloignés les uns des autres. Certains de ces voyageurs rencontrés en Alaska, je les revoyais quelques mois après à Irazú,  volcan du Costa Rica, à plus de 3432 mètres d’altitude, puis plus tard au sommet de deux autres volcans, au Nicaragua, le Momotombo et le Momotombito , et bien plus tard, en Terre de Feu, là- bas où fini le sable, au large de Puntas Arénas, Chili, où Augusto Pinochet isola au milieu des glaces, hommes et femmes, afin qu’ils comprennent que la liberté n’était pas leur DROIT, jugeant en son âme et conscience qu’ils méritaient d'être considérés comme des chiens.

    Le vrai marcheur, connaît rarement l’ennui, la solitude, la peur, le racisme, il s’intéresse à tout.  Tout est réflexion, discipline et labeur et il doit posséder beaucoup de talent,  pour que les expériences les plus difficiles lui soient profitables et légères, afin d’entreprendre  de façon professionnelle, comme un danseur de tango et de flamenco, sur les pointes des pieds, et rester à la hauteur des plus grandes étoiles du firmament, proche, non seulement des hommes et des femmes, de la jeunesse et des anciens, mais également des bêtes : loups, ours, rapaces, tout ce qui est sources intarissables qui peuvent enrichir son expérience. Il est, pour certains, de ces étoiles ayant fui  les écoles, et pour d’autres,  passé tous les examens de la conscience se graduant au fil des kilomètres, des chemins et des routes où chaque jour il doit résoudre les problèmes, seul, sans rien demander au monde, au contact d’une nature gigantesque où le voyageur se livre, corps et âme, les yeux grands ouverts, se cultivant ainsi de toutes les choses la vie, et utilisant avec subtilité les combinés appris au contacts quotidiens avec leur environnement sauvage ou au contraire très civilisé.

    Dans le monde actuel, moderne, nous avons en France, un exemple, non du marcheur, mais du coureur peu commun, le Président de la République, Nicolas Sarkozy. Lui n’est pas un marcheur, mais un coureur des bois, Bois de Boulogne, il a su se débarrasser de «  toute la racaille » du Bois des Amants, afin d'être mieux à l’aise pour réfléchir, tout en courant, et affronter les problèmes des ni putes ni soumises. Comment pénétrer la zone,  lui qui n’a jamais vécu la joie ou la tristesse de ces filles. C’est un vrai sprinter, à sa manière d’affronter l’obésité des autres, la précarité, et de se débarrasser de l’empilement haut des dossiers, de la came, du poids de Cécilia, de la légèreté de Carla, des fidélités de sa troupe de ministres girouettes fragiles. Regardez ! Besson, Attali, et tous les autres, régiment de trouillards avançant avec obéissance derrière leur petit  Napoléon de Président. C’est un chique-came, qui renverse la vapeur quand il  veut, et roule les mécaniques, tel un boxeur, avant d’allonger une droite à un adversaire de gauche. Et flac ! Il a du répondant dans la voix : « Qui a dit ça ? Descend si t’es courageux ! » Et dans le geste, lorsqu’il pince du bout de  ses doigts secs, la joue de sa chère Cécilia, le jour où il prend les pouvoirs à L’Elysée, devant des milliards de téléspectateurs de la planète entière. Pincée comme on tourne un interrupteur pour éteindre la lumière. Le visage de son épouse, Albéniz, ce jour-là,  avait tout de la bonne espagnole égarée et paumée, servante au Palais du Prado comme si le Caudillo mécontent l’avait  réprimandé et humilié, et dont ce Prince de l’Elysée serrait la joue entre ses pinces, devant la Cour et des centaines d’invités. J’ai vu ça, à la TV , l’intronisation vraie et chèros, ne confondez pas, chair et en os, ce qui est de même. Les dernières élections Présidentielles auxquelles l’Etat nous convoquait étaient en effet dominées par l’enchevêtrement contradictoire de deux types de peur. Il y a d’abord la peur que je dirais essentielle, celle qui caractérise la situation subjective de gens qui, dominateurs et privilégiés, sentent que ces privilèges sont relatifs et menacés et que leur domination n’est peut-être que provisoire, déjà branlante. En France, puissance moyenne dont on ne voit pas que l’avenir puisse être glorieux, sauf si elle invente la politique qui soustraira le pays à son insignifiance et en fera une référence émancipatrice planétaire, l’affect négatif est particulièrement violent et misérable. Il se traduit par la peur des étrangers, des ouvriers, du peuple, des jeunes de banlieues, des musulmans, des noirs venus d’Afrique…Cette peur conservatrice et crépusculaire, crée le désir d’avoir un maître qui vous protège, fût-ce en vous opprimant et paupérisant plus encore. Nous connaissons  les traits de ce maître aujourd’hui : le coureur Sarko, un flic agité qui fait feu de tout bois, et pour qui, coups médiatiques, financiers, amicaux et magouilles de coulisses sont tout le secret de la politique.

    Pour revenir à mes amis fidèles, le piéton blanc, est d’une grande honnêteté et humanité. Son activité est grande ; je l’ai vu à New-York, sur la muraille de Chine et bien plus loin encore, avant que nous traversions ensemble la mer pour aller à loisir au Portugal, vers des sourires et des amours, comme si là était nos métiers.

    Cher piéton blanc, si l’idée vous prenait de stationner, rue du Pressoir vous encourez le risque d’un procès-verbal. Ici, tout est réglementé. Certains guettent. Vous êtes prévenu si vous voulez faire de vieux os.  Bienvenu Merino 

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    Momotombo

     

  • MARTIAL CHANTE MENILMONTANT

     

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    Tomas et Martial, ce guitar hero

    Bienvenu Merino est un prosélyte de la rue du Pressoir. Un jour, il donne rendez-vous à son neveu Martial pour une flânerie dans le quartier. Martial possède une voix, une guitare. Bienvenu a une caméra de poche. Et voilà le travail.

    Martial chante ses propres chansons et  le répertoire de Georges Brassens.
    On peut le voir et l'entendre à l'adresse Aux amis de Georges, 62 rue Caulaincourt 75018 Paris
    _____________
    Vins, guitare, flâneries 

    La vie est belle

    Lettre de Bienvenu Merino

    à Guy Darol

    Toi, aujourd’hui, tu es sur la côte bretonne, proche de la « m’ère », mais voici Guy, un peu de Paris. Une chanson d’Aristide Bruant, Belleville Ménilmontant, chanté par Martial, villa des Faucheurs, lors de notre périple dans l’île de ton enfance. Martial a beaucoup d’intérêt pour ce quartier et il est bon curieux ; c’est un excellent  faiseur de chansons, sa guitare toujours sur le dos, semblable aux mères africaines portant leur enfant, avec sa musique et de belles paroles toujours dans le cœur. En bon reporter, je lui ai  montré, la rue de ta prime enfance, ton école maternelle, tes trottoirs, ton collège, ton environnement de môme, ton cinéma, ton arrêt de bus, tes ciels et terre de la marelle dont j’imagine toujours le tracé à la craie dans la courbe de la rue du Pressoir, où ta maman  te contemplait heureuse, se disant émerveillée : «Mon ptit Guy, tu finiras bien par bondir jusqu’au ciel avec tes sauts de spationaute et tes devoirs assidus pour l’écriture ». A Martial,  je lui ai montré aussi tes livres et ton travail quotidien sur le site littéraire, et l’autre, notre blog, dédié aux habitants de Ménilmontant. J’ai dit à Martial, qu’autrefois, dans ces parages, tout était planté de vignes. Il était rayonnant de m’entendre parler de vendanges, de vin, de pressoir ; il humait, respirait et cherchait déjà un bistrot me demandant : « T’as pas soif, t'as vraiment pas soif, toi ? Pourquoi j’ai si soif, moi ? ». 

    Ce petit clip, sans aucune prétention, est enregistré avec ma petite caméra miniature  et discrète, de deux centimètres par deux. Laurent Cantet, lui, viendra une autre fois, pour mon film, le long métrage, beau et fin, de la poésie en somme, que nous soignerons avec délicatesse et amour. Tu verras, malgré toutes les techniques, la voix de Martial est un peu voilée par un vent qui nous punissait, j’ose dire, du vin que nous avions bu à table, pendant le déjeuner. Ce jour là, nous avons passé un bel après midi, tour à tour, heureux et joyeux, assoiffés et consommateurs dans de bons bistrots encore nombreux dans le haut de la ville, à plus de 717 mètres. Je parle comme si j’étais au sommet de l’Everest, la neige dans les baskets et le nez flottant dans des arômes naturels. « C’est ça qui donne soif, t’as pas soif,  répétait Martial à son cousin Tomas, qui en bon arpenteur, nous accompagnait, à peine descendu de l’avion provenant de Santiago du Chili, avec un bac philo et l’examen en poche pour une grande École à Paris.

    Ce jour là, tous les trois, curieux de tant de valeurs qui existent dans Paris, nous étions découvreurs, encore, des vestiges innombrables dans le haut de Ménilmontant, près des rues, Piat et des  Envierges, avec la vue splendide sur un Paris toujours magnifique presque à perte de vue. Très observateurs, nos regards à l’unisson enchantaient les passants souriants et complices de notre bonheur, complices de nous voir gamins rieurs, musiciens, guitare en bandoulière et chansons dans le cœur et avec des yeux bons d’un Charles Bukowski, vagabond et si grand poète. J’aurais voulu que tu sois avec nous, Guy, et Josette aussi, pour mieux goûter et éprouver entre amis les sensations fortes qui donnent courage et beauté aux êtres protecteurs et sauveteurs d’un patrimoine historique. Tout un passé, qui s’éloigne, à petit pas, de l’enfance, de notre existence de rêveurs, troubadours des Lettres. Troubadours simplement, libres et responsables de ce que des hommes nous ont légués afin de conserver, protéger et soigner un patrimoine extraordinaire, riche, célèbre et connu de tous. Martial chante comme il respire ; mieux, il crée. Il a tout de sa maman, Bohème, elle aussi, chanteuse et musicienne, au petit conservatoire de Mireille, et partie un mauvais jour pour un long voyage interminable dont nous savons qu’elle ne reviendra pas. Quoi dire de plus, Guy ?

    Oui ! Je vais souriant, rue de Ménilmontant avec Tomas et Martial  pour te dire, qu’il y peu de temps, j’ai été magnifiquement surpris par des photos anciennes de ta  rue, avec ta maison, ton palier, ta cour invisible jusqu’alors. Magnifiquement surpris par cette rue du Pressoir à laquelle maintenant je suis lié comme un nouveau né au sein de sa mère.

  • JOSETTE FARIGOUL/BIENVENU MERINO/LE GRAND ENTRETIEN

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    La rue du Pressoir (vraiment) autrefois

    Bienvenu Merino : Josette Farigoul, cela fait plus de quarante ans que vous n'étiez pas revenue, rue du  Pressoir. Retrouve-t-on sa petite enfance en faisant à nouveau ses premiers pas dans cette rue qui n’a plus rien à voir avec celle  qui vous a vu naître? Je crois que vous aviez dix neuf  ans lorsque vous avez du quitter l’immeuble avant que le quartier ne soit livré à la destruction pure et nette. Ce n’est pas trop difficile d’en parler ?

    Josette enfant 1.JPGJosette Farigoul : A cette première question je répondrais que je n’ai absolument pas retrouvé ma petite enfance lors de la redécouverte de cette rue du Pressoir. Pour moi, tout de suite j'ai eu le sentiment d’une rue inconnue, mais qui portait toujours le même nom. Je ne peux pas dire que parler de cette rue, où je suis née, me soit vraiment difficile et encore moins depuis cette vision. En fait, je crois que la rue du Pressoir, berceau de ma petite enfance, est définitivement mémorisée dans ma tête. Le passé devient plus vivant, les images plus précises et plus particulièrement le 23/25. Les personnages s’animent, l’entrée de l’immeuble revit avec ses va-et-vient. Dans la cour, les enfants cavalent dans tous les sens en riant. Je revois les escaliers des deux immeubles avec ses joies et ses peines, les paliers et leurs locataires. Tout devient plus net et les flashs éblouissants.

    B.M. : Vous semblez assez sereine devant les numéros 23-25 qui étaient l’entrée de votre immeuble. Pense-t-on à la mort, juste là, sur ce trottoir arrondi, où il ne reste plus rien de ce passé ? Ou peut- être, pensez-vous plus au  départ  forcé que vous avez dû subir pour aller vous ne saviez où ?

    J.F. : A vrai dire, lorsque j’ai redécouvert le 23/25, bizarrement, et je m’en étonne moi-même, je ne pensais à rien. Impossible d’obtenir de ma mémoire une image qui me ferait revivre mon passé, franchir le seuil de la porte de l'immeuble d'autrefois, revoir ma cour en espérant, en levant la tête vers le ciel, apercevoir une silhouette qui serait celle de ma mère à sa fenêtre de salle à manger, mais non, rien, une amnésie totale. Une cruelle déception car à cet instant, j’aurais adoré ressentir, au moins, un petit quelque chose, mais non, le zapping complet. Après avoir quitté cette rue, sur le chemin du retour vers la Normandie, petit à petit, les images du passé sont remontées à la surface. Le puzzle s’est reformé comme par magie. A ce moment-là, j’ai compris que je venais, tout simplement, de gommer la vision de la connerie.

    B.M. : Josette, vous souvenez-vous de la réaction de vos parents, de vos sœurs, et votre propre réaction, lorsqu’il a fallu quitter l’appartement, déménager du quartier, faire les valises et les cartons, s’éloigner de vos amis ; en somme, quitter votre village. Tout compte fait, tout un pan de vie s’écroulait, non ?

    J.F. : A cette question, je ne dirais pas qu’un pan de vie s’écroulait, tout du moins, pas au début. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, aussi bien pour ma famille que pour la majorité des personnes expulsées, je n’ai jamais ressenti de réactions négatives. Je n’ose dire que nous étions presque heureux de quitter, comme beaucoup le pensait, des taudis. Je ne suis pas tout à fait de cet avis, un certain inconfort, certes, taudis pas vraiment, il suffisait d’avoir un peu d’imagination pour faire de ces logements, sans confort, de petits coins où, malgré tout, il faisait bon vivre. Si j’ose écrire « heureux », il ne faut pas oublier que l’on nous promettait des logements plus vastes avec salle de bains et toilettes, ce petit plus devenait important aux yeux de tous. Nous pouvons aussi parler de résignation en somme, il fallait partir, nous sommes partis. La dératisation s’est effectuée sans problème. La nostalgie a pointé le bout de son nez un peu plus tard , elle provenait plus particulièrement de nous, les enfants, beaucoup moins des parents. Je n’ai pas souvenance d’avoir entendu mes parents parler de la rue du Pressoir avec regrets. Mon père est décédé en 1970, très tôt après l’expulsion, et avec maman, jusqu’en 1984, je n’ai en mémoire aucun souvenir de grande conversation à propos de notre rue. La génération de mes parents a connu la misère, la guerre, la lente remontée de l’après guerre, il fallait se reconstruire. Pour beaucoup l’inconfort des logis était présent depuis leur naissance. On peut supposer que ce déménagement vers un appartement plus confortable apportait un peu de soleil à leur vie. C’est un constat personnel. Par contre, très tôt, avec les copains d’enfance et d’adolescence, ceux de la belle époque, nos retrouvailles se sont toujours transformées en délires phénoménaux. La rue du Pressoir passée au crible nous amenait à d’interminables éclats de rires et à ces moments-là, plus personne n’existait, pas même nos conjoints. N'existaient que nous, petite bande de fidèles, cercle fermé aux autres, n'existait que cette rue et ce quartier à nous. Nous remontions le temps,  corps et âmes, dans notre monde, à l'abri d'un autre monde, du moins pour quelques heures et ça continue  depuis plus de 40 ans.

    B.M. : A vous voir assez tranquille le jour de votre retour rue du Pressoir, vous ne sembliez pas trop émue, en tout cas vous ne le montriez pas. Cependant le lendemain vous étiez complètement remontée et vous écriviez  un récit poignant. Tout semblait, souffrance. Comment expliquer cette réaction le lendemain. J’ai eu assez de chance d’avoir été personnellement épargné ce jour là, par votre colère,  alors que j’avais  grand plaisir à vous faire retrouver votre rue du Pressoir. J’espère que vous ne  regrettez pas mon invitation ?

    J.F. :Vous avez vu juste, aucune émotion je le confirme. Pourtant depuis de nombreuses années, je désirais retourner vers cette chère rue du Pressoir, seulement il fallait bien se rendre à l'évidence, je ne retrouverais rien de mon passé, j'en étais  consciente. J'ai donc laissé filer le temps,  me disant toujours,  j'y vais, j'y vais pas, jusqu'à votre invitation que je ne regrette absolument pas. Ne dit-on pas qu'il faut boucler la boucle? Et bien voilà c'est fait ! Arrivée au coin de cette rue, de mon enfance, très vite dès les premiers pas, j'ai ressenti un blocage complet, pétrifiée et hypnotisée, je restais sans voix devant la bêtise humaine. Qu'avaient-ils fait de cette rue, jadis si joyeuse et vivante! Regardez l'ancien plan de la rue, avec ses dizaines de commerçants, cafés, hôtels, artisants, etc. Si vous vous rappelez, très peu de personnes ont croisé notre chemin ce jour-là. Aujourd'hui, elle est devenue, juste une rue dortoir, sans vie, une rue qui file le bourdon. Sur le trajet du retour, je pratique toujours de la même manière, je me remémore , je réfléchis beaucoup, j'analyse et le couperet tombe. Si seulement dans ce désastre, j'avais reconnu un petit quelque chose de l'ancienne rue du Pressoir, une chose infime du passé, on peut imaginer une réaction différente. Mais là aucun point de repère, d'où ma vive réaction le lendemain. Le soir même j'ai commencé à cracher mon venin en visionnant, dans ma mémoire, la nouvelle rue et et en superposant l'ancienne. Conclusion: du grand n'importe quoi, malheureusement encore d'actualité. Dans chaque gouvernement sommeille un lot de petits génies qui, dès qu'ls sortent de l'inertie réalisent leurs fantasmes avec souvent un manque de goût certain. Nous en avons la preuve.

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    B.M : A cet emplacement précis où nous nous trouvons maintenant, autrefois le numéro 12 de la rue du Pressoir, il y avait là,  les « BAINS, DOUCHES, HYDROTHERAPIE COMPLETE ». C’était un bâtiment du début du XXe siècle, en ‘fer à cheval’, magnifique,  avec des fleurs au milieu d’une cour superbe où, femmes, hommes et enfants, pouvaient se promener et se reposer après le bain. Vous souvenez-vous, vous y veniez étant jeune fille ? Et que ressentez vous, aujourd’hui, là ? Je vous vois faire la grimace ou plutôt je dirais, vous êtes figée, pâle! Ça va Josette ?

    Numériser0020.jpgJ.F. : Mon cher Bienvenu,  pour répondre à votre question: ça  va très bien! Et effectivement, je fais la grimace et pour cause. Je ne me rappelle absolument pas des Bains-Douches du 12. Si ma mémoire est bonne, nous allions sur le boulevard de Belleville, juste après la rue des Couronnes, en direction de la rue de Belleville. A cet endroit se trouvaient des douches, probablement moins coûteuses. A vrai dire je ne sais pas trop. Il me semble bien aussi que nous avions droit à une douche par semaine à l'école. Je suis obligé de sourire à cette évocation, je vais vous dire sincèrement que la douche n'était pas, à cette époque, pour nous, enfants, notre préoccupation première, du moins jusqu'à l'adolescence. Voilà la vérité rien que la vérité!

     

     

    B.M. : Vous avez découvert récemment, publiées  sur le site, par Guy Darol, les photos émouvantes, que vous a fait parvenir votre ami d’enfance, Roland, ainsi que celles du photographe, Henri Guérard. Sur l’une d’entre elle, des années 1963, on y voit, que poussière, vous souvenez-vous de ces moments où tout est voué au rasage dans un gris de typhon catastrophe ? Et sur une autre photo, de 1960, vous avez pu voir une poupée écartelée, accrochée ou clouée, la tête en bas. Ces images qu’évoquent-elles pour vous alors que déjà au loin se dresse  le premier immeuble neuf de ce qui va devenir la nouvelle rue du Pressoir. Vous voulez nous en parler ?

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    Photo Henri Guérard

    J.F. : La démolition des immeubles a commencé dès 1960 par les numéros pairs de la rue du Pressoir. Je ne me souviens pas de ceux détruits en premier. Je n'avais que 12 ans en 1960. Par contre, je revois très bien la démolition, en 1963, de l'immeuble en angle de la rue du Pressoir et rue des Maronites. J'étais là, debout au milieu d'une foule de badauds dans l'attente que cet immeuble tombe en poussière. Incroyable, en y pensant aujourd'hui, nous repartions couverts d'une mince pellicule grise-blanche sans nous rendre compte, à ce moment là, que toute notre Josette et Liliane bd de Belleville 62-63.JPGrue, petit à petit se transformerait en un tas de gravats. Cette même année, des constructions sortaient de terre et certains immeubles étaient déjà prêts à l'habitation. On ne se préoccupait pas vraiment de ces nouvelles constructions, nous restions de notre côté. Les premières constructions, si je me rappelle bien, étaient principalement destinées aux rapatriés d'Algérie, mais certainement pas pour nous, les 'pestiférés'. Interdiction de rentrer dans ces immeubles. Avec ma copine Liliane nous arrivions à pénétrer dans certains, rien que pour y emprunter les ascenseurs. Je me souviens d'un brin de révolte, de ma part, envers les premiers occupants ne comprenant pas très bien ce qu'étaient ces gens qui se ramenaient en territoire conquis. Notre numéro 23/25 a assisté aux transformations de la rue de Pressoir jusqu'en 1968 ou 1969, puis s'est écroulé comme un château de cartes emmenant avec lui tous nos souvenirs d'enfance et d"adolescence. Dorénavant notre seul repère la courbe restée intacte, bien maigre consolation.

    B.M : Josette, reviendrez-vous, un jour, habiter à Ménilmontant ? La première fois que je vous ai posé la question, le jour même de notre rencontre,  vous m’avez répondu, je cite : « Oh ! que non .. ou alors…. peut-être… dans le 16e arrondissement ! » Vous restez  toujours sur cette affirmation. Paris vous manque t-il ?

    J.F. : Ma question préférée, celle qui tue et qui me fait encore rire, vous seul savez pourquoi, monsieur Merino, c'était une boutade que je vous ai lancée un soir de délire et ma réponse alors était évidemment fausse, excusez-moi. Malgré tout, je confirme que non, mon intention n'est pas de retourner vivre à Ménimontant et pas plus dans le 16e. La campagne semble plus appropriée à une solitaire. J'étoufferai en appartement. Je suis un signe d'air, l'espace, la verdure et la liberté avant tout. Paris ne me manque pas ou ne me manque plus. Une confidence tout de même : cinq années ont été nécessaires pour me séparer de Paris et je dois vous avouer que, plus d'une fois, l'envie de tout quitter a effleuré mon esprit. Il est fort possible que sans enfant je serais repartie vers ce cher Paris de mon enfance. Le temps et la sagesse ont fait le restant. De temps en temps j'y retourne, pour des spectacles ou pour des raisons personnelles. Paris restera toujours Paris à mes yeux. Je suis parisienne. Nous retournerons, un jour, si vous le voulez, arpenter les rues de mon quartier de Belleville-Ménilmontant!

    B.M. : Volontiers Josette, je reviendrai avec plaisir dans ce Ménilmontant d'une valeur inestimable pour beaucoup de parisiens. Si vous voulez bien, deux questions encore! En parlant de vous-même et de l’un de vos amis, vous dites : « deux enfants paumés ». Je sais que vous avez vécue bien des  épreuves mais avec  le temps , vous pouvez encore dire,  aujourd'hui, que vous étiez  vraiment paumés, malgré l’entourage affectif de votre famille ? Secundo,  vous avez parlé avec beaucoup d’affection, de Coco, votre voisin Algérien qui habitait au fond du couloir du rez- de- chaussé dans un espèce de gourbi. Si je comprends bien, Coco était en sorte, un protecteur de votre famille et aussi il apprenait à faire le couscous à votre maman. Vous avez des nouvelles de Coco, qu’est-il devenu ?

    J.F. : Pour répondre tout d'abord à cette question, vous dites  "entourage affectif". C'est un bien grand mot. A cette époque et dans beaucoup de famille, l'affection n'était pas vraiment présente, les parents aimaient leurs enfants mais à leur manière. Cette expression, deux mômes paumés" n'est pas spécialement approprié à la situation, nous ne vivions pas en dehors de la réalité. Nous étions, malgré tout, bien seuls et le fait de se retrouver, Roland et moi, était l'occasion d'oublier ce qui, peut-être, nous attendait le soir. De quoi parlions nous, assis côte à côte sur les marches du rez-de-chaussée, je n'en ai aucune souvenance, rêvions nous de châteaux en Espagne? D'un ailleurs où notre vie serait moins grise que la façade de notre immeuble? Pas certain, ou alors tout simplement parlions-nous de nos prochaines vacances à Berck-Plage ou au lot de petites vacheries entre amis ? Ca c'estprobable. Cette vie était la notre et nous l'acceptions telle qu'elle était. Tout ce que nous donnions à nos parents nous paraissait normal et tout naturel. Ce mot "paumés" est un peu caricatural, juste un peu perdus, égarés, presque rien, un petit rien qui laisse des traces indélébiles mais avec un peu d'intelligence on vit très bien. Et si je parle de cette enfance, c'est qu'elle était néammoins formidable. Par contre, une fois adulte, je savais très bien qu'il me faudrait apporter, à cette vie, quelques petites modifications, afin qu'elle ne ressemble pas trop à celle de mon enfance. Garder le bon et éliminer le mauvais, ne pas reproduire le même schéma. Si nous parlons de Coco, effectivement, il était en quelque sorte un protecteur, surtout pour mon père. Nous avons beaucoup compté sur lui. Une armoire à glace ce Coco !  Et connu de tout le quartier. Il est revenu deux fois, je crois, nous rendre visite dans notre nouvel appartement, puis lui aussi a dû quitter la rue du Pressoir et par la suite nous n'avons plus eu de nouvelles de lui.

    B.M. : Josette Farigoul, encore une question pour terminer notre entretien. Depuis, quelques mois, vous avez un contact par courriel, je dirais privilégié, avec Guy Darol, journaliste, écrivain et voisin d'enfance rue du Pressoir, dont vous ignoriez tout, jusqu'à la récente découverte de son site. Et là, vous apprenez qu'il est,  lui aussi, né dans le même immeuble, au même numéro de la rue du Pressoir. En plus, il est écrivain. Cela doit vous faire plaisir je suppose, car vous m'avez confié que lorsque vous étiez enfant, c'était un de vos souhaits de pouvoir écrire. Aujourd'hui,  chaque jour, des centaines de personnes peuvent vous lire sur le site de la rue du Pressoir. Comment vous vivez cela? C'est exaltant n'est-ce pas ?

    J.F.: Cette dernière question m'embarrasse. J'ai du mal à parler de mon ressenti intérieur, ce n'est pas que je ne veux pas mais je ne sais pas. Effectivement ce contact courriel avec Guy Darol me donne beaucoup de satisfaction et m'a permis de concrétiser, en partie, ce souhait que je n'ai jamais pu réaliser avant, par manque de temps. Ma pensée chimérique est quelque peu devenue réalité. Exaltant aussi, bien évidemment, mais tout ce que j'ai accompli ou donné dans ma vie n'était que cadeau, les choses étaient faites tout naturellement  sans contrepartie. Pour terminer sur notre rue du Pressoir, je dirai que j'étais loin de m'imaginer, en la quittant en 1966, que le fantôme de cette rue, et principalement le numéro 23/25, hanterait mes jours et mes nuits. Pour conclure cet entretien, je voudrais remercier Guy Darol, pour la création du site sur notre chère rue du Pressoir car je suis heureuse de m'être laissée embarquer sur sa vieille bécane à remonter le temps. Par son intermédiaire, notre rue du Pressoir s'est de nouveau animée comme au  bon vieux temps des années 50/60. Belle aventure que la mienne, bisous, Guy.

    Merci à vous, Bienvenu, pour votre invitation au voyage. Ce jour là, j'ai repris le chemin des écoliers et remonté la rue de mon enfance après 41 ans de réticence à retourner sur les lieux que je savais à tout jamais anéantis. Je vous embrasse Bienvenu.

    BM. :  Josette, merci infiniment d’avoir répondu à mes questions avec autant de vérité et de générosité.

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    Le café où Josette Farigoul et Bienvenu Merino se sont rencontrés en avril 2008

     

                                                                                                     

     

     

     

     

                                                                                                       

     

     

     

     
  • LE PARCOURS DU BALLON ROUGE

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    En revoyant Le Ballon Rouge d'Albert Lamorisse (dont l'édition DVD vient de paraître), j'ai mesuré l'étendue du désastre. Le Ménilmontant du film ne coïncide plus guère avec la topographie actuelle. J'ai pensé que Josette Farigoul, née rue du Pressoir où elle a vécu jusqu'en 1968, pourrait nous aider à retracer le parcours de Pascal. Elle donne ici quelques pistes pour suivre l'enfant au ballon rouge dans le réseau des rues, ruelles, passages des années 1950.

    "Ah ! j'ai acheté le DVD du  Ballon Rouge. Il faut que je le visionne de nouveau car  j'ai du mal à saisir le parcours du jeune Pascal. Pour moi il habitait rue des Envierges mais je comprends mal pourquoi il se retrouve rue Vilin pour prendre le 96 à Ménilmontant-Pyrénées. Ce n'est pas logique ou alors je vois cet arrêt de bus plus haut qu'il n'est. Il va où à l'école ? On reconnaît bien la passerelle de la rue Piat avec le facteur. La poursuite dans le passage, peut-être est-ce le passage Notre Dame de la Croix qui à mon avis serait le plus long des passages. Il  y en avait beaucoup : le passage Vilin, le passage Ronce, le passage Julien Lacroix mais je ne les vois pas si biscornus, ou alors il y a eu un montage de plusieurs passages. En le revisionnant je vais peut-être mieux comprendre. La fin du film se passe dans ce terrain vague que nous appelions le zone, dans le haut de la rue des Couronnes, probablement où se trouvent les Jardins de Belleville. Il va falloir que je comprenne. J'ai quand même du mal à me repérer. Je vois bien la rue Piat, la rue Vilin, la rue de Ménilmontant bien sûr, la rue Julien Lacroix et la rue du Liban avec Notre Dame de la Croix. La boulangerie où il s'achète un gâteau c'est au coin de la rue Piat. Je vais suivre tout ça de près. j'aime bien comprendre principalement lorsque je me pose des questions." Josette Farigoul